3. Marguerite Rosalie Hervé

3.3.3 Marguerite Rosalie Hervé (1728-1818), 3e génération

Marguerite Rosalie Hervé, la deuxième fille et le troisième enfant de Sébastien Hervé et Rosalie Tremblay, naît le 6 août 1728.  Elle est baptisée dès le lendemain par le missionnaire récollet Ignace Joseph Flament[1] qui est de passage sur l’île.

Marguerite Rosalie a comme parrain l’écrivain du roi, Médard-Gabriel Valette de Chevigny.  Vallette de Chévigny semble être arrivé en Nouvelle-France avec l’intendant Michel Bégon vers la fin de 1712.  L’écrivain du roi est le fils de Charles Vallette de Chevigny, procureur du roi des eaux et forêts de Vitry en France.  Chevigny est probablement le plus ardent promoteur de l’industrie du goudron et de la poix en Nouvelle-France, une industrie importante dans la région à l’époque.  Dès 1724, Vallette de Chévigny accompagna le groupe que l’intendant Bégon envoyait dans la région de la baie Saint-Paul pour trouver du bois propice à la fabrication de mâts pour la marine française[2].

La marraine de Marguerite Rosalie est Catherine Biville, la mère de Brigitte Fortin, belle-sœur et voisine de Sébastien qui est l’épouse de Louis Tremblay fils, son beau-frère.  Catherine Biville est la fille de François Biville dit LePicard.  Catherine Biville et Jacques Fortin père, son époux, furent voisins du père de Sébastien à la Basse-Ville à Québec.  

L’enfance de cette troisième de famille, comme toutes les autres du temps dans pareil cas, ne fait aucun doute étant donné que les bras sur la ferme se font rares et qu’il faudra encore cinq ans avant qu’un deuxième garçon ne voie le jour.  Prendra-t-elle goût à la terre ? Peut-être puisqu’elle épousera un laboureur dans quelques années.

Puis lorsque sa mère meurt à la fin août 1740, Marguerite Rosalie vient tout juste de fêter son douzième anniversaire.  Son père Sébastien devait nécessairement songer à la placer comme bonne dans une famille.  Au temps de la Nouvelle-France et longtemps par la suite, s’était cela le lot d’une jeune fille en âge de travailler si elle n’était pas l’aînée laquelle, d’ordinaire, épaulait la mère.  Si elle ne fut pas placée au décès de sa mère, cela ne dut pas tarder puisqu’elle était largement en âge de travailler à douze ans.

Un nouvel habitant du nom de Jean Gonthier (1714-1749) vient s’installer sur les hauteurs du Cap à Labranche en 1743.  Il avait obtenu cette concession de trois arpents et demi le 28 juin 1743, mais il n’acquerra cette terre devant notaire que le 28 juin 1746.  Cette concession est située près de sa sœur et son beau-frère Étienne Gagnon (1722-1784) ; Marie Josephte Gagnon (1718-1806), l’épouse de Jean Gonthier est la sœur d’Étienne Gagnon qui lui est marié à sa sœur Marie Madeleine Gonthier (1722-1744).  L’arrivée de cette jeune famille pose le premier jalon du destin qui sera celui de Marguerite Rosalie.  Elle a dix-sept ans lorsqu’elle est la marraine de Joseph Louis Gonthier dans la chapelle Saint-Louis de l’Isle-aux-Coudres le 12 avril 1746.  Quelle fut l’influence de Marie Josephte Gagnon, la mère de l’enfant sur l’avenir de Marguerite Rosalie ? Ce n’est probablement pas un hasard si deux ans plus tard la jeune fille vit à Baie-Saint-Paul et qu’elle est à nouveau marraine d’un dénommé Pierre Coté le 4 juillet 1748 ; cette fois-ci en compagnie de Joseph Gagnon frère cadet de Marie Josephte, un jeune homme que Marguerite Rosalie épousera bientôt.   Marguerite est probablement domestique dans une famille de la baie Saint-Paul.  Il y a fort à parier que ce soit dans celle d’Étienne Gagnon, frère de Marie Josephte.  Ce dernier a perdu sa femme, Marie Madeleine Gonthier, décédée en couches à l’Isle en 1744, maintenant remarié, il demeure à Baie-Saint-Paul depuis 1747. 

Marguerite Rosalie portera le prénom de Marguerite toute sa vie[3].  Lorsque son père a l’intention de passer la main à l’été 1749, le notaire qui se présente à la maison familiale et qui écoute le père lui nommé ses enfants, inscrit Marguerite.

Marguerite, qui aura vingt-deux ans le 6 août 1750, habite à Baie-Saint-Paul depuis au moins déjà deux ans.  Le 29 juillet de cet été 1750, elle épouse Joseph Gagnon.  Natif des Éboulements, le fils de Joseph Marie Gagnon (1685-1761) et de Marie Madeleine Tremblay (1688-1755), qui n’a que vingt ans, est aussi le frère de Marie Josephte et d’Étienne.  Comme on l’a vu, Marguerite était probablement domestique dans une famille de la baie Saint-Paul puisque c’est là que se déroule son mariage et que par tradition et pratique religieuse, il se tient dans la paroisse de la mariée.  Elle était peut-être chez les Coté, les Perron, les Borelle dit Clermont ou les Gagnon puisqu’un représentant de chacune de ces familles agit comme témoin à son mariage et qu’elle est réputée « de cette paroisse » au registre[4].  Comme son père n’est pas présent au mariage et qu’elle est mineure, une permission aurait dû être accordée par ce dernier, mais rien au registre n’est mentionné ce qui indique peut-être que Marguerite fut placée dans une famille de Baie-Saint-Paul et que l’un des témoins était de fait son tuteur.  Aucun membre de la famille Hervé n’est présent au mariage.  Pourquoi ? Rien ne permet de l’expliquer.  L’absence du père pourrait peut-être se justifier par la maladie puisqu’il est absent des huit événements familiaux de baptême, mariage et autres qui se déroulent entre mai 1750 et mai 1751, mais cela n’explique pas qu’aucun des trois frères ne soit présent à la cérémonie en plein mois de juillet.  Puisqu’une parenté avec la famille Tremblay commençait déjà à être difficile à éviter dans la région, comme pour son frère Zacharie qui avait marié une Tremblay, une dispense est délivrée par Monseigneur Briand pour une consanguinité au troisième degré, car la belle-mère de Marguerite est une Tremblay.  En effet, Madeleine (1688-1755) est la fille de Pierre Tremblay (1660-1736), le premier seigneur des Éboulements et bien entendu, la sœur du seigneur actuel, Étienne Tremblay (1690-1767). Le grand-père de Marguerite était le frère du premier seigneur des Éboulements.

La seigneurie des Éboulements

Le couple s’installe aux Éboulements sur la terre familiale du père de Joseph.  Ce dernier, avec son frère jumeau Dominique étant les derniers enfants de la famille, il est probable qu’ils épaulent le père qui a maintenant soixante-cinq ans.  

Un an après son mariage, Marguerite donne naissance à son premier enfant qui est baptisé le jour de sa naissance en l’église Notre-Dame-de-l’Assomption des Éboulements.  Le couple verra naître leurs six premiers enfants en Nouvelle-France aux Éboulements où ils seront tous baptisés.  Il s’agit de Jean Baptiste Joseph David né le 22 juillet 1751, Marie Des Anges née le 26 juillet 1753, Joseph Sébastien né le 19 décembre 1755, Marguerite Rosalie née le 20 novembre 1757, Marie Charlotte née le 30 janvier 1760 et Ursule née le 26 février 1762. 

De là où elle vivait depuis son mariage avec Joseph Gagnon, Marguerite Rosalie devait bien voir l’île qui l’avait vu naître et rêver y retourner vivre un jour.  Son époux ne devait pas avoir le même désir puisque son frère et sa sœur, qui y avait vécu, ont tous deux quitté l’Isle-aux-Coudres.  Étienne, en 1744 et maintenant Marie Josephte qui vient s’établir sur la ferme familiale des Gagnon à l’automne 1754[5].  En effet, cette dernière qui avait continué de vivre à l’Isle après le décès de son premier mari en 1749, s’était remariée à Jean Baptiste Malteste (1728-1801) en 1753 ; le couple s’amène donc aux Éboulements où ils vivront tout comme les deux jumeaux, Joseph et Dominique et leur famille respective.

Le 12 novembre 1754, Marguerite, en l’absence de son mari Joseph, mais en son nom, paraît devant le notaire Michel Lavoye avec son frère Zacharie Sébastien afin de permettre à ce dernier de se libérer de toute dette envers elle.  Marguerite n’est pas seule, elle est accompagnée de deux de ses beaux-frères, Jean Baptiste Malteste et Charles Brassard (1727-1789), marié celui-là à Catherine Gagnon (1724-1802).  Le notaire procède d’abord à la vente à Zacharie de la portion de la terre que Marguerite avait héritée en 1749 lors du partage de la moitié de la terre familiale appartenant à sa mère décédée et dont ce dernier avait l’usufruit depuis ce temps.  Cette même journée, Marguerite dépose devant notaire une quittance signée à l’avance par son mari Joseph Gagnon au nom de sa femme à l’endroit de Zacharie pour le paiement reçu en monnaie du pays suite à la transaction puisqu’à l’époque et jusqu’au XXe, les femmes n’avaient aucune autorité juridique[6]

Le 20e jour d’octobre 1755, le notaire Michel Lavoye se présente au domicile familial des Gagnon aux Éboulements ; l’aïeule Madeleine Tremblay se sentant gravement malade fait enregistrer ses dernières volontés.  Parmi ces dernières, elle rappelle à son fils Joseph qu’il doit six ans d’arrérages sur les redevances de ses trois arpents ; elle lui demande de payer des messes pour le repos de son âme pour s’acquitter de ses dettes[7].  La belle-mère de Marguerite nous révèle ainsi qu’elle et son mari Joseph Marie Gagnon s’était probablement donné à leurs cadets en 1749 justes avant les mariages des jumeaux en échange de chacun trois arpents de la terre familiale.  Quoi qu’il en soit, l’aïeule décède avant que novembre se pointe[8].  

À l’automne 1758 Marie Magdeleine, celle que l’on appelait Marie dans la famille[9], la cadette de dix-neuf ans mariée depuis deux ans, est emportée par le mal qui sévit sur l’île.  Marguerite Rosalie apprendra le décès de sa jeune sœur probablement bien plus tard puisque depuis des semaines on évite de traverser à l’Isle en raison de l’épidémie qui y sévit.

Le père de Joseph décède en novembre 1761[10]Joseph et Marguerite continueront de vivre avec la tribu des Gagnon aux Gagnon aux Éboulements pour encore une dizaine d’années.  Lui et Marguerite sont voisins du frère jumeau Dominique qui a lui aussi hérité d’un autre trois arpents et de cinq de ses sœurs[11].

Trois autres enfants naîtront aux Éboulements et seront baptisés en l’église Notre-Dame-de-l’Assomption, mais ces derniers verront le jour dans ce qui est maintenant devenu la quinzième colonie britannique en Amérique et que la proclamation royale anglaise du 7 octobre 1763 nomme « Province of Quebec ».  Un morceau de la Nouvelle-France venait d’être rebaptisé lui aussi. 

Ces trois autres enfants de Marguerite et Joseph sont Joseph Marie né le 14 février 1764, Marie née le 17 décembre 1766 et son jumeau Pierre né le même jour.  La dernière grossesse de Marguerite avait ceci de particulier qu’elle se terminait par la naissance de jumeaux en plein temps des fêtes, alors que sévissait un hiver difficile.  Même sur la terre ferme, le missionnaire était passé une dernière fois aux Éboulements à la mi-novembre 1766 et ne se présenta à nouveau au village que le 18 avril 1767.  Les jumeaux attendirent donc quatre mois pour recevoir le baptême.  

Un retour dans son île

C’est probablement à l’été 1767 ou peu après que ce possible rêve de Marguerite se réalisa.  À l’Isle, on avait su du procureur du séminaire qu’un vaste espace de trente et un arpents de front sur la partie nord et faisant face à la baie du mouillage des Français serait bientôt concédé en censives.  Jusque-là, cet espace était une enclave que s’étaient réservée ces messieurs du Séminaire comme domaine seigneurial.  Le seigneur allait finalement céder sous la pression des habitants qui cherchaient à établir leurs enfants à l’Isle[12].  Depuis 1762, la distribution à des immigrants de la surface du sol non réservée était à peu près terminée ; quand les seigneurs concéderont leur « domaine », dans peu de temps, ils le feront au bénéfice de fils d’habitants établis à l’île[13].  Il faut donc comprendre que Marguerite et son mari qui sont établis aux Éboulements font exceptions.  Son frère Dominique est bailli pour l’Isle.  Celui qui était devenu capitaine de milice fut justement élu pour la première fois comme « bailli » principal en 1767.  Le frère aîné Zacharie est son assistant.  Dominique qui gardera ce poste et sera réélu en 1769, 1770, 1771 et 1773 dû assurément intercéder en faveur du retour de sa sœur auprès de ces messieurs du séminaire ou de leur agent pour qu’elle obtienne pareil privilège alors que tant de fils d’insulaires sont à la recherche d’une terre.   

Le 25 avril 1771, Marguerite Rosalie choisit son frère aîné, Zacharie, comme parrain de son premier enfant à voir le jour sur l’Isle, Marie Geneviève née la veille.  Après une absence de plus de quinze ans, il était temps de profiter de la présence rapprochée de ses trois frères.  

Les terres de la côte à la Baleine sont orientées nord-ouest seize degrés nord, soit perpendiculaires au Cap à Labranche et prennent leur devanture à la plus haute mer[14].  Sauf pour quelques terres qui aboutissent au domaine et qui ne mesurent que cinquante arpents de profondeur, les terres de cette côte traversent l’île.  Ce sont les arpents situés à l’arrière de ces six terres qui constitueront la côte des Roches une fois concédées.  Ce qui était vrai lors de l’établissement des premiers censitaires sur l’île vers 1720 l’était encore à la fin des années 1760.  Les insulaires et leurs parents dès qu’ils eurent entendu parler de l’intention du Séminaire de céder le domaine qu’il s’était réservé, choisissent eux-mêmes l’emplacement de leur terre à la côte de Roches et l’occupent avant d’obtenir le titre.  Leur prise de possession ne repose parfois que sur une promesse verbale ou un billet de concession obtenu du représentant à l’Isle du Séminaire[15].  D’ailleurs, des censitaires comme Joseph et Marguerite occupaient déjà certaines des six terres qui seront originalement concédées à la côte des Roches, bien avant que les titres de concessions de celle-ci ne soient distribués en 1773.  

En août 1771, à la demande de ces messieurs du Séminaire, l’arpenteur Ignace Plamondon père s’amène à l’île suivant leurs instructions « … on concédera le domaine de l’Ile-aux-Coudres en réservant pour le manoir seigneurial 5 ou 6 arpents en superficie »[16].  Il y passera deux jours à chaîner, tirer des lignes et borner les six premières terres du domaine nouvellement concédées.  De l’est à l’ouest à partir de la Pointe-des-Roches en direction des terres du Cap à Labranche, les censives sont concédées à Étienne Debien fils, Jean Debien, Claude Bouchard, Joseph Gagnon, qui y est déjà reconnu comme « habitants de l’île aux Coudres », François Bouchard fils et Brigitte Debien dite la veuve Lajoie[17].  Quatre autres terres à l’ouest des premières seront par la suite concédées avant 1773 et permettront de rejoindre le cap à Labranche.

On se rappellera que la côte des Roches, située sur le versant nord de l’île, s’élève rapidement à partir du fleuve pour former une falaise d’une hauteur de soixante mètres environ.  On retrouve donc Marguerite, Joseph et leurs neuf enfants établis sur une terre de « trois arpants et demÿ » par treize situées « à deux perches audessus de la côte jusqu’au milieu de l’île » un peu à l’ouest de la Pointe-de-Roches[18].  La terre de la famille, comme celle des voisins, est limitée à deux perches de la cime des caps, toujours dans le but de préserver le contrôle seigneurial sur la baie du Mouillage de l’Isle, au-devant duquel elle est située[19].  La famille, comme les autres censitaires, ne se verra concéder la grève faisant face à leurs terres respectives que bien plus tard au XIXe siècle.  « Depuis le cap de la Pointe-des-Roches jusqu’à la terre du sieur Gagnon, en remontant vers l’ouest, se trouve l’endroit du rivage d’où la marée baissante s’éloigne le moins des côtes de l’Ile »[20].  Il était donc normal que les Français, de Jacques Cartier le premier, jusqu’aux derniers à avoir quitté vers la vieille France en 1762, aient choisi cette baie face à la terre de Marguerite et Joseph pour le mouillage de leurs navires.  Les anglais feront bien autrement. 

C’est sur cette terre, qui est maintenant devenue celle de Marguerite et Joseph, que le 6 septembre 1535, Jacques Cartier aborda l’Isle et y trouva plusieurs arbres, « … entre autres y a plusieurs couldres franches que trouvâmes fort chargées de noisilies… Et par Cela nommâmes l’Isle-es-Coudres. Le septième jour du dit mois, jour Notre-Dame, après avoir ouï la messe, nous partîmes de la dite isle pour aller à mont le dit fleuve. »[21].  C’est aussi sur cette terre que se situe l’un des deux cimetières où les navigateurs décédés en mer étaient inhumés à l’époque de la Nouvelle-France[22].    

Bien que ses sols soient rocheux et incultes, ce sont les derniers grands espaces encore disponibles pour les censitaires en mal d’une terre à l’Isle et Marguerite devait en être très heureuse.  Joseph pour sa part apprendra bien à s’en contenter puisque, ce qui est défavorable pour l’agriculture devient un atout pour la pêche, les roches escarpées de la côte par exemple.  Le Séminaire encourage d’ailleurs les censitaires à exercer cette activité dont il retire un revenu appréciable.  D’ailleurs, la décision de concéder ces terres pourrait ne pas être étrangère à la qualité des pêches à l’anguille de cet endroit, car depuis que ces messieurs du Séminaire l’ont affermée à partir de 1760, leurs profits ne font qu’augmenter.  Joseph et les autres censitaires s’y adonnant tendent les pêches à anguilles au-devant de leurs terres de la côte des Roches.  Les revenus que la famille en tire ne sont pas pour déplaire et compensent largement la pauvreté du sol[23].

Si Marguerite avait contemplé son île pendant vingt ans en rêvant d’y retourner un jour, Joseph Gagnon fera probablement la même chose jusqu’à sa mort, car de la concession qu’il vient d’obtenir, il pouvait très bien voir la terre familiale des Gagnon aux Éboulements devenus avec le temps les terres des Gagnon. 

Un peu après le temps des fêtes, le 16 janvier 1774, Marguerite Rosalie donne naissance à son onzième et dernier enfant connu, Jean François, le deuxième à voir le jour sur l’île depuis son retour et celui de sa famille.  Avec un curé à plein temps depuis 1770, les baptêmes ne tardent plus pour les insulaires.  Le jour même de la naissance, l’abbé Jean Jacques Berthiaume administre le sacrement au nouveau-né.  C’est le frère de la mère, Dominique, qui est choisi comme parrain puisqu’il n’est pas à piloter sur cette mer de glace qu’est le fleuve en janvier.

Moins de douze mois après avoir accouché de son dernier enfant, Marguerite voit son aîné David se marier à la fin janvier 1775.  Cela donne à cette dernière l’occasion de fêter avec ses frères tout en réalisant qu’elle venait de boucler la boucle.  Deux ans plus tard, les mariages de Marie Des anges et de Sébastien suivront.

Puis, ce que la plupart des femmes de cette époque avaient appris à confronter, la mort d’un enfant, survient pour Marguerite.  Elle perd pour la première fois un enfant à un âge tel, qu’elle le croyait réchappé.  Joseph Marie décède alors qu’il n’a que dix-sept ans le 26 novembre 1781.  Elle s’en était assez bien sortie pour son temps en ayant réussi à garder bien vivants tous ses rejetons.  L’été suivant, c’est sa fille Charlotte qui, par son mariage, met un baume sur sa peine.

Alors qu’elle est presque âgée de cinquante-cinq ans en juin 1783, Marguerite agit comme marraine de l’enfant des deuxièmes voisins en allant vers le cap à Labranche, Louis Lajoie (1751-1808) et Thècle Bouchard (1754-1805)[24].  Comme on l’a vu, la proximité d’une voisine ayant aidé lors d’un accouchement comptait beaucoup plus que l’âge de la marraine choisit sur cette île sans médecin. 

Marguerite et Joseph, respectivement âgés de soixante et cinquante-huit ans, ne se sentent plus en mesure d’assumer la responsabilité de la terre familiale. Les années de durs labeurs se font sentir lorsqu’ils prennent la décision de se donner à leur fils Pierre et se présentent devant le notaire le 2 août 1788[25].  Ce jeune homme vient tout juste d’atteindre sa majorité puisque, depuis 1782, les autorités coloniales ont ramené à vingt et un ans l’âge de la majorité qui était jusque-là établie à vingt-cinq ans.  Depuis ce changement, les garçons des insulaires pour qui aucune terre n’est promise abandonnent le nid familial plus rapidement afin de s’établir.  Pierre a vu de ses cousins, entre autres David Louis Dominique et Joseph Sébastien les fils de Sébastien Dominique, quitter ainsi pour la Côte-du-Sud.  Il n’y a pas de doute que Marguerite et Joseph craignent que le goût de l’aventure n’attire leur dernier fils encore à l’Isle, d’autant plus que ses deux frères, David et Sébastien, sont installés à Saint-Roch-des-Aulnaies depuis un certain temps[26]Pierre s’occupera de ses parents pour longtemps comme nous le verrons.  

En 1789, la Révolution française débute le 14 juillet avec la prise de la Bastille.  Cinq mois plus tard, on se réjouit chez les Hervé, mais ce n’est pas parce que l’on vient de détrôner un roi.  La quatrième fille de Marguerite Rosalie se marie.  Ursule Gagnon épouse Jean Desgagnés (1767-1833).  Deux ans plus tard, en 1791, c’est au tour de Geneviève de se marier.

Marguerite a-t-elle appris l’état de son fils Sébastien avant qu’il ne décède à l’âge de trente-six ans de l’autre côté du fleuve ? On ne le sait pas, mais il devait avoir eu le temps de se préparer face à la mort, puisqu’à son décès le 5 novembre 1791 il était « muni de tous les sacrements de l’église »[27].  Lui et sa famille étaient installés à Saint-Roch-des-Aulnaies auprès de ses tantes Marie Anne et Rose Hervé depuis 1777.

Six ans plus tard, en 1797, les jumeaux Pierre et Marie se marient ; lui en mai, elle en octobre.  Pour Marguerite et son mari, le mariage de Pierre bouleverse un peu la maisonnée.  Ce mariage amène une nouvelle maîtresse de maison sous leur toit qui est devenu celui de Pierre depuis 1788.  La jeune mariée, Marie Rosalie Bouchard (1775-1854), n’a que vingt-deux ans.  Cette dernière est connue déjà, car elle est la petite-fille de Jeanne Gagnon (1712-1776) la sœur aînée de Joseph.  Elle ne tardera pas à apporter beaucoup de bonheur à ses beaux-parents en leur donnant bon nombre de petits-enfants, dont le premier dès le printemps suivant.

Marguerite en verra partir plusieurs dans les prochaines années.  Ses deux frères puînés, Pierre et Dominique, mais aussi sa fille à qui elle avait donné ses prénoms, Marguerite Rosalie meurt en 1801.  Bien que « munie des sacrements de pénitence et d’extrême onction sa maladie ne lui a pas permis de recevoir le St Viatique »[28].  Dans cette maison que sa bru s’affaire à remplir d’enfants, les peines sont largement compensées par les éveils à la vie. 

Puis après avoir filé jusqu’à ses quatre-vingt-sept ans, Marguerite Rosalie voit partir, le 25 novembre 1815, son partenaire de vie qu’elle avait rencontré en Nouvelle-France il y a déjà soixante-cinq ans.  Joseph s’éteint à quatre-vingt-cinq ans[29].

La matriarche de la maison devait redouter les mois de novembre puisqu’elle avait vu partir deux de ces enfants et son époux dans ce mois destiné.  Aujourd’hui, le 24 novembre 1816 c’est Pierre, le fils qui l’héberge qui décède à près de cinquante ans.  La bru de Marguerite devra envisager de se trouver un nouvel époux avec ses sept bouches à nourrir.  Cette dernière ne le verra par contre pas entrer dans la maison qui fut sienne, car au printemps 1818 elle est emportée.  Marguerite Rosalie Hervé s’éteint le 14 avril 1818 âgée de quatre-vingt-dix ans.  C’est son neveu Joseph, le fils de feu son frère Sébastien Dominique, qui chante ses obsèques le lendemain dans la chapelle Saint-Louis[30]


Généalogie de Marguerite Rosalie Hervé (1728-1818)

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[1] JOUVE, Odoric-Marie et al. Dictionnaire biographique des récollets missionnaires en Nouvelle-France, 1615-1645, 1670-1849. Montréal, Les Éditions Fidès, pages 432 et 862.           

[2] PRITCHARD, James S. « Valette de Chevigny, Médard-Gabriel ». Dictionnaire biographique du Canada. 1re édition 1966, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 1974, 15 volumes, volume III (Décès de 1741-1770).

[3] Outre l’inscription de son baptême, tous les documents concernant Marguerite Rosalie qui nous sont parvenus en font foi.  Les inscriptions des onze baptêmes de ses enfants, des nombreux mariages et de sa sépulture aux registres des paroisses de Notre-Dame-de-l’Assomption-des-Éboulements et de Saint-Louis-de-France-de-l’île-aux-Coudres mentionnent tous le prénom de Marguerite. 

[4] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Paul et Saint-Pierre de la baie Saint-Paul, 29 juillet 1750.  

[5] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame-de-l’Assomption-des-Éboulements, 17 novembre 1754.  Baptême d’Alexis Malteste, « né à l’Isle-aux-Coudres deux mois plus tôt ».  On peut donc présumer que le couple demeura à l’Isle jusqu’à la fin de l’été et emménagea chez les parents de Marie Josephte à l’automne.  Deux autres enfants du couple naîtront aux Éboulements en 1756 et 1758. 

[6] A.N.Q., GN. Minutier Michel Lavoye, 12 novembre 1754. Acte de vente et quittance. 

[7] A.N.Q., GN. Minutier Michel Lavoye, 29 novembre 1755.

[8] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame-de-l’Assomption-des-Éboulements, 28 octobre 1755. 

[9] A.N.Q., GN. Minutier Michel Lavoye, 28 juillet 1749, op. cit.  Inventaire des biens de la communauté de Sébastien Ervé, veuf de Rosalie Tremblay, précédé de l’élection d’un tuteur et d’un subrogé tuteur.  Le notaire qui écoute le père lui nommé ses enfants, inscrit Marie. 

[10] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame-de-l’Assomption-des-Éboulements, 10 novembre 1761.  

[11] BAnQ., « Recensement du gouvernement de Québec en 1762 par Jean-Claude Panet », 5 avril 1721.  Rapport de l’Archiviste de la province de Québec pour 1925-26, page 139. 

[12] A.S.Q., Seigneuries 46, no 9a.

[13] MARTIN, Yves. L’Île-aux-Coudres : Population et économie. Sainte-Foy, Éditions du Département de géographie de l’Université Laval, « Cahiers de géographie du Québec », vol. 2, n° 2, 1957, page 171.

[14] Du côté du large, en parlant de l’océan et de l’estuaire du fleuve vers la côte Nord et la Gaspésie. 

[15] DESARDINS, L., op. cit., pages 182-184 et 247. 

[16] A.S.Q., SME, 16-8-1771. 

[17] A.S.Q., Séminaire, 16 août 1771 et BAnQ., CA301, Fonds Cour supérieure. District judiciaire de Québec. Greffes d’arpenteurs (Québec), S43 Ignace Plamondon, père, minutes No 678.  Procès-verbal de chaînage, lignes et bornes de six terres situées à l’île aux Coudres, dans la seigneurie de l’Île-aux-Coudres, au lieu nommé la pointe de Roche. 26 et 27 août 1771.

[18] A.S.Q., Seigneurie 46, contrats de concession des terres ; S-168, terrier-censier du Séminaire, 1769-1827.  Bien que l’arpenteur ait effectué le chaînage des terres à la Côte des Roches en 1771, les registres du Séminaire indiquent que les titres de concessions ont été délivrés en 1773. 

[19] A.S.Q. : Seigneurie 46, no 7B, 7E, 7F, 8D, 9, 9A, 9B, 10, 10A, 10 bis, 16, 16A et 16B (Terres no 33 à 40). 

[20] MAILLOUX, A. Promenade autour de l’Ile-aux-Coudres., op. cit., p. 35. 

[21] CARTIER, J., opus citatum. 

[22] FÉDÉRATION ÉCOMUSÉE-DE-L’AU-DELÀ. La route des cimetières du Québec, Ancien cimetière des Français (Île-aux-Coudres).  [En ligne].  http://www.leslabelle.com/Cimetieres/AfficherCim.asp?MP=F3&CID=2481 [page consultée le 03/04/2017].

[23] DESARDINS, L., op. cit., p. 140, 337 et 338. 

[24] BAnQ., Registre de Saint Louis de France de l’Isle aux Coudres, 12 juin 1783.  Baptême de Joseph Marie Lajoie. 

[25] A.N.Q., GN. Minutier Jean Néron, 2 août 1788.

[26] Il y a bien le cadet Jean François qui aurait quatorze ans, s’il vit toujours.  Bien que l’on ne retrouve pas d’inscription de son décès et de sa sépulture, les registres ne font plus état de sa présence à l’Isle après sa naissance.  Il faut dire que les registres tenus par le père Compain sont dans un bien piètre état, l’ancre utilisée s’étant effacée largement.  Il pourrait être également parti travailler à l’une des fermes de ses frères installés à Saint-Roch-des-Aulnaies. 

[27] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Roch-des-Aulnaies, le 7 novembre 1791. 

[28] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France de l’Île-aux-Coudres, 31 mars 1801. Dans l’Église catholique, le viatique est l’eucharistie donné à un mourant qui se prépare au voyage qu’est le passage de la vie terrestre à la vie éternelle. L’Église catholique recommande au fidèle qui approche de la mort de recevoir le viatique au sein d’un ensemble de trois sacrements : successivement le sacrement de pénitence, l’extrême-onction et l’eucharistie donnée en viatique. 

[29] BAnQ., Registre de Saint Louis de France de l’Isle aux Coudres, 26 novembre 1815. 

[30] Ibid., 15 avril 1818.