Sébastien Hervet

1.6 SÉBASTIEN HERVET (1642-1714), le migrant, première génération


Sébastien est mon ancêtre.  Il est né à Blois le 28 juin 1642.  Le baptême est inscrit au registre de l’abbaye de Notre-Dame de Bourg-Moyen, tout comme pour ses frères et sœurs.  Sébastien a pour parrain Jehan Le Cour, un maître-orfèvre reconnu sous l’Ancien Régime à Blois.  Sa marraine est Catherine Dupuy, une parente par sa grand-mère paternelle[1].

On doit la découverte de ce document en 1973 à Fernand Harvey, historien et sociologue, dont il a été question à la section «Accueil».

Nous avons vu que l’économie blésoise est au plus mal après la mort du duc d’Orléans en 1660.  La situation financière de la famille ne pouvait qu’en être affectée étant donné que la plus grande partie de la clientèle fortunée de la boutique familiale avait déserté la région.  Après une enfance aisée Sébastien, sur qui feu son père avait fondé les espoirs de relève à son atelier de potier d’étain située sur la rue des Balletz, se retrouve devant un marché inexistant et doit envisager l’avenir ailleurs.  Déjà, d’autres membres de la famille étaient partis.  Entre autres, en 1662, sa sœur aînée Renée, puis son frère Gabriel avaient choisis la Nouvelle-France.  Ils avaient été précédés dans cette aventure d’Amérique par un parent, Jacques Jahan (1634-1699), débarqué à Québec en 1655.  Anthoine Laurillau (1575-1628), le grand-père de Sébastien Hervet, était le frère de Jeanne Laurillau, grand-mère paternelle de Jacques Jahan, un partenaire d’affaires de l’époux de Renée Hervet dans le domaine de la tannerie.  À son baptême, Jacques Jahan eut pour marraine Marie Bernard, la cousine germaine de Sébastien Hervet[1].  Bien que ce dernier ait des intérêts et un parcours différents de ses parents en Nouvelle-France, le chemin de Sébastien était néanmoins tout tracé.


Il quitte probablement Blois, au printemps ou à l’été 1670, pour rejoindre son port d’embarquement de La Rochelle afin de traverser en Nouvelle-France.  Pour se rendre à La Rochelle il a pu emprunter la diligence, car à l’époque une route de la poste par traction animale reliait Paris à cette ville en passant par Blois.  Cependant, le transport le plus coutumier est la voiture d’eau qui prend une importance cruciale durant ce siècle pour le transport de personnes et de marchandises entre la France et les colonies[1].  La Loire, qui relie Blois à la côte, avait permis au grand-père maternel de Sébastien de gagner sa vie, car il était marchand voiturier par eau, comme on l’a déjà vu.  Nul doute que c’est cette avenue que Sébastien emprunte pour aller prendre l’un des quatre navires qui partiront de La Rochelle pour la Nouvelle-France au cours de l’année 1670.

Une fois à La Rochelle, Sébastien embarque probablement à bord de la frégate L’Hélène de Flessingue ou du navire le Saint-Pierre de HambourgL’Hélène, un cent tonneaux, est la propriété de Cornellis Adryan, André Chaviteau en est le maître.  Ses passagers semblent venir principalement de Paris avec en tête l’intendant Jean Talon, François-Marie Perrot de Sainte-Geneviève, gouverneur de Montréal et six frères récollets.  Le Saint-Pierre pour sa part est un navire de trois cents tonneaux, il est frété par Pierre Gaigneur.  Pour l’heure, Gaigneur opère un quasi-monopole du trafic maritime vers la colonie; trois des quatre navires en partance de La Rochelle en 1670 lui appartiennent ou ont été frétés par lui.  Nous ne connaissons le nom d’aucun des passagers de cet imposant navire dont le capitaine est Jean Boutin, un marin averti originaire de La Rochelle.  Ce dernier naviguait vingt-cinq ans plus tôt lorsqu’il avait été pris par les Espagnols alors qu’il était en rade à Saint-Christophe dans les Antilles[4].  Il est aux commandes du Saint-Pierre pour une première fois.

Le 5 mai 1670, les navires pour le Canada et l’Acadie sont encore au port pour cause de mauvais temps, mais ils ne tarderont pas à larguer les amarres quelques jours plus tard.  L’Hélène de Flessingue quitte enfin la France vers le 22 mai[5], suivra le Saint-Pierre de Hambourg le 19 juin[6].

Quand vient le moment tant attendu du départ, Sébastien, sans doute à bord du Saint-Pierre, fait ses adieux à la France, à sa vie passée.  Il n’a probablement plus l’intention d’y revenir.

Après avoir trouvé sa place sur ce grand voilier, il s’affaire à ranger son maigre butin dans une des cabines étroites et sombres.  Les matelots grimpent aux cordages, chantent et manœuvrent en direction de l’autre bout du monde.  Personne ne sait combien de jours durera la traversée, trois longs mois en moyenne, tout dépend des vents et du temps.  Équipage et passagers craignent de tomber sur des pirates, sur des Anglais ou de subir une tempête et de mauvaises vagues.

Entre les rats, les poux, les puces… la vie à bord n’est pas facile.  Après quelque temps en mer, l’eau commence à se faire rare, elle est rance.  Certains passagers qui en ont les moyens boivent du vin le matin, c’est tout ce qu’il reste de consommable.  On mange du poisson séché, des pois et fèves séchées et des biscuits secs.  On craint le mal de mer, la maladie ou pire, une épidémie.  Les malades sont isolés pour ne pas contaminer l’équipage.  On vit au rythme des prières, de l’office de la messe donné par le prêtre, on joue aux cartes pour tuer le temps[7].  C’est peut-être au cours de cette traversée qui sera longue que Sébastien fait la rencontre d’un certain Antoine Tison qui prendra une place importante dans l’histoire de la vie de Sébastien en Canada.   Pour lui, il s’agit de sa seconde traversée, l’océan ne lui est pas inconnu, mais comme tous, il espère que le navire le mène à bon port, au plus vite.  Qu’il ait été sur L’Hélène de Flessingue ou sur le Saint-Pierre de Hambourg, l’un des deux navires probables de sa traversée, le voyage aura été long, plus de trois mois.

L’ancêtre Sébastien est assurément arrivé à Québec avant l’automne 1671, car il est témoin à un mariage en octobre de cette même année[8].

Le jeune homme ira d’abord s’établir dans la région de Ville-Marie pour plusieurs années.  Il est difficile de déterminer avec précision l’activité professionnelle de Sébastien; son beau-frère était tanneur réputé de Québec et Sébastien a été censitaire du sieur de La Chesnaye, un personnage influent qui fait sa fortune comme trafiquant de fourrure et financier.  Notre ancêtre Sébastien semble avoir habilement cherché fortune. «Doué pour les affaires et disposant sans doute d’un peu plus d’argent que la moyenne de ses compatriotes, il transige fréquemment».[9]  Qualifié de bourgeois vers la fin de sa vie[10], il semble avoir fait feu de tout bois. Même si, comme son père, il était potier d’étain et que la plupart des documents qui le concernent mentionnent ce titre, son histoire nous porte plutôt à le qualifier de commerçant.

Plusieurs contrats le concernant témoignent d’achats, de ventes et de locations au sujet de terres qu’il posséda, entre 1673 et la fin de sa vie, l’une dans la seigneurie de Lachenaie et l’autre sur l’île de Montréal.  Pendant une brève période, il fut commerçant sur la rue Saint-Paul à Ville-Marie puis il déménagea à Québec au milieu des années 1680.  Après s’être installé à Québec, Sébastien hérita d’une terre à Saint-Jean de l’Isle d’Orléans et la fit cultiver par d’autres.  Il vécut à Québec, s’y maria à Françoise Philippeau et y mourut en 1714.

Sébastien Hervet, qui est l’objet du prochain chapitre, est le seul à transmettre son patronyme de ce côté-ci de l’Atlantique.

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[1] Archives de la ville de Blois, registre de la paroisse Saint-Martin de Blois, GG 65, page 55, 28 juin 1642.

[2] LE MAUFF, Ghislaine. «Des Hervet blésois aux Harvey québécois», Mémoires de la Société généalogique canadienne-française, Volume 62, numéro 2, (été 2011), cahier 268, pages 140-141.

[3] THIVIERGE, Robert. 1662 de Blois à l’Île d’Orléans. Montréal, À compte d’auteur, 2021, page 82.

[4] Debien G et Marcel Delafosse. «Marchands et colons des îles, quelques lettres du XVIIe siècle». In: Revue française d’histoire d’outre-mer, tome 48, n° 170, premier trimestre 1961. Page 97..

[5] PERRON, Guy.  L’expédition du navire L’Hélène pour le Canada en 1670.  [En ligne]. https://lebloguedeguyperron.wordpress.com/2019/03/06/220-lexpedition-du-navire-lhelene-pour-le-canada-en-1670/ [page consultée le 6/3/2019].

[6]  DELAFOSSE, Marcel, «Larochelle et le Canada au XVIIe siècle», Revue d’histoire de l’Amérique française, volume 4, no 4, (mars 1951), page 499.  Et dans : Bosher, John Francis, Négociants et Navires du Commerce avec le Canada de 1660 à 1760, dictionnaire biographique, Environnement Canada Service des parcs, 1992, 263 pages.

[7] Inspiré de Maud de Geneafinder dans Encore de longs jours en mer.

[8] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame de Québec, 26 octobre 1671.

[9] BIZIER, Hélène Andrée et Jacques LACOURSIÈRE, Nos Racines, l’histoire vivante des Québécois. Saint-Laurent, Les Éditions Transmo Inc., 1981.  Chapitre 92, Nos grandes familles, Les Harvey, Troisième couverture.

[10] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame de Québec, 16 avril 1709.