Charles Harvey 

(1857-1941)

Louis Charles Alphonse Harvey est un fils de la septième génération des Harvey.  En 1902, il quittera Saint-François de Sales au lac Saint-Jean pour Lowell au Massachusetts afin d’offrir à ses enfants des emplois dans les usines à coton de l’endroit.  Il est le dernier des nôtres à quitter ainsi le Québec pour cette ville des États-Unis pendant le grand exode.  Né le 9 avril 1857 à Chicoutimi[1], il est le fils aîné du meunier Thomas Hervai (1829-post.1902) à Zacharie Hervé (1803-1837) à Dominique Isaïe Hervé (1775-1851) chez Dominique Hervé (1736-1812).

Charles a probablement décidé très jeune qu’il ne moudrait pas le grain comme son père.  S’il délaisse les bancs d’école en bas âge parce que les perspectives d’emploi et de revenu étaient trop bonnes à Québec pour s’éterniser à écouter les leçons de catéchisme, cela ne l’a pas empêché d’apprendre à lire et à écrire, connaissances qui lui ouvrait des perspectives à l’extérieur de son patelin[2].

Sans autre choix, il attendra sa majorité pour quitter la maison, mais pas plus.  Si Dominique Isaïe, son grand-père, avait une solide réputation d’homme turbulent, Charles ne donnera pas sa place non plus, du moins avant son mariage qui ne surviendra que sur le tard.  À vingt-deux ans, il a déjà quitté la région et demeure dans le quartier Saint-Sauveur à Québec où il est journalier.  Intempérant, il semble y vivre avec excèset, multipliant les beuveries, il se met dans des situations délicates.  Le 1er décembre 1879 par exemple, en état d’ébriété, il vole un cheval et est mis sous écrous.  On ne le gardera que trois jours derrière les barreaux; il est libéré à la suite de l’intervention d’une personne dont le nom ne nous est pas parvenu[3].  Il faut bien que jeunesse se passe!

Son expérience à Québec le ramène au bercail chez ses parents qui demeurent maintenant dans la paroisse Saint-Louis de Métabetchouan au lac Saint-Jean[4].  À cet endroit, son père n’est plus meunier, mais cultivateur et Charles semble avoir pris les manchons de la charrue, car il n’est plus journalier comme à Québec[5].

Malgré l’apparence festive de son passage à Québec, Charles n’en est pas revenu bredouille.  Il avait accumulé suffisamment d’argent pour faire l’acquisition, à son retour, d’une terre de la couronne.  Il s’agit du premier lot du troisième rang du canton de Dablon qui est borné à un bout par le deuxième rang et à l’autre bout par le quatrième.  Il fera de ce lot une terre à bois qu’il videra progressivement de son contenu pour alimenter le moulin de Damase Jalbert (1842-1904) situé tout près sur le lac Bouchette dans le même canton.  Une fois déboisé, Charles y fera pousser du foin pour les quelques vaches qu’il aura[6].

Même s’ils sont encore jeunes c’est vers la moitié de cette décennie que son père Thomas et sa mère Julie Forgues (1828-1901) décident de se donner à leur aîné, à la condition qu’il subvienne à leur besoin et à ceux des deux enfants qui demeurent toujours avec eux; il s’agit d’Anna (1859-1905) et Philippe (1860-post.1911), sœur et frère de Charles qui sont célibataires tous les deux.  Était-ce une façon pour les parents de subjuguer la fougue de l’aîné? Quoi qu’il en soit, ainsi Charles héritait d’une terre dans le canton de Métabetchouan, la « demi Est » du lot de terre numéro cinquante-quatre du septième rang borné au bout par le sixième rang et par l’autre bout par le canton Dequen.  Sans que l’on sache s’il a des projets d’avenir, il ne tardera pas à bâtir une maison sur la moitié de terre dont il a hérité.




Charles, qui s’est beaucoup traîné les pieds à Québec et surtout dans les champs sur la terre de son père par la suite, a déjà trente ans lorsqu’il épouse Belzémire Létourneau, le 7 février 1887, en l’église Saint-Louis-de-Métabetchouan[7].  La mariée est native de l’île d’Orléans,[8] mais ses parents, après avoir vécu une vingtaine d’années à Québec, sont venus cultiver la terre au lac Saint-Jean.   Ils étaient du groupe de colons venus de Québec en 1877 pour s’établir au canton Dequen dans le secteur qui deviendra Saint-François-de-Sales en 1889[9].  Ce groupe de Québec s’était d’abord installé à Saint-Louis-de-Métabetchouan[10], étant donné l’absence de route pour se rendre à la nouvelle colonie au cours de l’hiver.  L’été, ils défrichaient leurs lots.  Bon nombre d’entre eux, pris de découragement, vendirent leurs terres; c’est ainsi que Thomas, le père de Charles, avait acquis la sienne et avait laissé derrière lui sa profession de meunier qu’il avait pratiqué de Murray Bay à divers endroits au Saguenay, dont l’anse Saint-Jean, Chicoutimi et Saint-Alphonse.  C’est donc ainsi que Charles rencontra sa Belzémire et qu’il travaillera certains mois de l’année sur la terre héritée de son père.  En effet, Charles ne s’éloignera pas après son mariage à Belzémire; il vit toujours voisin de son père et y vivra à tout le moins jusqu’en 1901[11].

Deux ans après avoir épousé Belzémire, Charles semble avoir contracté quelques dettes, une habitude qui le suivra comme on le verra plus loin.  Par une décision qu’il nous est difficile de comprendre autrement que par le fait qu’il soit plus journalier que cultivateur et légèrement aventurier, en avril 1889 il décide de procéder à une donation de la plupart de ses avoirs.  Il cède donc à son frère cadet Napoléon (1870-1925) le lot du canton de Dablon qu’il avait acquis de la couronne à son retour de Québec ainsi que celui reçu de son père quelques années plus tôt.  Il se réserve seulement la maison qu’il a construite ainsi qu’un demi-acre de terrain tout autour.  En retour, Napoléon prend à sa charge les engagements que Charles avait pris à l’égard de ses parents, de sa sœur Anna trente ans et de son frère Philippe vingt-neuf ans, lesquels n’ont toujours pas quitté la maison du père et que Charles faisait vivre à la condition qu’ils travaillent à la ferme.  De plus, Napoléon s’engage à régler la moitié de la dette que Charles doit à Onésime Ménard, forgeron à Saint-Louis, et toutes celles qu’il doit à Johnny Tremblay du même lieu, un autre forgeron[12].

Le couple formé de Charles et Belzémire Létourneau aura neuf enfants dans le secteur de Saint-François-de-Sales avant le décès de Belzémire des suites de l’accouchement de jumeaux en octobre 1898.  Ces enfants sont : Marie Adeline née le 24 octobre 1887, laquelle ne vivra pas un an, Alexandre le 16 novembre 1888, Belzémire le 6 juillet 1890, Henri le 11 juillet 1891, Alfred le 20 novembre 1892, Marie Louise le 31 mars 1895, Patrice le 9 juin 1896 et les jumeaux Marie Ève, qui ne vivra que dix-sept jours, et son frère anonyme mort à la naissance le 1er octobre. 

Saint-François-de-Sales sera desservie par voie de mission par les curés de Saint-Louis-de-Métabetchouan et de Saint-Thomas-d’Aquin de 1887 à 1902.  Comme la terre familiale est à peu de distance de Roberval, plus au nord, entre le lac Bouchette et Saint-Louis-de-Métabetchouan, le couple se magasinera un ecclésiastique pour les baptêmes des enfants où ils seront de passage, rarement à Lac-Bouchette et Roberval, mais le plus souvent de Saint-Louis-de-Métabetchouan.

Charles s’étant débarrassé de sa terre, il fera ce que la majorité des hommes du secteur font, il passera le plus clair de son temps en forêt, travaillant d’une façon ou d’une autre à son exploitation[13].  Comme la forêt n’est pas très loin et que, sur la ligne du chemin de fer de la Quebec and Lake St John Railway, la scierie de Damase Jalbert au lac Bouchette ne l’est pas non plus, Charles sera sans doute l’un de ses expatriés hebdomadaires qui ramenaient leur régime de terreur patriarcal le samedi pour régler les cas litigieux avec ses enfants qui avaient traîné depuis le lundi.  

L’agriculture à Lac-Bouchette en terrain montagneux et rocheux était aussi difficile et aussi peu productive qu’à Saint-François-de-Sales; la population y vivait donc largement de la forêt.  À la fin de l’été 1896, avec six enfants, même les curés cesseront de qualifier Charles de cultivateur[14].  On le qualifiera dorénavant de journalier. 

Après la mort de Belzémire le 30 octobre 1898[15], il sera journalier à Saint-Louis-de-Métabetchouan l’été et continuera de travailler en forêt l’hiver[16].  Avec six enfants de deux à dix ans, Charles peut compter pour l’épauler sur Julie Forgues sa mère et sur sa sœur Anna (1859-1905) toujours célibataire.  Lorsque sa mère décède au cours de l’hiver 1900-1901, la situation se complique. 

C’est au début d’avril qu’il se voit obligé de placer certains de ses enfants.  Il prendra la solution la plus facile pour les gens peu fortunés à l’époque : Belzémire dix ans et Marie Louise six ans sont envoyés au couvent des religieuses de Chicoutimi[17].  Néanmoins, ces placements ne venaient pas sans coût et il devra trouver de nouvelles sources de revenus.  Pour ce qui est d’Alexandre, Henri et Alfred dit Alphonse, le plus jeune ayant déjà neuf ans, ils sont tous en âge de travailler sur la terre de leur grand-père devenue celle de leur oncle Napoléon.  On peut présumer que Patrice qui a cinq ans ne sera pas une très grande charge pour la sœur de Charles.

La situation se dénoue au cours de l’été alors que Charles qui a maintenant quarante-quatre ans fait la rencontre de Marie Louise Maltais, une jeune veuve de trente-deux ans.  Native de Grand-Brûlé[18], sans enfant[19], Marie Louise était mariée à Édouard Dupéré (1868-1900) et demeurait depuis peu à la mission de la chute de Shawinigan lorsque son époux décéda l’année précédente[20].  Elle était revenue vivre dans sa région natale quand elle fit la rencontre de Charles.  Les veufs ne tarderont pas.  Le 10 novembre, il signe un contrat de mariage devant notaire[21] et deux jours plus tard, ils sont mariés[22].

Charles est toujours au pays lorsque son frère cadet Napoléon se marie le 6 mai 1902.  Son père à soixante-treize ans, il est possiblement malade et ne peut parcourir trente kilomètres pour assister à la cérémonie qui se déroule à l’église de Saint-Jérôme.  Charles agit donc comme témoin du marié[23].  C’est d’ailleurs Charles et sa seconde épouse Marie Louise Maltais qui seront choisis comme parrain et marraine lors du baptême du premier né du nouveau couple en janvier 1903[24].

C’est probablement à l’automne 1903 que Charles et sa famille quittent le lac Saint-Jean pour partir travailler à Lowell au Massachusetts après avoir été cherchés ses deux filles au couvent de Chicoutimi. Charles a quarante-six ans quand il arrive à Lowell dans le comté de Middlesex au Massachusetts.  À son arrivée, la population de l’endroit est déjà de plus de quatre-vingt-quinze mille habitants.  C’est tout un changement comparé à Saint-François-de-Sales.   Outre Marie Louise Maltais son épouse, les enfants suivants sont avec eux : Alexandre (1888-1976), Belzémire (1890-1972), Henri (1891-1977), Alfred dit Alphonse (1892-1976), Délia (1895-1976) et Patrice (1896-1968).

Ils arrivent à Lowell alors que bon nombre de Canadiens français quittent la ville.  Comme on l’a vu, cette année-là les travailleurs des usines à coton de Lowell s’étaient mis en grève.  Bon nombre de Canadiens français qui n’avaient pas les moyens de grever revenaient au pays ou se cherchaient tout simplement du travail ailleurs en Nouvelle-Angleterre[25].  Qu’à cela ne tienne, la situation ne laissait que plus d’emplois pour Charles et ses enfants.    

La Boott Cotton Mills domine le paysage à Lowell.  Comme une forteresse médiévale ou une grande cathédrale, la structure surplombe tout ce qui l’entoure. Un grand mur la sépare du fleuve Merrimack.  À l’intérieur de ce rempart, d’épais murs de briques rouges, ponctués de fenêtres de différentes formes et tailles, s’élèvent du sol, entourant des cours intérieures qui ne peuvent être pénétrées qu’en traversant un seul pont sur les eaux profondes d’un canal.  Les tours d’escaliers en brique ou en bois placées le long de l’extérieur des murs constituent le seul moyen d’accès aux étages supérieurs.  Un seul clocher domine la cour centrale.  Pendant tout le temps que Charles vivra à Lowell, la cloche l’appellera au travail comme pour les autres Harvey qui y sont passés ou qui y passeront.  Les sons sourds du complexe industriel et de ses machines qui claquent et grondent quatorze heures par jour résonneront dans le petit logement de la famille.

Contrairement à la plupart des expatriés, il n’est pas certain que Charles ait eu l’intention de partir vivre à demeure en Nouvelle-Angleterre, du moins lors de son premier départ.  Si c’était son intention, il n’a pas trouvé preneur pour sa maison dans les premières années, car lorsqu’il reviendra au pays en 1905, la famille retournera y vivre.  Il fera plusieurs voyages à Lowell comme nous le verrons.  À l’époque du premier départ de la famille, déjà quatre enfants sont en âge de travailler dans les usines à coton.

Charles et la famille sont de retour dans leur maison de Saint-François de Sales au printemps 1905[26].  En juin, sa fille Belzémire est choisie comme marraine du troisième enfant de son frère cadet Napoléon[27].  Une quinzaine de jours plus tard c’est Marie Louise Maltais qui met au monde leur premier enfant, Marie Anna.  L’aînée du premier lit, Belzémire est une fois de plus choisie comme marraine avec le fils du voisin George Blanchet comme parrain[28].  Il est fort possible que la famille ne soit revenue que pour le temps de l’accouchement de Marie Louise.  Comme elle avait perdu à la naissance le seul enfant qu’elle avait eu avec son précédent mari, Charles et elle étaient peut-être un peu inquiets[29].  Dès que la mère est rétablie, ils repartent tous pour Lowell accompagné de la nouvelle née Marie Anna

C’est le 3 octobre 1906 que Marie Louise met au monde Joseph Elzear, son premier enfant en terre américaine.  À Lowell, Charles est toujours opérateur de machine au moulin de la Boott Cotton Mills[30]. La famille y vivra quelques années cette fois-ci.  C’est d’ailleurs à cet endroit que le couple perdra la petite Marie Anna, leur premier enfant, qui décède d’une crise d’appendicite.

Charles et Marie Louise sont de retour au pays à la fin de 1910.  Ils avaient probablement trouvé preneur pour leur maison puisqu’à leur arrivée au lac Saint-Jean ils s’installent comme emplacitaires au village de Saint-Louis-de-Métabetchouan.  Marie Louise y accouche se son dernier enfant le 9 janvier 1911.  Lors du baptême d’Anna Marie le lendemain, le curé inscrit à son registre « père absent »[31].  Où était alors Charles le journalier? Dans les chantiers? Peut-être était-il encore à Lowell et que seule Marie Louise soit revenue pour son accouchement au lac avec son plus jeune, Elzéar, lequel n’a que quatre ans. 

Il est fort possible que Charles soit demeuré à Lowell pour travailler au moulin, pour ne pas perdre un salaire si précieux pour la famille.  Quoi qu’il en soit, on sait que plusieurs enfants ne sont pas revenus de Lowell à cette époque.  Une bonne partie de la famille est effectivement demeurée aux États-Unis.  Issus du premier lit de Charles, seul Alfred, que l’on prénomme Alphonse depuis au moins 1901, et Patrice dit Patrick, le nom s’étant anglicisé aux États-Unis, sont de retour en juin 1911.   Si Alphonse et Patrick se trouvent rapidement des emplois comme travailleurs de ferme à leur retour au lac Saint-Jean, Alexandre, Belzémire, Henri et Marie Louise dite Délia depuis l’arrivée de Marie Louise Maltais dans la famille, sont restés travailler au moulin de la Boott Cotton Mills de Lowell[32]

Charles est-il retourné à Lowell, lui qui n’est qu’emplacitaire au lac Saint-Jean et donc libre de repartir comme bon lui semble? Il est probable qu’il s’y soit rendu quand son aîné Alexandre, tisserand au moulin de Lowell, épouse Aurore Beaulieu une Américaine, en février 1912 à Lowell.  Aurore qui travaille comme opératrice au moulin de Lowell également est née à Salem et elle est en fait la cousine d’Alexandre, fille de Thomas Beaulieu et d’Aurélie Létourneau, l’une des sœurs de la mère d’Alexandre.  Arrivés en Nouvelle-Angleterre depuis plus de vingt ans, ses parents sont aussi des expatriés établis à Lowell depuis un certain temps.  Ils avaient sans doute été une ressource pour la famille de Charles à son arrivée dans cette ville[33]

Si Charles s’est rendu à Lowell pour ce mariage, il est de retour en septembre dans l’église Saint-Louis-de-Métabetchouan.  En effet, Belzémire, sa fille aînée qui n’était pas rentrée au pays avec une partie de la famille en 1910, est maintenant de retour et elle a ramené dans ses bagages un travailleur d’usine de Lowell aussi natif du coin.  Le 2 septembre 1912, elle épouse Elzéar Gagnon, fils de Ferdinand Gagnon (1853-1944) et de Marie Louise Harvey (1859-1941), un couple d’agriculteurs d’Alma.  Charles, présent à la cérémonie, est alors et encore « emplacitaire » de la paroisse[34].

Pendant que Charles est journalier à Saint-Louis-de-Métabetchouan en janvier 1913, Henri, le deuxième de ses garçons, toujours à Lowell, épouse Hélène Pelletier, une expatriée elle aussi, originaire de Saint-François-du-Lac sur la rivière Saint-François[35].  En mars, la nouvelle épouse d’Henri est déjà enceinte.  Le couple prendra la décision de revenir au pays au cours de l’année.  On présume qu’ils y sont déjà depuis un certain temps lorsqu’Hélène Pelletier accouche de leur premier enfant, à Saint-Louis de Chambord en décembre de cette même année.  Comme le veut la tradition, c’est Charles, « aïeul de l’enfant » et son épouse qui sont choisis comme parrain et marraine lors du baptême[36].   Henri ne sera que de passage à Saint-Louis-de-Métabetchouan puisqu’il trouve rapidement un emploi de « sectionnaire » sur la voie ferrée de la Quebec and Lake St John Railway et s’établit au lac Édouard en Mauricie, avant de devenir cantonnier à « Beaudet Station » à une quarantaine de kilomètres plus au sud-ouest.  Même s’il demeure à près de trois heures par train à l’époque, il amènera son épouse aux bons soins de sa belle-mère, chaque fois que celle-ci sera sur le point d’accoucher d’un enfant.  Ainsi ses derniers seront baptisés dans la paroisse de son père[37].



Si Henri est de retour, Alexandre et Délia sont toujours à besogner au moulin de Lowell.  Après Henri, en janvier, c’est maintenant au tour de Marie Délia de se marier deux mois plus tard à Lowell; elle s’unit à Hervey Charles Lambert le 26 avril 1913.  Natif de Lowell, Charles est issu d’une famille d’expatriés établie au Massachusetts un peu après la guerre de sécession américaine.  Ses grands-parents avaient quitté la région de Berthier en haut et s’étaient amenés en Nouvelle-Angleterre à l’époque[38].  Comme Henri est majeur, il peut se marier sans l’approbation de son père, mais Marie Délia vient tout juste d’avoir dix-huit ans au moment du mariage.  Son père Charles était-il présent à la cérémonie pour consentir à cette union ou Délia avait-elle obtenu de lui une autorisation par correspondance? Comme on ne trouve pas de déclaration du père à cet effet dans les greffes de son patelin ni dans les registres de la paroisse, il est bien possible que Charles ait fait le voyage pour conduire sa fille devant l’hôtel. 

Alphonse, peu après son retour au pays avec son père était reparti travailler comme journalier sur l’île de Montréal.  Lors de son mariage en février 1914 à Alice Bolduc, résidente de Saint-Louis-de-Métabetchouan où il avait fait sa rencontre, il vit dans la paroisse de Notre-Dame-des-Victoires, dans la ville industrielle de Maisonneuve dans l’est de l’île de Montréal.  Évidemment, comme la cérémonie se déroule à l’église Saint-Louis-de-Métabetchouan, Charles sert de témoin à son fils.  Alphonse ne retournera pas dans la région de Montréal.  Tout comme son frère Henri, il part s’établir à « Beaudet Station », l’une des gares suivantes celle du lac Édouard en direction de Québec, où il décroche un emploi de « sectionnaire » sur le trajet de la voie ferrée de la Quebec and Lake St John Railway.  Il y sera rapidement cantonnier[39].

Avec la fin de la Grande Guerre, le retour des soldats et la chute de la production dans tous les moulins de coton de la Nouvelle-Angleterre, l’aîné Alexandre, son épouse et leurs deux enfants nés aux États-Unis reviennent au pays en 1918.  Après avoir été opérateur de moulin à Lowell toutes ces années, il revient chez lui avec seulement neuf cents dollars en poches[40].  Il fera un bref passage à Saint-Louis de Chambord (autrefois Saint-Louis-de-Métabetchouan) le temps que sa femme accouche de leur troisième enfant[41].  

Ne pouvant sans doute s’offrir une terre au lac Saint-Jean, il part s’établir comme cultivateur avant la fin de l’année en Abitibi, comme un grand nombre de colons le font cette année-là puisque l’on peut se procurer dans ce coin de pays un lot de trois cents l’acre à trois cents l’acre[42]Patrice, le cadet du premier lit, part avec lui[43].  Les deux frères y finiront leur vie[44].

Hervey Charles Lambert et Délia vivront à Lowell plusieurs années; elle y aura d’ailleurs au moins quatre enfants.  La famille y est toujours en janvier 1920[45]

Ils sont rentrés au pays avant juin 1921 puisqu’on les retrouve voisins d’Alphonse au hameau de Fitzpatrick où il est cantonnier.  Ce dernier trouve rapidement de l’emploi pour son beau-frère à la gare et cour de triage du même nom, laquelle comporte des ateliers de réparation pour locomotives[46].  Fitzpatrick est situé à moins de dix kilomètres au nord de La Tuque, à mi-chemin entre Trois-Rivières et le lac Saint-Jean.  On ne sait pas combien de temps Délia et sa famille vivront à Fitzpatrick; ils sont peut-être repartis pour Lowell quelques années puisqu’elle n’accouchera d’aucun enfant au pays avant 1927, elle qui pourtant en avait eu un tous les deux ans[47].  Elle aura trois autres enfants à son rythme habituel par la suite. La famille s’établira à demeure dans la région d’Alma peu de temps par la suite. 

Du côté de Chambord en 1921, Charles est toujours journalier alors qu’il a soixante-quatre ans.  Ses deux plus jeunes enfants sont toujours avec lui et Marie Louise : Elzéar a quinze ans et Anna Marie dix ans[48].

Charles et Marie Louise Maltais avaient perdu leur premier enfant à Lowell.  Le 26 septembre 1922, c’est au tour d’Anna Marie de décéder à l’âge de onze ans[49]Elzéar est le seul enfant qui leur reste.  Quant à ceux du premier lit de Charles, avec le départ de sa fille Belzémire pour Saint-Nazaire[50], il n’en reste plus un au village.  Il y a bien ses fils travaillant au chemin de fer en Haute-Mauricie qui passent de temps en temps pour y laisser leur femme enceinte, mais ils ne restent guère longtemps et repartent au travail pour ne revenir récupérer femme et enfant qu’une fois la mère rétablie[51].

C’est au printemps 1933 que la maison se vide complètement.  Charles et Marie Louise Maltais voient partir Elzéar à l’âge de vingt-six ans alors qu’il épouse une fille du village Julie Anna Lessard.  À soixante-seize ans, Charles devait être passablement malade pour ne pas assister à la cérémonie qui se déroule à l’église de son village.  À sa place, c’est son beau-frère Joseph Tremblay qui sert de témoin au marié[52]

S’il n’avait pas assisté au mariage du cadet de son deuxième lit deux ans plus tôt, Charles n’allait pas non plus monter en Abitibi pour assister à celui du cadet de son premier lit en août 1935.  Pour le faire, il aurait dû prendre le train à Chambord et descendre jusqu’à Hervey-Junction (Lac-aux-Sables), un parcours de plusieurs heureset de là, après une bonne nuit de repos, il lui aurait fallu deux jours de train pour atteindre Amos à une quarantaine de kilomètres de chez son fils.  Patrice épouse donc Laura Aubry le 8 août 1935 et faute d’un père présent, c’est Alexandre, son frère aîné qui lui sert de témoin[53].

Si Charles avait espéré trouver de l’emploi à ses enfants en s’expatriant aux États-Unis, ces derniers auront été semés à tout vent lors de leurs retours au pays.

Ses enfants tous casés, la route s’arrête pour Charles à l’âge de quatre-vingt-quatre ans le 31 août 1941.   Il vivait toujours à Saint-Louis-de-Chambord.  Sa seconde épouse Marie Louise Maltais le suivra neuf ans plus tard[54].

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[1] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-François-Xavier de Chicoutimi, 10 avril 1857.

[2] B.A.C., G., Recensement de 1891, district de Chicoutimi et Saguenay, 1891, cantons Saint-Hilaire, Dequen, Dablon et partie de Métabetchouan, microfilm 30953_148193-00708. 

[3] BAnQ., Registre d’écrou (prisonniers admis) de la prison de Québec, 1874-1880, vol. 9, f. 167.

[4] La paroisse de Saint-Louis de Métabetchouan devient la municipalité de Saint-Louis de Chambord en 1916.  Elle ne deviendra la municipalité de Chambord qu’en 1973.

[5] B.A.C., G., Recensement de 1881, district de Chicoutimi et Saguenay, Saint-Louis-de-Métabetchouan, microfilm e008153092.

[6] Information obtenue de Michel Harvey (1963 — ) le 9 février 2024.  Michel est un arrière-petit-fils de Charles demeurant en Suisse.

[7] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis de Chambord, 7 février 1887.

[8] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Pierre de l’île d’Orléans, 10 septembre 1855.

[9] MAGNAN, Hormisdas. Dictionnaire historique et géographique des paroisses, missions et municipalités de la Province de Québec. Arthabaska, Imprimerie d’’Arthabaska inc., 1925, page 380.

[10] À l’époque le lieu se nommait Saint-Louis-de-Métabetchouan.  Il ne sera changé en celui de Saint-Louis-de-Chambord par proclamation que le 22 janvier 1916.

[11] B.A.C., G., Recensement de 1891, district de Chicoutimi et Saguenay, cantons Saint-Hilaire, Dequen, Dablon et partie de Métabetchouan, microfilm 30953_148193-00708. 

[12] A.N.Q., GN. Minutier Israël Dumais, no 1984, 8 avril 1889.

[13] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis de Chambord, 25 octobre 1887.

[14] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame-de-l’Immaculée-Conception de Roberval, 10 juin 1896.

[15] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis de Chambord, 2 novembre 1898.

[16] Ibid., 1er octobre 1898.

[17] B.A.C., G., Recensement de 1901, district de Chicoutimi et Saguenay, ville de Chicoutimi, quartier est, microfilm z000132937.  Les deux filles sont aussi recensées chez leur père, l’énumérateur étant passé chez lui avant celui de Chicoutimi au couvent au début d’avril 1901.

[18] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame-Immaculée-Conception de Laterrière, 1er octobre 1868.

[19] BAnQ., Registre de la paroisse Sacré-Cœur-de-Marie, 22 août 1898.

[20] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Boniface de Shawinigan, 12 avril 1900.

[21] A.N.Q., GN. Minutier Joseph Pierre Gagnon, no 3584, 10 novembre 1901.

[22] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Joseph d’Alma, 12 novembre 1901.

[23] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Jérôme du lac Saint-Jean, 6 mai 1902.

[24] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-François-de-Sales, 17 janvier 1903.

[25] SYLVESTRE, Paul-François, op.cit.

[26] Il est également possible que les enfants soient demeurés à Lowell chez des parents, ils sont nombreux, ou chez des amis le temps que Marie Louise Maltais accouche au lac Saint-Jean.  Il est également possible que ce soit au cours de ce voyage que Charles soit allé chercher ses deux filles au couvent de Chicoutimi.  Quoique concevable, je n’ai pu trouver aucune indication qui permettrait de soutenir cette hypothèse.

[27] Ibid., 29 juin 1905.

[28] Ibid., 14 juillet 1905.

[29] BAnQ., Registre de la paroisse Sacré-Cœur-de-Marie, 22 août 1898.

[30] State of Massachusetts. Record of Birth for Lowell, 3 octobre 1906.

[31] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis de Chambord, 10 janvier 1911.

[32] B.A.C., G., Recensement de 1911, district de Chicoutimi et Saguenay, paroisse de Saint-Louis de Métabetchouan, microfilm e002049571.  Le Recensement de 1911 a débuté officiellement le 1er juin 1911.

[33] State of Massachusetts, Record of Marriages for the city of Lowell, 19 décembre 1912.

[34] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis de Chambord, 2 septembre 1912.

[35] State of Massachusetts, Record of Marriages for the city of Lowell, 26 janvier 1913.

[36] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis de Chambord, 19 décembre 1913.

[37] Ibid., 9 mai 1915, 8 septembre 1918, 7 août 1920 et 29 juillet 1922.

[38]State of Massachusetts, Record of Marriages for the city of Lowell, 26 avril 1913.

[39] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis de Chambord, 21 septembre 1916. Et : COLLECTIF. Biographie Joseph Bouchard et Ozélina Déry. [En ligne]. http://www.mitan.ca/genealogie/biographies/bouchard/joseph/bio-joseph-bouchard_ozelina-dery.htm [page consultée le 11/02/2022].

[40] B.A.C., G., Registre des arrivées par la frontière des États-Unis au Canada pour 1918.

[41] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis de Chambord, 29 juin 1918.

[42] VAILLANCOURT, Patrick.  L’histoire prend vie à la gare d’Hervey-Jonction. L’Hebdo du Saint-Maurice, 27 avril 2014. [En ligne]. https://www.lhebdodustmaurice.com/lhistoire-prend-vie-a-la-gare-dhervey-jonction/ [page consultée le 30/11/2021].

[43] B.A.C., G., Recensement de 1921, district du Pontiac, les cantons de Fiedmont, Barraute et La Morandière, village de Barraute, microfilms e003091091 et e003091092. 

[44] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame-des-Coteaux de La Morandière, 10 mars 1976 et 29 octobre 1968.

[45] 1920, Recensement fédéral américain, État du Massachusetts, ville de Lowell, page 15 A.  Le recensement des États-Unis de 1920 a été effectué pendant un mois à partir du 5 janvier 1920.

[46] B.A.C., G., Recensement de 1921, district de Portneuf, Fitzpatrick, canton Mailhot, microfilm e003092281.

[47] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Nazaire, 14 mars 1927.

[48] B.A.C., G., Recensement de 1921, district Chicoutimi-Saguenay, Saint-Louis de Chambord, microfilm e003066543.

[49] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis de Chambord, 29 septembre 1922.  À son baptême en 1911, elle est prénommée Anna Marie alors que lors de sa sépulture, elle est prénommée comme sa sœur décédée à Lowell en 1906, Marie Anna. 

[50] B.A.C., G., Recensement de 1921, district Chicoutimi-Saguenay, sous-district Saint-Louis, Nazaire et Taché, microfilm e003067279.

[51] Lors des baptêmes de plusieurs enfants d’Henri et d’Alphonse qui ont lieu à Saint-Louis de Chambord bien qu’ils résident tous deux en Mauricie, la mention « père absent » est inscrite au registre.

[52] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis de Chambord, 18 avril 1933.

[53] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Jacques-le-Majeur de Barraute, 8 août 1935.

[54] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis de Chambord, 2 septembre 1941 et 2 janvier 1951.