5 Joseph Harvey

6.6.5.10.5 Joseph Harvey (1851-1928), 6e génération

Le premier Harvey à avoir migré vers la Nouvelle-Angleterre

Joseph Harvey est né le 7 août 1851 dans la municipalité de Notre-Dame-de-Bonsecours.  Il est le fils cadet d’Étienne Hervé (1811-1889) et de Constance Bélanger (1815-1886)[1].

Joseph, un petit-fils de Joseph Sébastien (1767-1834) à Dominique (1736-1812) chez Sébastien (1695-1759) sera le premier, sinon un des premiers Harvey à émigrer vers la Nouvelle-Angleterre à la recherche d’un emploi. 

Je n’ai pas trouvé trace d’un départ plus hâtif.  Il y a bien eu François Hervey (1810-c.1900), un cousin de son père, qui est devenu américain, mais dans son cas il était parti s’établir à la frontière contestée du Québec et du Nouveau-Brunswick, sur une terre qui fut plus tard concédée par l’Angleterre aux États-Unis lors du traité d’Ashburton. 

Plus d’un million de Canadiens français s’expatrieront aux États-Unis ce qui constituera le plus grand exode de sa population que le Québec connaîtra.  Le besoin de main-d’œuvre dans les usines de textile de la Nouvelle-Angleterre se fait de plus en plus pressant, attirant davantage de Canadiens français tels que Joseph Harvey à Étienne Hervé (1811-1889) chez Joseph Sébastien. 

Le cadet d’Étienne qui n’a que seize ans part de la maison en février 1868 pour aller travailler dans une manufacture de la Nouvelle-Angleterre.  Il s’embarque sans doute à la gare de Lévis sur l’embranchement de Richmond de la ligne de chemin de fer du Grand Tronc vers Portland.  Cette ligne venait à peine d’être construite pour servir le boom des usines textiles en Nouvelle-Angleterre; plusieurs villes usinières recevront ainsi un afflux d’ouvriers canadiens-français.  


C’est à Salem au Massachusetts que Joseph prend pied le 15 février 1868[2].  Il est à plus de sept cents kilomètres de Notre-Dame-de-Bonsecours, la petite municipalité de la Côte-du-Sud qui l’a vu grandir et partir.  Cela ne l’empêchera pas d’effectuer des allers-retours réguliers entre Salem et les rives du fleuve Saint-Laurent pendant un certain temps pour rendre visite à sa famille en attendant la majorité qui lui permettrait de demander sa citoyenneté américaine qu’il voit sans doute comme une planche de salut; il tardera par contre à faire sa demande. 

Au printemps 1871, il sera d’ailleurs recensé chez son père dans la municipalité de Saint-Eugène de L’Islet, laquelle s’était détachée de la municipalité de Notre-Dame-de-Bon-Secours de L’Islet, tout juste après le départ de Joseph pour les États-Unis en 1868[3].  La maison où il a vécu sa jeunesse se situe de fait à environ cinq kilomètres du fleuve à L’Islet-sur-Mer.

On le sait établi en permanence à Salem à compter de 1877[4].  Cette ancienne ville portuaire s’est convertie à l’industrie : tanneries, cordonnerie et surtout filatures avec l’installation de la Naumkeag Steam Cotton CompanyJoseph travaille puisqu’il y devient réparateur de métiers à tisser, une profession qu’il gardera toute sa vie.  Le Pequot Mills détenu et exploité par la Naumkeag Steam Cotton Co. est en activité depuis 1847 et emploi près de mille travailleurs.  L’usine fabrique des draps et taies d’oreiller qui sont commercialisés sous le nom de Pequot.

C’est dans sa ville d’adoption qu’il fait la rencontre de Mary Jane Hall, une jeune veuve de vingt-neuf ans.  Mary est née d’un père américain cultivateur à Shirley au Massachusetts et d’une mère née au Canada dont on présume de langue française[5].  Cette dernière travaillait dans une manufacture de coton de Lowell, ville voisine, lorsqu’elle rencontra le père de Mary.  Cela fait maintenant près de quarante mois que Mary a perdu son premier époux emporté par la syphilis[6]

Onze ans après son arrivée à Salem, Joseph épouse donc Mary Jane Hall le 16 juillet 1879.  La jeune veuve à trois enfants de son premier mariage à l’Irlandais chaudronnier Jeremiah Creamer qu’elle avait épousée en 1868[7].

Au moins dix enfants naîtront de l’union de Joseph et Mary dont six survivront à leur enfance : Georgianna née le 8 janvier 1881, Emme dite Emma née le 21 juillet 1882, Joseph né le 19 avril 1885, Henry Albert né le 30 octobre 1889, Charles Arthur né le 26 avril 1891 et finalement Amanda née le 4 décembre 1892. 

Curieusement, Joseph attendra que son père se meure pour faire sa demande d’accession à la citoyenneté américaine.  Lui qui aurait pu s’exécuter dès sa majorité en 1872 ou pour son mariage à l’Américaine Mary Jane Hall dix ans plus tôt attendra l’automne 1889 pour abjurer son allégeance à la reine Victoria et ainsi devenir citoyen des États-Unis d’Amérique.  Peut-être avait-il laissé à son père ou à lui-même l’espoir d’un retour? Quoi qu’il en soit, maintenant que son unique racine ancrée en terre québécoise s’éteignait, partait avec elle le rêve d’un retour au Québec après avoir amassé les fonds suffisants pour l’acquisition d’un chez-soi comme d’autres l’avaient fait.

Joseph n’est jamais revenu sur les rives du fleuve après son mariage et ses enfants se sont tous établis aux États-Unis.  Il vivra toujours à Salem.  Au début, le couple s’installe dans un logement du quartier français nommé «La Pointe», dans le port au numéro 19 de la rue Prince; ils y seront jusqu’en 1914[8].  Tous les immigrants venant du Québec pour travailler dans les usines, les tanneries ou sur les quais se coinçaient alors dans ce quartier francophone.  Le site du moulin où il travaille est à moins de cinq cents mètres du logement où il habite; plus exactement à Stage Point, sur la rive opposée du South River Channel, un endroit aujourd’hui nommé Pickering Wharf.

Puis le 25 juin 1914, le Grand Feu de Salem détruit la moitié de la cité et engloutit près de mille quatre cents bâtiments, laissant dix-huit mille sans-abri, soit près de la moitié de la population de Salem, incluant la famille de Joseph.  L’incendie détruit bon nombre d’entreprises et dix mille personnes perdent leur emploi.  Il ne semble pas que ce fut le cas de Joseph.  Tout le quartier Français de la ville fut détruit, y compris l’église Saint-Joseph, nouvellement construite.  Bien que la population franco-américaine de Salem passe de quinze à cinq mille après l’incendie cela ne ramène pas Joseph au Québec, car il continuera de réparer des moulins après le tragique événement.

La famille vécut sous des tentes de fortunes un certain nombre de mois, se nourrissant à même les six mille rations distribuées chaque jour par la garde nationale.  En moins d’un an, Joseph et sa famille se relogèrent dans un logement nouvellement construit dans le même secteur.  On avait alors remplacé les maisons de rapport immenses par des constructions ne logeant qu’une ou deux familles[9].  Dans le cas de Joseph, il partageait le numéro 2 de la rue Park, à moins de cent mètres de son ancien logement incendié, avec la famille de Napoléon Thériault.

Mary Jane Hall décède à Salem le 10 février 1918 à l’âge de soixante-huit ans[10]

Joseph continuera d’être réparateur de métiers à tisser toute sa vie.  Après la mort de sa femme, il continue de vivre avec deux de ses filles, la célibataire Amanda, la veuve Emma et quatre de ses petits-enfants.  Afin de rejoindre les deux bouts, il a pris trois chambreurs, trois Bélanger apparentés à sa mère, un cousin et deux petits-cousins[11]

Joseph n’a pas remis les pieds au pays après son mariage, ceci n’empêchera pas son fils cadet Charles, né aux États-Unis et se déclarant de langue anglaise, de venir travailler à Montréal en 1919 comme journalier.   Lui qui ne connaissait le Québec ni d’Ève, ni d’Adam y demeurera tout de même dix-huit mois avant de repartir pour Berlin au New Hampshire alors qu’il est recruté par le moulin de pâte et papier de la Brown Corporation de l’endroit.  Peut-être avait-il voulu voir le pays de ses ancêtres[12].

Joseph survivra dix ans après le décès de sa femme.  Il s’éteint le 15 juillet 1928 à moins d’un mois de son soixante-dix-septième anniversaire[13]Joseph vivait toujours dans un logement du quartier du port sur la rue Park au moment de son décès. 

Joseph Harvey, ses enfants, données généalogiques - 7e génération

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[1] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame de Bonsecours de L’Islet, 7 août 1851.

[2] Massachusetts, State and Federal Naturalization Records, 1798-1950: Joseph Harvey, 3 avril 1889.

[3] B.A.C., G., Recensement du Canada de 1871, district du comté de L’Islet, sous-district de la paroisse de Saint-Eugène, page 59.  Le 23 juin 1868, la municipalité de Saint-Eugène se constitue sur les terres de la municipalité de Notre-Dame-de-Bonsecours. Le territoire de cette municipalité a été détaché de celle de Notre-Dame-de-Bon-Secours et il comprend une partie des anciennes seigneuries de L’Islet et de Bonsecours.

[4] National Archives and Records Administration Federal Population Schedules for the 12th Census of the United States, Salem, Essex County, Massachusetts, 8 juin 1880, page 9. 

[5] Massachusetts Archives, births registered in the town of Shirley for the year 1850. 

[6] Massachusetts Archives, Death registered in the City of Salem for the year eighteen hundred and seventy-five, 18 décembre 1875.

[7] Massachusetts Archives, marriages registered in the city of Lawrence for the year 1868. 

[8] National Archives and Records Administration Federal Population Schedules for the Twelfth Census of the United States, Massachusetts, Essex County, Salem, Ward 5, June 8, 1900, page 9 et National Archives and Records Administration Federal Population Schedules for the Thirthteenth Census of the United States, Massachusetts, Essex County, Salem, Ward 5, April 18, 1910, page 18.

[9] JONES, Arthur B. The Salem Fire. Boston, The Gorham Press, 1914, 138 pages.  Et la New England Historical Society.

[10] Massachusetts Archives, Death registered in the City of Salem for the year 1918, 10 février 1918.

[11] National Archives and Records Administration Federal Population Schedules for the Fourteenth Census of the United States, Massachusetts, Essex County, Salem, Ward 5, January 10, 1920, page 9.

[12] 1920-10-5, Registres américains des étrangers préexaminés au Canada, Charles Harvey.

[13] Massachusetts Archives, Death registered in the City of Salem for the year 1928, 15 juillet 1928.