15. La fin d'une génération

La fin d’une première génération 

À Blois, les Hervet étaient des bourgeois reconnus ainsi.  En Nouvelle-France en revanche, Sébastien, issu d’une vieille famille blésoise de potiers d’étain, n’était parti de rien, le statut social de son père en France ne l’avait pas d’emblée favorisé.  Cependant, il avait le privilège d’être un artisan ce qui le plaçait dans une meilleure situation que celle de tous les sans métier.  Il avait, à force de cousiner avec les bourgeois et la petite noblesse, en plus d’afficher des qualités de bon chrétien et de bon citoyen, gravi les échelons depuis son arrivée dans la colonie.  À la fin de sa vie, Sébastien est lui aussi qualifié de bourgeois.  Il était relativement à l’aise et avait fait suffisamment d’économies pour s’intégrer harmonieusement parmi les marchands et la petite élite qui régnait sur Québec.  Sébastien est retourné à Blois en France, à deux ou trois reprises, probablement en 1667 et en 1698 pour sur[1] puisqu’il débarque à Québec d’un navire provenant des côtes françaises l’année suivante et la dernière fois, à soixante-six ans, à l’automne 1707 pour y réclamer sa part d’héritage.  Il faudra attendre plusieurs générations avant qu’un Hervet, Hervé, Harvé, Harvey retourne en France.  Selon toute vraisemblance, lors de la Première Guerre mondiale au siècle dernier, pour aller défendre la mère patrie.    

L’ancêtre, Sébastien Hervet, qui avait été hospitalisé le 27 septembre de l’année précédente[2], meurt à l’Hôtel-Dieu de Québec le dimanche 15 avril 1714 à près de soixante-douze ans, ce qui est bien au-delà de l’espérance de vie moyenne dans la colonie qui ne dépasse pas quarante ans[3].  L’attente fut longue, car il avait eu grand temps de voir venir la faucheuse.

Le chanoine breton Goulven Calvarin (-1719), prêtre du séminaire de Québec officiant à la cathédrale, préside l’absoute.  Il est accompagné par les sous-diacres Joseph-René Voyer (1689-1753) et Louis Lepage de Sainte-Claire (1690-1762), fils du seigneur de Rimouski, dont l’oncle est le beau-père de Gabriel Thibierge (1654-1726), le fils de Renée Hervet, protégé de Sébastien[4].  

Fait étonnant, Sébastien fut inhumé le lendemain au Cimetière des Pauvres de l’Hôtel-Dieu à Québec[5] ; probablement par humilité comme sa sœur Renée qui, à sa mort, était à la tête d’une famille aisée. 

Ce cimetière qui fut ouvert en 1651 était réservé aux pauvres à l’origine.  À l’époque de Sébastien, plusieurs personnages importants ont demandé par signe d’humilité d’y être enterrés et l’ont été.  Cela avait été en autres le cas de Charles Aubert de La Chesnaye en 1702.  L’ancien seigneur de Sébastien voulait ainsi expier sa vie consacrée à l’accumulation de richesses.  Plusieurs autres complices de Sébastien y furent également enterrés[6].

Du nombre de Français émigrés en Nouvelle-France sous le régime français, seuls vingt-quatre pour cent y laisseront une descendance; Sébastien est l’un de ceux-là[7]

Son père maintenant décédé, le 12 mars 1715, Jean Baptiste Hervé, le cadet de la famille, qui est maintenant âgé de quatorze ans est confié en apprentissage chez le cordonnier Pierre Brassard dit Deschenaux (1687-1765).  C’est probablement Françoise qui utilise les contacts familiaux pour ce placement.  On sait que la famille Philippeau est proche de la famille Chalifour puisque la sœur de Françoise, Jeanne Philippeau (1666-1708), avait épousé Paul François Chalifour (1663-1718).  Or, trois enfants Chalifour ont épousé trois enfants de la famille Brassard, dont la fille de Jeanne Philippeau.   Quoi qu’il en soit, Jean Baptiste ne sera pas souvent à la maison.  À part ses «hardes et linge», il est entretenu par le cordonnier auprès duquel il a été engagé comme apprenti pour trois ans[8].  Logé, nourri, chauffé et... chaussé par «son maistre» il lui doit obéissance pour tout ce qui est «commandé d’honneste et de Licitte» [9].  On verra que Jean Baptiste ne vivra pas et n’aurait pu vivre de ce métier tout comme d’ailleurs la majorité des cordonniers qui sont trop nombreux en Nouvelle-France à cette époque[10]

En 1716, lors du recensement paroissial de Notre-Dame-de-Québec, Françoise Philippeau nommée Phélippeaux au recensement, «veuve de Sébastien Hervé» demeure toujours au même endroit à la Basse-Ville.  Sébastien (24) fils y est aussi mentionné ainsi que Jean Baptiste (17) et Marie Charlotte, nommée «Marie Aimé» (15).  Sa grande fille Marie Renée Hervé mariée à Daniel Pepie dit Lafleur et ses enfants demeurent maintenant avec elle[11] depuis leur retour de Beaumont où ils avaient tenté de s’installer. 

Françoise, qui a maintenant cinquante-trois ans, doit trouver sa petite rue De Meulles bien changée depuis qu’elle s’y était installée avec Sébastien, il y a de cela vingt-deux ans.  Depuis le haut de l’escalier jusqu’au bout du Cap au diamant plus d’une cinquantaine de familles y sont maintenant installées.  Ce sont plus de trois cents personnes qui vivent entassées dans ce petit espace.  Aux artisans et marchands qui s’y étaient établis à l’origine, se sont ajoutés les charpentiers de navires et les navigateurs.  De plus, on peut maintenant compter pas moins de cinq cabaretiers et aubergistes sur ce petit bout de rue.

Les misères de Françoise commencent probablement avec les problèmes de santé de sa fille Marie Charlotte.  À compter de 1715, Marie Charlotte, prénommée le plus souvent Marie Anne ou Marianne au registre de l’Hôtel-Dieu, sera malade toute sa vie.  L’histoire ne nous a pas appris quel était son mal ou si un accident est survenu cette année-là, mais, chose certaine, elle est invalide[12].  Traitée ou admise plus de vingt-cinq fois à l’hôpital avant ses quarante ans, on peut s’imaginer la vie de Françoise à prendre soin d’elle dans les conditions de vie de ce début du XVIIIe siècle[13].  

Les tristesses s’accumulent pour Françoise, la veuve Hervé.  En septembre 1718, alors que le plus jeune de ses fils, son bébé Jean Baptiste, qui vient tout juste de fêter ses dix-huit ans le vingt-trois, est retrouvé noyé le vingt-neuf.  Il tentait de traverser en canot de «la pointe de Levy» à Québec[14]. Jean Baptiste emporté par l’onde, il ne reste plus que Sébastien fils pour assurer la survie du patronyme.

Un an plus tard, le 26 novembre 1719, Françoise dite madame Hervé apparaît elle-même au registre des malades de l’hôpital Hôtel-Dieu de Québec pour une première fois en trente ans.  Comme bien des épouses de son époque, cette mère de huit enfants avait, jusqu’à ce jour, laissé aux autres le privilège d’être malade[15].  Elle y sera bien traitée, car outre sa nièce Catherine Thibierge (1681-1757), la mère Saint-Joachim, qui dirige l’hôpital, quatre des filles que son neveu Étienne Thibierge (1663-1740) eut de son premier mariage y sont sœurs-hospitalières également[16].

À la Prévôté de Québec, le 10 mars 1724, Françoise Philippeau veuve de feu Sébastien Hervé est condamnée à payer au marchand et arpenteur royal Paul François Lemaître dit Lamorille (1694-1766), un mémoire de cent trente-sept livres[17].   Les documents d’époque ne donnent pas les détails de la cause, mais ledit Lemaître possède plusieurs maisons en location en la Basse-Ville.  Était-il le nouveau propriétaire de Françoise?

Pour Françoise Philippeau, qui vient d’avoir soixante et onze ans, 1734 allait être le début d’une décennie où sa santé allait lui faire défaut.  On la retrouve inscrite au registre des malades de l’Hôtel-Dieu de Québec cette année-là, puis en 1738 et à deux reprises en 1739.  Françoise Philippeau, âgée de près de soixante-dix-sept ans, est hospitalisée une dernière fois à l’Hôtel-Dieu de Québec le 6 février 1740 puisqu’elle y est citée au registre des malades comme étant native de l’Île-de-Ré en France[18].  Elle n’en sortira que pour être transférée à l’Hôpital-Général de Québec[19] qui est aussi administré par la communauté des Augustines de la Miséricorde de Jésus. 

L’aïeule des Hervé-Harvey, décède à l’Hôpital-Général de Québec le 24 juillet 1744 à l’âge de quatre-vingt-un ans.  Elle est inhumée le jour même au Cimetière des pauvres.  Assistent probablement à son inhumation, Marie Catherine Marien, Marie Renée Hervé et Marie Charlotte Hervé, ses trois filles vivantes et demeurant toutes à Québec.  Sébastien fils, notre ancêtre, est son seul garçon encore vivant et il n’apprendra, sur son Isle aux Coudres, la mort de sa mère que bien plus tard.  Il en sera sans doute de même pour Françoise Marien (1677-1749) son aînée qui demeure à Batiscan.

Déjà malade depuis un certain temps, l’histoire ne dit pas si notre aïeule est décédée de la nouvelle épidémie de typhus qui sévit dans toute la colonie entre 1742 et 1744.

Tout comme ma mère, Marie Mai Bélanger (1919-2010) qui survécut à mon père Adrien Harvey (1921-1981) pendant un peu plus de vingt-neuf ans, Françoise Philippeau survécut également à son mari pendant plusieurs années, 30 ans précisément. 

Comme on le verra plus tard, des trois fils de Sébastien Hervet, Sébastien Hervé est le seul qui réussira à propager le patronyme Hervet devenu Hervé et ensuite Harvé en autres, puis Harvey jusqu’à nos jours. 

On se souviendra que son autre fils, François né en 1692, mourut alors qu’il avait moins de deux ans.  Quant à Jean Baptiste son cadet, confié en apprentissage chez un cordonnier en 1715 après le décès du patriarche, il fut emporté par l’onde à l’âge de dix-huit ans entre «La pointe de Levy» et Québec comme on l’a vu.

Pour ce qui est des deux filles de Sébastien Hervet, Marie Renée a donné naissance à plusieurs enfants, alors que Marie Charlotte, invalide, ne s’est jamais mariée et fut placée à l’Hôpital Général de Québec un peu avant la mort de sa mère.  Par contre, dans une société où l’importance de l’homme était si grande, et bien que la femme conservât son patronyme, elle ne pouvait le donner à ses enfants comme il est possible de le faire aujourd’hui.

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[1] Tenu pour certain, certainement.

[2] FOURNIER, Marcel et Gisèle MONARQUE. Registre journalier des malades de l’Hôtel-Dieu de Québec. Montréal, les éditions Archiv-Histo, 2005, page 768. «1713-09-27 — Hervée, Sébastien (69 ans), paroisse Saint-Martin, Blois.». Bien que le registre comporte une erreur quant à l’âge de l’ancêtre, il s’agit bien de lui puisqu’il est le seul individu dans la colonie portant ce patronyme et étant originaire de la paroisse Saint-Martin de Blois.

[3] MATHIEU, Jacques. La Nouvelle-France : les Français en Amérique du Nord, XVIe-XVIIIe siècle. Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2001, page 186.

[4] DESPATIE, Aimé. «Lepage de Sainte-Claire, Louis». Dictionnaire biographique du Canada. 1re édition 1969, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 1974, 15 volumes, volume III (Décès de 1741-1770).

[5] JETTÉ, René. «Sébastien Hervé», Dictionnaire généalogique des familles du Québec, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 1983, page 567 et BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame de Québec, 16 avril 1714.

[6] ROY, Pierre-Georges. A Travers l’histoire de l’Hôtel-Dieu de Québec. Lévis, chez l’auteur, 1939, pages 55, 56 et 71 et BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame de Québec, 12 juin 1715.  Sébastien fut inhumé dans ce cimetière tout comme le chirurgien Jean Baptiste de Mosny le 12 juin de l’année suivante.  Le célébrant le nommait cimetière de l’Hôtel-Dieu, car l’appellation «cimetière des pauvres» n’était pas encore en usage.  Certains ont pu croire qu’il s’agissait du caveau, ce deuxième cimetière sous le chœur, normalement réservé aux religieux servant dans cet hôpital, il n’en est rien.

[7] FOURNIER, Marcel. Les Origines familiales des pionniers du Québec ancien (1621-1865). Fédération québécoise des sociétés de généalogie, 2005, page 3.

[8] Texte de Jacques Harvey.

[9] BAnQ., Minutier Pierre Rivet Cavelier, 12 mars 1715. Engagement de Jean Hervet à Pierre Brassard, Cordonnier.  On peut noter ici la conservation du «t» final du patronyme «Hervet».  Référence de Jacques Harvey.

[10] DUPONT, Jean-Claude et Jacques Mathieu. Les métiers du cuir. Québec. Les presses de l’Université Laval, 1981, 432 pages.

[11] BAnQ., «Recensements paroissiaux de Notre-Dame-de-Québec», Québec, L’imprimeur du Roi, Rédempti Paradis, 1940 et LAFONTAINE, André. Recensements annotés de la Ville de Québec 1716 & 1744. Sherbrooke, A. Lafontaine, 1983, page 56.

[12] PRDH, Programme de recherche en démographie historique, Université de Montréal.  Hôpital général de Québec 11 octobre 1757.

[13] FOURNIER, Marcel et Gisèle MONARQUE. Op. cit.

[14] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Pierre de l’Isle d’Orléans, 30 septembre 1718.

[15] FOURNIER, Marcel et Gisèle MONARQUE. Op. cit., page 907.  «1719-11-26 — Hervé, madame.»

[16] D’ALLAIRE, Micheline.  Histoire sociale d’une communauté en Nouvelle-France; L’hôpital-Général de Québec, 1692-1764.  Ottawa, les presses de l’Université d’Ottawa, 1968, page 643.

[17] BAnQ., Prévôté de Québec, 10 mars 1724. [Document estampillé portant le numéro 446.]

[18] PRDH, Programme de recherche en démographie historique, Université de Montréal et FOURNIER, Marcel et Gisèle MONARQUE. Op. cit., pages 1275, 1382, 1393, 1407 et 1418.

[19] L’Hôpital Général de Québec a été érigé en 1692 et doit servir à accueillir les pauvres et les invalides de la ville et des environs. Sa vocation au fil des années inclut les soins de longue durée pour les personnes âgées, les invalides et les aliénés.