01. L’enfance

De l’enfance à l’âge adulte (1736-1753) 

Comme on l’a vu précédemment, Dominique est né le 26 septembre 1736.  Il est le plus jeune de trois garçons.  L’aînée, Marie Anne, a déjà treize ans à sa naissance.  Dominique est le sixième enfant de la famille. 

L’année 1737 sera très pluvieuse.  Partout en Nouvelle-France on connaîtra la famine résultante de récoltes désastreuses à cause de l’abondance de pluie, mais pas à l’Isle où le poisson abonde; Rosalie sera tout de même en mesure de reprendre des forces et de continuer à nourrir son petit Dominique.

À l’âge de deux ans en janvier 1739, Dominique verra naître une sœur, Marie Magdeleine, le dernier enfant que portera sa mère. 

L’enfance de Dominique sera parsemée de bouleversements.  Il n’a pas encore quatre ans lorsque Rosalie Tremblay, sa mère, décède à l’été 1740.  C’est assurément Marie Anne, sa grande sœur, qui l’enveloppera de ses ailes. 

En novembre de l’année suivante, son père épouse Agnès Bouchard.  À cinq ans, on vient de lui fournir une nouvelle mère qui est déjà engrossée puisque trois mois plus tard, en février 1742, il connaîtra la naissance de deux jumeaux qui sont ses demi-frères, peut-être[1]... 

Il n’aura pas le temps de s’attacher beaucoup à ses jeunes frères puisqu’un premier décède en avril de la même année et l’autre en mai. 

Un an plus tard, en mai 1743, on lui enlève sa deuxième mère.  Agnès Bouchard décède à son tour alors que Dominique n’a que six ans. 

Puis, alors que Dominique n’a pas encore dix ans, des odeurs de guerre s’amènent à l’Isle.  Depuis 1740, se déroule la guerre de Succession d’Autriche et dans ce cadre, en Amérique du Nord, Anglais et Français se livrent de rudes batailles.  Après qu’une expédition britannique se fut emparée de Louisbourg en juin 1745, l’intendant Hocquart poste des troupes sur l’île pour prévenir tout débarquement.  Les dirigeants français étaient toujours un peu inquiets que les pilotes de l’Isle n’ouvrent le chemin de Québec à l’anglais.  À la fin de cette guerre en 1748, certains de ces soldats Français prendront épouses parmi les insulaires mais pendant leurs séjours, ce seront les insulaires qui les hébergeront.  Dominique côtoiera donc l’uniforme à un très jeune âge.  La pratique de loger les militaires chez l’habitant pour défendre la colonie et les nourrir se répétera d’ailleurs au cours de la guerre de Sept Ans entre 1756 et même au-delà de la défaite en 1760 avant le retour en France des troupes.  

Pour ce qui est du reste de son enfance Dominique dut la passer à travailler sur la terre de son père qui deviendra bientôt celle de son grand frère, Zacharie Sébastien et aussi un peu à jouer sur les berges de l’île avec ses nombreux amis.  Des amis, il y en avait sur cette petite île; les familles y sont nombreuses, chaque censitaire ayant eu en moyenne entre neuf et dix enfants[2].  Par contre, le jeu n’est pas la principale activité d’un enfant à l’époque de Dominique.  Dès l’âge de cinq ou six ans, garçons et filles sont mis à contribution.  Dominique suit donc son père et ses frères dans l’exercice des tâches quotidiennes, en s’occupant à de menus travaux de la ferme.  Ses soeurs quant à elles ont pris la destinée de la maisonnée sous la direction de l’aînée dès la mort de sa mère.  Avec un peu de chance, les jeunes gens n’accompliront des fonctions comparables à celles des adultes que vers l’âge de quinze ans[3].  Avec un père que l’on sait malade, pour Dominique et ses frères, ces obligations viendront un peu plus tôt.

Au printemps 1749, alors qu’il n’a que douze ans, avec ses frères Zacharie et Pierre, Dominique a les pieds dans l’eau à poser les « harts » pour la pêche aux marsouins.  Comme on l’a vu, la pêche a été affermée par le Séminaire à son père et ses voisins, Dominique Bonneau dit Labécasse (1691-1755), Étienne Debiens, François Tremblay, Joseph Tremblay et Étienne Tremblay.  Par contre, son père n’a plus la santé qu’il avait et doit compter sur ses fils pour le représenter dans cette pêche coopérative.   

En 1750, Marie Anne, la grande sœur qui a veillé comme une mère sur mon ancêtre est partit vivre à Saint-Roch-des-Aulnaies.  L’arrivée d’une jeune épouse dans la maison familiale, qui appartient maintenant à Zacharie Sébastien, a sûrement précipité son départ.  Dominique a pu accompagner quelques fois son père pour la traversée du grand fleuve afin d’aller visiter celle qui fut un peu sa mère et peut-être aussi sa protectrice contre un grand frère autoritaire.

Quand son père malade quitte définitivement l’Isle-aux-Coudres pour aller crécher, chez l’aînée de ses filles Marie Anne, à Saint-Roch-des-Aulnaies à l’été de 1751, Dominique est sur le point d’avoir quinze ans.  Il demeurera sur la terre familiale qui est dirigée depuis l’année précédente par Zacharie, vingt-trois ans, qui bénéficie du droit d’aînesse.  Reste encore avec lui, Rose qui aura vingt ans en octobre, Pierre qui fêtera ses dix-sept ans à l’automne également et Marie Magdeleine, la petite dernière de onze ans.  Dominique travaillera encore trois ans sur la terre maintenant devenue celle de Zacharie avant de voler de ses propres ailes. 

Au cours de ces trois années, il ne fera pas que travailler sur la terre de son frère ; son oncle Guillaume Tremblay est pilote de navire et le parrain de sa sœur Rose, Joseph Simon Savard qui était aussi devenu un pilote important avait formé son fils aîné Pierre à ce métier[4].  L’un de ces deux pilotes a peut-être déjà pris Dominique en apprentissage pour que, comme eux, il devienne un « habitant-navigateur »D’ailleurs, son père Sébastien ne possédait pas suffisamment de terre pour établir ses trois fils et en faire des cultivateurs contrairement à Savard le père qui en possédait beaucoup et avait des filles à marier.

Joseph Simon Savard fait partie de cette première génération d’« habitant-navigateur » qui s’est formée entre 1730 et 1740.  On sait qu’il pilote déjà sur le Saint-Laurent en 1737[5].  Notons également que Louis Tremblay (1667-1747) le grand-père maternel de Dominique est, par sa troisième femme Françoise Morel (1680-1715),  le beau-frère de Joseph Simon Savard, car la première épouse de ce dernier était Marie Josephte Morel (1686-1727). 

Dominique a toutes les raisons d’être attiré par la mer, lui qui ne peut espérer recevoir de terre en héritage est entouré de pilotes et son paysage d’adolescent n’est constitué que du grand fleuve et des navires qui s’arrêtent à l’Isle.  Si les vaisseaux du Roy comptent sur la présence à leurs bords d’un pilote officiel à partir du Bic ou de l’île Verte pour les diriger vers Québec, « les bâtiments marchands doivent s'en remettre à des marins canadiens, habituellement des cultivateurs, comme Joseph Savard, les Dufour, les Joseph Villeneuve, les Joseph et Louis Tremblay, qui connaissent bien le chenal du Nord, de l'île aux Coudres à Québec »[6].  Comme les aspirants pilotes commencent leur apprentissage entre quatorze ans et seize ans, avec tous ces pilotes à l’Isle, les occasions d’apprentissage pour Dominique sont nombreuses.

Dominique deviendra un important cultivateur tout en demeurant pilote du Saint-Laurent, métier qu’il exerce déjà à son jeune âge comme apprenti et qu’il exercera toute sa vie. 

Du temps de la Nouvelle-France, les vaisseaux en entrant dans le fleuve venaient reconnaître les îles du Bic, puis cinglaient Tadoussac.  De là, ils longeaient la rive nord jusqu’au Mouillage de L’Isle-aux-Coudres où ils y prenaient un pilote.  Ils longeaient à nouveau la rive nord jusqu’au Cap Tourmente, puis traversaient du côté sud en serrant la pointe de l’Isle d’Orléans.  Pour les conduire à travers les méandres et les bancs de sable toujours mouvant, ces vaisseaux avaient besoin de marins expérimentés[7].  Dominique guidera ces vaisseaux des centaines de fois.

« Il y a beaucoup d’îles dans l’estuaire, …la plus connue des navigateurs est l’île aux Coudres, parce qu’on a localisé le chenal le plus profond entre cette île et la rive.  Ce fut au temps de la voile l’un des endroits les plus difficiles à franchir.  Qui dit îles, dit écueils, hauts fonds, récifs, bancs et battures, en somme des endroits à éviter, mais aussi des points de repère à connaître »[8].

L’Isle-aux-Coudres est à plus de dix-huit lieues[9] de Québec.  À l’époque, et pour longtemps après, les navires avaient l’habitude de mouiller « au pied de la Traverse auprès du Cap-Brûlé »[10]C’est à l’Isle que les navires changeaient de pilote sous le Régime Français.  Ces pilotes comme Dominique étaient habituellement des marins expérimentés de l’Isle, de Baie-Saint-Paul ou de la Petite-Rivière qui connaissaient bien les hauts-fonds et tous les dangers à éviter du Saint-Laurent.  Ces pilotes canadiens qui habitent l’Isle n'ont pas été formés dans la marine française et n'ont pas acquis leur formation au Collège de Québec; ce sont avant tout des cultivateurs qui ont appris le métier de pilote, de père en fils, et qui ont une connaissance locale de la navigation sur le Saint-Laurent[11].  Ils apprenaient leur métier au petit bonheur et comme pour Dominique, le Capitaine du port de Québec leur donnait un « certificat de capacité »Les jeunes de l’île apprennent tôt à manier les barques dans le « chenail » les séparant des filles de Baie-Saint-Paul, de la Petite-Rivière Saint-François ou de la côte sud.  De plus, bien que nous n’en ayons aucune preuve écrite, on peut s’imaginer que Dominique traverse le fleuve à maintes reprises dès l’âge de quatorze ans, alors que son père et deux de ses sœurs habitent en face à Saint-Roch-des-Aulnaies, du côté sud du grand fleuve.  On peut s’imaginer Dominique au retour, halant sa barque au fleuve sur la pointe de Saint-Roch-des-Aulnaies, qui est l’endroit du Sud le plus rapproché de L’Isle-aux-Coudres.  Il met « …à la voile au commencement du montant, car le vent est sud-ouest.  Ces deux forces qui se rencontrent, la brise qui descend et la marée qui monte, vont se balancer l’une l’autre et le conduire en deux heures au bout d’en haut de l’île, dans l’anse de l’Îlette, où sa barque trouve un bon mouillage »[12] non loin de chez lui.

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[1] Voir la section 14 intitulée « 14. Agnès Bouchard » du chapitre précédent consacré à Sébastien Hervé (1695-1759) pour une compréhension du doute.  Cette section  peut être consultée au lien suivant : https://sites.google.com/site/histoiredesharveyquebecois/4--sebastien-herve-defricheur-et-colonisateur-en-nouvelle-france-1695-1759/14-agnes-bouchard-deuil-apres-deuil-1741-a-1744.

[2] DESJARDINS, Louise. La transmission du patrimoine à I'Isle-aux-Coudres au XVIIIᵉ siècle. Hamilton, Éditions de l’Université de Mc Master, « Open Access Dissertations and Theses », No.7928, 1992, pages 206. 

[3] MATHIEU, Jacques. La Nouvelle-France: les Français en Amérique du Nord, XVIe-XVIIIe siècle. Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2001, page 92.[4] BAnQ., Greffe de l’arpenteur Ignace Plamondon, père, 24 juin 1769.  Au procès-verbal et plan figuratif du chaînage de la superficie d’une terre pour son partage entre les héritiers de feu Guillaume Tremblé, il est inscrit « …Guillaume Tremblé, de son vivant pilote de navire… ». 

[5] BAnQ., Registre d’ordonnances des intendants, volume 26, page 1.

[6] BOILY, Raymond. Le guide du voyageur à Baie-Saint-Paul au XVIIIe siècle. Montréal, Leméac, 1979, pages 19-21. 

[7] ROY, Pierre-Georges. « Le pilotage sur le Saint-Laurent », Bulletin des recherches historiques : bulletin d’archéologie, d’histoire, de biographie, de bibliographie, etc.  Volume XVIII, numéro 4 (avril 1913), page 113.  Repris dans : SAVARD, Paul. Joseph-Simon Savard, premier censitaire de l'Isle-aux-Coudres. Sainte-Foy, Éditeur Paul Savard 1998, page 123.

[8] CAMU, Pierre.  Le Saint-Laurent et les Grands Lacs au temps de la voile. 1608-1850. Ville La Salle, Hurtubise HMH, collection « Géographie », ISBN 2-89428-169-2, 1996, 367 pages. 

[9] Approximativement 96 kilomètres. L’île est située à cinquante-deux milles marins d’aujourd’hui au nord-est de la ville de Québec par le fleuve. 

[10] HAMELIN, Jean et Jean Provencher. « La vie de relations sur le Saint-Laurent, entre Québec et Montréal, au milieu du XVIIIe siècle », Cahiers de géographie du Québec. Volume 11, n° 23, 1967, p. 243-252. 

[11] LECLERC, Jean. Les pilotes du Saint-Laurent et l'organisation du pilotage en aval du havre de Québec, 1762-1920.  Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2003, page 57. 

[12] CASGRAIN, Henri Raymond. Légendes canadiennes et variétés. Une excursion à l’île aux Coudres. Montréal, Éditions Beauchemin & Valois, Tome I, 1884, pages 6-7.