Alexandre Hervai

 (1835-1900)

Alexandre Hervai de la lignée de ceux qu’on surnomme les «Pierrot» est un fils de la sixième génération.  Il quittera Jonquière au Saguenay avec une partie de sa famille en 1892 pour s’établir sur une terre de Brunswick dans le comté de Cumberland au Maine et offrir à sa nombreuse progéniture des possibilités d’emplois dans les filatures de l’endroit[1].  Il est le quatrième des nôtres à se voir attiré par cette petite ville de la Nouvelle-Angleterre.  Né le 20 novembre 1835 dans la seigneurie de Murray Bay, il est l’aîné survivant de Chrysostome Hervé (1803-1886) à Pierre Hervé (1759-1857) chez Pierre Hervé (1733-1799).

À seize ans, ce qui est inhabituel pour un aîné de famille à l’époque, il ne travaille déjà plus sur la terre de son père, dans le secteur sud-ouest du début du Clermont actuel en direction de Sainte-Agnès.  À ce jeune âge, Alexandre est déjà journalier[2].  Dès 1861, il acquiert du notaire Jean Gagné (1807-1893) de La Malbaie le lot numéro vingt-deux du troisième rang dans le canton de Jonquière, une terre de cent vingt-quatre acres «bornée en front vers le nord-ouest, par la rivière aux Sables».  Ce dernier avait obtenu cette terre du gouvernement quatre ans plus tôt à titre spéculatif et n’en avait acquitté qu’un premier paiement[3].

Tôt l’année suivante, il épouse Domitilde Pilote (1841-1913) le 17 février 1862 à Saint-Irénée, la paroisse de la mariée[4]Alexandre et Domitilde partent donc s’établir sur cette terre nouvellement acquise.   Le couple y aura quatorze enfants.

Son père, alors dans la soixantaine, abandonnera tout derrière lui à La Malbaie pour suivre Alexandre à Jonquière et s’établir dans ce qui sera connu plus tard comme le rang de l’Église, avec l’intention d’offrir un avenir à sa quinzaine d’enfants. 

On retrouve Alexandre bien établi dans le secteur de Radan à Jonquière en 1871[5].  Il a déjà quatre enfants.  Dix ans plus tard, il est toujours au même endroit, mais la maisonnée compte maintenant dix enfants[6]

La famille pourrait s’être expatriée à Stirling au Michigan dans la décennie 1880[7].  Si tel fut le cas, le départ aurait eu lieu après la naissance à Jonquière du quatorzième enfant en août 1884.  Quoi qu’il en soit, ce séjour aux États-Unis, s’il eut lieu, aurait été bref puisqu’Alexandre est à Jonquière en 1889 et réputé « cultivateur demeurant en la paroisse Saint-Dominique »[8].

En 1890, le gouvernement d’Honoré Mercier fait voter l’«Acte portant privilège aux pères ou mères de famille ayant douze enfants vivants».  Cette loi accorde gratuitement cent acres de terres publiques aux parents.

Compte tenu de la naissance d’Eustache, le petit dernier, né en 1884[9], Alexandre, qui a maintenant quatorze enfants, présente donc une requête au secrétaire de la province pour l’obtention d’une telle terre dans le canton Simard où elles sont disponibles.  Il sera parmi les premiers à faire la démarche pour obtenir les cent acres offertes par le gouvernement[10].  L’année suivante il se verra attribuer le lot vingt-quatre du rang huit dans le canton Simard.  

Lorsqu’il obtient cette terre, la famille est toujours dans le secteur de Radan à Jonquière, mais plus pour longtemps.  Aucun de ses enfants n’a encore quitté le nid familial[11].  Ne pouvant espérer assurer l’avenir de chacun d’eux et comme son père l’avait fait avant lui, alors qu’il a cinquante-sept ans, Alexandre quittera la terre qu’il avait défrichée et cultivée pendant trente ans pour émigrer aux États-Unis.  À l’instar d’autres Harvey dans sa situation, comme, par exemple Joseph Hervey (1838-c.1894), Alexandre verra sa famille se scinder.  Plusieurs de ses enfants n’embarqueront pas dans son aventure américaine.  

L’annonce de ses intentions provoque quelques départs.  C’est d’abord le cas des aînés : Marie (1864-1894) qui, après avoir quitté Jonquière au printemps pour se réfugier chez un oncle dans le quartier Hochelaga de Montréal, prendra mari dès l’automne[12]Joseph Élie (1866-1916) et Pamphile (1873-1932) accompagnent cette dernière; le premier s’y trouve un emploi comme mécanicien alors que le second se fera menuisier.  Finalement, Trefflé (1863-1945) se marie à Jonquière en août 1891[13]Joseph (1868-1926) et Edmond (1883-1908) partent vivre chez Trefflé l’aîné qui a acquis une terre dans le canton de Kénogami avant son mariage[14].

Le 17 mars 1892, Alexandre vend la terre où ses enfants avaient grandis, à Alexandre Brassard pour le reste de l’hypothèque qu’il avait contractée.  En attendant le beau temps, pour le départ de la famille, il continuera de jouir de son bien jusqu’au 1er mai[15].  

En mai 1892 Alexandre et Domitilde quittent Jonquière, pour aller offrir un avenir meilleur à leurs plus jeunes enfants, à Brunswick au Maine, mais pour le père il n’est pas question de travailler en usine.  Dès son arrivée aux États il achète une terre et continue d’être cultivateur.  On se souviendra qu’Alexandre avait vendu sa terre de Jonquière, mais pas celle du canton Simard obtenue du gouvernement l’année précédente.  Il a probablement financé l’achat de celle à Brunswick par la vente de cette dernière[16].

Ce seront donc sept des enfants d’Alexandre nés au Saguenay qui iront grossir les rangs de nos cousins américains, du moins pour un certain temps : Médérille dit Médérique (1871-1927), Philomène (1875-1947), Émilia (1877-1911), François (1877-1954), Hubert (1879-1918), Anna (1882-1959) et Eustache (1884-1944).

Une fois arrivé en Nouvelle-Angleterre en mai 1892, Alexandre cultivera sa terre de Brunswick pendant huit ans avec ses plus jeunes enfants, sans doute pour un certain temps.  Ses enfants ont l’esprit ailleurs par contre, car la vie de la famille est centrée autour du moulin et du quartier le long de la rivière Androscoggin.  Chacun travaille onze heures par jour dans l’usine à produire du coton filé.  Les garçons les mieux payés, comme François et Hubert, gagnent dix dollars par semaine tandis que les filles gagnent quelques dollars de moins.  Malgré le jeune âge de certains, tous y trouvent du travail, car dès l’âge de sept ans les enfants peuvent travailler au moulin et chaque dollar aide la famille.  Les pratiques de la famille Cabot n’étaient guère différentes de celles qu’on avait connues dans les moulins à scie de la famille Price au Saguenay; les enfants d’Alexandre étaient en partie payés en script d’entreprise, qu’ils devaient dépenser dans le magasin de la Cabot Mill[17].

Le 21 février 1900, Alexandre Hervai est atteint de « paralysie sénile en raison de son âge »; il s’éteint six jours plus tard dans son patelin d’adoption[18].  


Domitilde se départira de cette terre immédiatement après le décès de son mari et aménagera alors avec ses enfants dans l’une des maisons de la compagnie sur la rue Mill dans le «Petit-Canada» de l’endroit, car dès leur arrivée à Brunswick tous ses enfants, à une exception près, s’étaient trouvé un emploi au moulin de la «Cabot Mill cotton and textile», emploi qu’ils occupaient toujours au tournant du siècle[19].

En 1903, la veuve Domitilde et une partie de sa famille quittent les États-Unis pour revenir au SaguenayOn en trouve plusieurs preuves dans les registres : Médérille qui était journalier à Brunswick et qui s’y était marié à Marie Anna Dubé le 27 janvier 1895[20] est à Jonquière en 1903[21]; Philomène qui était tisseuse à la filature est aussi de retour en 1903 et peut-être même avant puisqu’elle se marie en avril à Chicoutimi[22]; finalement, Anna aussi travailleuse à la manufacture de coton revient en 1903 et se marie l’année suivante à Chicoutimi[23].  Le cadet Eustache qui malgré son jeune âge travaillait aussi dans le coton est évidemment du voyage de retour en 1903.

Trois des enfants d’Alexandre ne reviendront pas au pays.  Émilia, opératrice à la filature, se mari à Brunswick en juin 1901 et y décédera de la tuberculose en 1911.  François, tisserand chez Maine Cotton and Woolen Factory Company de Brunswick, épouse Georgiana Lévesque (1883-1970), une autre expatriée, le 21 avril 1901 dans l’église Sainte-Anne dans la municipalité de Lisbon, à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest de Brunswick.  Le couple y fera sa vie et François y décédera le 19 novembre 1954[25].  Hubert qui travaille à la filature de Brunswick y épouse Alexina Bernier le 20 avril 1903.  Atteint de la tuberculose lui aussi en 1917, il décède le 22 avril 1918[26]Sa veuve placera ses deux enfants en pension, Raymond, cinq ans et Liliann, quatre ans.  Raymond, handicapé, sera par la suite ramené au Québec où il sera placé à l’hospice Sainte-Anne de Baie-Saint-Paul pour y finir sa vie[27].  

Trois des enfants d’Alexandre ne reviendront pas au pays.  Émilia, opératrice à la filature, se mari à Brunswick en juin 1901 et y décédera de la tuberculose en 1911[24].  François, tisserand chez Maine Cotton and Woolen Factory Company de Brunswick, épouse Georgiana Lévesque (1883-1970), une autre expatriée, le 21 avril 1901 dans l’église Sainte-Anne dans la municipalité de Lisbon, à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest de Brunswick.  Le couple y fera sa vie et François y décédera le 19 novembre 1954[25].  Hubert qui travaille à la filature de Brunswick y épouse Alexina Bernier le 20 avril 1903.  Atteint de la tuberculose lui aussi en 1917, il décède le 22 avril 1918[26].  Sa veuve placera deux de ses enfants en pension, Raymond, cinq ans et Liliann, quatre ans[26a].  Raymond, handicapé, sera ramené au Québec où il sera placé à l’hospice Sainte-Anne de Baie-Saint-Paul pour y finir sa vie[26b].  Alexina Bernier et deux de ses enfants reviendront au pays et habiteront un logement de la rue Adam dans le quartier Hochelaga de Montréal[26c]. 

L’espoir d’Alexandre Hervai d’offrir une vie meilleure à ses enfants aura eu comme résultat l’éclatement de la famille.  Domitilde Pilote, la matriarche du clan, décédera à Chicoutimi le 6 mars 1913.  De ses quatorze enfants, seuls les quatre vivants dans la région de Chicoutimi assistent à sa sépulture; elle avait soixante-douze ans[28].

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[1]State of Maine, Record of Deaths, 27 février 1900.  Le registre mentionne qu’Alexandre est arrivé à Brunswick depuis huit ans.  Carl Beaulieu à la page 208 de son livre intitulé «Les Harvey, entrepreneurs polyvalents et citoyens engagés» mentionne qu’Alexandre s’expatria pendant la décennie 1880 à Striling dans l’état américain du Michigan.  Nous verrons qu’il n’en est rien puisque son épouse accouchera de trois enfants à Jonquière dans cette décennie.  Lors des baptêmes de ces derniers, Alexandre est présent à Jonquière.  De plus, la famille sera une fois de plus recensée à cet endroit en 1891.  Si Alexandre a parcouru le trajet de seize cents kilomètres pour se rendre au Michigan au cours de cette décennie, ce fut pour une bien courte période pour laquelle je n’ai trouvé aucune référence.

[2]B.A.C., G., Recensement de 1851 du Canada-Est, comté de Charlevoix, paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, page 239-8.  L’énumération connue sous le nom du Recensement de 1851 a débuté officiellement le 12 janvier 1852.

[3]A.N.Q., GN. Minutier Thomas Zozyme Cloutier, no 5547, 31 décembre 1889.

[4]BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Irénée, 17 février 1862.

[5]B.A.C., G., Recensement de 1871 du Canada, Chicoutimi et Saguenay, paroisse de Jonquière, pages 8-9.  Et : BEAULIEU, Carl. Les Harvey, entrepreneurs polyvalents et citoyens engagés. Chicoutimi, Éditions du patrimoine, 2002, page 185.

[6]B.A.C., G., Recensement de 1881 du Canada, Chicoutimi et Saguenay, paroisse de Jonquière, page 25.

[7] BEAULIEU, Carl, op.cit., page 208.  Je n’ai pu trouver aucun document dans les archives américaines mentionnant ce séjour de la famille aux États-Unis.  Bien que l’auteur ne cite aucune source supportant cette affirmation, il est possible qu’Alexandre ait d’abord tenté sa chance dans cette direction quelques années; plusieurs ont fait de multiples tentatives avant de s’établir ou de revenir au pays pour de bon. 

[8]A.N.Q., GN. Minutier Thomas Zozyme Cloutier, no 5540, 17 décembre 1889.

[9]BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Dominique de Jonquière, 3 août 1884.

[10]BAnQ., Registre des demandes d’octrois gratuits de terre aux familles de 12 enfants et plus vivants, 1890-1905. Centre d’archives de Québec, numéro d’enregistrement 3133, 11 février 1890, Alexandre Harvey, canton Simard, rang 8, lot 24.  

[11]B.A.C., G., Recensement de 1891 du Canada, Chicoutimi et Saguenay, paroisse de Jonquière, page 10.  L’enfant prénommé Marie Élisabeth et né le 9 juin 1876 n’apparaît pas à ce recensement ni au précédent.  On ne retrouve aucun acte de sépulture à son propos.  Comme elle n’était déjà plus avec la famille en 1881, on peut peut-être présumer qu’elle fut donnée en adoption à la naissance comme c’était souvent le cas pour les familles nombreuses.

[12] BAnQ., Registre de la paroisse La Nativité-de-la-Bienheureuse-Vierge-Marie d’Hochelaga, Montréal, 2 octobre 1891.

[13] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Dominique de Jonquière, 10 août 1891.

[14] A.N.Q., GN. Minutier Thomas Zozyme Cloutier, no 5718, 28 août 1890.

[15] A.N.Q., GN. Minutier Thomas Zozyme Cloutier, no 6118, 17 mars 1892.

[16] On ne trouve pas de trace de l’acquisition de cette terre qui aurait été probablement située sur le prolongement de la rue Mill à Brunswick, mais tous les documents américains relatifs à Alexandre le qualifient de « farmer » (cultivateur) bien que tous ses enfants travaillent à l’usine de coton.

[17]NEW ENGLAND HISTORICAL SOCIETY.  How the French-Canadian Textile Worker Came to New England, [En ligne]. https://www.newenglandhistoricalsociety.com/[page consultée le 22/10/2021].

[18] State of Maine, Record of Deaths, 27 février 1900.  Traduction de l’anglais.

[19] 1900, Recensement fédéral américain, État du Maine, comté de Cumberland, ville de Brunswick, page 6. 

[20]State of Maine, Record of Marriages, 27 janvier 1895.

[21] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Dominique de Jonquière, 24 janvier 1904.

[22] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-François-Xavier de Chicoutimi, 24 avril 1903.

[23] Ibid., 25 juillet 1904.

[24]State of Maine, Record of Marriages, 10 juin 1901 et Record of Deaths, 22 août 1911.

[25]State of Maine, Record of Marriages, 21 avril 1901 et Record of Deaths, 19 novembre 1954.

[26]State of Maine, Record of Marriages, 13 avril 1903 et Record of Deaths, 22 avril 1918.

[26a] 1920, Recensement fédéral américain, État du Maine, comté de Cumberland, ville de Brunswick, page 7. 

[26b]BAnQ., Registre de l’hospice Sainte-Anne de Baie-Saint-Paul, 6 mai 1935.

[26c] B.A.C., G., Recensement de 1931, Montréal, Hochelaga, microfilm e011608122. 

[27]BAnQ., Registre de la paroisse Saint-François-Xavier de Chicoutimi, 8 mars 1913.