3. Joseph Harvey

(1855-1937)

Joseph Alphonse Harvey, de la septième génération, quittera Sainte-Angèle-de-Mérici dans le Bas-Saint-Laurent en 1880.  Né le 21 avril 1855 à Sainte-Flavie sur les rives du Saint-Laurent[1], il est le premier à quitter le Québec pour le New Hampshire.  En 1889, il sera le premier et le seul des nôtres à s’établir à Nashua dans le comté de Hillsborough au New Hampshire.  Joseph Harvey est le second fils de François Xavier Arvé (1828-1860) à Jean Hervé (1798-1862) à François Hervé (1760-1843) chez Dominique Hervé (1736-1812).

Son frère François Xavier, né en 1854 et n’ayant vécu que sept mois, Joseph est devenu l’aîné de la famille.  Il aurait pu passer son enfance et son adolescence à travailler sur la terre de son père et en hériter, si ce dernier n’était pas décédé de fièvre[2] à trente-deux ans, alors que Joseph n’avait que cinq ans[3].  Sa mère, Caroline Gagné (1839-1907), qui n’a que vingt-deux ans et trois marmots, Joseph, Irénée (1859-1868) et Caroline (1861-1935), se remariera à Joseph Ouellet en 1863[4].  Elle mettra au monde onze autres enfants avant 1886.   La famille quittera Sainte-Flavie en 1864et après un bref séjour à Saint-Octave de Métis, elle s’établira à Sainte-Angèle de Mérici en 1868.  Sainte-Angèle, où Joseph travaillera sur la terre de son beau-père jusqu’à son départ, est la plus ancienne paroisse de la vallée de la Matapédia et est sa porte d’entrée à l’ouest.

Le 15 mai 1877, Joseph épouse Césarie Chrétien, une fille du village qu’il connaissait depuis toujours[5]. Le couple demeurera à Sainte-Angèle quelque temps.  Joseph et Césarie y auront leur premier enfant en février 1878.  Les grands-parents maternels assumeront le rôle de parrain et marraine lors du baptême[6].  Un deuxième enfant suivra l’année suivante.  Le petit que l’on prénomme Joseph (1879-av.1890), comme son père, aura pour parrain le beau-père Joseph Ouellet et pour marraine Caroline Gagné, la mère de Joseph[7]

Joseph, aîné d’un premier lit d’une famille recomposée qui, en 1880, compte déjà dix enfants, a depuis longtemps compris qu’il sera un sans terre et par conséquent journalier.  Il quitte donc son village tôt en 1880 avec sa petite famille pour Montréal d’abord puis, à l’automne, il part travailler à l’une des usines de textile en bordure du canal de Cornwall, probablement au Stormont Mill de la Canadian Cottons LimitedJoseph n’était pas parti seul de la vallée de la Matapédia, car sa sœur Caroline accompagne la famille.  À l’époque, bien que le Canada soit en crise économique, Cornwall bouillonne avec ses quatre moulins à farine, ses tanneries et ses filatures de laine cardée. Les Canada Cotton Mills de Stormont et Dundas sont en pleine opération.  Le 3 décembre 1880 naît le troisième enfant de Joseph.  À cause de l’influence anglophone en Ontario, la petite fille portera un prénom à consonance anglophone, Mary Louise.  On ne sait pas pourquoi la petite n’est baptisée que près de trois mois plus tard dans l’église Saint-Colomban de Cornwall[8].



Joseph et Césarie Chrétien ne seront pas très longtemps à Cornwall.  Joseph laisse derrière lui sa sœur Caroline qui fera sa vie en Ontario alors que le journalier tente sa chance une première fois dans l’État du Michigan aux États-Unis.  


Ils y sont déjà en 1883 lorsque naît à Saginaw leur fille Annie[9].  C’est le développement de scieries à Saginaw qui amena Joseph dans cette ville.  En raison de la forte demande de bois d’œuvre, à mesure que les États-Unis s’étendaient vers l’ouest, et la présence d’une forêt vierge composée de pins blancs, la ville prospérait; y trouver un emploi était facile.  C’est possiblement dans cette ville que meurt leur fils Joseph, car on ne le retrouve plus avec eux par la suite[10].

Nul endroit ne semble satisfaire Joseph.   Il revient au Québec, cette fois-ci pour s’établir dans à la mission des cantons de Shipton et de Tingwick, aussi nommée mission Saint-Louis de Westbury, à East Angus dans les Eastern Township.    Ce n’est pas par hasard s’il quitte le Michigan pour les Easterns Township au Québec.  Sa mère et son beau-père ont tout laissé derrière eux dans la vallée de la Matapédia pour s’établir avec leur famille nombreuse à Saint-Louis de Westbury en 1885.  C’est d’ailleurs à cet endroit que sa mère accouchera, en octobre de cette même année, de son seizième et dernier enfant[11].  

Apparemment, Joseph s’est fait cultivateur, du moins c’est ce qu’indique le célébrant à son registre lors du baptême de Marie Sophie Hervé née le 3 mars 1887[12].  L’enfant, tout comme sa sœur aînée, n’a pas été ondoyé à la naissance, ce qui était pourtant une pratique courante à l’époque, lorsque la vie de l’enfant était en danger ou que l’on ne pouvait courir à l’église pour un baptême.  Faut-il conclure que Joseph n’a pas la fibre très religieuse puisqu’encore une fois, l’enfant n’est baptisée que plus d’un mois plus tard?   Comme Joseph a toujours été journalier et que William Angus, un industriel prospère d’origine écossaise, avait fait construire un immense moulin à scie et une usine de pâtes et papiers en 1881 aux abords de la rivière Saint-François, il faut probablement prendre l’inscription « cultivateur » du célébrant avec un grain de sel, puisqu’à défaut de connaître la profession du père, ce titre venait en tête de liste pour les ecclésiastiques.  Il faut dire que le curé de Saint-Camille de Cookshire, village voisin à dix kilomètres d’East Angus, dessert la mission de Saint-Louis de Westbury et connaît peu les travailleurs de cette nouvelle papeterie[13].

Les treize prochains mois allaient être décisifs pour Joseph.  Le premier octobre 1888, Césarie accouche d’un enfant qui meurt à la naissance[14].  L’accouchement s’est-il mal passé? Deux mois plus tard, leur fille Mary Louise décède également à la mission Saint-Louis de Westbury, devenue paroisse depuis le début de l’année[15].

Dans les semaines qui suivent, le journalier Joseph repart avec sa famille, cette fois-ci pour Montréal.  Était-ce pour un emploi dans l’une des manufactures de l’endroit ou pour se rapprocher d’un hôpital en raison des suites de l’accouchement de Césarie? Quoi qu’il en soit, pour son épouse, c’est la fin du voyage.  Elle décède le 2 avril 1889 à Montréal.  Encore une fois, quand il est question de sacrement, Joseph ne se presse pas.  Césarie Chrétien n’est inhumée que six jours plus tard[16].

Joseph ne tarde pas, il quitte Montréal en 1889 et poursuit son petit bonhomme de chemin de journalier, pour devenir « day labor » aux États-Unis[17].  C’est donc à l’âge de trente-quatre ans qu’il jette son ancre dans un pays qui allait devenir sa dernière résidence.  Le veuf qui avait passé les dix dernières années à faire voyager sa famille pour gagner son pain traverse la frontière américaine avec les trois seuls enfants survivants de son long périple, Césarie (1878-1960), Annie (1883-1950) et Sophie (1887-1968). 

Après un bref passage de moins d’un an à Lewiston dans l’État du Maine[18], il s’établit finalement à Nashua dans le comté de Hillsborough, État du New Hampshire où il vivra les quarante-sept prochaines années.  Déjà ce bled est devenu la deuxième ville de l’État par sa population d’environ vingt mille habitants à l’arrivée de Joseph.  Nashua est située à la confluence du fleuve Merrimack avec son affluent la rivière Nashua à la frontière de l’État du Massachusetts à moins de soixante kilomètres du Grand Boston.

Comme la plupart des Québécois migrants en Nouvelle-Angleterre à l’époque, Joseph s’établit dans l’un des «Petits Canada» constitués par la vague d’immigration de Canadiens français venus du Québec ET DU Nouveau-Brunswick après la guerre de Sécession et qui constituent déjà le plus grand groupe ethnique de la ville.  En 1890, le nom des lieux et des places comme French Hill traduit déjà l’importance de l’apport des francophones à la communauté.  Joseph se loue une maison près de l’église Saint-Louis-de-Gonzague, paroisse de la communauté canadienne-française établie depuis 1873.  Quand il sera question de travail, Joseph fera comme il l’a fait jusqu’à présent, il ira à tout vent, mais comme ses compatriotes venus du Québec, il a été attiré par les possibilités d’emplois qu’offre la Nashua Manufacturing Company, une autre de ses grandes usines de coton de la Nouvelle-Angleterre bouffeuse de Canadiens français à la recherche d’un avenir. 

Joseph fait la rencontre de la veuve Euphémie Gagnon (1865-1947) peu de temps après son arrivée dans la petite ville américaine.  Il épouse cette dernière le 25 avril 1892[19].  Le couple aura au moins huit enfants tous nés à Nashua.

Joseph demeurera aux États-Unis pour finir sa vie avec sa famille[20] et deviendra veuf de nouveau. Il décède d’une crise d’apoplexie le 5 septembre 1937 à Nashua, la ville qu’il avait finalement adoptée.  Il est inhumé dans le cimetière Saint Louis de Gonzague 8 septembre[21].

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[1] BAnQ., Registre de la paroisse Sainte-Flavie, 21 octobre 1855.

[2] B.A.C., G., Recensement de 1861, comté de Rimouski, paroisse de Sainte-Flavie, page 28.

[3] BAnQ., Registre de la paroisse Sainte-Flavie, 12 novembre 1860.

[4] Ibid., 20 avril 1863.

[5] BAnQ., Registre de la paroisse Sainte-Angèle de Mérici, 15 mai 1877.

[6] Ibid. 26 février 1878.

[7] Ibid., 21 août 1879. 

[8] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Colomban de Cornwall, 27 février 1881.

[9] State of New Hampshire, Record of Marriages, 13 février 1906.  Prénommée Annie au mariage, elle sera prénommée Anna le plus souvent.

[10] On ne retrouve pas l’acte de sépulture de Joseph au Québec, non plus qu’en Ontario.

[11] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Camille de Cookshire, 23 octobre 1885.

[12] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Camille de Cookshire, 10 avril 1887.

[13] MAGNAN, Hormisdas. Dictionnaire historique et géographique des paroisses, missions et municipalités de la Province de Québec. Arthabaska, Imprimerie d’’Arthabaska inc., 1925, page 535.

[14] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France d’East Angus, 1 octobre 1888.

[15] Ibid., 14 décembre 1888.

[16] BAnQ., Registre de la Basilique Notre-Dame de Montréal, 8 avril 1889.

[17] 1900, Recensement fédéral américain, État du New Hampshire, comté de Hillsborough, ville de Nashua, page 25.  Lors du recensement de 1900, il déclare être arrivé aux États-Unis en 1890.  Par contre, lors du prochain recensement, il mentionnera 1887 comme année de son arrivée ce que l’on sait impossible.  Lors du recensement de 1920, il mentionne 1889 comme année d’arrivée.

[18] State of New Hamphire, Record of Deaths, 30 septembre 1937.

[19] Saint-Louis-de-Gonzague Parish Record, Nashua, New Hampshire, 25 avril 1892.

[20] 1900, 1910, 1920, 1930, Recensements fédéraux américains, État du New Hampshire, comté de Hillsborough, ville de Nashua.

[21] State of New Hamphire, Record of Deaths, 30 septembre 1937.