Joseph Harvey

 (1846-1899)

Joseph Harvey, de la sixième génération, quittera Sacré-Cœur au Saguenay avec sa famille vers 1893 pour aller vivre à Brunswick au Maine comme quatre autres familles de Harvey l’avaient fait avant lui.  Né le 12 avril 1846 à Saint-Étienne de Murray Bay, il est le cadet d’une famille de six enfants.  Il est fils de Jean Hervey (1808-1880) à Louis Hervé (1762-1842) chez Pierre Hervé (1733-1799).

Il est fils de l’un des huit membres de la Société des Pinières, un groupe qui augmentera par la suite jusqu’à vingt et un, d’où le nom populaire de Société des vingt et un.  Son père s’était implanté sur la Rive-Nord du Saguenay, face aux Petites-Îles, le long de la rivière Sainte-Marguerite[1]Joseph fera de même en s’établissant à l’Anse-aux-Petites-Îles.

Joseph épouse Marie Boudreau en février 1873[2].  Le couple aura neuf enfants, tous nés au Saguenay.  Si Joseph est un peu cultivateur, il est avant tout un «employé de la Maison Price» au lieu-dit des Petites Îles, du moins jusqu’en 1874[3].

Dans les années 1870, Joseph et son frère Louis (1836-1920) établirent des scieries aux Petites Îles situées, à une demi-lieue plus haute que la mission de la rivière Sainte-Marguerite, laquelle est à six lieues de Tadoussac en remontant le Saguenay, sur sa rive droite[4].  Le beau-père de Joseph, Simon Boudreau est meunier et propriétaire de scieries.  À l’époque ils sont peu nombreux à vivent sur le territoire de la Mission Sainte-Marguerite, environ cent vingt personnes et de ce nombre on compte les quelques familles et hommes de chantier qui résident dans le voisinage des moulins à scie de Joseph et son frère.  Comme les gens des moulins ont beaucoup de difficulté à se rendre à la chapelle Sainte-Marguerite, le missionnaire utilise la maison de Louis pour les célébrations destinées à leurs employés de chantiers et de moulins[5].  Déjà en 1875, Joseph est «commerçant de bois des Petites Isles»[6].

Si ses moulins sont aux Petites Isles, la terre de Joseph est dans l’Anse des Islets Rouges, du moins c’est ce que les registres mentionnent à compter de 1876.  De fait, lui et son frère, de même qu’une famille Gagné, probablement celle de Fidelin Gagné, sont les seules aux Islets Rouges[7].

En 1880, au décès de son père, Joseph hérite du tiers de cinq terrains du canton de Chicoutimi[8].  Jusque-là, rien ne laisse présager le besoin pour Joseph de s’expatrier.  Par contre, la production de la scierie de laquelle il dépend commence à décliner à compter de 1891, comme partout ailleurs où la production a commencé dans les mêmes années.  L’approvisionnement en bois est difficile, car on a abattu les plus beaux spécimens de la forêt aux alentours de la scierie depuis longtemps et on doit maintenant aller bûcher de plus en plus loin et le transport réduit la rentabilité de la scierie.  De plus, les Américains imposent des taxes à l’exportation sur le bois vers les États-Unis ce qui affecte la compagnie Price.  Le sort de la scierie qu’opère Joseph en est probablement jeté[9]

Bien qu’il n’ait pas le profil habituel de ceux qui quittent le pays pour partir vivre aux environs des industries textiles de la Nouvelle-Angleterre en 1893, il entraîne sa famille dans cette aventure.  C’est à Brunswick, dans l’état du Maine, que la famille débarque[10].  Le couple est accompagné des enfants suivants : Alice (1877-1916), Laure (1879-1904), Adélard (1880-1908), Exilda (1883-1941), Simon (1885-1910), Dianna (1887-1907) et Cécile (1890-1903).  L’aînée Antonia (1874-1904), qui s’est mariée en 1891 au futur marchand et maire de Saint-Ambroise Thomas Tremblay, est aussi du voyage[11]Seul Joseph Ladislas (1875-1924) ne se joint pas au grand voyage, il ira rejoindre ses parents à Brunswick l’année suivante[[12]

Joseph, qui a maintenant quarante-sept ans, établit sa famille au numéro 14 de la nouvelle rue Oak.  Cette rue est habitée surtout par des Canadiens français expatriés comme eux.  S’il a choisi une ville de moulin pour permettre à ses enfants de se trouver un emploi, il est assez fortuné pour se permettre d’acheter une copropriété plutôt que de loger sa famille dans l’une des maisons de la Cabot textile où tous travaillent, car elles sont surpeuplées et les éclosions de diphtéries y sont chose courante.  Les expatriés Canadiens français construisaient alors des maisons en coopération dans cette nouvelle partie de la ville[13].  Ainsi, on comptait quatre familles dans l’immeuble où vivait Joseph.  L’une d’entre elles est celle de Joseph Hervey (1838-c.1894) et de Delphine Pedneault arrivée à Brunswick en 1888.  Les deux Joseph sont de bien lointains cousins par leurs arrière-grands-pères, les frères Pierre (1733-1799) et Dominique (1736-1812).  Leur provenance commune du Saguenay les unit probablement beaucoup plus que leurs liens filiaux[14]

La maison où la famille habite est voisine du couvent et de la première école Saint-Jean-Baptiste, l’école paroissiale francophone du temps.  Cette dernière, aménagée dans un hangar, vient tout juste d’ouvrir et les plus jeunes enfants de Joseph la fréquenteront un peu avant de faire le saut au moulin.

Au printemps 1893, l’aînée Antonia donne un petit-fils à Joseph et Marie.  Malheureusement, le petit ne survivra que cinq mois[15]Joseph voit repartir sa fille et son gendre pour le Saguenay peu de temps après le décès.  Le couple est déjà de retour à Chicoutimi en mars 1895 alors qu’Antonia accouche à nouveau d’un garçon[16] 

Cinq ans plus tard, au printemps 1898, Joseph voit partir son fils aîné.  Joseph fils épouse en l’église Saint-Jean-Baptiste de Brunswick une fille qui, comme lui, travaille à la Cabot Textile.  Louise Laffely, native de Pittsburgh en Pennsylvanie, est la fille d’un couple d’immigrants français[17]

Joseph qui travaillait comme peintre en bâtiment depuis son arrivée ne profite guère longtemps de sa terre d’accueil[18].  Il décède à Brunswick le 27 novembre 1899 des suites d’une pneumonie[19].

Peu après la mort de son père, Adélard part de Brunswick en compagnie de son jeune frère Simon et retourne au Saguenay.  Il s’établit à Saint-Ambroise et y devient cultivateur[20]

En 1900, les fils de feu Joseph et de Marie Boudreau ont tous quitté le logement de la rue Oak à Brunswick où vit la veuve avec ses cinq filles, Alice, Laure, Exilda, Diana et Cécile.  Les trois plus vieilles travaillent toutes à la          «Cabot Mill cotton and textile», l’avant-dernière, à treize ans, travaille comme bonne et la cadette est toujours à l’école[21]

En 1901, c’est au tour de Joseph fils et de sa famille de prendre le chemin du retour vers le Saguenay.  Tout comme son frère Adélard, il part rejoindre sa sœur aînée Antonia mariée au maire de Saint-Ambroise[22].

Marie Boudreau, maintenant veuve, a bien l’intention de demeurer dans le giron de la «Cabot Mill cotton and textile» et de continuer d’assurer ainsi à ses filles leurs emplois, mais les mauvaises conditions sanitaires dans le quartier des expatriés Canadiens français, de même que les conditions de travail à l’usine de textile auront raison de sa volonté.  La rue Oak n’est pas pavée et son drainage de surface est aussi horrible que celui des autres rues de l’endroit.  Il n’y a pas de conduites d’égout et les puits des résidents sont facilement contaminés.  Non loin de là, une partie de la ville est un marécage aux exhalaisons fétides.  Les conditions sanitaires, dans la partie habitée par les Canadiens français, sont propices aux maladies.  Tout comme pour deux des enfants d’Alexandre Hervai (1835-1900), le 19 décembre 1903, sa cadette Cécile décède de tuberculose.  Onze mois plus tard, c’est au tour de Laure de prendre le chemin du cimetière emporté par la même maladie le 1er novembre 1904[23]

Il n’en fallait pas plus.  Quelques mois plus tard, la veuve quitte les États avec ses filles Alice, Exilda et Diana.  Elle revient au Saguenay et se serait installée à Saint-Ambroise.

On la retrouve demeurant à Chicoutimi avec ses filles Alice et Exilda en 1911.  Elle décède le 5 juillet 1923 à l’Hôtel-Dieu Saint-Vallier de Chicoutimi[24].

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[1]A.N.Q., GN. Minutier Charles Herménégilde Gauvreau, no 131, octobre 1837.

[2]BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Jean-Baptiste de de l’Anse Saint-Jean, 24 février 1873.

[3] Ibid., 1 février 1874.

[4] 2,4 et 29 kilomètres.

[5]COLLECTIF.  «La Mission de Ste. Marguerite», Annales de la propagation de la foi pour la province de Québec. Premier numéro (Montréal 1877), pages 127-128.

[6] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Jean-Baptiste de l’Anse Saint-Jean, 1er juillet 1875.

[7] BAnq., Correspondance de 1876 de Mgr Dominique Racine.

[8] A.N.Q., GN. Minutier Thomas Zozyme Cloutier, no 157, 2562 et 2897.

[9] Je n’ai pu retrouver d’acte notarié pouvant expliquer la fermeture de la scierie opéré par Joseph.  D’autres scieries de l’époque, comme celle de l’Anse Saint-Étienne à Saint-Étienne du Saguenay, ont subi le même sort.  Conséquemment, la fermeture de ses opérations m’apparaît comme le motif le plus probable de son départ pour les États-Unis.

[10] 1900, Recensement fédéral américain, État du Maine, comté de Cumberland, ville de Brunswick, page 13.  Déclaration d’année d’arrivée aux États-Unis par Marie Boudreau pour elle et ses filles.

[11]BAnQ., Registre de la paroisse Sacré-Coeur-de-Jésus, 21 septembre 1891.

[12]1900, Recensement fédéral américain, État du Maine, comté de Cumberland, ville de Brunswick, page 31.  Déclaration d’année d’arrivée aux États-Unis par Joseph Ladislas.

[13]VERMETTE, David.  A Distinct Alien Race. The Untold Story of Franco-Americans. Industrialization, Immigration, Religious Strife. Montréal, Baraka Books, 2018, 388 pages.  Certaines des photographies de cette page ont été tirées du blogue French North America de David Vermette à l’adresse  http://frenchnorthamerica.blogspot.com/2019/05/ .

[14] Cumberland county real estate record.  Les informations relatives à la localisation du domicile des deux Joseph Harvey et à l’histoire de la rue Oak de Brunswick proviennent des registres immobiliers du comté de Cumberland disponible en ligne.

[15] State of Maine, Record of a Birth, 12 mars 1893 et State of Maine, Record of a Death, 10 août 1893.  On doit la découverte de la présence d’Antonia et de son époux à Brunswick à M. Gervais Tremblay un descendant de cette dernière.  La grand-mère de M. Tremblay affirmait qu’Antonia était partie vivre aux États-Unis et que la mortalité avait été un facteur déterminant dans son retour au Saguenay.

[16] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-François-Xavier de Chicoutimi, 12 mars 1895.

[17]State of Maine, Record of Marriages, 30 mai 1898.

[18] State of Maine, Record of Deaths, 19 décembre 1903 et 1er novembre 1904. Métier du père mentionné lors du décès de deux de ses filles.

[19] State of Maine, Record of Deaths, 27novembre 1899.

[20]BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Charles-Borromée, 26 août 1901.

[21] 1900, Recensement fédéral américain, État du Maine, comté de Cumberland, ville de Brunswick, page 13. 

[22]BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Charles-Borromée, 9 mars 1902.

[23] State of Maine, Record of Deaths, 19 décembre 1903 et 1er novembre 1904.

[24]BAnQ., Registre de la paroisse Saint-François-Xavier de Chicoutimi, 7 juilllet 1923.