12. Sébastien, censitaire à l’Isle

Sébastien, le censitaire de L’Isle-aux-Coudres (1738-1740) 

En 1738 l’Intendant Hocquart signe, avec Monseigneur François Elzéar Vallier (1707-1747) un Aveux et Dénombrement[1] que le supérieur du Séminaire « a dit Contenir Vérité ».  Se fiant à la parole de Monseigneur on peut décrire avec précision l’état de développement des terres de l’île à la fin des années trente.  Ce précieux document confirme l’existence d’une église que nous révélaient déjà, comme on l’a vu, les archives religieuses en précisant qu’elle est « construite “en bois de Colombage”... et qu’elle mesure “... vingt neuf pieds de long sur vingt deux de large”... »

L’Aveux et Dénombrement de 1738 fait état de tous les censitaires présents à l’Isle, dix-sept selon le document. 

« Le colon habitant une seigneurie comme Sébastien, se nomme le censitaire. Pour n’importe quel colon, la terre est gratuite, à la seule condition qu’il respecte son engagement. L’entente le liant au seigneur, Monseigneur Vallier, l’oblige à lui payer un impôt annuel, (le cens, d’où le nom censitaire), à payer une redevance annuelle (en argent ou en produits agricoles), à accorder des journées de travail et à verser une partie de ses récoltes. Le censitaire doit aussi promettre de défricher et de cultiver sa terre et utiliser le moulin seigneurial pour moudre son blé en échange d’une partie de sa mouture. » [2] 

À l’Isle, le cens est fixe au taux d’un sol par arpent de front et payable en argent[3].  Le cens n’est rien pour Sébastien, c’est plutôt la rente seigneuriale aussi appelée redevance annuelle, qui est coûteuse à assumer.  Elle est stipulée à l’Isle, partie en argent, partie en nature et comme les autres censitaires participants aux pêches aux marsouins, Sébastien la payera probablement avec les profits en découlant sous forme d’huile de marsouin.  Bien qu’elle varie au cours du XVIIIe siècle, en 1728, elle est fixée à vingt sols[4] par arpent de front, plus deux chapons[5]

On connaît avec assez de précision les coordonnés de la terre de Sébastien :

Pour tracer ce plan, j’ai interprété au pied de la lettre le texte de l’Aveux et Dénombrement de 1738.  En ce qui concerne les terres de La Baleine les expressions « ... au bout des profondeurs desd terres y devant déclarées (celles de la côte du Cap à Labranche)... » et « ... à commencer au Nord’Est et remontant au sud oüest... » entrent en conflit avec le plan de l’arpenteur royal Ignace Plamondon, père (1710-1795),[6] mais comme, au début du dix-neuvième siècle, on a écrit sur plusieurs copies de ce plan qu’elles n’étaient pas conformes aux titres de concession j’ai préféré s’en tenir au document signé par l’Intendant et le Seigneur, ce qui semble plus logique.  On notera donc que la position des terres (elles peuvent être situées plus près du bout d’en bas) et l’ordre des habitants (qui peut être inversée) ne sont pas certains ici.  Pour découvrir la vérité, il faudrait peut-être interpoler à partir de documents subséquents, mais je (Jacques Harvey) laisse ce travail, qui déborderait trop mon sujet principal, à des chercheurs plus patients.

Le 23 janvier 1739, Rosalie Tremblay, l’épouse de Sébastien met au monde son septième, et dernier enfant, une fille à laquelle on donnera le nom de Marie Magdeleine lors de son baptême qui attendra la visite du curé de Baie-Saint-Paul le 29 juin suivant.  Le parrain de l’enfant est François Tremblay (1727-1806), un des fils du frère de Rosalie, François-Xavier.  La marraine est Marie Élisabeth Tremblay (1715-1799) l’épouse de Bonaventure Dufour.

Le curé Louis Chaumont de la Jannière (1700-1774) de Baie-Saint-Paul précise à son registre que la petite Marie Magdeleine est « dela paroisse St-Louis de l’ile aux coudres »[7].  Le curé Chaumont avance, un peu avant son temps, que l’île à une paroisse ; on peut penser que les démarches sont déjà en cours pour son établissement qui n’arrivera que dans deux ans alors que l’on assistera à la fondation de Saint-Louis-de-France en 1741. 

L’année 1739 en est une d’événements heureux. La famille s’enrichit ; en juin, l’épouse de Sébastien, qui est la sœur de François Xavier Tremblay, meunier de l’île, hérite d’une terre à la Petite-Rivière-Saint-François qu’elle vend à son frère, Louis, pour la somme de deux-cent-cinquante livres.  Cette part d’héritage lui venait de sa mère Marie Perron, décédée en 1706[8].

La vie continue et la petite communauté s’enrichit de nouveaux colons dont un certain Jean Marc Boulianne (1716-c.1796), venu de Suisse et qui jouera un rôle scabreux pendant la guerre de la conquête en 1759[9].  Ce dernier fut l’un des principaux participants à une période de fêtes qui dura au moins deux jours au milieu de l’automne.  Dans ce rude pays où la survivance de tous les jours était de première nécessité, les occasions de se réjouir étaient rares.  Même au début du dix-huitième, la période des Fêtes, comme on l’appellera plus tard, n’entraînait pas cette exubérance de joie et de fraternité auxquels les siècles suivants nous ont habitués[10].  Une seule chose réunissait les familles et mettait les cœurs en fête… les noces !  La petite église de l’île était pleine à craquer les 17 et 18 novembre pour entendre le curé Chaumont répéter : « ... faisant les fonctions curiales dans la paroisse de St-Louis de l’Isle aux coudres ai reçu dans l’Eglise du dit lieu leur mutuel Consentement... »[11]  Joseph Simon Savard donnait deux de ses filles en mariage : Marie Dorothée (1718-1766) épousait Joseph François Bouchard (1713-1755)[12] et Charlotte (1714-1770), le Suisse Jean Marc Boulianne[13].  On peut dire que, sauf des enfants et leurs gardiennes, toute la paroisse était là, car rares sont les habitants de l’île dont la présence n’est pas mentionnée par le curé ; il n’y manque que les Labranche et Louis Tremblay, le fils, dont le cheminement est d’ailleurs difficile à suivre, car il semble avoir quitté l’île.  Au printemps 1739, Sébastien avait probablement rencontré Boulianne dit Suisse pour la première fois[14] puisqu’il lui sert de témoin pour son mariage.  Ce Boulianne avait été proposé par ces messieurs du Séminaire pour aider à tendre la pêche aux marsouins, une activité qui nécessitait toujours beaucoup de bras. 

Comme toutes les concessions et la plupart des ventes de terre ont été jusqu’à présent soumises à une véritable « règle de sang », les nouveaux venus posséderont toujours un quelconque lien de parenté avec une ou plusieurs insulaires.  Pour un véritable étranger, comme Boulianne, le mariage constituera très tôt le seul moyen de parvenir à s’immiscer à l’Isle où l’immigration est le plus souvent le résultat de la recherche d’un partenaire pour un insulaire qui veut se créer un foyer[15].

Moins d’un an après les épousailles des filles de Joseph Simon Savard, le 23 août 1740, la petite église sera encore tellement pleine que monsieur de Chaumont prendra la peine d’écrire « ... presque toute la paroisse... »[16]  Il s’agissait cette fois d’un bien triste événement pour la famille Hervé, car était :

 « ... inhumée dans le cimetière de St Louis de l’isle aux coudres[17] le corps de deffunte Rose Tremblay épouse de Sébastien hervé décédée le vingt deux au matin du même mois (...) munie de tous les sacrements de l’Église, agée de quarente cinq ans ou aux environ... ».

Que la vie de ces femmes devait être rude ! Mariée à vingt-trois ans, Rosalie décédait à un peu plus d’un mois de ses quarante et un ans[18] après avoir accouché régulièrement à moins de trente mois d’intervalle en moyenne, dans une chaumière de pionnier insulaire, à peine abritée du noroît qui souffle souvent avec rage sur cette côte et perméable à la froidure hivernale.  Les épidémies de petite vérole ont été contournées, mais l’usure a fait son œuvre. Rosalie dite Rose[19] est morte et Sébastien reste seul avec, sur les bras, sept enfants dont la plus jeune ne tient pas encore sur ses pieds alors que l’aînée n’a même pas dix-sept ans.

Il est probable que toute la communauté, qui est aussi la parenté, va tout mettre en œuvre pour trouver une solution...

Au décès de l’ancêtre Rosalie Tremblay, la famille de Sébastien s’établissait comme suit : 

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[1] BAnQ., Aveux et Dénombrement, Vol 2, folio 605-610, (Fief de l’Isle aux Coudres).

[2] FRÉGAULT, Guy, La société canadienne sous le Régime Français. 1re édition, Ottawa, La Société historique du Canada, « Brochure historique »,  No.3, 1954, 17 pages. 

[3] CUGNET, François-Joseph. Traité de la Loi des Fiefs. Québec, Chez Guillaume Brown, 1775, pages 44-45.  

[4] On se rappellera qu’à l'époque, la livre, le sol et le denier constituaient les unités de compte en Nouvelle-France. Une livre comptait 20 sols, et un sol, 12 deniers.  

[5] A.S.Q. Seigneurie 184. 

[6] A.S.Q. Seigneurie 46, No 11 b. 

[7] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Pierre et Saint-Paul de Baie-Saint-Paul, 29 juin 1739.

[8] A.N.Q., GN. Minutier Michel Lavoye, 6 juin 1739. 

[9] Devenu capitaine de milice, il passera à l’ennemi et le Marquis de Vaudreuil, gouverneur de la Nouvelle-France, lancera le message de le pendre sans hésitation ni cérémonie.  L’anglais sortira vainqueur et les menaces de Vaudreuil ne seront jamais mises à exécution.

[10] SAVARD, Paul. Joseph-Simon Savard, premier censitaire de l'Isle-aux-Coudres. Sainte-Foy, Éditeur Paul Savard, 1998, page 110.

[11] BAnQ., Registre de Petite-Rivière-Saint-François, 17 novembre 1739.

[12]  Ibid. 

[13] BAnQ., Registre de Petite-Rivière-Saint-François, 18 novembre 1739. 

[14] BLANCHET, Renée. Les filles de la Grande-Anse : histoire de la conquête. « Boulianne dit suisse ». Montréal, Les Éditions Varia, 2002, 328 pages. 

[15] À titre d’exemple, cinq filles d’Étienne Debien, quatre de Joseph Simon Savard, quatre de François Xavier Tremblay et trois d’Étienne Tremblay ont épousé des étrangers qui se sont installés à l’Isle après le mariage.  Il en sera ainsi également pour dix veuves avant la fin du XVIIIe siècle. 

[16] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Pierre et Saint-Paul de Baie-Saint-Paul, 23 août 1740.

[17]  Aujourd’hui, dans ce cimetière, à tous les quelques pas on peut voir une épitaphe sur laquelle le nom Harvey témoigne de la nombreuse descendance de Rosalie et Sébastien.

[18]  Née en 1699 (il était fréquent qu’on se trompe au sujet de l’âge des personnes, car les références chronologiques n’étaient disponibles que dans les mémoires). 

[19] Née et mariée Rosalie, son prénom sera inscrit dans les registres paroissiaux une seule fois sous la forme Marie Rose en 1730 et par la suite Rose (1733, 1736, 1739 et 1739) jusqu’à son décès en 1740.   Lors de son mariage, le curé avait d’abord inscrit Marie pour le biffer par la suite et inscrire Rosalie.