Chapitre 08

Pierre Hervé (1733-1799)
3e génération

3.3.5 Pierre Hervé, le cultivateur


En 1733 bien qu’il ne le sache pas encore, après onze ans de mariage Sébastien Hervé (1695-1759) et Rosalie Tremblay (1699-1740) n’ont toujours pas assuré l’avenir du patronyme.  Comme on l’a vu auparavant, Zacharie, leur fils aîné n’aura pas de descendants mâles et les enfants ne peuvent pas encore porter le nom de leur mère comme c’est le cas aujourd’hui.  En juin de cette année-là, la suite des Harvey allait prendre forme chez les Hervé.

Au lendemain du solstice d’été, le 2 juin 1733, naissait un garçon, que l’on baptisera le mois suivant du prénom de Pierre.  Il sera l’ancêtre de la moitié des Harvey du Québec.  

«l’an mil sept cent trente trois le seize juillet je soussigné prêtre missionnaire de la baye st paul ay baptisé sous condition à l’isle aux coudres Pierre hervé né le vingt deux juin à midi de la présente année fils de sébastien hervé et de Rose Tremblay sa légitime épouse le parain a été pierre gagnon (1710-1757) fils de Joseph (1685-1761) la maraine louise Boneau (1718-1755) fille de dominique. Ant. Abrat prêtre.[1]»

Faute de chapelle à l’île, les baptêes et mariages ont tous lieux chez une famille demeurant au bout d’en haut de l’île, probablement chez Joseph Simon Savard et sa femme Catherine Dallaire au Cap à Labranche.  C’est chez cette famille que Sébastien et les siens se rendent, quand un prêtre missionnaire est à l’île, car tous les offices religieux y sont célébrés avant la construction de la première chapelle[2].

Âgé de seulement sept ans, Pierre perdra sa mère et c’est surtout l’aînée Marie Anne qui lui servira de figure de maternelle, car comme on l’a vu, Agnès Bouchard (1709-1743), la seconde épouse de son père, ne fera que passer comme un coup de vent.  Arrivée dans la maisonnée l’année suivant le décès de la mère de Pierre, elle décédera deux ans plus tard, de même que les deux demi-frères qu’elle avait enfantés.  Agnès était la fille de François Bouchard (1674-1756), capitaine de milice à la Petite-Rivière et la petite-fille du premier habitant sédentaire de la région, le migrant Claude Bouchard (1626-1699).

En juillet 1749, comme le veulent les règles successorales de la Coutume de Paris en vigueur à l’époque, le patriarche Sébastien partage entre ses enfants la moitié de la communauté qu’il formait avec son épouse Rosalie, donc la moitié de sa petite terre qui ne fait que deux arpents et trois quarts de front.  Pierre, comme ses frères et sœurs, hérite alors d’un septième de cette moitié de terre.  Son père se donne alors à son frère aîné moyennant gîte et couvert et lui remet par le fait même sa moitié de terre.  Pierre sait dès lors qu’il devra travailler ferme pour se bâtir un futur à l’Isle ou il devra émigrer. 

Zacharie rachètera plus tard chacune des portions attribuées à ses frères et sœurs.  Cette mesure cadre tout à fait avec les règles successorales de la Coutume de Paris en vigueur à l’époque[3].  Dans la loi comme dans les mentalités du temps, l’égalité entre les enfants est primordiale.  Il est même défendu aux parents de tenter d’avantager un enfant plus qu’un autre.  C’est pourquoi le notaire procède au tirage de la moitié de la terre revenant à feu Rosalie dans la communauté de biens.  Comme nous le verrons, l’aîné Zacharie ne rachètera la part de Pierre qu’en 1758.

Dans la maison qui fut celle de Sébastien, ne restent plus que Zacharie, sa fille, son épouse, Pierre qui a vingt-deux ans et sa jeune sœur Marie Magdeleine qui en a seize.  L’adolescence de Pierre se passa donc à besogner sur la terre de son père devenu celle de Zacharie son frère aîné.

En 1749, année du partage des biens, la «pêche à marsoin» à l’île «est affermée à des associés»comme l’année précédente; le bail de cette pêche est renouvelé encore une fois «  … à Dominique Bonneau et ses associés, Sébastien Hervé, Étienne Debiens, François Tremblay, Joseph Tremblay et Étienne Tremblay…»[4]La «pêche à marsoin» est une affaire de famille entre frères et beaux-frères qui protègent jalousement leur bail.  Bien que Sébastien soit, à cinquante-quatre ans, détenteur du bail, ce sont certainement Pierre, qui a quinze ans, et ses frères qui ont les pieds dans l’eau à poser les harts.  Le bail d’affermage[5] précise que les associés peuvent tendre et cultiver la «pêche à marsoin... près leurs habitations... à leurs frais généralement quelconques avec charges par les susdits de donner au Séminaire de Québec le tiers de l’huile que la dite pêche produira.[6]»  L’huile doit être livrée à ces messieurs du Séminaire, mais ces derniers s’engagent à payer les coûts du fret et des barriques «… pour son dit tiers seulement.[7]»

Le libellé du bail suggère que les censitaires vendent une partie de l’huile à des acheteurs à Québec.  Ces messieurs du Séminaire se sont toujours pris le tiers du produit net des huiles provenant de la «pêche à marsoin» [8];  ils n’y fournissaient aucune paire de bras, mais en récoltaient le labeur des censitaires. 

En 1755, sans qu’il le sache encore, un événement important survint dans la vie de Pierre.  L’épidémie, qu’on a appelé la grande picote fut dramatique à l’Isle-aux-Coudres.  C’est là que l’un des pionniers de l’Isle, Joseph Simon Savard, rencontra le dernier écueil.  Plus important encore pour Pierre, son oncle Guillaume Tremblay (1707-1755), le demi-frère de sa mère, fit aussi partie des victimes.  Ce dernier laisse derrière lui onze orphelins pour lesquels sa femme Marie Jeanne Glinel (1706-1788)[9], maintenant âgée de quarante-neuf ans, cherchera une solution.  Elle en trouvera une de taille, probablement avec la complicité de cette communauté d’insulaires au grand complet et l’apport de dotes pour ses filles.  Comme Marie Jeanne Glinel a toujours plusieurs rejetons à nourrir et deux terres à faire valoir pour leur permettre de se nourrir, elle dota sûrement ses filles pour favoriser leur mariage et les installer à la Coste de la Baleine.

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[1] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Pierre et Saint-Paul, 16 juillet 1733.

[2] CASGRAIN, Henri Raymond. Légendes canadiennes et variétés. Une excursion à l’île aux Coudres. Montréal, Éditions Beauchemin & Valois, Tome I, 1884, page 11.  Casgrain dans sa description parle de la famille Dallaire, une erreur de l’auteur, la seule personne à l’Isle portant le patronyme Dallaire est Catherine, l’épouse de Joseph Simon Savard, le premier colon à l’Isle.  Avant la construction de la première chapelle vers 1736 aucune famille Dallaire ne s’était encore installée à l’Isle-aux-Coudres.

[3] DESJARDINS, Louise. Op.cit., page 244.

[4] DESJARDINS, Louise. Op.cit., pages 141.

[5] L’affermage est un type de contrat de délégation d’exploitation en échange d’un loyer payable le souvent en nature, dans ce cas-ci, en huile de marsouins.

[6] A.S.Q., Manuscrit 435, p. 155, 2 juillet 1749.

[7] Ibid.

[8] Marsoin ou marsouin : Bien que les deux orthographes se soient côtoyé au XIXe siècle jusque dans la première moitié du siècle, les prêtres du séminaire, curés et notaires nommaient cette pêche «pèche à marsoin».  Ce n’est que bien plus tard que l’on commencera à utiliser le mot marsouin et à parler de pêches aux marsouins.

[9] Marie Jeanne Glinel est la fille de Pierre Glinel (1679-1751) qui est de passage à Petite-Rivière (ou à l’île?) pour quelques années.  Pierre est le fils de Jacques (1641-1708) et de Marie Pivin (1661-1740).  Il n’est pas certain si Jacques Glinel et sa descendance n’étaient pas des dits Dinel.  Lors de sa sépulture, Marie Jeanne est inscrite comme Marie Anne Dynelle, prénom qu’elle semble avoir utilisé à l’occasion au cours de sa vie.