Jean Harvay

 (1846-1922)

Jean Harvay de la sixième génération, quittera Sainte-Agnès au début de l’année 1900 à l’âge de cinquante-trois ans pour aller travailler dans la ville manufacturière de Lawrence, du comté d’Essex au Massachusetts.  Né à Sainte-Agnès le 17 août 1846, il partira avec les siens et quelques familles de Sainte-Agnès, dont celles d’un voisin Elzéar Tremblay (1853-1924).  Jean est le cinquième fils de Barthelemi Hervey (1807-1902) à Pierre Hervé (1759-1857) chez Pierre Hervé (1733-1799).

Après avoir fait comme ses frères et travaillé à la ferme familiale dans sa jeunesse, sa majorité atteinte Jean quitte Sainte-Agnès pour Hébertville au lac Saint-Jean.  En 1871 il vit chez Louise Gaudreau (1843-1927), sa petite cousine.  Il aide probablement son mari à terminer la maison qui est encore en construction[1].  Louise est la fille d’Honorine Harvey (1812-1884) chez le grand-oncle Jean Hervé (1775-1813) laquelle est mariée à Léon Gaudreault (1815-1861), le second courrier à avoir assuré hebdomadairement la route postale entre Murray Bay et Chicoutimi entre 1852 à 1854[2]

Jean ne fera que passer à Hébertville puisque c’est à Murray Bay qu’il épouse Emélie Desbiens (1856-1887) le 6 août 1877 et il est alors qualifié de « cultivateur, domicilié à Ste Agnès ».  Si cela est indicatif de la relation qu’entretenait Jean avec son père, notons que Barthelemi Hervey n’assiste pas au mariage qui a pourtant lieu en plein été[3].  

Pendant les dix ans que durera leur union, le couple aura trois enfants, Ulysse (1878), Marie (1882) et Eugénie (1885), avant que ne décède Emélie le 20 avril 1887[4].  Peu après le décès d’Emélie, Jean confie ses enfants à ses beaux-parents. 

Outre Emélie, ses parents, Timothée Desbiens (1826-1892) et Marie Phébée Desmeules (1830-1905), n’avaient eu qu’un autre enfant, le célibataire Joseph (1850-1906).  

Quatre ans plus tard, Jean s’unit à Marie Dufour le 20 janvier 1891 à Saint-Étienne de Murray Bay.  Encore une fois, son père, pourtant toujours vivant n’assiste pas à la cérémonie.  Plus étrange encore le célébrant inscrit au registre avoir « donné la bénédiction nuptiale en présence de Elie Desbiens père de l’époux »Il est difficile de savoir qui est cet Elie Desbiens; un parent de sa première épouse sans doute, car Joseph Desbiens (1850-1906), le frère de feu Emélie, signe le registre.  Il pourrait s’agir de son beau-père et le nouveau curé se serait mépris sur le prénom de ce dernier? Jean et Marie Dufour n’auront pas d’enfant.   

En avril 1891, Marie et Eugénie sont de nouveau réunies sous le toit de Jean et Marie Dufour.  Seul Ulysse est toujours chez les Desbiens.  Jean cultive toujours sa terre de Sainte-Agnès[5].

Le 31 mai 1895, Ulysse, âgé de seize ans, décède alors qu’il vivait toujours avec la veuve Timothée Desbiens[6].

Jean et Marie Dufour quittent Sainte-Agnès avec Marie pour Lawrence au Massachusetts au printemps 1900.  Avec seulement deux enfants, il est difficile de voir une raison économique dans cette décision de s’expatrier.  Comme Jean et Marie partent avec d’autres familles du voisinage de Sainte-Agnès, il pourrait bien s’agir du résultat d’une de ces campagnes de recrutement auxquelles se livrent les usines à coton de la Nouvelle-Angleterre, en laissant miroiter une grande modernité.   Lawrence avait été formé en 1843 à partir de terres achetées par des hommes d’affaires prospères de Lowell pour établir une nouvelle industrie de fabrication de textiles sur les rives du fleuve Merrimack.  Des périodes de boom avaient suivi des périodes de difficultés financières pour les énormes moulins qui s’étaient multipliés et avaient attiré tant de travailleurs Canadiens français. Dans les années 1890, une solution à la stabilité semblait être la consolidation et, en 1899, huit entreprises textiles fusionnèrent pour former «The American Woolen Company».  C’est cette dernière qui en 1899 avait lancé une vaste campagne de recrutement.

En quittant Charlevoix, Jean avait laissé derrière lui sa fille Eugénie aux bons soins de sa grand-mère la veuve Dame Thimothé Desbiens[7].  Il faut dire que cette veuve de soixante-dix ans devait apprécier la compagnie de sa petite-fille de quinze ans qu’elle avait dorlotée quelques années après la mort de sa fille.

À leur arrivée, Jean loue un appartement situé au 16 de la rue Bennett à trois cents mètres du fleuve Merrimack dont les rives dans cette ville sont occupées par l’American Woolen Company.  Dans l’immeuble qu’il habite, Il côtoie des Tremblay, Bergeron, Fortin, Saint-Pierre, Bouchard et Gendron originaires Saint-Irénée, Sainte-Agnès et La Malbaie.  Le couple vivra à deux pas de l’église Sainte-Anne dans le quartier francophone de la ville qui compte déjà plus de soixante mille habitants, dont plus de sept mille Canadiens français.  

Lawrence ne fait pas défaut à la réputation des villes entièrement vouées à l’industrie textile en Nouvelle-Angleterre, un tiers des ouvriers des filatures meurent avant l’âge de vingt-cinq ans et la mortalité infantile frôle le vingt pour cent.

La décision de s’expatrier avec sa famille ne devait pas avoir été songée longtemps d’avance, car en juin il n’était pas encore au travail alors que d’habitude les Canadiens français arrivaient le plus souvent avec un emploi en poche.  Il sera embauché par l’American Woolen Company dans les semaines suivantes[8]

Jean, toujours à Lawrence, n’assiste pas aux funérailles de son père le 25 mai 1902[9], mais peu de temps après, au cours de l’été 1902, lui, Marie Dufour et Marie mettent fin au rêve américain et reviennent humer l’air de la ferme de Sainte-Agnès dont il ne s’était pas départi.  À leur retour, Eugénie revient vivre à la maison.

Jean et Marie Dufour verront partir les enfants très rapidement.  Eugénie épouse Augustin Turcotte en janvier 1903 et un mois plus tard Marie épouse Joseph Pilote[10].  Tôt au printemps 1906, la maladie s’introduit dans la maison d’Eugénie.  Après avoir perdu sa fille à l’approche du printemps, Eugénie décède moins de dix jours plus tard[11]Jean n’a maintenant plus qu’une fille.  C’est à cette époque qu’il vend sa propriété de Sainte-Agnès pour s’acheter un lopin de terre à Saint-Irénée, voisin de sa fille Marie dans le cinquième rang du Canton de Sales.  

Jean est bien seul pour cultiver sa terre, mais c’est pourtant ce qu’il fera encore un certain temps.  En 1909 décède Aimé Lapointe (1865-1909), un cultivateur de Baie-Saint-Paul[12].  Sa veuve, Antonia Simard, se retrouve avec sept enfants orphelins de moins de douze ans dont le plus jeune n’est même pas encore né.  Jean et Marie Dufour qui n’ont jamais eu d’enfant adoptent donc Victor Charles Eugène Thomas Lapointe qui a neuf ans[13]

On présume que c’est à soixante-quatre ans que Jean et Marie Dufour décident de casser maison pour aller habiter chez MarieJean vend sa terre et sa maison à Henri Bergeron, un fils de Joseph Bergeron[14], lequel était un voisin de palier du temps où il habitait Lawrence au Massachusetts[15].

Vers 1914, quand sa fille, sa voisine, Marie et son époux Joseph Pilote (1883-1949) décident de partir avec leur famille pour le Saguenay, Jean et Marie les suivent.  Bien que sa mère se fût entre temps remariée à Joseph Potvin, Eugène, le garçon adopté par Jean, quitte Charlevoix avec la famille pour le Saguenay.  Il sera d’ailleurs parrain du premier enfant que Marie et le journalier Joseph Pilote auront à Jonquière en 1915[16].  Par contre, lors de son mariage en 1921, il déclarera être le fils adoptif de Joseph Potvin[17], le deuxième époux de sa mère. 

Jean est donc venu rejoindre son frère aîné Onézime Hervai (1835-1916) qui habite l’endroit depuis plus de vingt-cinq ans.

Les liens entre les membres de la communauté de francophones de Lawrence et les gens de Charlevoix perdureront un certain temps.  Ainsi, ceux qui ne reviendront plus liquideront les terres qu’ils avaient laissées derrière eux.  Par exemple, le frère de Joseph Pilote, gendre de Jean, achète en 1915 une terre de Sainte-Agnès, celle de Joseph Gaudreault naturalisé américain et maintenant hôtelier à Lawrence.  C’est le frère de ce dernier, resté à Sainte-Agnès, qui procède à la vente par procuration[18].

Jean et Marie Dufour vivront donc aux dépens de Marie et la suivront lors des déménagements qu’entraîne le métier de journalier de son époux.  Jean s’éteint le 16 mars 1922 à Saint-Nazaire où il habitait au moment de son décès à l’âge de soixante-seize ans.  Outre sa fille unique et son gendre, trois de ses neveux, tous fils d’Onézime, assistent à ses funérailles[19].

Bien que la famille avait continué à négocier avec des gens reliés à Lawrence au Massachusetts, Jean n’aura pas revu cette ville de textile qui n’aura été pour lui qu’une façon d’accumuler un peu d’argent pendant quelques années pour faire l’acquisition d’une meilleure terre. 

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[1] B.A.C., G., Recensement de 1871, comté de Chicoutimi, Hébertville microfilm 4395491_00322.

[2] PELLETIER, Louis, La seigneurie de Mount Murray : Autour de La Malbaie 1761-1860. Sillery, Septentrion, 2008, pages 256-257.

[3] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 6 août 1877.

[4] Ibid., 22 avril 1887.

[5] B.A.C., G., Recensement de 1871, district de Charlevoix, Sainte-Agnès microfilm 30953_148192-00481.

[6] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 3 juin 1895.

[7] B.A.C., G., Recensement de 1901, district de Charlevoix, La Malbaie microfilm z000131840.

[8] 1900, Recensement fédéral américain, État du Massachusetts, comté d’Essex, ville de Lawrence, page 22.

[9] BAnQ., Registre de la paroisse Sainte-Agnès, 25 mai 1902.

[10] Ibid., 19 janvier et 19 février 1903.

[11] Ibid., 20 et 31 mars 1906.

[12] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Pierre et Saint-Paul de Baie-Saint-Paul, 6 avril 1909.

[13] B.A.C., G., Recensement de 1911, district de Charlevoix, Saint-Irénée microfilm e082_e002048476.

[14] A.N.Q., GN. Minutier Elie Angers, no 8380, 25 octobre 1910.

[15] 1900, Recensement fédéral américain, op., cit.

[16] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Dominique de Jonquière, 26 mars 1915.

[17] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Pierre et Saint-Paul de Baie-Saint-Paul, 11 juillet 1921. Mariage d’Eugène Lapointe et Laurence Gagnon.

[18] A.N.Q., GN. Minutier Elie Angers, no 9896, 22 mars 1915.

[19] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Nazaire, 18 septembre 1922.