5. Père et fils, potiers d’étain

En 1654, lorsque Gabriel épouse Marguerite Delorme, il ne lui reste que deux fils encore vivants, Gabriel (1640-1675) et notre ancêtre SébastienGabriel, le fils, a choisi de devenir tanneur et est entré en apprentissage chez Sébastien Aubert, un mégissier[1] blésois[2].  C’est donc Sébastien qui est appelé à succéder à son père.  Ce dernier est assurément à l’atelier aux côtés de son père depuis l’âge de dix ans, ce qui était la norme.

Sébastien,

«en tant que fils de maître potier d’étain… est dispensé de faire six ans d’apprentissage puis de servir encore trois années en qualité de compagnon et de réaliser un chef-d’œuvre pour être reçu maître.»[3]

Son père l’initie et lui révèle ses secrets de fabrication comme la composition de l’alliage qui donne à l’étain l’aspect de l’argent.  Il lui apprendra d’abord à dessiner, puisque pour réaliser une pièce en étain, il doit d’abord réaliser le dessin d’un modèle inventé ou s’inspirer d’une œuvre pour la reproduire.  Puis il lui apprendra à faire ses propres moules de bronze en deux morceaux pour couler avec de l’étain les pièces de vaisselle les plus courantes, des contenants et des instruments de cuisine.  Sébastien fond donc son métal dans ses moules au service de l’art de la table.  Bien qu’il héritera des moules de son père, il sait qu’il est important qu’il développe cette capacité à en créer de nouveaux, car c’est à l’originalité de ses pièces qu’un atelier comme celle des Hervet peut survivre.  L’art des Hervet ne se limite pas à la table, Sébastien apprend aussi à fabriquer des bougeoirs et des petites fontaines, en autres. 

Pendant plusieurs années, Sébastien va apprendre, sous la conduite de son père, la tâche principale de potier d’étain[4] qui consiste à écrouir au marteau l’étain coulé en feuilles, à l’instar des batteurs d’or et d’argent, il apprendra également à tourner ses pièces, leur ôter de l’épaisseur et ainsi éliminer les défauts liés à sa fonderie. 

Apparemment, le travail à l’atelier ne manque pas.  Comme l’étain est un métal mou, la durée des objets d’usage quotidien que fabriquent Gabriel et son fils Sébastien n’est pas longue, cinq ans en moyenne, huit ans tout au plus, ce qui assure leur futur puisque les clients reviennent régulièrement.  L’étain coûte cher cependant, ce ne sont donc que les classes bourgeoises de Blois qui peuvent s’offrir les produits de la boutique des Hervet; comme les classes bourgeoises ne manquent pas avec la présence de Gaston d’Orléans et de sa suite au château, Sébastien peut envisager, tout comme son père, un avenir prospère.  De plus, la ville ne manque pas de maisons de culte de tout genre et, grâce au mécène Gaston de France, les ordres religieux qui s’installent à Blois se multiplient, ce qui permet aux Hervet, à l’occasion, de se voir confier l’énorme tâche de fabrication des orgues, l’ensemble des tuyaux d’orgue qui sont faits d’un alliage d’étain et de plomb. 

Gaston de France étant homme de guerre et homme d’intrigues, il lui faut de l’argent pour poursuivre ses desseins.  Gaston s’impose donc, à lui et à toute sa cour, de fondre sa vaisselle d’or et d’argent, une pratique courante de l’époque.  C’est alors que l’atelier des Hervet connaît sa plus grande période d’essor et c’est ainsi que sa poterie d’étain remplace l’ancienne et agrémente la table royale de Gaston et celles de son entourage.

Des décès qui influenceront l'avenir de Sébastien


Le 2 février 1660, Gaston d’Orléans décède en son château.  En quelques semaines, la horde de courtisans qui s’étaient établis au château et à Blois depuis trente ans regagne Paris.  L’été n’était pas arrivé, que déjà les collections de Gaston d’Orléans qui ornaient le château sont emportées à Paris. Les objets de décoration ou d’ameublement disparaissent à leur tour, pour aller garnir d’autres maisons royales.  Celle de Blois finit rapidement par être tout à fait abandonnée.  À la fin de l’été, Blois est méconnaissable, le château abandonné, les fortunes se sont enfuies et les artisans n’ont plus de commandes[5].  Il est certain que le départ de Gaston d’Orléans et de sa cour allait faire perdre à Gabriel Hervet, une clientèle tout aussi nombreuse que fortunée, d’autant plus importante que Blois n’est qu’une petite ville de province et que cette cour ne sera pas remplaçable.  Heureusement pour la famille, Gabriel avait eu de nombreuses bonnes années.

Sébastien qui à dix-huit ans maintenant, maîtrise son métier depuis un certain temps déjà

«Malheureusement, le décès du père, Gabriel, en octobre 1660, mettra brutalement fin à l’intimité laborieuse du père et du fils.»

À soixante-quatre ans, Gabriel a-t-il été ébranlé par ce qui arrivait, ou ce qui n’arrivait plus à son commerce…

Gaston d’Orléans et le château de Blois

Henri III décédé en 1589 fut le dernier roi de France à habiter le château de Blois.  Son règne tumultueux fut marqué par quatre guerres de religion, la révolte des grands féodaux catholiques et protestants opposés à l’absolutisme du pouvoir royal et la conspiration de la ligue catholique menée par le duc de Guise, en alliance avec le roi d’Espagne, qui conteste son autorité.  Son successeur le roi Henri IV s’installa avec sa cour au Palais du Louvre à Paris.  Le fils aîné d’Henri IV, Louis XIII, allait lui succéder sur le trône.  

Ce dernier, avec l’appui de son principal ministre Richelieu, allait imposer à son frère Gaston d’Orléans, troisième fils d’Henri IV, un mariage avec la duchesse de Montpensier (Marie de Bourbon).  En guise de cadeau de mariage, Louis XIII alloua en apanage les duchés d’Orléans et de Chartres ainsi que le comté de Blois à son frère Gaston en 1626.  Ce mariage faisait suite à l’échec de la conspiration de Chalais organisée par des partisans de Gaston d’Orléans qui, comme lui, étaient opposés à ce mariage et qui surtout visaient l’élimination du cardinal de Richelieu.  Le conjuré Chalais fut décapité après sa condamnation.  La duchesse de Montpensier allait décéder l’année suivante des suites de l’accouchement de sa fille Anne Marie Louise d’Orléans, dite la Grande Mademoiselle, née le 29 mai 1627, qui devient la plus riche héritière d’Europe.

Par la suite, Gaston d’Orléans sera de plusieurs conspirations contre son frère le roi Louis XIII et le cardinal Richelieu artisan de la montée de l’autorité monarchique au détriment du système aristocratique, qui provoquera la grande révolte nobiliaire du XVIIe siècle.  Plus tard, il s’opposera à sa belle-sœur Anne d’Autriche et au cardinal Jules Mazarin qui préconisent cette même centralisation absolutiste. 

Ainsi en 1630, il tente d’organiser un soulèvement général du royaume contre la tyrannie du ministre Richelieu, à la suite de l’échec de cette intrigue, son complice Henri II de Montmorency est exécuté alors que lui se réconcilie avec son frère le roi.  En 1632, il publie un manifeste politique contre l’absolutisme.  En 1634, s’installe au château de Blois d’où il conclut un traité secret avec l’Espagne contre Richelieu.  En 1638, lors de la naissance du dauphin (futur Louis XIV), le crédit financier dont il dispose au titre de premier héritier de la couronne prend fin ce qui met fin à son projet de reconstruction du château de Blois.  En 1642, après le décès du cardinal Richelieu, il appuie une conspiration qui vise à le faire lieutenant général du royaume.  Le complot échoue, son principal instigateur, le marquis de CinqMars, est exécuté.  Gaston d’Orléans quant à lui est mis hors de cause par le roi Louis XIII.  En 1643, Louis XIII, au moment de son décès, le nomme lieutenant-général du royaume.  

En 1648, il participe à la Fronde contre Mazarin et Anne d’Autriche.  En 1652, pour avoir participé activement à la fronde en complicité avec le prince de Condé, le prince de Conti et François VI, duc de La Rochefoucauld, prince de Marcillac, Mazarin fait exiler Gaston d’Orléans dans son château de Blois.

Gaston d’Orléans «fit de son exil dans son château de Blois une époque dorée. Sa cour est demeurée un lieu d’échanges et d’expériences où se côtoyaient les contraires, libertins et dévots, partisans de l’ordre traditionnel comme apôtres de l’absolutisme. Amateur d’art, grand collectionneur, mécène, constructeur d’une aile qui porte son nom dans son château, il fut aussi le protecteur des poètes et des artistes à l’époque où Richelieu devait les embrigader dans l’Académie française créée en 1635… Roger de Bussy-Rabutin (1618-1693), lieutenant des armées de Louis XIV qui a été l’un de ses amis écrit dans ses Mémoires que «C’était un beau prince, né pour les plaisirs, qui avait l’esprit agréable, qui savait mille belles choses et qui parlait le mieux du monde en public…»

«Cultivé et raffiné, mais velléitaire et inconstant… il créa un “Conseil de vauriennerie”, des courtisans et amis avec qui il mena une vie désordonnée (il est réputé joueur et amateur de femmes).  L’Encyclopædia Universalis le voit comme le chef de file des libertins de l’époque, dont l’un des passe-temps était les chansons à boire, les poèmes érotiques et les parties de débauche».   

Gaston d’Orléans finira sa vie le 2 février 1660 au château de Blois, date à laquelle le château et le comté font définitivement retour à la couronne. Le château ne sera plus utilisé qu’occasionnellement, il est pratiquement abandonné.

Tiré de THIVIERGE, Robert. 1662 de Blois à l’Île d’Orléans. Montréal, À compte d’auteur, 2021.

Après le décès du père, un inventaire pris en 1660 dans le cadre de la succession nous révèle les travaux qui avaient cours dans l’atelier à l’époque : 

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[1] Le mégissier est un artisan dont le métier est de tanner les peaux d’ovins, de mouton ou de veau, caprins ou vachettes destinées à l’industrie de la chaussure, de la ganterie ou de l’habillement, dans le cadre de la production du cuir.

[2] LE MAUFF, Ghislaine. «Des Hervet blésois aux Harvey québécois», Mémoires de la Société généalogique canadienne-française, Volume 62, numéro 2, (été 2011), cahier 268, pages 139.

[3] Ibid.

[4] BOURGEOIS, Alfred. Les métiers de Blois.  Blois, Imprimerie de Blois, 1897, tome I, pages 160-173.  Et : SAVARY DES BRUSLONS, Jacques. Dictionnaire universel de commerce.  Amsterdam, Jansons, Waesberge, 1726, tome second, pages 1202-1204. Et : KÖNIG, Claire. La poterie d’étain. 17 mai 2018. Site Futura science.  Toutes citer dans THIBIERGE, Robert.  1662 de Blois à l’Île d’Orléans.

[5] DE LA SAUSSAYE, Histoire de la ville de Blois. Paris. Éditions Dumoulin, 1846, page 263.

[6] LE MAUFF, Ghislaine. «Des Hervet blésois aux Harvey québécois», Mémoires de la Société généalogique canadienne-française, Volume 62, numéro 2, (été 2011), cahier 268, pages 140.