L'Estrie

05 — Estrie

Le Buckinghamshire, les Eastern Townships, les Cantons de l'Est

Avec ses montagnes, ses lacs, ses nombreux vignobles et ses vergers, l’Estrie offre aux villégiateurs d’aujourd’hui des paysages magnifiques.  Dans la courte histoire des descendants européens qui s’y sont installés, ce coin de pays fut d’abord pour plusieurs une terre d’asile.  La région, rapidement dotée d’un réseau ferroviaire transfrontalier, bénéficia de sa proximité avec les États-Unis pour ses exportations et attira plus d’un sans-terre, au sein desquels on compte quelques descendants du migrant  Sébastien Hervet (1642-1714).

Si cette région, par son nom commun d’autrefois les Eastern Township et ses origines loyalistes, avait pu nous laisser croire que les Harvey qui y résident aujourd’hui sont tous d’origines britanniques, ce n’est pas le cas comme nous le découvrirons.  Parmi les mille cinq cents loyalistes fuyant l’indépendance américaine qui se sont installés dans ce vaste territoire, il y a très peu de porteurs du patronyme issus de cette origine qui subsistent aujourd’hui dans cette région. Les descendants du loyaliste Jonathan Harvey (1749-1819) sont les plus nombreux et sont toujours présents dans la région de Dunham (une section du site à leur sujet est en préparation). 

À partir de 1840, les Québécois de langue française viennent eux aussi s’installer au Buckinghamshire (les Eastern Townships)[1].   En 1858, l’écrivain canadien Antoine Gérin-Lajoie (1824-1882) traduisit Eastern Townships par « Cantons de l’Est », traduction qui devint une terminologie commune avant l’apparition d’« Estrie », sa dénomination officielle aujourd’hui.  C’est à la suite de la minorisation des anglophones dans la région à partir de 1880 (il n’en restait plus que 6 % en 2017), que le gouvernement du Québec modifie les frontières des Cantons de l’Est en lui retirant sa partie nord pour en l’intégrer à la région du Centre-du-Québec tandis que sa partie est sera ajoutée à la région Chaudière-Appalaches et sa partie ouest agrandira la Montérégie.   



Si les premiers francophones étaient arrivés dans la région vers 1840, il faudra cependant attendre quelque quatre-vingts ans et huit générations de Harvey/Hervet avant que les premiers descendants du migrant n’y mettent les pieds de façon permanente.  C’est dans le premier quart du siècle dernier qu’une poignée de jeunes gens des régions de Charlevoix et du Saguenay migrèrent vers l’Estrie pour s’y construire un avenir.   Parmi eux, des Harvey/Hervet sont venus voisiner les Harvey loyalistes établis dans le Buckinghamshire (Eastern Township) créé pour ces derniers en 1792.  À l’arrivée des premiers Harvey/Hervet en Estrie, les Harvey anglophones sont moins de deux cents réparti dans un peu moins de quarante familles.  Dans le Québec d’alors, ils étaient moins de trois cents alors que les descendants du migrant français étaient dix fois plus nombreux. 

Les premiers Harvey/Hervet en Estrie, qui sont-ils ?

Au début du siècle dernier, les enfants de grandes familles de cultivateurs de Charlevoix qui voulaient poursuivre le métier de leur père, n’avaient guère d’autres choix que d’aller voir ailleurs pour se trouver une terre, comme l’avaient fait ceux des générations précédentes qui avaient migré sur la Côte-du-Sud (1780), au Saguenay (1838), sur la Côte-Nord (1840) et au lac Saint-Jean (1870).  Il y en eut donc un certain nombre qui prit la direction de l’Estrie au siècle suivant, avant 1940.

Les Harvey/Hervet du canton de Barford

Le canton de Barford est un hameau situé au sud-est de la petite ville de Coaticook et il est limitrophe de l’État du Vermont.  Cette région prospère avait d’abord été occupée par les loyalistes au siècle précédent (1802).  Les familles de ces derniers étaient beaucoup moins nombreuses que celles des Canadiens français.  Les loyalistes avaient peu de relève pour leurs terres ancestrales et, de plus, nombre d’entre eux ont quitté leur Eastern Townships pour l’Ontario alors qu’un petit nombre prirent la direction de la région de Montréal.  C’est ainsi que de nombreuses terres sont devenues disponibles dans les Cantons de l’Est.  De fait, des cent vingt-cinq familles du secteur où les Harvey s’installeront, il n’y en a plus que quatorze pour cent dont l’ascendance est loyaliste.  Les dix-neuf familles originaires de Charlevoix qui y habite sont plus nombreuses que les familles anglophones.  La revanche des berceaux a eu raison des intentions de la couronne britannique de former une région anglophone au sud de Montréal, du moins dans ce secteur où seule la toponymie anglophone a été conservée.

Après la Grande Guerre, quelques familles quittent Charlevoix pour la riche région agricole de Barford dans les Cantons de l’Est.  Ce sont des Bergeron, des Bouchard, des Dallaire, des Gagnon, des Gaudreault, des Perron, des Savard, des Tremblay et des Truchon.  Parmi elles, deux enfants d’une même fratrie de Harvey.  La présence de compatriote dans la région de Coaticook, la qualité des terres et leur disponibilité attira probablement les frères Henri et Liguori Harvey.  Natifs de Saint-Fidèle de Mount Murray, ils laissent derrière eux leurs parents Henri (1845-1928) et Marie Eliza Gagnon (1859-1933) ainsi que trois frères et quatre sœurs aînés.  Henri part le premier pour s’établir dans les Cantons de l’Est.  Marié depuis 1917, c’est au printemps 1920 qu’il quitte Saint-Fidèle avec sa femme et ses deux premiers enfants.  Le cadet Liguori se marie en 1922.  L’année suivante, après la naissance de son premier enfant à Saint-Fidèle, il part rejoindre son frère dans le rang de Barford.  Après le décès du père d’Henri et Liguori en 1928, Marie Éliza Gagnon vient se réfugier chez son cadet Liguori pour y finir sa vie.  La population de Coaticook et des alentours est d’environ quatre mille âmes en 1931.  On y compte alors vingt-cinq industries dans les secteurs du textile, des meubles et des jouets.  Les douze filles d’Henri et de Liguori n’auront donc aucune difficulté à trouver un emploi afin d’augmenter le revenu familial.  La partie du canton de Barford où s’établissent les deux frères est comprise dans la paroisse Saint-Edmond de Coaticook.  C’est d’ailleurs dans l’église Saint-Edmond que seront baptisés les quatorze enfants additionnels d’Henri et de son épouse Marie Laure Tremblay (1896-1964), naissances qui auront lieu dans le canton, tout comme les trois de son frère cadet Liguori et de sa femme Germaine Girard (1889-1971).  La rivière Coaticook qui longe les terres des Harvey a donné son nom à la petite ville de Coaticook où se trouve l’église.  Avec autant d’enfants chez les Harvey, en plus de ceux du lointain cousin Ernest (1880-1945) qui, au tournant de la décennie, s’amènera dans le canton voisin de Barnston avec une dizaine de ses enfants.  Il ne faut donc pas se surprendre si, en 2014, la MRC de Coaticook est l’une de celles où les Harvey représentent un pourcentage non négligeable de la population locale (voir le chapitre Le patronyme Harvey - Répartition géographique sur le territoire).  Les frères Harvey cultivent donc de belles grandes terres, mais ils ont conservé leur habitude charlevoisienne de monter dans les chantiers l’hiver.  Cependant, dans leur terre d’accueil, on ne monte pas, mais on descend plutôt vers les chantiers sud, puisque c’est dans les forêts du Vermont qu’on travaille l’hiver.  D’ailleurs, Paul Émile, le cadet chez Liguori, sera bûcheron au Vermont et y finira sa vie.  Les Harvey du coin exploitent surtout des fermes en majorité laitières.  Avec une population qui explose à Montréal, la demande est grande et la région possède un moyen efficace d’écouler sa production.  Le matin, un train quotidien en partance de Coaticook, appelé « le train des canices à lait », ramasse les bidons de lait et autres produits frais et les transporte à Montréal. Les bidons sont rapportés aux cultivateurs par le train du soir.  Pour compléter leurs revenus, les Harvey peuvent faire le commerce des sapins de Noël que l’on exporte également par train vers New York, Boston et d’autres grands centre-américains.  Près de cent mille sapins et épinettes sont ainsi expédiés chaque année.




Henri et Liguori Harvey ont comme généalogie patrilinéaire, le cultivateur Henri (1845-1928), le cultivateur et bedeau de Mount Murray Cléophas Hervei (1818-1891), les cultivateurs à L’Île-aux-Coudres Michel Hervé (1791-1841), André Laurent Hervé (1764-1831) et Pierre Hervé (1733-1799), l’un des colonisateurs de l’île aux Coudres Sébastien Hervé (1695-1759) et le migrant Sébastien Hervet (1642-1714).

Laetitia Harvay et son mari Thomas Louis Truchon (1879-1940) font également partie des familles originaires de Charlevoix qui ont choisi de migrer en Estrie.  Née orpheline de père le 21 janvier 1883 à Saint-Siméon[2], Laetitia est mariée depuis seize ans et elle a déjà huit enfants lorsque la famille quitte Saint-Fidèle de Mount Murray pour s’établir à Dixville dans les Cantons de l’Est en 1920.  Le village de Dixville est situé à mi-chemin entre la ville de Coaticook (8 km) au nord et la frontière américaine au sud.  Laetitia aura trois autres enfants sur la ferme familiale de Saint-Mathieu de Dixville[3]La ferme où la famille s’est établie est plus près de Coaticook qu’elle ne l’est du village de Dixville.  Par conséquent, c’est à l’église Saint-Edmond de Coaticook que la famille viendra recevoir les sacrements.  Celle que l’on prénommait Lydia en Estrie sera également inhumée au cimetière de Coaticook en 1955[4].   

Laetitia a comme généalogie patrilinéaire, son père décédé deux mois avant sa naissance, le cultivateur David Harvey (1845-1882), le cultivateur et maire de La Malbaie Denis Hervé (c.1803-1887), les pilotes du Saint-Laurent David Louis Dominique Hervé (1764-1837) et Sébastien Dominique Hervé (1736-1812), l’un des colonisateurs de l’Île-aux-Coudres, Sébastien Hervé (1695-1759) et le migrant Sébastien Hervet (1642-1714).




Les Harvey/Hervet du canton de Barnston

Le Township de Barnston se situe à l’ouest de celui de Barford et, tout comme lui, il est limitrophe de l’État du Vermont.  Les premiers colons à occuper le territoire au tout début du XIXe siècle (1801) sont aussi des loyalistes et viennent notamment du Massachusetts et du Connecticut.  Viendront plus tard les immigrants provenant des îles britanniques.  Quant aux francophones, ils ne commenceront à s’implanter que dans la deuxième moitié du XIXe siècle.     À l’arrivée d’une famille Harvey/Hervet, les francophones sont maintenant majoritaires dans le canton.  Néanmoins, le long passage des loyalistes a laissé ses marques toponymiques dans la région.  Les hameaux environnants sont nommés Morrogh’s Mills, Bickford Corner, Mosher’s Corner, Drew’s Mills, South Boston, Libbytown, Way’s Mills et Kingscroft.  C’est dans ce dernier hameau que s’établira l’un des nôtres.    

Cousin de Laetitia Harvay (1883-1955), Ernest s’établira à moins de vingt kilomètres au nord-ouest de cette dernière dans le canton de Barnston, voisin de celui Barford.  Née à Saint-Irénée dans Charlevoix le 15 octobre 1880[5], Joseph Ernest est agriculteur tout comme son père.  Du moins c’est ainsi que le qualifie le célébrant lors de son mariage à Albertine Bergeron (1883-1980), une jeune fille de Saint-Fidèle de Mount Murray là où le mariage est célébré le 6 mars 1905.  Ernest est le cadet du premier des trois lits de son père.  Outre les « cent piastres » que son père avait promises à la signature du contrat de mariage[6], il n’a que peu à espérer comme avenir sur la terre familiale car son frère aîné y est bien en selle.  Au décès de sa troisième femme, c’est cependant chez Ernest que son père trouve un toit[7]. Après la naissance de ses quatre premiers enfants et le décès de son père à l’automne 1913, lui et sa famille se dirigent vers La Décharge au Saguenay où Ernest poursuivra son métier de cultivateur.  Il n’est pas le seul de sa famille à avoir la bougeotte et à quitter Saint-Irénée.  Deux de ses frères, Wilfred (1875-1917) et Joseph (1886-1961) ont pris la direction de la Nouvelle-Angleterre d’où ils ne reviendront pas et l’une de ses sœurs, Adiana (1869-1940) est parti vivre à Montréal.  Albertine Bergeron aura sept autres enfants à Saint-Charles-de-Bourget (La Décharge), le dernier en 1929.  Le Krach de cette année-là entraîne l’économie dans une crise économique sans précédent.  La région ne fait plus vivre les nombreux fils d’Ernest.  De plus, son village d’adoption fut baigné par le rehaussement des eaux du Saguenay dans les années 1930, à cause de la construction du barrage de Chute-à-Caron.  Ernest, Albertine, leur unique fille et sept de leurs garçons prennent donc la direction de Kingscroft en Estrie, le centre florissant de la communauté francophone établie dans la partie ouest du canton de Barnston.  Seul deux des fils parmi les plus vieux demeurent au Saguenay.  Ils sont déjà à Kingscroft depuis un certain temps puisqu’en mars 1935, Ernest et Albertine sont choisis comme parrain et marraine au baptême d’un enfant de l’un des frères de cette dernière.  Le couple, qui demeure au Maine, a fait le trajet par train pour venir faire baptiser leur enfant dans l’église Saint-Wilfrid de Kingscroft[8].  À leur arrivée dans la communauté francophone de Kingscroft, le hameau dispose déjà d’un éventail complet de services, dont l’école construite en 1928.  L’église quant à elle, avec son grand sous-sol, est le centre communautaire pour les résidents du hameau.  On y produit des pièces de théâtre ainsi que des spectacles mis en scène par des artistes de passage.  Cette dernière migration, Ernest l’a fait pour ses enfants, afin de leur assurer un avenir et des terres de qualité.  Si la famille se plaît en Estrie, Ernest qui est dans la cinquantaine, ne s’y habitue pas aussi facilement.  Son adaptation sera difficile car le Saguenay est resté son pays.  Les enfants trouvent rapidement époux et épouses.  À soixante ans, Ernest est toujours cultivateur sur sa ferme de Kingscroft.  Deux de ses fils sont maintenant établis sur leur propre ferme, voisine de la sienne[9].  Cinq ans plus tard, il aura abandonné sa ferme aux mains de l’un de ses fils et aura emménagé à Coaticook avec sa femme; il y sera journalier pour un court laps de temps.  Ernest s’éteint le 14 juillet 1945[10]Il sera inhumé trois jours plus tard à Saint-Charles-de-Bourget au Saguenay, la région où il avait vu grandir ses enfants mais ceux qui l’avaient suivi en Estrie y feront leur vie.  Albertine, pour sa part, poursuivra sa vie à Coaticook.  Au mariage de son cadet elle se réfugiera chez lui et décédera en 1980. 







Ernest a comme généalogie patrilinéaire, le cultivateur et journalier Guillaume Harvai (1835-1913), le cultivateur et maire de La Malbaie Denis Hervé (c.1803-1887), les pilotes du Saint-Laurent David Louis Dominique Hervé (1764-1837) et Sébastien Dominique Hervé (1736-1812), l’un des colonisateurs de l’Île-aux-Coudres, Sébastien Hervé (1695-1759) et le migrant Sébastien Hervet (1642-1714).

Les Harvey/Hervet dans le canton de Shipton (Asbestos)

Le Township de Shipton et plus particulièrement la région d’Asbestos sont marqués par le développement de l’industrie de l’amiante aux XIXe et XXe siècles.  Asbestos (aujourd’hui Val-des-Sources) doit son existence à la découverte et l’exploitation d’un gisement d’amiante.  La mine Jeffrey, fermée en 2012, fut d’ailleurs la plus grande mine d’amiante au monde pendant un certain temps.  Si l’attrait du minerai ne fut pas le motif de la venue d’un Harvey dans le canton, l’économie prospère de la région, associée à son exploitation, en fut la raison.  

Joseph Ludger est né à Saint-Urbain dans Charlevoix le 7 novembre 1900.  Fils cadet d’une famille de huit enfants, il en est le sixième fils.  Conséquemment, il devra donc envisager la vie ailleurs que sur la ferme paternelle.  C’est ce qu’il fait à la fin de son adolescence.  Déjà en 1921, il n’est plus sous le toit de son père et a quitté la région depuis belle lurette[11].  On le retrouve comme chambreur-journalier en Estrie dans le township de Shipton.  Il y est depuis un certain temps lorsqu’il épouse Lucie Savard (1901-1953), une jeune fille de la paroisse de Saint-Aimé de Shipton d’Asbestos en avril 1922[12]Les parents de cette dernière se sont établis en Estrie au tout début du siècle et Lucie y est née.  Même si lui et Lucie ne se connaissaient pas avant son arrivée en Estrie, il épouse sa cousine, car leurs mères sont des sœurs.  Bien que ce ne soit qu’une hypothèse, il est probable que ce soit chez la famille de Lucie que Ludger ait été chambreur à son arrivée en Estrie ; un arrangement probablement pris par sa mère avec sa sœur pour s’assurer du bien-être de son cadet qu’elle voyait quitter la région.  Quoi qu’il en soit, c’est dans ce coin de pays que Ludger et Lucie feront leur vie.  Ils y auront trois filles.  Très tôt après le mariage, Ludger fait l’acquisition d’un restaurant à Windsor Mills (aujourd’hui Windsor)[13]Il sera restaurateur pendant de nombreuses années tout en travaillant, en parallèle, à de menus boulots[14]Au moment du conflit qui marquera un jalon dans l’histoire des relations de travail au Québec, la grève de l’amiante de la mine Jeffrey d’Asbestos, Ludger a quarante-neuf ans et il est toujours restaurateur[15]Lucie décède en 1953 mais son mari lui survivra sept ans.  Ludger décèdera le 15 mai 1960. 



Ludger a comme généalogie patrilinéaire, le cultivateur Thadée Harvey (1850-1934), le cultivateur et travailleur forestier Roger Hervey (1809-1900), le propriétaire de moulin Pierre Hervé (c.1759-1857), le cultivateur insulaire Pierre Hervé (1733-1799), l’un des colonisateurs de l’île aux Coudres Sébastien Hervé (1695-1759) et le migrant Sébastien Hervet (1642-1714).

Les Harvey/Hervet dans le canton de Sutton

L’histoire du Township de Sutton commence en 1802 avec l’installation de quelque cent soixante-huit loyalistes venus des États-Unis.  Suivront quelques centaines de francophones après les années 1830.  On ne sait guère ce qui attira le premier Harvey/Hervet dans cette région au XXe siècle.  Il avait bien travaillé à soixante kilomètres au nord-est de Sutton pour un court laps de temps, mais rien ne nous permet de connaître les motifs de sa venue aux frontières du Vermont.      

Né le 21 août 1898 dans le quartier Hochelaga à Montréal, Thomas Albert Raoul Harvey[16] n’y vivra pas très longtemps.  À la fin du XIXe siècle, l’industrie textile fait fleurir l’économie de Magog.  C’est ce qui incite son père à venir y travailler pour un certain temps, l’année après sa naissance.  Celui qui alignera les menus boulots pour une partie de sa vie, s’était trouvé un emploi à la Magog Textile and Print Company, une industrie où l’on file, tisse, blanchit et imprime le coton.  La famille emménage donc à Magog où sa mère donne naissance à une fille à la fin de 1900.  Ils n’y sont pas longtemps[17].  Il est probable qu’ils sont de retour dans le quartier Hochelaga au printemps 1902 puisque sa mère, Amanda Marceau (1876-1902), y perd la vie dans un accouchement difficile en juin de cette année-là[18].  Par la suite, le père de Raoul se trouve un emploi comme constable dans la cité voisine de Maisonneuve[19].  La famille loge alors dans l’appartement où vivent Joséphine Marceau et son mari.  Joséphine est l’aînée des sœurs de la mère de Raoul.  Au moment de l’annexion de la Cité de Maisonneuve à la ville de Montréal en 1918, son père perd son emploi et, avec Raoul, et sa sœur, ils retournent en Estrie par le train du Canadien Pacifique.  Cette fois-ci, c’est à Sutton que la petite famille s’installe[20].  C’est aussi là que Raoul rencontre Thérèse Antoinette Fontaine (1899-1963) qu’il épouse le 18 juin 1924[21].  Peu de temps après son mariage, son père et sa sœur quittent la région de l’Estrie et partent s’établir à une centaine de kilomètres au nord-ouest de Québec, en Mauricie, dans la municipalité de paroisse du Lac-aux-Sables où le père se fait agriculteur.  Pour sa part, Raoul, ayant travaillé comme journalier depuis son retour en Estrie, acquiert également une ferme au cours de la décennie[22].  Ses père et grand-père ayant été principalement journaliers sur le macadam à Montréal, Raoul n’a sans doute jamais mis les pieds en terrain agricole et ne connaît sans doute que très peu le travail de fermier.  Afin assurer un revenu suffisant à la famille, il ne se contentera donc pas que retourner la terre et assumera en plus également a livraison du courrier en milieu rural[23].  Lui et Antoinette auront huit enfants dans leur domicile de la route rurale numéro 3 de Sutton.  Antoinette s’éteint en 1963.  Raoul qui est maintenant âgé de soixante-cinq ans, partira vivre à Cowansville par la suite et y décédera le 14 mars 1967.  








Raoul a comme généalogie patrilinéaire, les journaliers Thomas Harvey (1876-1943) et Onezime Hervai (1836-1897), le bûcheron-cultivateur Pierre Hervé (1796-1858), les pilotes du Saint-Laurent David Louis Dominique Hervé (1764-1837) et Sébastien Dominique Hervé (1736-1812), l’un des colonisateurs de l’Île-aux-Coudres, Sébastien Hervé (1695-1759) et le migrant Sébastien Hervet (1642-1714).

Un Hervé venu de France dans le canton de Woburn dans les années 1880

Sous la poussée d’opérations visant à promouvoir la colonisation francophone, des Français de Bretagne et de Vendée s’installent et fondent la colonie de Channay.  À l’époque, plusieurs sociétés de colonisation tentent de garder et de rapatrier les Québécois qui avaient quitté le pays pour les États-Unis, tout en favorisant l’immigration européenne francophone de Belgique, de France et de Suisse.  Parmi ces entreprises, il y a la Compagnie de colonisation et de crédit des Cantons-de-l’Est, fondée à Nantes en 1881[24].

Situé à une quinzaine de kilomètres au sud de Lac-Mégantic et à l’est de Notre-Dame-des-Bois, l’endroit est aux portes des États-Unis.  La colonie est établie au pied du mont Gosford, à près de 1200 mètres d’altitude.  Ces premiers colons, originaires de la région de Nantes, s’installent à l’extrémité de ce qui est connu aujourd’hui sous le nom de rang Dubrûle à Saint-Augustin-de-Woburn.  Dès leurs arrivées ces Européens construisent une petite scierie sur le ruisseau Saint-Joseph, car c’est pour l’exploitation de la forêt qu’ils se sont amenés d’Europe à l’initiative de la Compagnie nantaise[25]C’est dans ce coin de l’Estrie, qui deviendra Saint-Augustin-de-Woburn, s’était établi un Hervé venu de France au XIXe siècle, précédant ainsi tous les Harvey/Hervet qui viendront s’établir dans la région au début du siècle suivant. 


Natif de Saint-Étienne-de-Corcoué (aujourd’hui Corcoué-sur-Logne) en pays Nantois, Jean Baptiste Hervé voit le jour le 5 mars 1834.  En 1886, onze ans après avoir épousé Jeanne Marie Gaignard (1844-1926), Jean Baptiste, sa femme et leurs cinq enfants nés en France, trois filles et deux garçons, traversent l’Atlantique et viennent s’établir dans la nouvelle colonie nantaise de Channay en Estrie où une quinzaine de familles nantaises viendront.  Au total ce sont soixante-sept personnes que la Compagnie nantaise recrutera pour la colonie.  C’est à l’époque où la France et le Québec renouent leurs relations économiques et culturelles.  René, le frère de Jeanne, a aussi émigré au Canada, mais en 1887 avec cinq enfants.

Jean Baptiste Hervé semble être retourné en France à la fin de sa vie.  Il y serait décédé vers 1924.  Pour sa part, Jeanne Marie Gaignard décédera en 1926 dans son village d’adoption de Woburn en Estrie[26].

Bien que les Hervé issus de Jean Baptiste ne soient plus présents en Estrie on compte, encore aujourd’hui, de ses descendants ailleurs au Québec.

Les autres Harvey venus en Estrie après 1940

D’autres Harvey/Hervet sont venus s’établir en Estrie au XXe siècle mais après 1940.  Bien que les données concernant ceux-ci soient incomplètes, on en connaît au moins un :

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Pour passer à une autre région du Québec où des Harvey se sont établis, cliquez ICI

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[1] Township a été traduit par «canton» dans le texte.

[2] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Siméon, 22 janvier 1883.

[3] B.A.C., G., Recensement de 1931, Saint-Mathieu de Dixville, microfilm 72-e011601321.

[4] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Edmond, 1er février 1955.

 

[5] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Irénée, 16 octobre 1880.

[6] A.N.Q., GN. Minutier Élie Angers, no 5920, 28 février 1905.

[7] B.A.C., G., Recensement de 1911, Saint-Irénée, microfilm e082_e002048483.

[8] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Wilfrid de Kingscroft, 24 mars 1935.  Baptême de Marie Imelda Yvonne Bergeron.

[9] B.A.C., G., Liste des électeurs de 1940, Kingscroft, microfilm 33022_294127-00426.

[10] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Charles-de-Bourget, 17 juillet 1945.

[11] B.A.C., G., Recensement de 1921, Saint-Urbain, microfilms e003065483 et e003065484.

[12] BAnQ., Registre de la paroisse Sainte-Anne de Danville, 24 avril 1922.

[13] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Philippe de Windsor Mills, 12 février 1926.

[14] B.A.C., G., Listes des électeurs, Asbestos 1940, 33022_294126-00753 et 1945, 33022_302438-01305.

[15] B.A.C., G., 1949, Liste des électeurs, Asbestos, 33022_302249-00513.

[16] BAnQ., Registre de la paroisse de La Nativité-de-la-Sainte-Vierge d’Hochelaga, 21 août 1898.

[17] B.A.C., G., Recensement de 1901, Magog, microfilm z000172706.

[18] BAnQ., Registre de la basilique Notre-Dame de Montréal, 30 juin 1902.

[19] B.A.C., G., Recensement de 1911, Cité de Maisonneuve, microfilm e002064649.

[20] B.A.C., G., Recensement de 1921, ville de Sutton, microfilm e003063204.

[21] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-André de Sutton, 18 juin 1924.

[22] B.A.C., G., Recensement de 1931, paroisse Saint-André de Sutton, microfilm e011569445.

[23] B.A.C., G., Listes des électeurs, Sutton, RR3, 1940. 1957, 1962, 1963.

[24] FOURNIER, Marcel. La colonie nantaise de Lac-Mégantic : Une implantation française au Québec au XIXe siècle. Québec, Les éditions du Septentrion, 2012, page 14.

[25] LITTLE, J.I. «Les investisseurs français et le nationalisme canadien-français : la Compagnie de colonisation et de crédit des Cantons de l’est, 1881-1893», La Revue d’histoire de l’Amérique française, volume 32, numéro juin 1978, pages 19-39.

[26] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Augustin de Woburn, 12 mai 1926.