Le 22 octobre 1790, Dominique est comblé à nouveau, Marie Magdeleine accouche d’un troisième fils, Thimothé, baptisé le même jour. Dans quelques années, Dominique et Marie Magdeleine auront un peu plus d’aide sur la terre. Dominique étant régulièrement sur le fleuve à piloter, c’est « la grande Madeleine » qui monte la garde. Le mystère planera peut-être pour les générations futures sur l’identité du parrain et de la marraine et cette fois-ci l’état de détérioration du registre n’est pas en cause. Le quatrième curé de l’Isle qui est arrivé depuis octobre 1788, Charles Joseph Lefèbvre Duchouquet (1771-1817), oublie simplement d’en noter les noms, un geste pourtant rituel dans sa profession et prescrit par les autorités religieuses[1]. Il n’avait pourtant pas oublié lors de sa dernière inscription, mais cette dernière datait du six octobre dans le cas du baptême de Théophile Demeul[2].
En 1790, à la veille d’une série de tremblements de terre qui secoueront l’Isle pendant quarante jours, on y compte soixante-cinq familles. Sa population est maintenant de cinq cent soixante-six âmes. Alors que la population à l’Isle s’était accrue progressivement depuis le début de la colonisation dans les années 1720 par l’immigration et un fort nombre de naissances, le nombre d’insulaires se stabilise et l’excédent de population qu’entraînent les naissances est effacé par une forte émigration qui s’amorce. Ce sont les jeunes n’ayant pas accès à la terre qui quittent l’Isle comme on le voit chez les Hervé.
En juin 1791, la voisine et belle-mère de Dominique, « Marie Magdeleine Boissonnau » dit Saint-Onge, voit bien que ses deux fils aînés sont sur le point de voler de leurs propres ailes et de se marier. Elle qui vivait avec ses enfants non mariés depuis la mort de son mari Gabriel Dufour depuis déjà dix ans vend à ses fils Alexis et Augustin, moyennant qu’ils la logent et pourvoient à ses besoins, une terre d’« un arpent neuf perches 13 pieds six pouces ou aux environs plus ou moins cinquante de profondeur », bornée au nord et au sud par celle du couple Dominique Hervé et Marie Magdeleine[3]. Comme on peut voir, les terres de Dominique enveloppent celles des frères Dufour.
David Louis Dominique, qui avait quitté l’Isle un peu avant 1788, pour s’établir à Saint-Roch-des-Aulnaies et se marier à Sainte-Anne-de-la-Pocatière, entraîne probablement Joseph Sébastien son jeune frère dans son aventure sur la rive sud du grand fleuve comme l’avait fait précédemment l’aîné François pour lui. En effet, Joseph Sébastien épouse en juillet 1791 une fille de Sainte-Anne-de-la-Pocatière lui aussi. Joseph Sébastien qui a vingt-quatre ans lorsqu’il épouse Catherine Denis dite Quimper (1769-1842), laquelle a vingt-deux. Dominique et ses fils François et David Louis Dominique assistent à la célébration[4]. Le couple ne restera pas très longtemps à Sainte-Anne-de-la-Pocatière puisqu’ils sont installés à Saint-Roch-des-Aulnaies en 1793 où Joseph Sébastien est cultivateur. Ils y finiront leur vie, Joseph Sébastien y décède à l’âge de soixante-sept ans en 1834[5].
Une fois marié, David Louis Dominique quant à lui s’installa initialement à Sainte-Anne-de-la-Pocatière où son épouse accouchera de leur premier enfant en janvier 1789. Ils ne vécurent que très peu de temps à Sainte-Anne-de-la-Pocatière ; en avril 1791, ils résident déjà à Saint-Roch-des-Aulnaies depuis probablement l’été précédent puisqu’ils y perdent Marie Victoire, leur fille de deux mois. Ils y auront sept enfants connus. Après le décès d’un autre poupon du prénom d’André en 1802, ils partiront s’établir sur la rive nord du grand fleuve à la Malbaye[6] laissant donc ses frères François et Joseph Sébastien derrière lui. On peut penser que le couple est installé à la Malbaye dès l’été 1802, car Marie Louise LeBreton, la femme de David Louis Dominique, y est marraine d’un enfant de son beau-frère Dominique Isaïe le vingt et un juillet. Chose certaine, il y est déjà en 1803 puisqu’il y est reconnu comme « sous-voyer » des chemins et ponts tout comme son cousin Louis, le fils de Pierre[7]. Son épouse y donnera naissance à Louis Denis l’année suivant leur arrivée. Ce premier accouchement et premier baptême à la Malbaye se fait quelque part après le 7 décembre 1802 et avant le 21 octobre 1803 « les registres de la paroisse de la mal Baye ayant été brûlé dans l’incendie du presbytère » la date exacte ne nous est pas parvenue[8]. Puis suivra Angélique, au début d’avril 1807. David est déclaré « laboureur et habitant de cette paroisse »[9] lors du baptême. Le couple aura sept enfants à la Malbaye, le dernier pour sûr en 1817. À l’été 1825, David Louis Dominique est recensé avec sa femme et ses quatre plus jeunes enfants à Saint-Étienne de la Malbaie[10]. Il est certain que David finira sa vie sur la rive nord du grand fleuve à la Malbaye alors qu’il s’y éteint le 6 juin 1837 et sa conjointe le 22 janvier 1865[11]. Ses fils peupleront la région du Saguenay et contribueront à ouvrir le lac Saint-Jean. De fait, dès 1852, les Harvey du Saguenay établis dans les cantons Simard, Tremblay, Bagot, Chicoutimi et Laterrière seront ses fils, ceux de ses frères Dominique Isaïe et Thimothé et ceux de ses cousins, les fils de l’oncle Pierre ; ils constitueront alors près de trente pour cent de tous les descendants de l’ancêtre Sébastien Hervet[12].
Le 6 décembre 1791, le grand tremblement commence. Une première secousse se fit sentir vers les huit heures. On peut s’imaginer, Dominique et Marie Magdeleine se préparant à se coucher à la veille de la fête de Notre-Dame des Avents. Soudain, les chaudrons sur le fourneau sont jetés par terre et la cheminée se lézarde. Tous les enfants sont maintenant debout, les plus petits rassurés par les plus grands et leur mère. Dominique inspecte les alentours des bâtiments, on s’en sauvera avec cette lézarde à la cheminée du foyer qui chauffe sa maison. La terre tremblera ainsi à multiples reprises entre le six et le dix-neuf décembre. Toute l’extrémité basse de L’Île-aux-Coudres fut frappée du nord au sud. Pendant le temps que dureront ces secousses, vingt et une cheminées se sont écroulées et une maison en pierre fut presque totalement démolie[13].
Après la pluie, le beau temps. À la fin de ce même hiver, qui avait commencé par le grand tremblement de terre une grande quantité de perdrix blanche[14] vint sur l’île, où il n’y a ni perdrix blanche ni autres perdrix quelconques. Leur arrivée suivait une longue période de pluies abondantes et de fortes gelées qui formèrent un verglas épais. Il en vint un nombre si prodigieux qu’elles couvraient le toit des granges et le devant des étables où elles grattaient pour chercher de la nourriture que le verglas les empêchait de pouvoir trouver sur les arbres. Dominique et les autres habitants de l’île se mirent à la chasse au fusil. On en tua autant qu’on voulut, ce qui permit de remplacer le bouilli de patates pour quelques semaines sur les tables des censitaires[15]. Les insulaires étaient parmi les chanceux à ne pas avoir vu leurs fusils saisis par l’anglais au lendemain de la Conquête. Pour une raison qui reste inexpliquée, mais probablement en raison de la grogne que cette mesure avait créée, plusieurs paroisses du gouvernement de Québec de la Nouvelle-France à l’extérieur de la capitale furent épargnées de la saisie. Il faut dire que les armes devaient être remises entre les mains des officiers de milice et à l’Isle, les officiers de milice étaient encore ceux qui avaient combattu l’anglais[16].
Le mardi 24 avril 1792 à midi, comme il le fait chaque année, Dominique rejoint avec sa barque le groupe d’insulaires réunis dans la baie de l’église qui participent à la bénédiction de la pêche du large du curé Duchouquet[16a].
Le 26 juin 1792 naît Marie Margueritte Arvé, troisième fille de Marie Magdeleine et Dominique. Charles Perrault (1757-1793), le nouveau curé arrivé directement de Québec depuis à peine un mois, ne connaît pas encore ses ouailles et écrit notre patronyme différemment. Natif de Québec où il n’y eut aucun porteur du patronyme Hervé au cours de sa vie, on lui pardonnera cette erreur[17] puisqu’il ne fait probablement que transcrire ce qu’il entend de la bouche de nos ancêtres. Sébastien Hervé le prononçait-il lui-même ainsi ou est-ce que ce sont les gens à l’Isle qui auront commencé à ainsi prononcer notre patronyme au cours de la génération de Dominique ? Quoi qu’il en soit, on a une indication qu’à la fin du XVIIIe siècle, le patronyme encore aujourd’hui prononcé Arvé par les habitants de l’Isle-aux-Coudres et de partout au Québec, sauf à Montréal et en Outaouais, avait déjà pris cette forme phonétique. Charles Perrault écrira également le patronyme ainsi lors de ses visites dans la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie qu’il dessert à l’occasion[18]. Caprice du curé également, Marie Margueritte portera deux « t » dans son prénom, pratique peu commune à l’époque. Le parrain choisi est Joseph Marie Daler (1763-1810), un parent par alliance et un voisin ; la maison de Joseph Marie Dallaire qui est marié avec Madeleine Savard (1757-1795) chez Charles Savard, le frère de Geneviève, l’épouse de Dominique décédée, n’est séparée de celle de Dominique que par la terre de Jean Baptiste Savard au nord de la sienne. La marraine est une certaine Marie Margueritte Bériau (1768-1837). Son père est un certain Olivier Barriault originaire de Pisiguit en Acadie qui s’enfuit lors de l’exil des Acadiens et aboutit à Port Toulouse sur l’Île Royale, puis L’Islet sur la Côte-du-Sud et qui finalement s’établit à Saint-Thomas-de-la-Pointe-à-Caille à Montmagny où tous ses enfants du premier lit sont baptisés ; tous sauf Marguerite qui vient au monde le 21 décembre 1768 on ne sait où, et est baptisé à la baie Saint-Paul un an plus tard sans que l’on ne sache pourquoi[19]. On la retrouve à l’Isle-aux-Coudres entre les années 1790 et 1795 probablement engagé dans l’une des familles d’insulaires.
Dominique se rend de plus en plus souvent à « la Murray Baie ». L’ancêtre devait bien s’y rendre auparavant en raison de son métier de pilote, mais depuis que Marie Anne, l’aînée de ses filles et sa jeune sœur, Félicité Sophie y sont installés, il traverse jeter un coup d’œil sur sa progéniture de façon plus régulière. Il n’y va pas seul, son frère Pierre (1733-1799) l’accompagne. Ce dernier quant à lui a déjà vu partir cinq de ses enfants qui ont été attirés par les nouvelles terres disponibles dans ce lieu, Pierre (c.1759-1857) l’aîné des garçons, Louis (1762-1842) le second, Marie Jeanne, Dominique Romain dit Joseph (1768-1830) et Michel (1771-1810). Les deux frères s’embarquent donc encore une fois en août 1792 pour aller célébrer le mariage de deux des fils de Pierre. « Louis Erver » y épouse « Catherine Peron » (1771-1813) alors que Dominique Romain dit « Joseph Erver » s'unit à « Marie Boulliane » (1771-1828)[20].
Le 10 octobre 1792 décède Catherine Savard (1731-1792)[21]. Cette sœur de la première épouse de Dominique s’éteignait après avoir vécu une vie où les drames furent nombreux. Lors de l’épidémie de l’hiver 1758-1759, elle avait perdu une fille et un mari avec lequel elle n’avait vécu que dix ans. Veuve, avec quatre enfants, Dominique et Geneviève Savard l’avait épaulé pendant cinq ans avant qu’elle ne se marie à André Couturier dit Sanschagrin. Dominique et André étant du même âge, ils se lièrent d’amitié rapidement et les enfants des deux familles feront ainsi également. Les drames se poursuivront pour Catherine. Au tournant de la décennie 1770, deux enfants étaient décédés en bas âge, la norme pour l’époque. Puis, dans les années 1880, deux de ses filles étaient mortes en couches et un de ses fils était disparu dans les eaux du fleuve. Heureusement, elle ne verra pas un second fils mourir sur le fleuve dans trois mois.
Après que les travaux de la terre aient pris fin, la valse des mariages de la saison morte reprend. En novembre, Dominique agit à nouveau comme témoin d’un mariage. Cette fois-ci, il s’agit de sa nièce Marie Catherine Couturier (1774-1822), la fille de sa belle-sœur Catherine Savard décédée le mois précédent. Marie Catherine épouse un mercenaire allemand des troupes du régiment d’Anhalt-Zerbst de la compagnie Gogel, Georges Ignace Ziliac (1762-1822)[22]. Au moment de la guerre d’indépendance des États-Unis de 1775 à 1783, les britanniques qui gèrent la colonie avaient engagé et stationné environ dix mille mercenaires allemands pour se protéger contre toute invasion américaine[23]. Ces mercenaires ont passé sept hivers à loger chez l’habitant canadien[24]. Bien que l’on n’ait pas de preuve que des mercenaires allemands ont été cantonnés à l’Isle, la rencontre d’une insulaire avec un de ces soldats nous en donne une piste. Il n’y a par contre pas de doute que les britanniques durent y poster un certain nombre de soldats compte tenu de l’importance stratégique de l’Isle comme poste de pilotage des navires. D’ailleurs, dès l’hiver 1780-1781, les Britanniques obligent les habitants des villages du gouvernement de Québec à loger ces militaires. Le choix des habitants se fait par billetage et l’habitant ainsi obligé d’hébergement doit prendre deux ou trois hommes. Les Canadiens qui n’ont pas servi durant l’invasion et les campagnes militaires sont ceux le plus souvent choisis pour participer à ce billetage et héberger les mercenaires allemands, car les autorités anglaises jugent qu’ils n’ont pas fait preuve de loyauté envers leur nouveau roi. Comme personne à l’Isle n’a pris part à la défense de la colonie contre les Américains au nom des britanniques, on peut présumer que les insulaires virent leur lot de mercenaires y être envoyé. Georges Ignace Ziliac a pu être logé à l’Isle et y faire alors la rencontre des Couturier à cette époque. Quoi qu’il en soit, à la fin de la guerre, plus de mille trois cents d’entre eux, dont Georges Ignace Ziliac, se sont établis chez nous[25]. Le couple partira s’établir à la Malbaye devenue Murray Bay. Georges Ignace y deviendra marchand et cabaretier et il prendra le nom de Lessard ; les enfants du couple seront baptisés avec ce patronyme.
Le 25 janvier 1793, alors que deux canoteurs revenaient de la baie Saint-Paul, leur embarcation chavira « en arrivant aux battures de l’Isle ». Pierre Tremblay (1766-1793) l’époux de Geneviève Dorval (1770-1846) monta sur la coque du canot qui avait « tourné » et fut ainsi trouvé « mort de froid ». Le fleuve venait à nouveau d’emporter un jeune insulaire de vingt-sept ans laissant derrière lui une veuve avec un enfant de moins d’un an. Son compagnon quant à lui, le célibataire, neveu de Dominique, « Louis Couturier dit Sanschagrin… âgé de vingt et un ans… ayant saisi une glace sur laquelle il resta tranqu'il eut vie mourut également de froid »[26].
Méprises sur des événements
Alexis MAILLOUX dans son « Histoire de l’Île-aux-Coudres depuis son établissement jusqu’à nos jours » consacreune section aux insulaires ayant péri en mer. À la page 77, il mentionne un incident semblable à celui qui est décrit ci-contre et le situe au printemps 1795 en spécifiant que les corps de Joseph Marie Savard et Pierre Savard noyés ne furent pas retrouvés. En revanche, il ne mentionne pas Pierre Tremblay et Louis Couturier. Pourtant, il utilise certains mots du registre de l’inhumation de Pierre Tremblay de 1793 pour décrire une partie de l’événement qui ne traite nullement des deux noyés qu’il mentionne. Un Joseph Marie Savard est bien mort dans une maison peu après avoir éprouvé de la fatigue et du froid en mer, mais ce dernier est né en 1797 et l’incident est survenu cinquante-quatre ans plus tard le 28 avril 1847. Son compagnon de traversée Thomas Demeules était quant à lui mort de froid dans la chaloupe. Mailloux, le moralisateur, encore une fois se sert de ouï-dire provenant de différentes sources pour se lancer dans une tirade contre les ébats d’une noce, car son récit indique que les deux jeunes gens étaient de retour d’une noce à la baie Saint-Paul[27].
Comme on l’a vu, entre 1762 et 1797 les Britanniques adoptent plusieurs lois et règlements sur la navigation et ouvrent les deux premières stations de pilotage au Bic et à l’Isle-aux-Coudres. À chacun de ces postes, une dizaine de pilotes formés attendent les navires qu’ils doivent guider. La profession devient essentielle à la sécurité sur le fleuve et en plus de Dominique et autres insulaires qui ont toujours pratiqué le métier, la nouvelle station de pilotage attire des pilotes de métier en transit de Québec et du Bic qui résident temporairement chez les insulaires. Il est probable que Dominique est lui-même accueilli sous son toit de ces pilotes en transit comme nous le verrons plus tard. Le 4 août 1793, on retrouve à la pointe de l’Isle le corps d’un confrère pilote de Dominique, Germain Fluet (1754-1793) qui était tombé à l’eau quinze mois plus tôt. Il est inhumé à la fin du mois d’août[28]. Fluet avait épousé Élisabeth Élise Labadie (1769-post.1795) en 1788. Elle se remarie le lendemain des funérailles du pilote, le 27 août[29].
Dominique, avec quatre fils non-établis qui grandissent, a besoin de terres où ils pourront s’installer une fois le moment venu. Ses revenus du pilotage sur le fleuve et de la pêche au marsoin l’ont bien servi jusqu’à présent. De plus, grâce à son métier il a accès au port de Québec fréquemment où il peut écouler les surplus de sa terre que Marie Magdeleine entretient d’une poigne ferme et de main de maître.
En 1793, Dominique se lance donc dans une longue série de nouvelles acquisitions. Il achète tout d’abord le bien de son voisin Augustin Lavoye, soit une partie de la terre originale de Gabriel Dufour de six perches et huit pieds sur cinquante arpents. Il se porte également acquéreur de la part restante d’une perche et deux pieds par cinquante arpents des héritiers de Jacques Bonneau, dit Labécasse, probablement celle de la succession de Pauline Bonneau, sa fille décédée en 1793. Finalement, il achète quatre portions de terres de ses neveux Antoine et Joseph et de ses deux nièces Marie et Marie Magdeleine Marier estimées à un arpent une perche seize pieds et six pouces sur cinquante arpents ; il s’agit d’une part de l’héritage de leur mère suite à son décès et d’autre part, de la moitié de la communauté que leur mère Catherine Savard formait avec leur père Antoine Marier. Bien que l’inventaire de la communauté eu lieu le 18 septembre 1764 au moment du remariage de leur mère, ce n’est qu’après le décès de cette dernière le 10 octobre 1792 que le partage eu lieu[30].
À cinquante-sept ans, Dominique, avant tout un pilote sur le fleuve, a tout de même au fil des années, accumulé une somme assez importante de terres cultivables. Il a maintenant fini d’entasser son butin.
Son fils aîné issu du mariage avec Geneviève Savard avait hérité lors de ses épousailles de la terre de Saint-Roch-des-Aulnaies que Dominique avait acquise sur la Côte-du-Sud.
Tout comme la plupart des propriétaires fonciers à l’Isle, Dominique ne possède pas simplement une concession, mais plutôt plusieurs parties de concession, éloignées les unes des autres. Grâce à des acquisitions judicieuses, il lui reste donc à l’Isle-aux-Coudres deux terres contiguës à la résidence familiale qui sont traversées par le ruisseau des Pruches qui prendra bien plus tard le nom Georges-Harvey, où il peut cultiver ou faire cultiver du blé, des pois, de l’orge, du maïs, de l’avoine et peut-être du chanvre puisque l’agriculture à l’Isle est essentiellement axée sur ces produits en cette fin du XVIIIe siècle.
Attenant à sa résidence Marie Magdeleine et les enfants cultivent un potager où poussent les légumes d’usage, les herbes et le tabac. Il subsiste également aujourd’hui des traces de quelques pommiers sur sa terre[31].
Il peut aussi bénéficier de deux autres terres contiguës, à quelques arpents au sud des premières, ses « terres à foin », qui sont aménagées pour laisser paître ses nombreux animaux et qui sont traversées par les ruisseaux de la Mare et de la ferme[32].
De toutes les familles pionnières de 1728, seuls les Hervé en la personne de l’aîné Zacharie, ont conservé leur patrimoine original jusqu’à la fin du XVIIIe siècle[33].
Si les insulaires n’avaient pas appris immédiatement que la monarchie avait été renversée en France, depuis ces événements de l’été de 1789 et jusqu’au printemps 1793, la Révolution française est célébrée dans la presse à Québec et à Montréal par les Canadiens. Dès l’automne de 1793, s’installe chez les anglais de la colonie la peur de voir arriver la flotte française stationnée à Saint-Domingue, peur qui renaîtra chaque automne jusqu’en 1797. À partir du moment où la France et la Grande-Bretagne entrent en conflit direct en 1793, la situation change radicalement et les autorités britanniques de la colonie, en plus de museler la presse, entreprennent une vaste campagne de peur. Proclamations contre la sédition, harangues, adresses, discours du gouverneur sont publiés chaque semaine par la presse de Québec et de Montréal. Plusieurs de ces textes sont ensuite distribués aux magistrats, capitaines de milice, juges de paix et autres notables, enjoignant à chacun de dénoncer ceux qui tiennent des propos séditieux[34]. À l’Isle Joseph « Bona » Dufour, le cousin de Marie Magdeleine, député du district Northumberland depuis 1792 rapporte les nouvelles de la crainte des britanniques régulièrement. Dominique est aussi bien au fait de ce qui se trame puisque dès qu’il débarque à Québec lors de ses voyages de pilotage dans cette période, c’est le sujet de l’heure.
Après avoir perdu sa première épouse, Catherine Savard, en octobre de l’année précédente et son fils cadet noyé dans le fleuve à la fin janvier, le beau-frère André Couturier dit Sanschagrin maintenant âgé de cinquante-sept ans, convole en secondes noces avec la très jeune « Véronique Débien », âgée de vingt ans[34a]. Bien qu’il se soit porté acquéreur d’une terre dans la seigneurie de Mount Murray dès que le seigneur Malcom Fraser commença à accorder des concessions en 1784, André Couturier ne semble pas y avoir demeuré, mais y était plutôt engagé par le seigneur pour construire des moulins entre autres. Il ne s’y établira en permanence qu’après le mariage. La cérémonie qui se déroule dans la chapelle Saint-Louis ne sera pas au goût du curé. Voulant profiter de l’occasion pour fêter l’heureux évènement après tant de tragédies dans la vie du beau-frère ces derniers temps, Dominique et les autres parents et amis devaient avoir entamé les festivités un peu trop tôt, du moins de l’avis du nouveau curé. Louis Antoine Langlois (1767-1810) vient tout juste d’arriver à l’île ; le mariage d’André Couturier est sa première occasion de rencontrer les insulaires et le premier sacrement qu’il bénit. Une semaine plus tard, le curé sermonne ses ouailles :
« J’ai été surpris, au dernier mariage qui s’est fait (celui d’André Couturier), de voir avec combien peu de respect on entre dans l’église. On entrait dans le lieu Saint, où Dieu repose continuellement dans le tabernacle, comme on serait entré dans une maison publique où il ferait des divertissements profanes, en riant et en parlant tout haut. Je vous avertis mes frères, d’être plus respectueux et, dorénavant, pour quelque raison que vous entriez dans l’église, vous devez toujours y entrer avec beaucoup de respect. Si vous vous comportez si mal, quand vous assistez à la célébration du mariage qui se fait dans le temple du Seigneur, comment vous comportez-vous donc quand vous êtes rendus dans la maison où se font les noces ; si je dois en juger par ce que j’ai vu dans l’église, vous vous comportez très mal dans vos divertissements. Souvenez-vous donc que le mariage est une chose sainte et que le jour des noces doit être un jour saint et que s’il se fait quelques divertissements, ils doivent se faire avec une grande retenue dans les paroles et les actions. S’il faut sanctifier le jour du mariage, il faut aussi sanctifier les jours qui le précèdent, mais ce n’est pas en allant au bal et aux divertissements profanes qu’on attire les bénédictions de Dieu. Je vous avertis de ne plus faire de ces assemblées que vous faites, la veille ou la “surveille” des mariages, où il s’assemble des jeunes filles et des jeunes garçons pour divertir la mariée, car ce sont les termes dont on se sert dans la paroisse. Enfin, comme je ne dois rien souffrir qui puisse être préjudiciable à votre salut, je vous préviens de ne jamais vous assembler pour danser, dans quelque temps que ce soit. La raison en est que les divertissements que font entre eux les jeunes gens de l’un et de l’autre sexe sont très souvent criminels et toujours dangereux, c’est dans ces assemblées que le poison de l’impureté se glisse dans les cœurs, c’est là où se forment très souvent les mauvais désirs et où l’on cherche les moyens de les exécuter. Je crois qu’en voilà assez pour vous faire connaître mes sentiments au sujet des danses et des noces et j’espère que je trouverai en vous une grande fiabilité à suivre mes avis quand ils seront pour votre salut et votre sanctification. »[34b]
Peut-être que le nouveau curé avait voulu donner le ton à sa cure qu’il entamait. Quoi qu’il en soit, les insulaires étaient avisés du régime qu’ils allaient vivre pour les neuf prochaines années. L’appel du curé n’aura pas résonné dans la famille puisque, comme bien d’autres à l’île, le célibataire et cadet de Dominique est sur le point de faire un enfant à la cousine de la nouvelle épouse d’André Couturier. Qui plus est, François Leclerc (1739-1810), le témoin d’André Couturier à son mariage, un habitué de ces fêtes décriées par le curé, devait lui aussi baisser les yeux durant le sermon du curé. N’avait-il pas abusé de la fille de Duncan McNicoll (1730-1798), une jeune fille de vingt ans sa cadette, action pour lequel il fut condamné et venait d’acheter une terre au profit de la mère de l’enfant qu’il avait engendré quatre ans plus tôt.
Dominique et Marie Magdeleine étaient en droit de croire que l’année 1794 apporterait son lot de cadeaux avec la naissance des jumelles Marie Magdeleine et Marie Anne le matin du 28 janvier 1794. La cérémonie de baptême, des premières jumelles chez les Hervet et Hervé en terre d’Amérique, a lieu l’après-midi de leur naissance. Marie Magdeleine a pour parrain Joseph René Gaultier Gontier (1759-1839), un petit-cousin par la mère de Dominique. La jeune marraine est la demi-sœur de l’enfant, Marie Geneviève Hervé qui vient tout juste de fêter ses treize ans. Quant à Marie Anne, c’est François Savard (1775-1842), le fils de Charles, frère de la première épouse de Dominique, qui agit comme parrain. La marraine est l’une des jeunes sœurs de Marie Magdeleine, Marie Anne Dufour (1772-1852)[35].
Le 31 janvier 1794, Étienne Savard, le frère de la première épouse de Dominique perd sa femme Angélique Rousset[36]. Il quitte l’Isle peu de temps par la suite pour s’installer chez le fils de Joseph Dallaire (1763-1810) à la Malbaye. Dominique ne perd pas seulement un beau-frère, mais aussi un ami d’enfance. Étienne et lui ayant à peu près le même âge, ils ont passé leur vie à se voisiner. Le couple n’ayant pas eu d’enfants, ils furent chacun le support des autres familles pendant les temps difficiles[37]. Dominique peut tout de même se consoler, Étienne part veiller sur ses filles installées à la Malbaye, Marie Anne et Félicité Sophie.
À l’Isle, faut-il le répéter, les anciens manquaient cruellement de terres pour établir leurs nombreux fils. Devant une telle misère, c’est sur la Côte-du-Sud que Dominique avait finalement déniché des terres pour ses trois premiers fils. Alors que les concessions ouvertes de la seigneurie de Murray Bay étaient largement occupées, on avait déjà fait main basse sur celles de la seigneurie de Mount Murray le long de la rivière, ouverte depuis 1784. Devant cette situation, François Louis Savard (1733-1815) de l’Isle-aux-Coudres, le neveu et ami de Dominique, convainc Malcom Fraser, le seigneur de Murray Bay, d’ouvrir à la colonisation les terres de sa seigneurie le long du fleuve. Ainsi, le 19 juin 1793 il lui signe un billet de concession lui donnant la « … permission de prendre possession et de travailler sur six terres de trois arpents de front sur trente arpents de profondeur... situées… dans l’anse du cap à l’Aigle, au nord-est de la pointe du Heu »[38]. Sous cette impulsion, en février 1794, Dominique se porte acquéreur d’une terre dans ce même rang du fleuve pour Dominique Isaïe, son fils qui devient ainsi l’un des premiers habitants de ce qui deviendra le village de Cap-à-l’Aigle[39].
En juillet, c’est au tour de Marie Magdeleine de perdre un parent. Sa toute jeune sœur de seize ans, Marie Angélique, la cadette née un, peu avant son mariage en 1778 décède subitement[40].
Marie Anne, l’une des jumelles, n’aura pas survécu longtemps, elle décède le 28 août 1794 à l’âge de sept mois. Un témoin à la sépulture de la petite est Pierre Thomas Boudreault (1777-1822). Il assiste probablement le curé de la paroisse en préparation de sa prêtrise puisqu’il deviendra le neuvième curé de l’Isle et le premier à y être né en 1811. Il est le fils du meunier Pierre Boudreau (1749-1819) et le petit-fils de René Boudreau (1717-1756), deux Acadiens parmi ceux à être arrivés avec leur famille à l’Isle en 1755 à la suite de la longue marche qu’ils avaient entreprise comme tant d’autres pour fuir la Déportation. René Boudreau décéda peu après son arrivée. Ces Acadiens, tout comme Joseph Laure et Jean Carré (1736-1814) avaient travaillé aux fermes du Séminaire à Saint-Joachim à leur arrivée d’Acadie avant de traverser s’installer à l’Isle au début de la décennie de 1760[41].
Puis à l’automne, le 31 octobre la mort visite encore un proche de Marie Magdeleine. Cette fois-ci, c’est l’un de ses jeunes frères, Louis Michel (1770-1794) qui décède à vingt-quatre ans[42].
Au début de juin 1795, Dominique agit comme témoin en lieu et place du père au mariage de Marguerite Bariau[43]. On se souviendra qu’elle avait été la marraine de Marie Margueritte Arvé, troisième fille de Marie Magdeleine et Dominique en 1792. Cette fille d’un acadien vivant à Saint-Thomas-de-la-Pointe-à-Caille à Montmagny à l’époque où elle était née avait été baptisée un an après sa naissance à Baie-Saint-Paul sans que l’on ne sache pourquoi. Aujourd’hui, elle est enceinte de quatre mois et son père qui est remarié et habite l’île verte ne traversera pas pour le mariage. Elle et son mari Jean Dassylva dit le Portugais (1774-1748) quittent l’Isle après le mariage pour s’installer sur une terre à la Malbaye[44].
Marie Magdeleine Dufour est une génitrice qui ne chôme pas. Le 9 décembre 1795, elle met au monde, son quatrième fils, Élisée Hervé. Le petit est chétif et les parents ne sont pas certains de sa survie ; il est donc « ondoyé dans le sein de la mère ». Il est baptisé sous condition dès le lendemain. Le parrain choisi est Élisée Mailloux (1782-1843), le fils d’Élie Mailloux (1747-1819) et de Marie Josephte Dufour (1757-1833), les nouveaux voisins du côté sud. La marraine, Madeleine Archange Savard (1780-post.1799), est l’une des cinq filles de Jean Baptiste Savard, le beau-frère de Dominique en première noce. Élisée lui aussi ne survivra pas longtemps. L’enfant décède le treize suivant à quatre jours et est inhumé le lendemain. On passera le temps des fêtes dans le deuil[45].
Dans cette petite île aux mœurs encadrées strictement par la religion catholique, plusieurs surprises nous sont révélées par le registre du bon curé. Encore une fois en 1796, on retrouve un jeune homme de trente ans qui est inhumé et qui était né de parents inconnus[46]. Alors que la population de l’Isle dépasse à peine les cinq cent cinquante, on trouve le moyen de ne pas connaître les parents. On se souviendra qu’en 1765 une petite que l’on avait prénommée Marie Marguerite était également née de père et de mère inconnue. Trente ans plus tard, les mœurs n’ont guère évolué.
Le 30 janvier 1797, Dominique marie le plus jeune des garçons qu’il a eu avec Geneviève Savard. Dominique Isaïe qui a vingt-deux ans épouse, à l’Isle-aux-Coudres, Marie Madeleine Perron (1771-1733), vingt-six ans[47]. Marie Madeleine, qui est grosse de plus de six mois, est la fille d’Antoine Perron, dit Suire (1729-1805) et de Marie Suzanne Debiens (1735-1786) à Dorothée chez Louis Tremblay, la cousine de Dominique, la fille d’Étienne Debiens. Marie Madeleine Perron accouchera de leur premier enfant au début mars[48]. Dominique Isaïe, Marie Madeleine et leur petite-fille nouvellement née partiront s’établir à la Malbaye où il travaillera comme journalier. Certains de ses enfants feront partie des premiers colons du Saguenay. Dominique Isaïe sera le dernier enfant de Dominique et Geneviève Savard à décéder, et cela à Saint-Étienne de Murray Bay le 8 avril 1851 sous le nom qu’il aura employé toute sa vie « Dominique Harvay »[49].
Sept jours plus tard, Dominique, et Marie Magdeleine enceinte de sept mois, festoient encore alors que le frère cadet de « la grande Madeleine », François Gabriel (1774-1848) épouse Marie Anne Leclerc (1778-1857)[49a].
Marie Anne Leclerc, une belle-sœur de Marie Magdeleine Dufour
L’histoire de l’épouse de François Gabriel, cadet des frères de Marie Magdeleine Dufour, est fort connue à l’île. Baptisée le 26 janvier 1778 dans l’église Saint-Louis-de-France sous les prénoms de « Marie Anne », elle était née le même jour de « parents inconnus » selon le registre. Si le curé n’en connaissait vraiment pas les origines, il était bien le seul sur l’île. Il est vrai qu’à l’époque, ce fut Alexis Perron (1734-1807), le lieutenant de milice marié à une cousine de Dominique, Charlotte Hervé (1751-1822), qui avait porté l’enfant à son baptême et qui en fut le parrain[49b]. Le père de Marie Anne, Jean François Leclerc (1739-1810) avait été marié pendant un peu moins de sept ans à une cousine de Dominique, une fille de l’île, Julie Judith Tremblay (1751-1777) et avait vécu toutes ces années de mariage à Saint-Jean-Port-Joli. La cousine y décéda en février 1777 des suites de son dernier accouchement. François Leclerc s’amènera alors à l’Isle aux Coudres et se consolera en abusant d’une jeune fille de vingt ans sa cadette. Peu de temps après son arrivée, il séduit la jeune Anne McNicoll (1759-1826) et l’engrosse sans son consentement apparent. Le père, Duncan McNicoll (1730-1798), soldat écossais lors de la conquête, entamât alors des poursuites contre François Leclerc qui se réglèrent en 1789. À titre de compensation pour ses agissements, Leclerc fut condamné à acheter une terre à Murray Bay au profit d’Anne McNicoll[49c]. Remarié en 1782, François Leclerc avait évidemment reconnu la paternité et sera présent au mariage de Marie Anne en 1797 à titre de père. Il partira à nouveau pour Saint-Jean-Port-Joli par la suite. Il partira à nouveau pour Saint-Jean-Port-Joli par la suite.
Dominique a marié tous ses plus vieux. Dernièrement, il a vu naître quatre filles et un garçon décédé à l’âge de quatre jours ; il commence donc à manquer de bras sur sa terre. Il ne peut plus maintenant compter que sur Joseph qui a quatorze ans et Louis qui en a douze. L’aide que les bras de sa femme « la grande Madeleine » lui apportent n’est pas à négliger. On peut imaginer que les filles sont également et largement mises à contribution dans tous les travaux et lors de la fenaison[50].
En avril, c’est au tour du dernier enfant du couple à voir le jour. Les parents choisissent un prénom célèbre pour la petite. L’enfant baptisé la journée de sa naissance le 4 avril se prénommera Marie Antoinette. Dominique et Marie Magdeleine choisissent le prénom de la dernière reine de France et de Navarre, l’épouse de Louis XVI, Marie Antoinette d’Autriche, qui fut guillotinée trente mois plus tôt lors de la Révolution. Il faut noter qu’aucun autre enfant à l’Isle n’a pris ce prénom, au cours des vingt dernières années à tout le moins[51]. Un hasard ? Notre ancêtre a très bien pu entendre raconter la fin de la royauté française au port de Québec. Jacques Gaultier[52] (1781-1852), le fils de Louis Gontier dont la sœur de Dominique, Marguerite Rosalie avait été la marraine, est choisi comme parrain. Marie Josephte Esther Savard (1762-1819) est la marraine[53].
La jeune Marie Magdeleine Dufour, lorsqu’elle prend époux à vingt-trois ans, a bien écouté les sermons du curé de la paroisse sur la « la revanche des berceaux ». Le quatre avril 1797, à la naissance de sa dernière Marie Antoinette, Marie Magdeleine vient d’avoir quarante ans, elle a engendré un enfant tous les dix-huit mois alors que les femmes de l’époque dans la colonie en engendrent un tous les vingt-quatre à vingt-huit mois en moyenne[54].
Marie Magdeleine aura mis au monde à son tour dix enfants, combattant l’anglais ainsi à sa façon :
Dominique a soixante et un ans lorsque naît Marie Antoinette. Pendant qu’il continue, de moins en moins, à piloter sur le Saint-Laurent, les plus jeunes s’occupent de plus en plus de sa terre.
Neuf jours plus tard, Marie Antoinette décède à l’âge de neuf jours. Comme à l’habitude, Dominique assiste à l’inhumation[55]. « La grande Madeleine » aura perdu ses trois derniers enfants.
Le 2 mai 1797, la chambre d’Assemblée ordonne aux étrangers — surtout aux Français — de quitter la colonie. Le clergé dénonce de son côté les « horreurs » de la Révolution française parricide et satanique par ses mandements, ses lettres circulaires, ses prônes et ses sermons. Dominique reste à l’affût de toutes nouvelles importantes lorsqu’il débarque à Québec lors de ses nombreux voyages dans ces temps troubles de la Révolution française. Le refus des Canadiens de s’inscrire sur les rôles de milice selon la nouvelle loi de 1794, par crainte d’être appelés loin de chez eux, et les incidents qui se produisent en 1796 contre la loi de voirie, qui oblige les habitants à payer de leur personne, de leurs attelages et de leurs outils pour la construction des chemins, portent les anglais à croire que les Canadiens sont manipulés par des espions. À leur arrivée à quai, les navires que conduit Dominique à Québec sont fouillés systématiquement. On pourchasse de possibles émissaires français révolutionnaires et un jour on trouve un dénommé David McLane, un marchand et homme d’affaires de Providence au Rhode Island. Le 21 juillet 1797, ce dernier est reconnu coupable de trahison par un jury composé de douze anglais[56]. La nouvelle court qu’il aurait fomenté la révolution parmi la population d’origine française de la colonie. Comme le régime militaire britannique l’avait fait peu après la conquête, pour donner un exemple au peuple avec « la Corriveau », McLane est pendu au milieu d’une grande foule, hors les murs de la ville de Québec. Le « corps du supplicié fut descendu au pied de l’échafaud ; le bourreau en trancha la tête, la prit par les cheveux et la montrant au peuple, cria : “Voilà la tête d’un traître !” Il ouvrit ensuite le cadavre, en arracha les entrailles, les brûla, et fit des incisions aux quatre membres, sans les séparer du tronc »[57]. Plusieurs arrestations de Canadiens parmi la population d’origine française s’ensuivent. Dominique l’a bien compris, encore une fois les chances que le peuple prenne les armes contre les autorités coloniales sont matées. La peur de l’anglais s’installe à nouveau chez les habitants.
********************************************************************************
Pour passer à la section suivante de la vie de l’ancêtre, cliquez ICI
*******************************************************************************************
[1] Ibid., 22 octobre 1790.
[2] Ibid., 6 octobre 1790.
[3] A.N.Q., GN. Minutier de Jean Néron, 9 juin 1791.
[4] BAnQ., Registre de la paroisse Sainte-Anne-de-la-Pocatière, 18 juillet 1791. Le patronyme de l’épouse est orthographié de deux façons au registre cette journée-là ; dans le texte, on peut lire Denis dit Quimper et en marge Denis dit Kimper.
[5] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Roch-des-Aulnaies, 21 avril 1834.
[6] Samuel de Champlain surnomma cette baie vaseuse, la malle baye. Le nom utilisé par la suite sera la Malbaye, nom donné à la seigneurie qui s’étendait des Éboulements jusqu’à Saint-Siméon sous le Régime français. Après la conquête, l’envahisseur créa la seigneurie de Murray Bay à l’ouest de la rivière Malbaie et la seigneurie de Mount Murray à l’est de cette même rivière. L’appellation la Malbaye continuera d’être utilisée longtemps par la suite par ses habitants francophones. À compter de 1845, Saint-Étienne de la Malbaie est fondée. Ce n’est qu’en 1896 que le nom de La Malbaie apparaîtra.
[7] BAnQ., Registre 12: Bureau du Grand Voyer du District de Québec, Procès-Verbaux de l'honorable Gabriel Elzéar Taschereau Écuyer Grand-Voyer et de Jean Thomas Taschereau Écuyer son Député (1er janvier 1801 au 31 décembre 1803), f. 162v-167v. Liste des inspecteurs et sous-voyers des chemins et ponts, pour les paroisses des campagnes du District de Québec pour les années 1803 et 1804.
[8] Considérant l’âge de Louis Denis à son décès, il est probable qu’il soit né à la Malbaye où ses parents viennent de s'installer. Il n'apparaît pas aux registres de La Pocatière ni de Saint-Roch-des-Aulnaies. Comme la dernière entrée aux registres de Saint-Étienne de la Malbaye date du 7 décembre 1802 et la prochaine du 21 octobre 1803 et qu’il apparaît dans les registres seulement à son mariage en 1826 et nulle part avant, on peut présumer que Louis Denis y est né dans cette période. BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 21 octobre 1803.
[9] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 4 avril 1807.
[10] B.A.C., G., Recensement du Bas-Canada de 1825, district Northumberland, sous-district Malbaie, page 1994. Ce recensement a eu lieu entre le 20 juin et le 20 septembre 1825. Le microfilm C-718 comprenant tous les sous-districts du district Northumberland ayant été mal incorporé par Bibliothèque et Archives Canada à la base donnée automatisée de ce recensement, certains ont pu croire que David résidait à l’Isle-au-Coudres. De fait, les habitants de L’Isle-aux-Coudres au nombre d’un peu plus de six cents sont énumérés aux pages 1995, 1996 et 1997 du recensement. La page 1994 où apparaît David appartient à la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie.
[11] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 8 juin 1837 et 25 janvier 1865.
[12] B.A.C., G., Recensement de 1851, Canada-Est. L’énumération connue sous le nom du Recensement de 1851 a débuté officiellement le 12 janvier 1852.
[13] Smith, W. E. T., Earthquakes of eastern Canada and Adjacent areas 1534-1927, « Publications of the Dominion Observatory », volume 26, no. 5, 1965.
[14] Le Lagopède à queue blanche, perdrix blanche, ou perdrix des neiges est une espèce d'oiseau de la famille des Phasianidae.
[15] MAILLOUX, Alexis. Histoire de l'Île-aux-Coudres depuis son établissement jusqu'à nos jours. Avec ses traditions, ses légendes, ses coutumes. Montréal, La Compagnie de lithographie Burland-Desbarats, 1879, pages 30-31.
[16] LACOURSIÈRE, Jacques. Histoire populaire du Québec: Des origines à 1791. Vol. 1. Québec, Les éditions du Septentrion, 1995, pages 331-332.
[16a] Archives de la Fabrique de Saint-Louis-de-l’Isle-aux-Coudres, 22 avril 1792.
[17] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France, 26 juin 1792.
[18] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 14 août 1792. Sépulture de Madelaine Arvé.
[19] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Pierre et Saint-Paul de la baie Saint-Paul, 16 novembre 1769. Baptême de Marguerite Bariau.
[20] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 6 août 1792.
[21] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France, 11 octobre 1792, décès de Catherine Savard.
[22] Ibid., 19 novembre 1792.
[23] Fichier Origine, Fédération québécoise des sociétés de généalogie et Fédération française de généalogie. Fiche 242362. LEARD/CYLIAC/ZILIAC, Georges. Georges Ignace Ziliac faisait partie des 600 soldats de la principauté allemande d’Anhalt-Zerbst arrivée à Québec en mai 1776. Marié une première fois en 1787, il est veuf dès 1790. Il est possible également que Georges Ignace Ziliac ait été parmi le contingent de huit hommes du Régiment Anhalt-Zerbst envoyé à Murray Bay pour la garde des prisonniers américains toujours captifs. Après la tentative des Américains de prendre Québec en 1775, plusieurs d’entre eux furent faits prisonniers et amenés en détention à Murray Bay en 1776 ou 1780 selon les versions. Le moyen de détention choisi par les Britanniques tenait plus de l’éloignement de Murray Bay de toutes routes pouvant ramener les Américains chez eux que de tout autres moyens qui auraient pu les contraindre à y demeurer. Néanmoins, dans une action concertée, plusieurs d’entre eux prennent la fuite. Un officier et huit hommes du Régiment Anhalt-Zerbst sont alors envoyés à Murray Bay pour la garde des autres détenus. Si Georges Ignace Ziliac était l’un de ceux-là, il n’aura goûté à la région que peu de temps puisqu’il épousera en premières noces à Québec Marie-Josephte Paquet (1754-1790) le 17 avril 1787.
[24] LACOURSIÈRE, Jacques. Histoire populaire du Québec : Des origines à 1791. Vol. 1. Québec, Les éditions du Septentrion, 1996, pages 435-436.
[25] RITCHOT, Dominique. Les troupes allemandes et leur établissement au Canada 1776-1783. Longueuil, Les Éditions généalogique et historique Pépin, 2011, 314 pages.
[26] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France, 28 janvier 1793.
[27] Alexis MAILLOUX dans son « Histoire de l’Île-aux-Coudres depuis son établissement jusqu’à nos jours » consacre une section aux insulaires ayant péri en mer. Les dates, les individus et les circonstances données dans cette section relèvent du ouï-dire et sont donc imprécis lorsqu’ils ne sont tout simplement pas faux. Ainsi, il décrit la noyade de deux cousins de Marie Magdeleine Dufour, l’épouse de Dominique. Félicité (1752-1775) et de Dominique Benjamin Dufour (1756-1775) habitaient Baie-Saint-Paul et non pas l’Isle-aux Coudres comme il l’avance et il situe les noyades en 1795 alors que l’événement s’est produit vingt ans plus tôt, le 19 juillet 1775. C’est à Baie-Saint-Paul qu’ils furent tous deux inhumés le lendemain de la noyade comme en fait foi le registre de cette paroisse. S’il est bien vrai que Félicité Dufour, le frère de celle-ci, Dominique Benjamin, et l’époux de Félicité, François Gagnon (1750-1819), seul survivant du naufrage du canot que Mailloux prénomme erronément Joseph, revenait de la Petite-Rivière Saint-François, c’est plutôt vers Baie-Saint-Paul qu’ils se dirigeaient et non pas l’île. François Gagnon après son second mariage à une fille des Éboulements ne viendra s’installer à l’Île-aux-Coudres qu’une dizaine d’années plus tard après avoir vécu à Baie-Saint-Paul et à La Malbaie entre-temps.
[28] Ibid., 26 août 1793.
[29] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame-de-Québec, 7 janvier 1788 pour le mariage à Germain Fluet et 27 août 1793 pour le mariage à François Bernard Decoigne (1770-1795).
[30] SAVARD, Paul. Joseph-Simon Savard, premier censitaire de l'Isle-aux-Coudres. Sainte-Foy, Éditeur Paul Savard, 1998, page 156-157 et 247.
[31] Visite personnelle de 2014.
[32] La localisation des terres est approximative compte tenu des contradictions contenues dans certains contrats. Leur nombre et leur dimension respective ne font par contre aucun doute.
[33]LALANCETTE, Mario. La seigneurie de l'île-aux-Coudres au XVIIIe siècle. Montréal, Les presses de l'Université de Montréal, 1980, page 199.
[34] GALARNEAU, Claude. « McLANE, David ». Dictionnaire biographique du Canada. 1re édition 1966, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 1980, 15 volumes, volume IV (Décès de 1771-1800).
[34a] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France, 7 octobre 1793.
[34b] Archives de la Fabrique de Saint-Louis-de-l’Isle-aux-Coudres, 17 octobre 1793.
[35] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France, 28 janvier 1794.
[36] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France, 26 juin 1792.
[37] A.N.Q., GN. Minutier Jean Néron, le 9 janvier 1777. Le couple ira jusqu’à prendre charge d’enfants dont la mère ne pouvait assumer les soins.
[38] PELLETIER, Louis, La seigneurie de Mount Murray : Autour de La Malbaie 1761-1860. Sillery, Septentrion, 2008, pages 50-51.
[39] BAnQ., Almanach de Québec, 26 février 1794, Dominique Hervé.
[40] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France, 5 juillet 1794.
[41] LALANCETTE, Mario. La seigneurie de l'île-aux-Coudres au XVIIIe siècle. Montréal, Les presses de l'Université de Montréal, 1980, page 19.
[42] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France, 1er novembre 1794.
[43] Nommée Marie Margueritte Bériau lors du baptême de Marie Margueritte Arvé en 1792.
[44] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France, 1er juin 1795.
[45] Ibid., 10 et 13 décembre 1795.
[46] Ibid., 9 février 1796.
[47] Ibid., 30 janvier 1797.
[48] Ibid., 9 mars 1797.
[49] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Étienne de la Malbaie, 10 avril 1851.
[49a] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France, 7 février 1797.
[49b] Ibid., 26 janvier 1778.
[49c] A.N.Q., GN. Minutier Jean Néron, 25 août 1789.
[50] La fenaison désigne la coupe, le fanage puis la récolte des fourrages, ainsi que par extension la période correspondante.
[51] Le 4 mai 1797, un mois plus tard, était baptisée à l’Isle, Marie Antoinette Dallaire, la seconde Marie Antoinette. Ce second enfant ainsi prénommée ne porte pas non plus le nom de sa marraine.
[52] Le patronyme Gonthier évolua à l’Isle vers la forme Gontier, Gaultier puis Gauthier à travers le XVIIIe et le XIXe siècle.
[53] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France, 4 avril 1797.
[54] MATHIEU, Jacques. La Nouvelle-France: les Français en Amérique du Nord, XVIe-XVIIIe siècle. Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2001, pages 166-167.
[55] Ibid., 14 avril 1797.
[56] GALARNEAU, Claude. Op.cit.
[57] BIZIER, Hélène-Andrée. La Petite histoire du crime au Québec. Montréal, Éditions internationales Alain Stanké, 1981, 222 pages.