2. Zacharie Hervet

3.3.2 Zacharie Sébastien (1726-c.1813), 3e génération


Sébastien Hervé et Rosalie Tremblay auront trois garçons. Le premier étant l’aîné masculin prendra beaucoup d’importance comme tous les aînés des familles du XVIIIe en Nouvelle-France. Par contre, il aura peu d’incidence sur la survie du patronyme.

Trois ans après la naissance de Marie Anne l’aînée, Rosalie met au monde son premier garçon le six août 1726. Rien n’a changé depuis cette naissance ; la famille doit encore se rendre à la Petite Rivière pour faire baptiser l’enfant. Sébastien et Rosalie ne feront la traversée en canot que près de trois mois plus tard vers la fin octobre sans que l’on ne sache pourquoi. Les missionnaires n’ayant toujours pas commencé à se rendre à l’Isle pour y administrer les sacrements, on peut penser que Sébastien aura attendu une traversée communautaire et que celle-ci n’arriva que plus tard puisque la fin de l’été est la période des récoltes qui assureront la survie des familles pour l’hiver. Lors de la naissance de l’aînée à la fin octobre, Rosalie avait été suffisamment rétablie pour subir le voyage après deux semaines. Comme l’allaitement l’obligeait à accompagner son enfant, il se peut également que l’accouchement ait été plus difficile, et le temps pour s’en remettre, simplement plus long. L’une de ces deux raisons ou les deux combinés expliquent sans doute une traversée en canot dans la froidure d’une fin d’octobre sur une distance de quatorze kilomètres. 

C’est donc le vingt-huit octobre 1726 dans l’église de Saint françois Xavier parroisse de la petite rivière que l’on donne, sous condition, le baptême à celui qui sera prénommé Zacharie Sebastien[1]. 

« L’an mil sept cent
vingt six et Le vingthuytieme d octobre par moy prestre soussigné a esté baptisé sous condition Zacharie Sebastien né du six d’aoust son pere sebsatien hervet la mere legitime epouse rosalie tremblet habitants de l’isle aux coudres son parrain Louis tremblet la maraine marianne de Linele Le tout fait dans l’église de Saint françois Xavier parroisse de la petite rivière.

Jcq Lesclache missionnaire »

On retrouve ici l’orthographe hervet mais il faut noter que le missionnaire de la Grande-Anse[2], écrit aussi tremblet pour des noms qui sont devenus Hervé et Tremblay dans la plupart des autres documents du XVIIIe siècle. Il s’agit encore ici d’un autre exemple de la lente évolution du patronyme. Le missionnaire Lesclache qui a près de soixante ans[3] a étudié à une époque où il y avait une certaine hésitation dans la manière d’écrire le son [é][4].   

Bien évidemment, comme le voulait la coutume, le parrain de Zacharie Sébastien ce premier fils est le grand-père, le veuf Louis Tremblay. Ce grand-père vient de perdre sa troisième épouse entrée à l’hôpital de l’Hôtel-Dieu de Québec le 20 juin et décédée un mois plus tard[5]. Il convolera en justes noces dans un an pour une quatrième fois[6]. Pour la circonstance, le grand-père Louis est accompagné d’une toute jeune fille de dix-huit ans, Marie Jeanne Glinel laquelle dans trois ans sera l’épouse de Guillaume Tremblay l’un des nombreux fils du parrain.

Dans la culture encore prévalente à l’époque, on ne peut assez insister sur l’importance accordée aux enfants mâles. Zacharie Sébastien est pour l’instant, la seule voie permettant de transmettre le patronyme que son grand-père avait importé en Nouvelle-France. 

Zacharie Sébastien apprendra très jeune le travail de la terre. Seul garçon jusqu’en 1733, alors qu’il a déjà sept ans, il épaulera son père et prendra sa relève. Au décès de sa mère Zacharie Sébastien, a quatorze ans. 

À compter de 1747, Zacharie Sébastien commence peu à peu à éclipser son père dans les registres qui nous sont parvenus. C’est lui par exemple qui le 13 octobre sous le nom de « Sébastien le fils » est parrain au baptême d’un enfant de Jean Gonthier et de Marie Josephte Gagnon des voisins des hauteurs du Cap à Labranche.  Jean Gonthier et sa femme ont acquis depuis peu la terre de trois arpents et demi d’Étienne Tremblay et de Marie Louise Bonneau[7].  L’année suivante, « Sébastien Hervé cousin germain de la fille » est témoin au mariage de sa cousine Brigitte Debien.  Cette dernière épouse un des soldats français postés à l’Isle pendant la guerre de succession d’Autriche, guerre qui entraîna la perte pour la Nouvelle-France de la forteresse de Louisbourg aux mains de la Nouvelle-Angleterre en 1745.  Comme on peut le constater, Zacharie Sébastien semble à cette époque de sa vie utiliser l’unique prénom de Sébastien comme son père, car deux prêtres, le curé de Saint-Pierre et Saint-Paul de la baie Saint-Paul (1747) et le premier curé de l’Isle (1748) le connaissent ainsi.

C’est aussi aux environs de 1748 que Zacharie Sébastien remplace son père dans les canots de la « pêche à marsoin ».  Bien qu’il y participe depuis plusieurs années et que son père soit le détenteur du bail de cette pêche, c’est maintenant lui et ses deux jeunes frères qui posent les harts.  Le père est probablement en trop mauvaise santé pour s’astreindre à de tels efforts à l’humidité du grand fleuve

C’est l’année suivante en 1749 que toute l’importance d’être l’aîné masculin d’une famille prendra tout son sens pour Zacharie Sébastien.  C’est au cours de cette année qu’ont lieu quatre transactions notariées qui sont liées à un éventuel mariage entre Zacharie et Marie Charlotte Tremblay (1729-1813) de la Petite-Rivière.  Le père a pris la décision de passer la main et pour se faire il demande au notaire Michel Lavoye de Petite-Rivière-Saint-François de venir procéder à l’inventaire de ses biens.  Le père de Zacharie aurait dû faire compléter cet inventaire à la mort de sa première femme.  Il aura retardé jusqu’à ce que la nécessité l’impose.  N’avait-il pas réussi à l’éviter en passant à travers un second mariage ? Cet inventaire est le prélude à un partage de la terre de celui que l’on appelait « bastien » dans sa jeunesse entre ce dernier et ses enfants, tous mineurs, issus de son premier mariage.  Selon la Coutume de Paris, aucune succession ne peut être réglée sans qu’un inventaire ait été effectué[8].  

Zacharie Sébastien qui aura vingt-trois ans dans moins d’un mois sait bien que la démarche entreprise fera de lui le maître des lieux dans quelques jours.  Sa future épouse est déjà choisie et elle fera son entrée dans la maison au cours de l’été prochain. 

La manière dont s’organise cette succession de père en fils entre Sébastien et Zacharie son aînée ne fut pas importée de France.  En fait, le Coutumier de Paris impose la règle du partage égal entre tous les héritiers, de quelque sexe qu’ils soient et c’est ce que fera Sébastien dans le respect le plus traditionnel des façons de faire en Nouvelle-France.  Si la terre passe à Zacharie Sébastien, c’est que cette déviation à la coutume de Paris fait partie de la façon dont la colonie a adapté les règles françaises de ce côté-ci de l’Atlantique.  De toute façon, la donation qu’entreprend Sébastien n’a pas pour but d’assurer la continuité de sa terre familiale, il vise plutôt à assurer son entretien en raison de sa santé par le fils héritier.  Malgré tout, Sébastien s’assurera d’un partage égal entre tous les héritiers puisque Zacharie Sébastien devra rembourser à ses frères et sœurs un montant compensatoire égal à chacun pour les biens meubles et immeubles auxquels ils ont droit. 

Le 28 juillet 1749, le notaire Michel Lavoye procède donc au partage de la terre de Sébastien en deux parties égales sur toute sa profondeur pour respecter la communauté de biens.  La moitié de Rosalie Tremblay, la défunte première épouse, qui revient aux enfants est partagée en sept bandes étroites, une pour chacun des enfants, dont Zacharie.  Ce dernier rachètera plus tard chacune des portions attribuées à ses frères et sœurs, mais il n’est pas certain qu’il respectera toutes les volontés de son père[9].  L’autre moitié, la part du père est donnée à Zacharie le lendemain.  Il devient donc le maître du domaine.  Tout cela n’est cependant pas gratuit, car cette donation vient avec les conditions d’usage.  Le père restera sur place et pourra y loger une éventuelle épouse s’il lui prenait l’idée de se marier une troisième fois.  Le document de donation prévoit également que si son père devait se marier ailleurs, Zacharie serait obligé de lui fournir douze minots de blé chaque année, un cochon gras, trente livres de beurre bien salé et bien conditionné et quinze livres en argent.  Comme on le verra, Zacharie Sébastien sera assez rapidement astreint à cette dernière condition.

En somme, la donation fait que Zacharie prend la place de son père et pour les responsabilités attachées à ce transfert il aura, en plus de ce qui lui appartient de droit, l’usufruit de l’héritage des autres en attendant de pouvoir le leur distribuer en argent lorsqu’il le pourra.  Le contrat de donation se termine justement par l’obligation qu’il aura de payer à chacun de ses frères et sœurs la somme de soixante-sept livres et six sols représentant leur part des meubles et bâtiments.  Pour Zacharie, cependant, la donation n’implique pas uniquement des devoirs envers son père, mais également des obligations d’ordre économique envers ses frères et sœurs.  Ces devoirs se concrétiseront d’ailleurs rapidement comme on le verra puisqu’avant même que son père ne décède, Zacharie et sa future, Marie Charlotte, devront faire vivre les frères et sœurs célibataires (ils le sont tous) vivant encore à la maison.  Ces derniers en retour travailleront pour eux.

De plus en plus présent dans la vie sociale et religieuse sur l’île, celui que le nouveau curé Charles Maugue Garrault dit Saint-Onge (1724-1794) nomme « acharie hervé » agit comme témoin lors de plusieurs sépultures au cours de l’automne 1749.  En autres, celle du cousin, François Rousset fils (1730-1749) et aussi celle de Jean Gonthier (1714-1749), arrivé à l’Isle six ans plus tôt et de qui il était suffisamment proche pour que ce dernier le choisisse comme parrain de l’un de ses enfants 

Zacharie qui aura vingt-quatre ans le six août épousera sa petite cousine Marie Charlotte Tremblay.  Mais avant de se faire, les futurs mariés se présentent à Petite-Rivière-Saint-François devant le notaire Michel Lavoye le 30 juin 1750 pour finaliser le contrat de mariage qui les unira légalement.  Ce contrat de mariage comporte la donation que lui a faite son père l’année précédente.  Le douaire est fixé à trois cents livres et le préciput à cent cinquante livres ; ces montants sont la norme en la Nouvelle-France de l’époque.  Le douaire et le préciput reflètent le fait que les conjoints s’installent sur une terre déjà mise en valeur et que la donation du père comprenait des meubles et des bâtiments. 

Afin de pouvoir se marier, les époux durent obtenir une dispense qui fut délivrée par Monseigneur Briand puisqu’il y a une consanguinité au troisième degré, car la défunte mère de Zacharie, fille de Louis Tremblay est une cousine du père de Marie Charlotte, François, fils de Pierre Tremblay, un frère de Louis le grand-père et parrain du marié.  La cérémonie est célébrée à Petite-Rivière Saint-François le 1er juillet 1750 dans la nouvelle église[10]. 

Comme on l’a vu, il semble que l’arrivée de Marie Charlotte ou le caractère de Zacharie ou bien les deux aient fait fuir l’aînée Marie Anne sur la Côte-du-Sud.  Les relations avec sa sœur Marguerite Rosalie qui habite Baie-Saint-Paul ne semblent pas être beaucoup mieux, car à son mariage qui a lieu vingt-huit jours après celui de Zacharie, personne ne traverse les quelques kilomètres les séparant de la baie Saint-Paul pour cette célébration au beau milieu de l’été.  On ne sait pas ce qui entraîna l’éclatement de la famille, car il semble bien qu’il y ait eu éclatement.  On peut supposer que la donation de 1749 y soit pour quelque chose, mais selon toutes apparences le père a suivi les prescriptions de la coutume de Paris en vigueur.  Pourtant, la famille ne semble pas s’en être remise.  Le père n’était pas présent au mariage de son fils comme il ne l’a pas été au mariage de sa fille Marguerite Rosalie ce même été. 

La donation que fit le père à Zacharie n’en était peut-être pas une de choix.  Ce dernier était le fils aîné et les deux autres étaient encore bien jeunes.  Le contrat de donation ne signifiait pas nécessairement que le père s’entendait bien avec son fils lequel, semble-t-il, avait un caractère assez particulier et pouvait être mal- avenant[11]comme on le verra plus tard. 

Charlotte Hervé

Le nouveau couple ne perd pas de temps, au printemps suivant, le 27 avril 1751, Marie Charlotte accouche de leur unique enfant.  L’Isle est sans curé depuis le 7 juillet 1750 alors que son premier curé s’est plus au moins enfui de l’endroit qu’il n’aimait pas et des gens qui lui tenaient tête après à peine deux ans[12].  Ce sont des missionnaires qui assureront la desserte de l’Isle pour les vingt prochaines années.  Un missionnaire récollets, François Denys Baron (1716-1758)[13] est arrivé sur l’île l’automne précédent, s’y est plu et il y passa l’hiver.  Charlotte Hervé fut donc baptisée le jour même par ce dernier.   

C’est à Gabriel Dufour, marié à Geneviève Tremblay sa cousine, à qui Zacharie Hervé confie le rôle de parrain.  Il est avéré qu’en ce temps de conflit en Nouvelle-France, le papier se fait encore une fois rare en 1751.  Par contre, ce n’est assurément pas la raison pour laquelle le missionnaire qui procède au baptême épargne les mots et les pages de son cahier en nommant la marraine, du simple prénom de Marie.  Bien qu’elle porte le patronyme de Bouchard, il y a deux familles Bouchard à l’Isle, celle d’Antoine et celle de François et ces dernières comptent pas moins de sept Marie Bouchard.  La mention du deuxième prénom de la marraine aurait aidé à l’identifier aujourd’hui ; dans un pays où le spirituel était géré par des hommes en soutane, toutes les femmes pouvaient bien s’appeler Marie.  Comme le missionnaire François Denys Baron n’est que de passage, on lui pardonnera ce raccourci.

Bouleversement chez les Hervé

Mais revenons au printemps 1751 alors que s’opère un grand changement dans la maison de Zacharie.  Quoique fussent les motifs de ce possible éclatement de la famille, la donation, les relations avec son aîné ou celles avec sa bru comme nous l’avons vu, le père ne souffrira pas de vivre un autre hiver dans sa demeure devenue celle de son fils.  L’été venu, il quitte son île qu’il a mis tant d’effort à défricher et part se réfugier chez sa fille aînée à Saint-Roch-des-Aulnaies.  

Si depuis le printemps Zacharie est père, il est également tuteur de trois ou quatre enfants mineures qui demeurent toujours dans la petite maison en billots de bois couchés pièces sur pièces qui est devenue la sienne.  Ces enfants mineurs sont ses frères et sœurs : Rose vingt et un ans, Pierre dix-huit ans, Sébastien Dominique quinze ans et Marie Magdeleine douze ans.  Il n’est pas certain que Rose soit restée chez son frère comme nous le verrons.  Il est fort probable qu’elle soit aussi partie avec son père chez sa sœur aînée au cours de l’été.  Rappelons que Marie Anne accouchera en septembre.  Rose devait être un sérieux coup de main pour Marie Anne dans son état avec en plus un vieux père dont elle doit s’occuper.

L’un des avantages des concessions accordées à l’Isle aux Coudres était l’abondance des herbages qui poussaient sur ses grèves et surtout sur celles de la face nord et de la pointe ouest.  Sébastien père et les premiers colons s’étaient établis sur le bout d’en haut de l’île en autres pour cette raison, car autrement, un nouveau colon aurait dû d’abord défricher pour pouvoir ensuite semer et nourrir ses animaux, une quête qui aurait duré plusieurs années.  Chevaux, bœufs, vaches et moutons pouvaient donc pâturer dans ces prairies naturelles sans grands efforts des censitaires.  Zacharie ne devait que faucher sur les grèves en fin d’été, de faner son foin salé et de le charroyer à sa grange pour nourrir ces mêmes animaux pendant la saison morte.  La dimension de la terre que Sébastien père avait reçue en concession lui importait peu en raison de l’accès qu’il avait à l’abondant foin naturel des grèves qui lui évitait d’avoir à réserver une partie de sa terre en pâture.  Ces messieurs du Séminaire ce sont toujours réservé les rives de l’île et ses battures comme bien propre, en taxant leurs censitaires pour l’utilisation qu’ils en faisaient pour les pêches ; les contrats des concessions qu’ils avaient accordés étaient d’ailleurs spécifiques à cet égard.  Par contre, par un oubli sans doute, ils étaient placés devant un fait accompli quand ils apprirent le fauchage des herbes de ces prairies naturelles qu’en faisaient les premiers censitaires ; ils le tolérèrent donc sans redevances compensatoires.  Afin de bien rappeler aux censitaires que le seigneur était toujours maître des berges de son île, on fit appel à l’arpenteur Ignace Plamondon, père (1735-1793), pour mesurer les prairies marines de l’Isle aux Coudres.  Comme on voulait augmenter la population à l’Isle et que les nouvelles terres à concéder de la côte de La Baleine n’avaient pas de ces herbages devant leurs devantures et n’attiraient donc guère de nouveau colons, ces messieurs du Séminaire décidèrent d’en étendre l’usage à tous les censitaires de l’île.  C’est ainsi, non sans certaines récriminations de la part de Zacharie et des seize autres occupants des concessions du bout d’en haut, que l’arpenteur se présente à l’Isle vers le début de juillet 1751, envoyé par le seigneur pour en arpenter les grèves.  Son exercice conduira à un partage des grèves en « faneries » pour la coupe du foin salé parmi chacun des censitaires de l’île.  Les prairies marines utilisées jusque-là par les colons du bout d’en haut étaient donc partagées entre tous le 3 juillet 1751.  Zacharie ne devait pas être très heureux de l’approche de l’arpenteur qui avait, selon les instructions reçues, réparti les grèves proportionnellement à la largeur de la terre de chacun.  Comme Zacharie était surtout éleveur et possédait à l’époque l’une des plus petites concessions, il se retrouva avec un bien petit accès au foin salé, environ un arpent, alors que d’autres bénéficiaient de quatre arpents.  Comme nous le verrons, ce ne sera pas le dernier déplaisir qu’aura Zacharie avec ces messieurs en soutane.  Le seigneur à sa façon venait de rappeler à tous qu’il était toujours propriétaire des grèves.  Cet exercice assurait à ces messieurs du Séminaire un accroissement des redevances qu’ils retiraient de leur fief en favorisant l’augmentation de sa population[14].  

Un an plus tard le 30 juillet 1752, Zacharie fait la traversée sur la Côte-du-Sud et se présente devant le notaire Joseph Dionne pour acheter la part de terre dont sa sœur Marie Anne a hérité de sa mère.  Les choses étant ce qu’elles étaient pour les femmes de l’époque, c’est Jacques Soulard son mari qui agit dans la transaction au nom de son épouse.  Zacharie vient donc faire l’acquisition en propre de la première des six portions de terre appartenant à ses frères et sœurs et dont il a déjà l’usufruit.  Pour celle de Marie Anne, il en paye quarante-cinq livres.  Les actes notariés de 1749 prévoyaient pourtant les montants que Zacharie devait éventuellement payer à ses frères et sœurs héritiers représentant pour un, leur part des biens meubles et immeubles provenant de la succession de la mère (soixante sept livre six sols) et aussi le montant leur étant dus pour le morceau d’un arpent et trois perches appartenant au père devant être payé à la mort de ce dernier (quatre-vingts livres en tout).  Or, Zacharie ne paye aujourd’hui qu’une partie de ce qui provenait de la mère de Marie Anne.  Comme on n’a pas trouvé à ce jour un autre paiement notarié et une quittance, il faut se demander si celui-ci n’a pas marchandé son acquis.  Comme on le verra plus tard, malgré les prescriptions de la donation de son père, le montant que Zacharie remettra à chacun de ses frères et sœurs variera[15].  Il est fort probable que cette situation, si elle était connue de tous, ait été source de conflits.  

Cette traversée de juillet 1752 à Saint-Roch-des-Aulnaies est probablement aussi l’occasion pour Zacharie de remettre à son père les douze minots de blé, son cochon gras, ses trente livres de beurre bien salé et bien conditionné ainsi que les quinze livres en argent qu’il lui doit comme il avait été prévu lors de la donation en 1749 s’il advenait que son père quitte sa maison.  

Le moulin 


C’est en cette même année 1752 que ces messieurs du Séminaire cède aux pressions de leurs censitaires pour la reconstruction du moulin de 1727 qui avait brûlé en 1734[16].  Les habitants étant obligés de faire moudre leur grain sur la côte, un moulin sera construit[17] et le bail en est accordé à François Xavier Tremblay et son fils, l’oncle et le cousin de Zacharie[18].  L’année suivante, Zacharie travaillera huit jours à la construction du nouveau moulin.  Presque, tous les hommes à l’Isle y travaillent puisqu’il s’agit d’une obligation des censitaires envers leurs seigneurs ces messieurs du Séminaire pour que les premiers obtiennent leur moulin.  Les censitaires ne doivent pas se contenter de fournir leurs bras, mais également les matériaux de base.

Une maison qui se vide


En 1754, Zacharie doit s’acquitter de sa tâche de tuteur envers Sébastien Dominique alors que ce dernier s’unit à Geneviève Savard, fille de Joseph.  Comme son frère n’a pas vingt-cinq ans et qu’il est toujours mineur puisqu’il n’en a que dix-sept, le consentement du tuteur est nécessaire.  Encore ici Zacharie n’aura utilisé que le prénom de Sébastien.  Lui qui était Sébastien fils, du temps où son père était encore à l’Isle, peut aujourd’hui porter son simple prénom[19]. 

C’est le 12 novembre de la même année 1754 que Zacharie se libère de sa dette envers sa sœur Marguerite Rosalie.  Le notaire Michel Lavoye cette journée-là enregistre deux transactions.  D’abord un acte de vente et de ratification par Marguerite à Zachary de la part de terre dont elle a hérité de sa mère.  Puis, une quittance que lui reconnaît son beau-frère Jos Gagnon au nom de sa femme pour l’argent en monnaie du pays reçu représentant la part de Marguerite Rosalie pour les biens meubles et immeubles hérités en 1749[20].  Tout comme dans le cas de sa sœur aînée Marie Anne, Zacharie ne paye que quarante-cinq livres plutôt que les soixante-sept livres et six sols prévus en 1749.  Avec le régime que fait subir à la Nouvelle-France l’intendant François Bigot (1703-1778) depuis son arrivée en 1748, le cours de la monnaie aurait-il changé ?

L’ancien foyer de Sébastien père ne comporte plus qu’une poignée de jeunes gens en 1754.  Le nouveau maître des lieux a vingt-huit ans, Marie Charlotte son épouse en a vingt-cinq, sa fille Charlotte Hervé a trois ans, son frère Pierre en a vingt et un et finalement sa sœur cadette Marie Magdeleine en a quinze.  Cela fait maintenant près de cinq ans que Zacharie n’a plus de modèle paternel. 

Après s’être marié en 1754, Sébastien Dominique le frère de Zacharie voit sa femme accoucher de leur premier enfant le 28 janvier 1756.  Lors du baptême deux mois plus tard Marie Charlotte Tremblay est choisie comme marraine.

À l’automne 1756, la maison de Zacharie se vide rapidement.  En moins de deux jours, il se retrouve seul avec Marie Charlotte et leur fille.  Sa sœur cadette Marie Magdeleine se marie le 17 novembre et son frère Pierre le lendemain.  On sait que le père demeure à Saint-Roch-des-Aulnaies depuis un bail et ne traversera pas le fleuve, à soixante et un ans en cette fin d’automne, pour les noces comme il n’était pas traverser lors de la signature du contrat de mariage qui unirait les époux onze jours plus tôt puisqu’il est inscrit « absent » au contrat[21].  De toute façon, rappelons-nous qu’aucun de ses enfants n’avait traversé pour assister à son troisième mariage en mai 1752.  Zacharie à titre de tuteur servira de témoin et de père pour les deux enfants mineurs comme il l’avait fait pour Sébastien DominiqueMarie Magdeleine et Pierre ont-ils choisi délibérément de se marier tard en automne pour éviter une rencontre entre leur père et Zacharie ? Se poser la question c’est un peu y répondre.  Dans cette famille, rien ne va plus depuis le début de la décennie ; chacun semble éviter le mariage des autres.  Rappelons-nous celui de Marguerite Rosalie et celui de Zacharie à l’été 1750 alors que personne de la famille n’avait assisté aux cérémonies ou celui de Marie Anne l’année suivante en mai ou la même chose s’était produit.  Quoi qu’il en soit, le père et les deux sœurs qui résident à Saint-Roch-des-Aulnaies n’ont pas fait la traversée pour ces doubles épousailles et il faut remarquer que le jeune Sébastien Dominique également n’assiste à aucun des deux mariages.  Fournissons à ce dernier une excuse, il est assurément sur « la mer » où il fait l’apprentissage de son métier de pilote.

En août 1757, l’épouse du frère Pierre donne naissance à leur premier enfant.  La mère de ce dernier étant décédée, la marraine choisie est Marie Charlotte la femme de Zacharie.

À l’automne 1757, Zacharie Sébastien a réuni la somme nécessaire pour racheter du jeune Sébastien Dominique la part de terre héritée de sa mère.  On sait qu’il a fait un coup d’argent lors d’une vente à son cousin Louis Tremblay, le fils de l’oncle François Xavier, l’été précédent[22].  Il se présente donc encore une fois devant le notaire Lavoye le 8 octobre, mais cette fois-ci, c’est soixante livres qu’il remet à son frère pour les biens meubles et immeubles provenant de la part qui revenait à sa mère dans la communauté de biens qu’elle avait avec son père[23].  Il économise donc moins qu’avec ses deux sœurs précédemment, mais il apparaît tout de même, vu d’aujourd’hui, floué son jeune frère de sept livres et six sols par rapport aux soixante-sept livres et six sols prévus en 1749.   






La pêche à marsouin


Décidément, la « pêche à marsoin » devait être très lucrative et les affaires de Zacharie allez fort bien pour qu’il puisse, année après année, libérer de fortes sommes.  Il faut dire que ce dernier n’a que deux bouches à nourrir en plus de la sienne, ce qui est chose plutôt rare à l’Isle.  Un an ne s’est même pas encore écoulé depuis qu’il a remboursé Dominique que déjà il se présente à nouveau devant le notaire Lavoye le 7 août 1758 pour y recevoir de son frère Pierre une quittance pour la somme de cent trente-quatre livres qu’il lui remet et que le notaire intitule héritage du père, rente de sa terre.  De quoi peut-il s’agir ? Assurément, il faut comprendre dans ce cas-ci que Zacharie paye à l’avance à Pierre sa portion d’un arpent et trois perches appartenant au père et qui devait être payée à la mort de ce dernier au montant de quatre-vingts livres.  En plus, il règle à un montant convenu entre eux une rente pour avoir eu le droit d’exploiter cette parcelle de terre jusqu’à ce jour.  Pierre qui est maintenant marié et habite chez sa belle-mère à la Baleine dont il exploite la terre.  Il a besoin d’argent puisqu’il a effectué une transaction avec sa belle-mère un mois auparavant [24].  Lorsqu’il se présente devant le notaire Michel Lavoye, Zacharie le fait sûrement dans sa propre maison, car à l’époque, c’est le notaire qui se rend à l’Isle.  Rappelons-nous qu’en 1749 il avait mentionné à l’acte qu’il rédigeait, « ... me suis transporté cet après-midi à l’Île-aux-Coudres en la maison de Sébastien Hervé...  [25]» comme il le faisait habituellement.  Les expéditions de Lavoye duraient parfois deux ou trois jours, au cours desquels plusieurs contrats étaient rédigés.

Dans ce petit pays

L’automne 1758, c’est celle de la tristesse à l’Isle et dans la famille alors qu’une épidémie emporte plusieurs insulaires.  D’abord, Marie Catherine, fille de Dominique son frère et filleule de sa femme Marie Charlotte décède de la maladie alors qu’elle n’a pas encore trois ans.  Puis le 22 du même mois, Zacharie Sébastien perd sa sœur cadette, âgée de dix-neuf ans, qui est emportée par le mal.   Elle n’était mariée que depuis quatorze mois.

C’est vers 1760 qu’apparaissent les premières chaloupes à l’Isle.  Avant cela on utilisait de lourds canots de bois de fabrication artisanale et des canots d’écorce, manœuvrables, mais instables et dangereux qui n’étaient le plus souvent utilisés que par beau temps en été.  Zacharie peut dorénavant employer une de ces chaloupes pour aller vendre son huile de marsoins, car elles sont plus faciles à manier et sont utilisées pour remonter le fleuve jusqu’à Québec[26].  Ce pouvait être l’une de ces chaloupes qui lui permit de traverser avec sa femme aux Éboulements en janvier 1760.  Sa sœur Marguerite Rosalie est sur le point d’y accoucher de son cinquième enfant et son épouse Marie Charlotte Tremblai a fait la traversée pour la soutenir.  L’enfant qui voit le jour dans la nuit du 30 janvier portera le prénom de sa marraine, Marie Charlotte Tremblai[27].

En 1762, dans ce petit pays de trente-quatre hommes et quarante-deux femmes, Zacharie a un domestique, comme la moitié des quarante familles à l’Isle.  Il ne faut pas y voir un élément de richesse, car il est fréquent d’y voir les familles nombreuses placer l’un de leurs garçons comme travailleurs sur la terre d’une famille en manque de bras, ou l’une de leurs filles comme bonnes à la maison d’une famille où il y a trop de mâles ou une femme enceinte.  Le tout se fait simplement moyennant couvert et gîte et la plupart du temps entre parents.  Il faut bien dire qu’à l’Isle les habitants sont presque tous parents.  On compte donc en cette année 1762 vingt-neuf domestiques pour quarante familles réparties dans vingt et une d’entre elles.  François Bouchard, Joseph Debiens et Étienne Savard, qui vivent tous trois seuls avec leurs femmes, en ont trois chacun.  L’exception est assurément François Boucher, le capitaine de navire qui est également le mari de Marie Josephe Tremblay, la fille de François Xavier, donc la cousine de Zacharie.  En effet, ce navigateur, pilote et négociant à ses heures à plusieurs raisons d’avoir trois domestiques.  D’abord, il en a les moyens puisque dès 1758 il loue déjà ses services à un armateur comme capitaine en haute mer, à raison de deux cents livres par mois[28] et aussi un peu parce qu’il n’a que deux très jeunes enfants à l’époque.

Zacharie est réputé avoir deux arpents de terre en 1762.  La terre de son père avait bien deux arpents et trois quarts.  Est-ce une erreur du recenseur ? Où sont passés les trois quarts d’arpents manquants au compte ? Probablement entre les mains de son cousin Louis Tremblay lors de la transaction de 1756 qui lui permit de racheter la part de son frère Dominique.  Malgré une terre encore plus petite que celle de son père, Zacharie a tout de même deux bœufs, cinq vaches, deux taurailles, douze moutons, un cheval et deux cochons.  Zacharie quant à son élevage fait mieux que les autres censitaires à l’Isle qui ont en moyenne 1,14 bœuf, 2,33 vaches, 1,02 tauraille, 4,78 moutons, 1,04 cheval et 2,34 cochons.  Pour le nombre de moutons, personne d’autre à l’Isle n’en a autant[29]

En avril, un missionnaire de la Compagnie de Jésus s’aventure finalement à l’Isle pour y baptiser les enfants de l’hiver passé.  C’est l’occasion pour Zacharie de servir de parrain au baptême de Marie Elisabeth Boivin (1762-1838).  La petite est la fille d’Elisabeth Tremblay (1738-1779) la cousine de Zacharie, la fille de l’oncle Étienne.  Cette dernière qui avait eu trois enfants de feu Vincent Tremblay (1729-1759), son premier mari décédé aux mains de l’anglais lors de la guerre de la conquête, vient tout juste d’épouser Louis Marc Boivin (1737-1809) l’année précédente[30].

Zacharie devait être assez proche de son frère cadet Dominique comme plusieurs indices nous le montreront à travers les années.  Lors du baptême de son deuxième enfant le 11 avril 1763, ce dernier choisit sa nièce Charlotte Hervé douze ans comme marraine.  On se souviendra que Marie Charlotte Tremblay sa mère, la femme de Zacharie l’avait été pour le premier enfant de Dominique

Il faut se demander si ce sont les prises de marsoins du printemps ou les visites du notaire qui font que Zacharie fait des affaires souvent en juillet.  À nouveau le 3 juillet 1763 lui et son frère Pierre ratifient pour un montant de cent livres la vente que lui fait ce dernier de l’héritage qu’il avait reçu de sa mère.  Il semblerait que Pierre soit meilleur négociateur que ses sœurs Marie Anne et Marguerite Rosalie de qui il avait obtenu semblable parcelle de terre et règlement d’héritage pour une bouchée de pain soit quarante-cinq livres il y a dix ans et qui devaient être payées, rappelons-nous, soixante-sept livres et six sols selon l’estimation qui en avait été faite en 1749[31].  Sa sœur Rose fera-t-elle mieux l’année suivante parce qu’en juillet encore une fois, Zacharie règle ses affaires avec elle pour un montant de cent cinquante livres ? Dans ce cas-ci par contre il s’agit de l’héritage combiné de sa mère et de son père et pour l’équivalent, son frère Pierre en avait obtenu un total de deux cent trente-quatre livres, dont cent trente-quatre livres pour l’héritage de la mère[32].  Les deux veuves des Plaines d’Abraham ont fait la traversée ensemble de Saint-Roch-des-Aulnaies et se retrouvent à L’Isle-aux-Coudres pour régler leurs comptes avec le frère aîné.  On ne comprend pas bien pourquoi l’aînée Marie Anne ne vend à son frère que six pieds par cinquante de profondeur cette même journée du 22 juillet 1764.  Zacharie débourse tout de même douze livres et six sols pour cette petite parcelle[33].   On se souviendra que l’héritage du père était un morceau d’un arpent et trois perches en mesure de Nouvelle-France ce qui se traduisait pour chacun des enfants par environ trente-trois pieds par la profondeur de la terre de cinquante arpents.  Zacharie voulait-il faire la paix à ce prix avec sa sœur aînée ou cette parcelle était-elle si importante pour lui ? Selon l’estimation de 1749 il aurait dû payer pour les trente-trois pieds le septième de « quatre vingts livres en tout », il n’en obtient que six.  Marie Anne, pour une raison qui nous est inconnue, se garde un pied à l’Isle, quoique petit, un passage d’une perche et demi sur la terre familiale, en plein centre de la moitié de terre revenant à sa mère par lequel elle pourra aller revoir son ruisseau de la Mare et si elle marche jusqu’aux profondeurs, elle pourra même s’abreuver à la rivière Rouge. Zacharie pourra toujours continuer à faire la loi sur l’ensemble de la terre familiale et d’en avoir l’usufruit, il n’aura jamais en main de façon complète son fond de terre.  Si toutes ces transactions relatives aux héritages peuvent donner l’impression que Zacharie avait spolié certains membres de la famille sur la somme à recevoir pour leur portion, sa sœur aînée Marie Anne quant à elle aura su trouver le moyen de lui rendre sa monnaie.

Zacharie, avec sa famille de trois individus, a pu facilement se contenter de la petite concession de son père qui y avait tout de même élevé sept enfants avec sa première épouse.  Par contre, à en croire les greffes des notaires et les archives du Séminaire, Zacharie, ce meneur d’hommes avéré, semble avoir tiré une bonne partie de ses revenus de sa participation aux pêches annuelles de marsoins.  Les censitaires impliqués dans les pêches aux marsoins sont les Bonneau, les Savard, les Tremblay, les Desbiens, et les Hervé, dont les noms reviennent constamment dans les baux de pêche[34].  Comme on l’a vu, seuls les Hervé garderont la terre initiale du Cap à Labranche jusqu’à la fin du XVIIIe siècle où se tiennent justement lesdites pêches.  Les autres censitaires initialement installés à l’Isle dans les années 1720 ou leurs descendants, ont quitté l’île, vendu ou échangé leur concession.  On comprend donc facilement que ce soit les Hervé qui garderont l’expertise de ces pêches jusqu’au XXe siècle alors que la dernière « pêche à marsoin » s’effectuera.  Conséquemment, le nom de Zacharie revient comme associés de ces pêches plus que quiconque de son époque.  Ainsi encore une fois en 1763, il obtient de ces Messieurs du Séminaire, avec très peu d’autres associés, le bail de « pêche à marsoin » pour l’année suivante « … dans l’anse vis-à-vis du moulin à Farine au lieu nommé de la marre… ».  Les autres associés sont François Tremblay, Pierre Lagüe, Jacques Bouchard, Étienne Tremblay dit André au contrat et Louis-Marie Boulianne[35].

Zacharie a-t-il encore fait des siennes ou couvre-t-il celles d’un parent ou d’un compagnon ? Le 15 avril 1765, il est parrain d’un enfant prénommé Marie Marguerite, né de père et de mère inconnue l’automne précédent, le 11 octobre 1764 plus précisément ; c’est du moins ce que le registre de la paroisse nous révèle[36].  L’enfant n’a sûrement pas été trouvé sur les berges de l’île ou dans ses champs… Marguerite Bouchard (1720-1799) la marraine, veuve depuis 1758, s’était mariée en secondes noces le 8 octobre 1764 à François Leclerc (1730-1815).  Le registre ne dit pas qui hérite de l’enfant.  Marie Charlotte Tremblay son épouse, ne devait pas être de la fête[37]

 

Zacharie Sébastien semble avoir repris son identité depuis une bonne douzaine d’années maintenant.  On ne le retrouve plus dans les registres de la colonie que sous le prénom de Zacharie[38] qu’il gardera jusqu’à ce qu’il disparaisse.

Encore le marsouin 


Comme on l’a vu, la « pêche à marsoin » se pratique surtout sur la pointe sud-ouest de l’île, très près de chez Zacharie, de fait, au bout de la terre familiale dont il a héritée.  En 1767, ces messieurs du Séminaire renouvellent les baux des pêches aux marsoins pour l’année suivante: 


« je sousigné procureur du Seminaire de quebec ay permis au nom du dit Seminaire aux nommés…, zachari hervé,…, Dominique hervé,… tous habitants etablis sur lisle au coudre et au meunier faisant marcher le moulin de la dite isle de tendre deux pesches a marsoin sur les batures qui reignent depuis la pointe des sapins jusqu’a la pointe dite de l’islet en allant au large aux clauses et conditions suivantes… [39]»

Des quarante et un censitaires nommés aux « beaux des pêches à marsoin pour 1768 », Pierre Hervé le frère n’apparaît pas à la liste.  Pourtant, même la veuve Lajoye y figure.  Cinq ans plus tôt, il y avait quarante familles recensées à l’Isle.  Pourquoi son frère Pierre n’apparaît-il pas sur cette longue liste comprenant à peu près tous les chefs de famille chez les insulaires, alors qu’on sait qu’il est encore là et que de plus il y participait deux ans plus tôt[40] ? Personne aujourd’hui ne peut l’expliquer.

Les nouveaux maître réorganisent la colonie à leur façon


À l’automne, Zacharie Sébastien voit son unique enfant Charlotte qui n’a que seize ans épouser Alexis Perron, trente-trois ans, le 9 novembre 1767.  Le gendre n’a que huit ans de différence avec son beau-père.  Le couple habitera sur la terre familiale des Hervé.   

Après la Conquête, l’anglais réorganise la colonie à sa façon.  Dans toutes les paroisses rurales, entre 1764 et 1775, on procède à la nomination des baillis.  Ces postes d’officiers sont conçus par la nouvelle administration coloniale comme ses principaux représentants dans les campagnes pour l’exécution des lois et la sûreté de la couronne britannique.  Ils ont des fonctions à la fois administratives et judiciaires, notamment en ce qui a trait au maintien des chemins et à l’exécution des ordres des tribunaux.  La fonction ne durera pas très longtemps et on reviendra bien vite aux bons vieux postes de capitaine et de lieutenant de milice pour s’assurer des mêmes tâches dès 1775.  Zacharie pendant cette période sera élu par l’assemblée paroissiale comme « sub-bailiff » pour l’Isle-aux-Coudres, entre les années 1767 et 1774, alors que son frère cadet est élu « bailiff »[41]

Par la suite, Zacharie devient le « capitaine de milice pour l’Isle aux Coudres »[42]C’est à cette époque que la révolte américaine gronde et que les rebelles tentent d’envahir la colonie britannique.  La population à quatre vingt quinze pour cent d’ascendance française ne manifeste guère de sympathie pour la défense de la couronne, sauf l’élite, dont le clergé et les seigneurs, quasi unanimement rangée derrière elle.  La loyauté de ces derniers a été raffermie par l’adoption de l’Acte de Québec en 1774 qui a notamment établi la liberté de religion et maintenu le régime seigneurial.  Le plan des Américains pour détacher l’ancienne Nouvelle-France de l’Empire britannique est connu de la population.  Le gouverneur Carleton sous la menace qui gronde proclame la loi martiale le 9 juin 1775.  Le 13 juillet, le seigneur John Nairne, débute le recrutement des Canadiens aptes au service militaire sur la Rive-Nord du fleuve au-dessous de Québec.  Malgré ses menaces et ses supercheries, Nairne a peu de succès.  Lors de son passage à Baie-Saint-Paul, aux Éboulements et à Murray Bay on l’écoute sans plus et on s’oppose ouvertement au service militaire pour une guerre entre colonies britanniques.  Malgré les pressions du clergé, à l’Isle-aux-Coudres, alors que Zacharie est capitaine de milice, on refuse même de le rencontrer[43]. 

En 1776, Zacharie dirige déjà soixante hommes mariés et vingt et un célibataires de seize à soixante ans qui composent la milice de l’Isle[44].  À ce titre, comme nous le verrons, il entrera en conflit direct avec le nouveau curé le père Pierre Joseph Compain arrivé au début d’octobre 1775.  Compain n’a que trente-cinq ans à son arrivée à l’Isle, mais du haut de sa soutane, il voudrait bien que Zacharie qui en a près de cinquante suive ses conseils.  Bien que suffisamment apprécié pour être élu à des postes de confiance par la population de l’Isle, Zacharie, on le croit, à un caractère assez particulier tout de même.

À l’été 1769, l’arpenteur Plamondon, père s’amène à l’Isle à la requête de la cousine de Zacharie, Marie Josephe Tremblay fondée de pouvoir au nom du Sieur François Boucher capitaine de navire afin de chaîner et aligner ses terres[45].  Zacarie dont la terre est voisine de celle ainsi chaînée agit comme témoin au procès-verbal de l’exercice.  Son gendre qui n’a encore aucun droit sur la terre familiale des Hervé est tout de même présent également comme témoin.

Au printemps 1771, alors qu’il aura bientôt quarante-cinq ans, Marguerite Rosalie la sœur de Zacharie le choisit comme parrain de son premier enfant à naître à l’Isle.  Elle qui vient tout juste de s’installer à l’île après une absence de plus de vingt ans, avait eue tous ses autres rejetons aux Éboulements[46].  

À l’été de la même année, ces messieurs du Séminaire ordonnent à l’arpenteur Ignace Plamondon, père de procéder au chaînage et à l’alignement des terres d’Étienne Desbiens fils, Jean Desbiens et Claude Bouchard.  Les 26 et 27 août, Ignace Plamondon pour se faire dresse donc un plan qui confirme que la terre de Zacharie est toujours celle qui avait appartenu à son père et qu’il est encore voisin d’Étienne Debien[47].

Les années passent et les neveux et nièces de Zacharie se marient lui donnant l’occasion de fêter avec ses deux frères Pierre et Dominique et sa sœur Marguerite Rosalie, ses seuls parents toujours à l’Isle.  Ainsi en février 1777, Marie Des anges dite Marie Ange Gagnon (1753-1836), la fille de cette dernière épouse Joseph Marie Terrien (1751-1840) ce qui distrait le long hiver à l’Isle[48].  Pendant plus de vingt ans, les trois frères Hervé avaient été seuls à demeurer sur l’île puisque deux des filles s’étaient réfugiées à Saint-Roch-des-Aulnaies alors que Marguerite Rosalie et son mari s’étaient établis aux Éboulements en 1750 pour ne revenir que près de vingt ans plus tard.   

C’est en 1781 que Dominique son frère perd sa première épouse en janvier et se remarie en octobre.  Lors de la rédaction du contrat de mariage à la fin septembre tout comme lors du mariage c’est encore Zacharie qui sert de témoin et de père à son cadet comme il l’avait fait en 1754.

Le 24 septembre 1783, on découvre sur la berge de l’île le corps de Dominique dit François Marier (1753-1783).  François est le fils de Catherine Savard (1731-1892), une belle-sœur de Dominique, frère de Zacharie.  Ce dernier comme capitaine de milice se rend sur les lieux de la découverte du corps et rédige le procès-verbal de constat du décès par noyade[48a].

Si Zacharie n’a qu’une  fille, il n’est pas à court de neveux et nièces à l’Isle qui sont près d’une trentaine au total.  Les occasions de faire fuir la monotonie des longs hivers où l’île est prisonnière des glaces sont donc nombreuses avec tous ces parents qui approchent de l’âge adulte et qui convolent en grand nombre.  Le 9 février 1784, on trouve alors une raison de fêter puisque la fille aînée du frère Pierre se marie.  Zacharie, ses deux frères et sa sœur en profitent donc encore une fois. 

Le statut de capitaine de milice de Zacharie Sébastien l’amène à joindre les rangs des fêtards à toutes occasions.  Le temps le fera connaître comme étant quelqu’un qui aimait bien traîner à la cantine[49] et caresser la bouteille.  Ainsi, au début de janvier 1786, Zacharie est témoin au mariage de Louis Tremblay (1758-1846) des Éboulements et de Marie Victoire Savard (1764-1827).  Aucun des mariés n’est parent de près ou de loin, néanmoins Zacharie est invité[50].  Marie Victoire est bien la fille de Pierre Savard (1737-1809) qui fut marié pendant deux ans à Marie Françoise Tremblay (1730-1758) la cousine de Zacharie décédée lors de l’épidémie qui ravagea l’Isle en 1758, mais elle n’est pas la fille de cette dernière.

C’est à cette époque alors qu’il approche les soixante ans que ses relations avec le jeune curé de l’époque s’enveniment.  Zacharie est alors et depuis 1775 capitaine de milice[51], une fonction attribuée à un individu en raison de sa maturité et de sa crédibilité qui lui confie un rôle d’intermédiaire entre les insulaires et les administrateurs de la colonie.  Lui qui avait été élu « sub-bailiff » par la population de l’Isle auparavant devait bien avoir une certaine notoriété parmi les siens.  Quoi qu’il en soit, Zacharie et le père Pierre Joseph Compain, qui sera curé de l’île de 1775 à 1788, ne boiront pas à la même source et arriveront probablement difficilement à se partager le petit pouvoir à l’Isle.  Il semble que ce curé qui a d’abord été médecin puis marié en 1766 et finalement ordonné prêtre en 1774 après le décès de son épouse voulait influencer ses paroissiens au-delà de ses responsabilités spirituelles.  En autres traits de son caractère, il attaque violemment Zacharie, qui refuse ses conseils, le traitant de pourceau, d’ivrogne « qui ne juge ses Causes qu’à La Cantine, et que Lorsque Les Parties le font Boire Comme il faut »[52].  De sa présence à l’Isle résultera une légende qu’il avait lui-même créée selon laquelle les cloches de l’église se seraient mises à sonner d’elles-mêmes le glas pour annoncer la mort de son confrère, le jésuite Jean-Baptiste de La Brosse.  Bien qu’il soit prêtre, il monnaiera, sa vie durant un moyen de guérir le chancre, maladie très courante à l’époque, qu’il apprendra d’un chirurgien de l’armée britannique ; ce secret fera sa renommée et comblera sans doute son besoin d’attention que Zacharie ne semblait nullement avoir voulu lui concéder.  Il est évident que Zacarie, comme l’écrivait Compain, ne mangeait pas « à la balustre » du curé et que les relations entre ces hommes devaient faire l’objet de commérage à l’Isle.  Pour qu’une telle histoire nous soit parvenue, deux cent trente ans plus tard, avec le nom du pêcheur, quelqu’un qui savait écrire a sûrement dû manquer de charité chrétienne.  On en a pour preuve le registre du curé.  À l’époque lorsqu’une mort subite ou accidentelle telle une noyade survenait, le capitaine de milice de la paroisse avait la responsabilité de dresser un procès-verbal entourant les événements et c’est à ce procès-verbal que se référait les curés dans leurs registres pour décrire les circonstances de la mort de celui ou celle qui était inhumé.  Lorsque l’on feuillette les registres des paroisses du temps, on s’aperçoit que les instructions de l’évêché faisaient en sorte que la formulation était normalisée et que le nom du capitaine de milice apparaissait dans le registre.  Pas à l’Isle où son nom était omis, du moins pas au cours du règne du père Compain.  Par exemple, en janvier 1788 on peut lire au registre :

« ... le corps de Joseph Perron âgé de vingt ans décédé du jour précédent de mort subite comme il paroit dans le procès verbale du capitaine de milice de cette paroisse....[53]»

La pratique reviendra à la normale après le départ du père Compain[54]. 

En ce début d’automne le 4 octobre 1787, Zacharie est témoin de la mariée, sa nièce par alliance Thérèse Tremblay (1768-1846), la fille de son beau-frère Jean Baptiste Tremblay (1738-1821).  Elle épouse Augustin Gagnon (1766-1809) de la baie Saint-Paul.  Comme les parents de Thérèse sont des Éboulements on peut penser qu’elle travaille à l’Isle, peut-être même comme bonne chez sa tante Marie Charlotte Tremblay puisque ni ses parents, ni ceux du marié ne sont présents à la cérémonie[55].

C’est à près de soixante-quatre ans que Zacharie et son épouse Marie Charlotte Tremblay décident de vendre leur terre à leur fille et gendre à l’été 1790.  L’histoire ne dit pas pourquoi ils n’ont pas procédé par donation à leurs âges avancés surtout que le couple n’a que Charlotte d’enfant[56].  Comme le couple n’a nulle part où allez, Zacharie et Marie Charlotte Tremblay demeurent dans leur maison[57].  Alexis doit tout de même à son beau-père sa fonction de lieutenant de milice et l’hébergement depuis vingt ans de lui, sa femme et leurs onze enfants à ce jour.      

Zacharie Sébastien fut lieutenant de milice et succéda à son frère Sébastien Dominique comme capitaine vers 1775.  Il fut capitaine pendant tout le règne de l’abbé Compain et même quelques années après son départ jusque vers 1794[58].  Après plus de vingt-ans dans ces fonctions il passera son titre cette année-là à Joseph Dufour dit le grand Bona et fera nommer son gendre Alexis Perron lieutenant de milice.  Alors qu’il a soixante-huit ans, le nom de Zacharie comme capitaine de milice à l’Isle apparaît une dernière fois dans l’Almanac de Québec en 1794.  Il est peu probable qu’il assumait encore ces fonctions cette année-là puisque lors du mariage d’Augustin Dufour et de Marie Anne Tremblay le 13 août 1792, Joseph Dufour dit le grand Bona, le cousin du marié assiste à la cérémonie et le curé mentionne à son registre qu’il est capitaine de milice et chevalier représentant dans la chambre d’assemblée du bas-canada[59]. 

Le jeudi 1er août 1799, Zacharie perd son frère Pierre, qui décède à l’âge de soixante-six ans.  Il se sera écoulé plus de quarante ans depuis le départ de la première de sa famille, Marie Magdeleine en 1758. 

Des quinze familles pionnières de 1728 à l’Isle, seuls les Hervé en la personne de Zacharie, ont conservé leur patrimoine original jusqu’à la fin du XVIIIe siècle[60]. 

En 1802, douze ans après que Zacharie ait vendu sa terre, c’est maintenant au tour de sa fille et de son gendre, Alexis Perron, de se donner à leur fils aîné[61].  Zacharie et Marie Charlotte Tremblay deviennent par conséquent dépendants de leur petit-fils sur la terre des Hervé qui est maintenant celle des Perron.  Parlant des Perron, Alexis Perron lieutenant des milices et époux de Charlotte Hervé décède le 24 août 1807[62]. 

Il ne se passe guère grand-chose dans la vie de Zacharie depuis qu’il a passé à quelqu’un d’autre son poste de capitaine de milice de l’Isle-aux-Coudres vers 1792.  En 1812, maintenant âgé de quatre-vingt-six ans, c’est depuis belle lurette son gendre Alexis Perron qui voyait aux travaux de la terre jusqu’à son décès, mais maintenant, c’est son petit-fils, l’aîné de sa fille, le célibataire Zacharie Sébastien Perron (1776-1862) qui s’en occupe.  Ce dernier, trop occupé à veiller sur sa mère Charlotte Hervé et ses grands-parents Zacharie et Marie Charlotte Tremblay, ne se mariera qu’à l’âge de quarante-sept ans. 

Le temps et les gens passent et c’est maintenant à l’épouse de Zacharie de partir.  Marie Charlotte Tremblay « vivante épouse de Zachari Harvay ancien Capitaine de Milice » décède le 14 mai 1813 à l’âge de quatre-vingt-quatre ans[63].  On imagine le patriarche Zacharie Sébastien quatre-vingt-six ans révolu assisté à la cérémonie.  Il est toujours vivant, car le curé, Pierre Thomas Boudreault natif de l’Isle, ne précise pas comme il le fait toujours « vivante épouse de défunt untel » et comme il l’a fait également dans cette même page de son registre pour la sépulture précédente[64]. 

Qu’advient-il de Zacharie par la suite ? A-t-il quitté l’Isle après le décès de sa femme ? Sa fille unique Charlotte y demeure pourtant toujours et est veuve depuis 1807.  Quoi qu’il en soit, il ne sera pas inhumé au cimetière à l’Isle et personne à ce jour n’a pu trouver où il est décédé dans la colonie.  Les hôpitaux de Québec ne font pas mention de son décès non plus.  C’est en ce jour de sépulture de son épouse que Zacharie, qui aura quatre-vingt-sept ans en août, est mentionné dans les registres religieux de la paroisse pour la dernière fois et que l’on perd sa trace. 

Charlotte Hervé continuera de vivre sur la terre de son père entourée de ses dix enfants non mariés dont plusieurs ont plus de vingt ans et voient aux travaux de la ferme depuis bon nombre d’années.  On peut penser qu’avec le départ progressif des plus grands, la cadette Basilisse (1795-1875) deviendra le poteau de vieillesse de Charlotte.   Bien que Charlotte Hervé et son défunt mari s’étaient donnés à leur fils aîné en 1802, ce sera la cadette Basilisse que l’on retrouvera demeurant avec son époux sur la terre ancestrale de la famille Hervé en 1825 après le décès de sa mère Charlotte.  Zacharie Sébastien Perron, l’aîné quant à lui ne cultive plus la terre et il s’est fait journalier.

Zacharie, il n’y a pas à en douter, avait du caractère et probablement tout un caractère.  Sa relation avec son père amena ce dernier au sud du grand fleuve.  On peut supposer que les choses n’étaient guère mieux avec certaines de ses sœurs qui choisirent le même chemin.  Sa relation avec le curé Compain lui vaudra une citation dans les dictionnaires d’aujourd’hui pour lui avoir tenu tête.  Comment un octogénaire ayant toujours vécu sur son île peut-il en disparaître sans y laisser de trace.  Le père Pierre Joseph Compain avait-il raison dans son jugement du caractère de Zacharie ?


La mort de Zacharie

Il est possible que Zacharie soit décédé bien avant son épouse en 1813.  Certains indices supportent qu’il le soit depuis un certain temps.

Au décès de sa femme, il est possible que, sortant de son ordinaire, le curé en inscrivant au registre « ancien Capitaine de Milice » au registre, voulût tout simplement dire de son vivant.

Zacharie est remplacé comme capitaine de milice à l’île en 1794. 

Au décès de son frère Pierre en 1799, son nom n’apparaît pas au registre de la sépulture.  Pourtant celle de son petit-fils Zacharie Sébastien Perron (1776-1862) y est, de même que celles de plusieurs autres.

Il n’est pas mentionné comme témoin à aucun des six mariages de ses petits-enfants célébrés entre 1795 et 1813.  Après le décès d’Alexis Perron, leur père, ce sera l’aîné et non le grand-père qui servira de père lors des deux derniers mariages de cette période.   

On peut tenir pour acquis que si Zacharie s’était noyé, la tradition orale et les nombreux écrits sur les insulaires ainsi disparus auraient fait état de la perte d’un ancien capitaine de milice.

S’il est décédé, pourquoi ne retrouvons-nous pas la trace de sa sépulture, ce qui est exceptionnel chez les insulaires à l’époque ?

Bien que ce ne soit qu’une hypothèse, Zacharie a pu être excommunié et ainsi ne pas avoir mérité une sépulture chrétienne.  Pierre Joseph Compain, le représentant de l’église à l’Isle, avait été en guerre ouverte avec Zacharie pendant la quinzaine d’années qu’il avait officié la paroisse Saint-Louis-de-France.  On était alors à l’époque ou l’évêché était dirigé par Mgr Briand.  L’histoire nous a appris que cet évêque excommuniait les récalcitrants à tout vent.  Il se plaignait de ce que « les braves Canadiens veulent arranger eux-mêmes les choses de l’Église. Ils en savent sur la religion et les choses de Dieu plus que les prêtres et l’évêque. »  Fort de son autorité épiscopale, avait-il excommunié Zacharie à la demande de son curé ce qui lui aurait fermé les portes du cimetière.  Briand, à ce que l’on dira de lui plus tard, bien que rapide a excommunié, était prêt à pardonner au moindre signe de repentance.  Au cours de sa vie, Zacharie Sébastien, plus têtu que la moyenne, n’est jamais apparu comme une personne repentante[65]

Généalogie de Zacharie Sébastien Hervet (1726-c.1813)

*****************************************************************************************

Pour passer au prochain enfant de Sébastien Hervé, cliquez ICI

*******************************************************************************************

[1] Aussi appelé Sébastien, Zacharie ou Acarie au cours de sa vie.

[2] L’endroit est situé sur la Côte-du-Sud et est connu à l’époque sous le nom de Grande-Anse et parfois Sainte-Anne-de-la-Grande-Anse en référence à la grande anse de 14 km dans le fleuve Saint-Laurent à cette hauteur.  Elle comprend le territoire connu aujourd’hui sous l’appellation La Pocatière.

[3] TANGUAY, Cyprien.  Répertoire général du clergé canadien : par ordre chronologique depuis la fondation de la colonie jusqu’à nos jours. Québec, Édition C. Darveau, 1868, page 91.

[4] Symbole de l’association phonétique internationale.

[5] BAnQ., Registre de l’hôpital Hôtel-Dieu du Précieux-Sang de Québec, 20 juillet 1726.

[6] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame de Québec, 29 juillet 1727. Mariage de Louis Tremblay et Magdeleine Marquis.

[7] A.S.Q., M. Concession à Jean Gonthier (1714-1749), Seigneurie 46, pièce No 2, le 28 juin 1743.  L’acquisition de cette terre n’est faite devant notaire que le 28 juin 1746.

[8] Les modalités de transmission des terres sont prescrites par les lois successorales qui étaient imposées à̀ la population de la Nouvelle-France au XVIIIe siècle.  La Coutume de Paris était le corps de loi en vigueur à l’époque en Nouvelle-France.

[9] Certains des contrats spécifient que les parts sont achetées « en pièces d’or et d’argent. »  Toutes les terres sont quittes d’arrérages.

[10] ORIGINIS. Petite-Rivière-Saint-François (Saint-François-Xavier). [En ligne]. http://www.originis.ca/paroisse_petite_riviere_saint_francois.html [page consultée le 12/2/2017].  Seules les archives civiles sont disponibles pour la période 1733-1772 ; les archives religieuses semblent avoir disparu.

[11] Parlure de l’Isle-aux-Coudres et de Charlevoix.  Mal-avenant : malcommode, désagréable, déplaisant.

[12] MAILLOUX, Alexis. Histoire de l’Île-aux-Coudres depuis son établissement jusqu’à nos jours. Avec ses traditions, ses légendes, ses coutumes. Montréal, La Compagnie de lithographie Burland-Desbarats, 1879, pages 56-57.

[13] Né le 17 novembre 1716 dans la seigneurie de Maskinongé, Charles-Marie Baron dit Lupien est probablement le fils de Pierre Lupien dit Baron, maître charpentier, et d’Angélique Courault dit La Coste. Baron dit Lupien effectue son noviciat chez les Récollets en 1735 et prononce ses vœux l’année suivante. Il entre en religion sous le nom de Denis Baron, mais n’est ordonné prêtre qu’en septembre 1741. Le père Baron exerce d’abord son ministère au couvent de Montréal, puis à Sainte-Anne-du-Bout-de-l’Île (aujourd’hui Sainte-Anne-de-Bellevue) en 1741 et à Boucherville en 1744. Il œuvre ensuite dans la région à Pointe-du-Lac près de Trois-Rivières de 1742 à 1744, puis au fort Chambly, où son apostolat auprès des troupes dure une dizaine d’années. Le récollet continue d’offrir les services religieux dans différentes paroisses de la colonie jusqu’en 1753. C’est durant cette période qu’il s’attache le temps d’un hiver et d’un été à L’Isle-aux-Coudres. Son passage à l’Isle (19 octobre 1750 au 4 août 1751) est peu documenté. Lors de la guerre de la Conquête, le père Baron agit comme aumônier militaire alors qu’il accompagne les troupes françaises dans la vallée de l’Ohio. Il séjourne notamment au fort Duquesne de 1754 à 1756 avant de retourner à Montréal. L’aumônier est par la suite envoyé au fort Saint-Jean en 1758. Il dessert occasionnellement le fort Saint-Frédéric, à la limite du lac Champlain, dans l’actuel État de New York. Il est décédé au fort Saint-Frédéric peu avant le 6 novembre 1758. Il est inhumé au même endroit. Dans : Répertoire du patrimoine culturel du Québec. Et ROY, Pierre-Georges. « Le Bulletin des recherches historiques », Recherches historiques ; bulletin d’archéologie, d’histoire, de biographie, de bibliographie, etc., etc., Lévis, éditions de Pierre-Georges Roy, Volume dix-neuvième, 1913, 302 pages, 43 citations. Et : JOUVE, Odoric Marie.  Dictionnaire biographique des récollets missionnaires en Nouvelle-France, 1615-1645, 1670-1849. Montréal, les Editions Fides, 1996, pages 26-29.

[14] A.S.Q., Seigneuries 46, no 20c.

[15] Cette observation est basée sur la revue qu’on fait trois personnes (le Dre Louise Desjardins-MacGregor, Jacques Harvey et moi-même) des actes notariés retrouvés concernant Sébastien père et son fils Zacharie Sébastien.   Il est possible qu’il existe d’autres documents notariés qui n’aient pas été retrouvés.

[16] A.S.Q., Séminaire 5, no 57.

[17] A.S.Q., Seigneuries 46, no 4C, 4C bis, procès-verbal du moulin.

[18] A.S.Q., Seigneuries 46, 4, no 25. Bail du moulin de l’Île-aux-Coudres, 18 juillet 1752.

[19] BAnQ., Registre de Saint-Louis-de-France de l’Isle aux Coudres, 19 août 1754.  Il n’y a pas de preuve historique que le Sebastien Hervé témoin au mariage de Dominique Hervé soit Zacharie Sébastien plutôt que le père.  On sait par contre que Sébastien père n’apparaît plus dans les registres ou les documents notariés de l’Isle depuis l’inhumation d’un enfant le 8 mai 1750 et encore là, il n’est pas certain qu’il s’agissait de Sébastien père qui était témoin à cette inhumation.  De plus, on sait que le père vit à Saint-Roch-des-Aulnaies depuis au moins septembre 1751.  Malheureusement, le missionnaire Jésuite Claude Godefroy Coquart qui a l’habitude d’écrire les liens familiaux des témoins, ne nous éclaire pas, car contraire à son habitude, il ne le fait pas dans ce cas-ci.

[20] A.N.Q., GN. Minutier Michel Lavoye, 12 novembre 1754.

[21] A.N.Q., GN. Minutier Michel Lavoye, 7 novembre 1756.  Contrat de mariage entre Pierre Hervé et Marie Madeleine Tremblay.

[22] A.N.Q., GN. Minutier Michel Lavoye, 6 juin 1756.  Vente par Sébastien Hervé à Louis Tremblay.

[23] A.N.Q., GN. Minutier Michel Lavoye, 8 octobre 1757.

[24] A.N.Q., GN. Minutier Antoine Crespin père, 6 juillet 1758.

[25] A.N.Q., GN. Minutier Michel Lavoye, 28 juillet 1749.

[26] DES GAGNIERS, Jean. L’Île-aux-Coudres. Montréal, Leméac, 1969, page 21.

[27] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame-de-l’Assomption-des-Éboulements, 30 janvier 1760. 

[28] LAUZIER, Roch. « Boucher, François ». Dictionnaire biographique du Canada. 1re édition 1966, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 1983, 15 volumes, volume V (Décès de 1801-1820).

[29] BAnQ., « Recensement du gouvernement de Québec en 1762 par Jean-Claude Panet ».  Rapport de l’Archiviste de la province de Québec pour 1925-26, 30 décembre 1926, pages 140-141.

[30] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Louis-de-France de l’Île-aux-Coudres, 17 avril 1762.  Baptême de Marie Elisabeth Boivin née le 12 février 1762. 

[31] A.N.Q., GN. Minutier Antoine Crespin père (1713-1782), 3 juillet 1763. Vente de Pierre à Zacharie, cent livres, héritage de la mère.

[32] A.N.Q., GN. Minutier Antoine Crespin père (1713-1782), 22 juillet 1764 ; Rose 150 livres.  Le notaire fond dans un seul acte les remboursements de Zacharie Sébastien à ses deux sœurs, Rose et Marie Anne.

[33] A.N.Q., GN. Minutier Antoine Crespin père (1713-1782), 22 juillet 1764 ; Marianne 12 livres et 6 sols (elle ne vend que 6 pieds par cinquante de profondeur).  Le notaire fond dans un seul acte les remboursements de Zacharie Sébastien à ses deux sœurs, Rose et Marie Anne.

[34] DESJARDINS, Louise. La transmission du patrimoine à I’Isle-aux-Coudres au XVIIIᵉ siècle. Hamilton, Éditions de l’Université de Mc Master, « Open Access Dissertations and Theses », No.7928, 1992, page 338.

[35] A.N.Q., GN. Minutier Antoine Crespin père (1713-1782), 19 octobre 1763. 

[36]  BAnQ., Registre de Saint-Louis-de-France de l’Isle aux Coudres, 15 avril 1765.

[37] Rien ne prouve cette calomnie, mais c’est tout de même une hypothèse intéressante.

[38] Parfois orthographier Zacari, Zachary ou Zacary.

[39] A.S.Q., Seigneuries 46, no 26E, 144, 9 juin 1767.

[40] A.N.Q., GN. Minutier Michel Lavoye, 22 juillet 1764.  Bail de pêche.

[41]  BAnQ., Gazette de Québec, 17 septembre 1767, 8 septembre 1768, 7 septembre 1769, 4 octobre 1770, 10 octobre 1771 et 9 septembre 1773.

[42] ROY, Pierre-Georges. « Le Bulletin des recherches historiques », Recherches historiques ; bulletin d’archéologie, d’histoire, de biographie, de bibliographie, etc., Lévis, éditions de Pierre-Georges Roy, volume 59, octobre 1953, numéro 4, Rôles des Milices des campagnes du district de Québec, pages 226-227. Zacharie Sébastien fut capitaine de milice pour l’Isle aux Coudres pendant toute la période du père Pierre Joseph Compain, qui sera curé de l’île de 1775 à 1788 et continuera après son départ jusqu’en 1794, inclusivement.

[43] WRONG, George M., A Canadian manor and its seigneurs. Toronto, the MacMillan Company of Canada, 1908, page 64.

[44] ROY, Pierre-Georges, op. cit.

[45] BAnQ., CA301, Fonds Cour supérieure. District judiciaire de Québec. Greffes d’arpenteurs (Québec), S43 Ignace Plamondon, père, minutes No 645.  Procès-verbal de chaînage, lignes et bornes de trois terres situées à l’île aux Coudres, dans la seigneurie de l’Île-aux-Coudres, 22 juillet 1769.

[46] BAnQ., Registre de Saint-Louis-de-France de l’Isle aux Coudres, 25 avril 1771.  Baptême de Marie Geneviève Gagnon, fille de Marguerite Rosalie Hervé.

[47] BAnQ., CA301, Fonds Cour supérieure. District judiciaire de Québec. Greffes d’arpenteurs (Québec), S43 Ignace Plamondon, père, minutes No 678Plan de lisle aucoudre et procès-verbal et plan de chainage et d’alignement des terres d’Étienne Desbiens fils, Jean Desbiens, Claude Bouchard et Al. Ordres du Séminaire, 26 et 27 août 1771.

[48] BAnQ., Registre de Saint-Louis-de-France de l’Isle aux Coudres, 4 février 1777.

[48a] Ibid., 26 septembre 1783.

[49] On ne trouve pas de source écrite témoignant de la présence d’un débit de boisson à l’Isle avant le XIXe siècle, mais le père Pierre Joseph Compain en rapporte l’existence dans l’une de ses lettres. 

[50] Ibid., 10 janvier 1786.

[51] BAnQ., The Quebec Almanac for the year 1794. Québec, Imprimeur John Neilson, 1793, page 92.  L’Almanac de Québec débuta la publication des officiers de Milice à compter de 1788.  Zacharie y est mentionné comme Capitaine de la Milice pour l’Île aux Coudres à toutes les parutions jusqu’en 1794.  « Zacharie Hervé ile aux coudres », page 50 de l’Almanac de 1788, page 46 de 1789, page 47 de 1791 ; par la suite, « Zacharie Hervey ile aux coudres », page 127 de 1792, page 92 de 1794.  À compter de 1795 Joseph Dufour puis en 1797 Joseph Dufour lieutenant-colonel et Marc Gagnon, capitaine.

[52] Ibid., JANSON, Gilles.

[53] BAnQ., Registre de Saint-Louis-de-France de l’Isle aux Coudres, 15 janvier 1788.

[54] Ibid., 26 août 1793.

[55] Ibid., 4 octobre 1787.

[56] A.N.Q., GN. Minutier Jean Néron, 10 juillet 1790.  Vente par Zacharie Hervé à Alexis Perron.

[57] LALANCETTE, Mario.  La seigneurie de l’île-aux-Coudres au XVIIIe siècle.  Montréal, Les presses de l’Université de Montréal, 1980, page 199.

[58] BAnQ., The Quebec Almanac, op. cit. 

[59] BAnQ., Registre de Saint-Louis-de-France de l’Isle aux Coudres, 13 août 1792.  Joseph Dufour dit Bona n’était pas encore capitaine de milice au mariage de sa fille Geneviève le 7 novembre 1791.  Son nom n’apparaîtra à ce titre que dans le The Quebec Almanac de 1795 (page 95) ?

[60] LALANCETTE, Mario.  La seigneurie de l’île-aux-Coudres au XVIIIe siècle.  Montréal, Les presses de l’Université de Montréal, 1980, page 199.

[61] A.N.Q., GN. Minutier François Sasseville, 22 juin 1802. Donation par Alexis Perron à Alexis Zacharie Sébastien Perron. 

[62] BAnQ., Registre de Saint-Louis-de-France de l’Isle aux Coudres, 26 août 1807.

[63] Ibid., 15 mai 1813.

[64] Ibid., 5 mai 1813.

[65] A.A.Q., Correspondance de l’évêque et VACHON, André. « Briand, Jean-Olivier ». Dictionnaire biographique du Canada. 1re édition 1969, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 1980, 15 volumes, volume IV.