Louis Harvey 

7.6.09.2.04.2 Louis Harvey (1854-1933), 7e génération

Louis Elphrilde Harvey de la septième génération quittera la municipalité de Saint-Henri au sud-ouest de Montréal en 1880 avec sa famille pour la ville du coton de Lowell au Massachusetts.  Né le 19 janvier 1854 dans le canton de Settrington sur les hautes terres de Charlevoix, il est probablement celui qui incita son père à tenter leurs chances aux États-Unis[1]Louis Harvey est le fils aîné du précédent, Maxime Hervai (1830-1906) à Pierre Hervez (1799-1867) à Dominique Isaïe (1775-1851) chez Dominique Hervé (1736-1812).

Louis ne se souviendra pas des hauteurs charlevoisiennes puisqu’il n’a que deux ans quand sa famille déménage à l’autre bout de la province, au sud-ouest de Montréal dans la municipalité de Sainte-Cécile qui deviendra bien plus tard Salaberry-de-Valleyfield.  C’est assurément à cet endroit qu’il fréquentera l’école puisque Louis saura lire et écrire[2].  Après la mort de son frère Alexandre en avril 1863[3] alors qu’il n’a encore que neuf ans, c’est dans un quartier à grande majorité anglophone de Montréal que la famille aboutira.  Fils d’un charpentier, comme la plupart des enfants de son époque, il dut travailler dans l’une des nombreuses usines du faubourg ouvrier Sainte-Anne qui embauche ce genre de main-d’œuvre bon marché, car déjà un tiers des enfants de onze à quatorze ans travaille dans des usines.  Les salaires sont très bas et les familles ouvrières comme celle de son père n’ont pas le choix[4]

En 1871, Louis à dix-sept ans.  On sait qu’il est déjà tourneur sur bois ou plutôt,             « turner » dans la langue du gouvernement qui dirige le nouveau pays[5].  Tout comme son père, il travaille au plus important complexe industriel du secteur qui est aussi le plus gros en superficie, la Augustin Cantin, Canada Marine Works, dont l’adresse principale est sur la rue Saint-Joseph (aujourd’hui Notre-Dame), mais qui s’étend jusqu’aux bassins.  

On y fabrique chaque année, plusieurs navires à roues à aubes et autres navires de fort tonneau.  La compagnie utilise deux cales sèches, et les activités sont organisées autour du bassin avec ses départements d’ingénierie, de scierie, de fonderie, d’usinage, de chaudières, de peinture et de menuiserie; c’est dans ce dernier atelier que Louis et son père travaillent[6].


Il perd sa mère l’année suivante, un peu après Noël 1872[7].   Dix jours après le décès de cette dernière, Louis épouse Arthémise Legault dite Deslauriers (1852-1930), une résidente de la même paroisse.  Si Louis n’a pas encore dix-neuf ans le 7 janvier 1873, la nouvelle épouse est à peine majeure.   Lors du mariage, le célébrant nous apprend que Louis est toujours tourneur sur bois; il le sera toute sa vie[8].  La cérémonie se déroule dans l’église Saint-Joseph sur la rue Richmond.  Le quartier manufacturier Sainte-Anne englobe alors la partie sud de l’ancien faubourg Saint-Joseph où est située l’église et où vivra Louis.  C’est seulement dans la bordure nord du quartier Sainte-Anne qu’est concentrée la population francophone, près de la rue Saint-Joseph (aujourd’hui Notre-Dame).  L’activité industrielle située en bordure du canal de Lachine, à l’origine de l’urbanisation rapide du quartier, fera vivre la famille comme elle avait fait vivre celle de son père jusqu’au mariage de Louis.

Si Louis avait pu bénéficier de la longue période de prospérité qu’avait connu le pays, l’année de son mariage annonçait sa fin abrupte avec l’éclatement de la Grande Crise dans le monde occidental.  Les mises à pieds dans les usines de quartier Sainte-Anne sont nombreuses et seul le démarrage de nouveaux travaux publics cette même année sur le canal Lachine en bordure des bassins offre une soupape à la population.  On ne sait pas si cette crise bouleversa l’emploi de Louis, mais les conditions de vie dans le quartier allaient être grandement affectées, car les employeurs profiteront de cette crise pour diminuer les salaires.

En novembre de cette année maudite, Arthémise accouche de son premier enfant.  Même à Montréal la tradition rurale a suivi, car le grand-père Maxime Hervai est choisi comme parrain alors que Louise Leboeuf, une sœur de feue la mère de Louis, est la marraine[9].  C’est dans cette même église que, dix jours plus tard, son père veuf épousera la marraine[10].  

Le portrait du logement où la famille habite n’est pas rose.  Les immeubles à logements du quartier datent tous des années 1820 à 1850 et ils vieillissent mal.  Les usines de plus en plus toxiques entourent la zone résidentielle.  La moitié des logements doivent se contenter de bécosses externes, malgré l’accès à l’eau municipal.  La tuberculose est rampante et les gens vivent constamment dans la fumée de charbon.  La mortalité infantile est élevée; vivre dans ce quartier est manifestement malsain.  C’est donc dans ces conditions, à la fin d’octobre 1874 que décède Clarinda, un bébé de moins d’un an[11]

Louis et Arthémise auront quatre autres enfants dans le quartier Sainte-Anne : Marie Clarinda (1875-1939), Eléonore (1876-1918), Louis (1879-1960), Damase (1880-1920).

Louis et son père habiteront toujours à quelques portent l’un de l’autre.  La proximité de leur travail près du fleuve explique probablement cette situation.  Louis et sa famille demeurent au numéro 1 de la rue Saint-Martin et son père près du coin de la même rue sur la rue Basin[12].  Ils seront la proie d’inondations par l’eau et la glace tous les printemps[13], saison où l’on voit souvent déborder le Saint-Laurent et le canal Lachine inondant les parties basses de la ville comme le sud du quartier Sainte-Anne.  En plus d’arracher les quais, des barrières de glace font reculer l’eau dans le quartier et le scénario se répète presque chaque année.

Profitant de ces conditions déplorables, les recruteurs des usines américaines de coton ciblent les populations vulnérables comme celle du quartier Sainte-Anne.  Probablement en raison de la pauvreté persistante engendrée par les bas salaires et des mises à pieds fréquentes pendant la crise économique qui s’étire de 1873 à 1879, en plus des mauvaises conditions de vie liées aux crues printanières, Louis, son père et deux de ses oncles du côté des Leboeuf décident de tenter leurs chances dans le textile à Lowell en Nouvelle-Angleterre.

C’est donc à l’automne 1880, après la naissance du petit dernier en mars, que Louis et Arthémise prennent le train avec leurs quatre enfants pour s’installer près d’un autre cours d’eau; cette fois-ci, c’est sur les berges d’une rivière contrôlée depuis des lunes, la Merrimack de Lowell au Massachusetts[14]Louis sera tourneur sur bois au moulin à la Boott Cotton Mills.  

On ne sait pas ce qui amène la famille à revenir au pays trois ans plus tard.  C’est peut-être à cause d’une baisse de la production au complexe de la Boott Cotton Mills entraînant des mises à pied ou encore à des difficultés d’acclimatation de la famille à la vie américaine.  Quoiqu’en soit la raison, la famille revient dans la province en 1883.  Louis s’établit d’abord dans la paroisse Saint-Clément de Beauharnois où il poursuit son métier de tourneur sur bois[15].  Louis et Arthémise y auront deux autres enfants : Émile (1883-1957) et Raymond (1885-1886).  Louis n’a pas une très grande fratrie pour l’époque; quatre de ses huit frères et sœurs sont déjà décédés.  Outre son frère puîné Benjamin qui vit également dans la paroisse, son frère cadet est à Lowell et sa sœur aînée Eléonore vit seule avec un enfant d’un an, « Marie Gagnon », dans le quartier Sainte-Marie à Montréal où elle travaille comme journalière[16].  Bien qu’il ne soit pas décédé, on ne trouve pas trace de son mari, Joseph Brière.  Travaille-t-il à Lowell avec sa belle-famille?  Lorsqu’Éléonore décède le 29 avril 1885, c’est Louis qui veille à son inhumation.  Son père à Lowell, alerté par télégramme, arrive juste à temps pour la cérémonie; le mari n’y est pas[17].

Faute de travail sans doute, Louis reviendra s’établir à Montréal en 1886 dans la paroisse Saint-Charles, cette fois-ci de l’autre côté du canal Lachine, au numéro 89 de la petite rue Saint-Albert (aujourd’hui disparu), dans l’éphémère village Saint-Gabriel (1875-1887)[18].  À l’époque, la municipalité du village de Saint-Gabriel est limitée au nord par le canal Lachine, au sud par le fleuve Saint-Laurent, à l’est par les limites de la Ville de Montréalet à l’ouest par le canal de l’aqueduc.  C’est à cet endroit, qui deviendra sous peu Pointe-Saint-Charles, qu’ils perdront Raymond, le dernier enfant né à Saint-Clément de Beauharnois[19].

Le couple aura quatre autres enfants à Montréal : Ernest (1887-post.1910), Ernestine (1888), Cyprien (1889) et son jumeau Napoléon (1889).  En 1889, les conditions de vie et d’hygiène de la partie sud de ce faubourg ouvrier de Pointe-Saint-Charles, le plus ancien quartier de Montréal après le Vieux-Montréal, n’ont rien à envier à Lowell.  On a beau être en ville, la mortalité infantile y est plus grande que dans les campagnes de l’époque.  En moins de trois mois, Louis et Arthémise perdent, coup sur coup, leurs trois derniers enfants, dont les jumeaux[20].

Ces décès et le fait que son père et sa famille soient de retour à Lowell expliquent peut-être le fait que lui et Arthémise décident de repartir pour la Nouvelle-Angleterre avec leurs six enfants, Clarinda, Eléonore, Louis, Joseph Damase, Émile et Ernest.  Le départ se fait avant la période des fêtes de 1889 qui ne devait pas être joyeuse[21].  Cette fois-ci, la famille ne reviendra plus en arrière.

La famille demeure le long du Western Canal qui traverse le «Petit-Canada» de Lowell, au 115 de la rue Suffolk[22].  Ils y seront une dizaine d’années.  Le Western Canal fait partie d’un réseau de canaux reliés au réservoir principal permettant l’alimentation en eau des moulins à coton.

En septembre de l’année suivante, Arthémise met au monde Aurora Anna, son premier enfant en terre américaine[23].  La vie reprend son cours normal et au printemps 1892 alors que Louis voit son aînée Clarinda s’unir à Édouard Faille[24].  Ce dernier n’est pas un inconnu; natif de Sainte-Cécile de Beauharnois où il a connu Clarinda, il est tourneur sur bois et a appris son métier dans l’atelier de son beau-père, du temps où Louis demeurait dans ce village[25].  Arrivé à Lowell l’été précédent, il loge avec la famille.  Le nouveau couple continuera d’habiter chez Louis encore huit ans.   

Après une dizaine d’années passées à Lowell, avant le tournant du siècle, Louis et sa famille partent vivre et travailler dans la ville cotonnière de Lawrence, à moins de vingt kilomètres au nord-est de Lowell; la proximité qu’avaient le père et le fils aîné cesse donc avec le déménagement de Louis.  En juin 1900, Louis et tous les enfants travaillent au moulin; il n’y a qu’Ernest et la petite Aurora Anna (dite Ora) qui vont encore à l’école[26].  Après toutes ces années, Louis continue d’être tourneur sur bois.  Deux mois plus tard, Clarinda perd son époux qui, atteint de la tuberculose, décède dans le logement de Louis sur la rue Tremont[27].  Décidément, les conditions sanitaires ne sont guère mieux à Lawrence qu’ils ne l’étaient à Lowell ou à Pointe-Saint-Charles.  Cinq ans plus tard, Clarinda épousera en secondes noces, Joseph Blanchard.  Expatrié lui aussi, il est natif de Saint-Marc sur le Richelieu[28].

La famille vivra une dizaine d’années dans deux logements de la Tremont avant d’en prendre un dernier à moins d’un kilomètre sur la rue Railroad.  Louis s’assurera toujours, chaque fois qu’il signe un bail, que la famille soit logée à distance de marche du moulin où tous travaillent[29]

En 1910, il n’y a plus que les enfants Joseph, Ernest et Ora qui vivent encore dans le logement de la rue Railroad.  Tous les autres volent maintenant de leurs propres ailes[30].  Une fois les enfants partis, Louis et Arthémise partent vivre chez leur fille Clarinda qui demeure également à Lawrence.  Louis y décédera en 1933.

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Ceci termine la sous-section des enfants et petits-enfants de Pierre Hervez.

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[1]BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Irénée, 20 janvier 1854.

[2] À compter de 1870, on retrouve de nombreux exemples de son écriture soignée dans les registres civils et religieux.

[3] BAnQ., Registre de la paroisse Sainte-Cécile, 9 avril 1863.

[4] HANNA, David B.  Griffintown : Son histoire et son cadre bâti. Montréal, ville de Montréal, 2007, page 11.

[5] B.A.C., G., Recensement de 1871, Montreal-West, division 79, page 64.

[6] HANNA, David B., op.cit., page 72. 

[7] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame de Montréal, 9 février 1865.

[8] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Joseph de Montréal, 7 janvier 1873.

[9] Ibid., 25 novembre 1873.

[10] Ibid., 5 décembre 1873.

[11] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame de Montréal, 2 novembre 1874.

[12] The Lowell’s Montréal Directory for 1875, page 422, 1 rue Saint-Martin.  

[13] B.A.C., G., Canadian Illustrated News, vol. VII, no 17, page 261, 26 avril 1873.

[14] 1900, Recensement fédéral américain, État du Massachusetts, comté d’Essex, ville de Lawrence, page 1.

[15] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Clément de Beauharnois, 16 septembre 1883.

[16] B.A.C., G., Recensement de 1881, Montréal-Est, quartier Sainte-Marie, microfilm e008161553.

[17]BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Clément de Beauharnois, 1er mai 1885.

[18] The Lowell’s Montréal Directory for 1887, page 646, 89 Saint-Albert (aujourd’hui rue de Chateauguay).

[19] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame de Montréal, 6 octobre 1886.

[20] Ibid, 5 août 1889, sépulture d’Ernestine Harvey; 16 octobre 1889, sépulture de Cyprien Harvey; 13 novembre 1889, sépulture de Napoléon.

[21] 1910, Recensement fédéral américain, État du Massachusetts, comté d’Essex, ville de Lawrence, page 33.  L’année de la deuxième arrivée de Louis à Lowell est inscrite 1889.

[22] The Lowell, Massachusetts, City Directory for 1894, page 365, 115 Suffolk.

[23] State of Massachusetts. Record of Birth for Lowell, 15 septembre 1890. 

[24] State of Massachusetts. Record of Marriages for Lowell, 15 mai 1892. 

[25] B.A.C., G., Recensement de 1891, Beauharnois, Beauharnois (ville), microfilm 30953_148188-00630.

[26] 1900, Recensement fédéral américain, État du Massachusetts, comté d’Essex, ville de Lawrence, pages 1 et 2.

[27] State of Massachusetts. Record of Deaths for Lawrence, 15 août 1900.

[28] State of Massachusetts. Record of Marriages for Lawrence, 21 février 1905. 

[29] The Lawrence, Massachusetts, City Directory for 1902, 04, 06, 08, 10.

[30] 1910, Recensement fédéral américain, État du Massachusetts, comté d’Essex, ville de Lawrence, page 33.