07. Rosalie Tremblay

Rosalie Tremblay et le grand saut à l’Isle 

Dès 1722, la principale préoccupation de Sébastien est son installation à L’Isle-aux-Coudres et il y œuvre en célibataire qui construit le nid de sa future famille.  À l’automne il travaille encore à Baie-Saint-Paul, probablement pour les récoltes du domaine, car le Séminaire lui paie soixante-dix livres le 21 octobre,[1] mais pendant l’été il a commencé à défricher sa terre de l’île.  Son futur beau-frère François Xavier Tremblay (1695-1755) y est déjà installé avec Marie Madeleine Bouchard (1700-1755) son épouse et on peut facilement imaginer que Sébastien est hébergé dans leur demeure à l’occasion.

La terre de Sébastien n’est pas grande, deux arpents et trois quarts sur cinquante arpents, comparativement aux autres terres du Cap à la Branche.  Peu de terres de l’île mesurent moins de quatre ou cinq arpents de largeur.  Cependant, sa terre est très bien située pour la pêche et elle est également mieux irriguée que les autres, car les ruisseaux Rouge et de la Mare passent en partie sur cette terre.  On trouve au Cap à La Branche les meilleurs sols de l’île composés de terres fortes, des terres argileuses et bien drainées par trois ruisseaux, dont celui qui passe sur la terre de Sébastien[2]

Pourquoi Sébastien choisit-il une si petite terre ? On se souviendra que de 1712 à 1717 et en 1721, il a pu participer aux pêches aux marsouins et aux loups-marins pour ces Messieurs du Séminaire à l’endroit exact de la batture au bout de la terre qu’il choisit.   Sébastien a eu tout le temps de comprendre combien lucratives pouvaient être ces pêches.  De plus, l’élevage constituera pour Sébastien un complément appréciable à la culture de sa petite terre.  Au fil du temps, il compensera la dimension de sa terre par l’engraissement d’animaux de boucherie en exploitant les foins salés et les varechs des grèves dont les animaux sont friands.  Très tôt après leur installation à l’Isle « Sébastien Hervé » et certains autres censitaires s’étaient trouvé une source additionnelle de revenus en ravitaillant les navires qui faisaient relâche au Mouillage[3].     

« ... le 25e jour du mois d’aout », André Jorian « missionnaire de la Baye St Paul » baptise Louise, fille de François Xavier Tremblay et de Marie Madeleine Bouchard « habitants de l’isle St Louis dite Isle aus Coudres »[4].  La manière dont ce texte nous annonce la future paroisse Saint-Louis-de-France est particulièrement intéressante, mais l’important pour l’objet du récit est que « le parrain a été Bastien hervé » et que, à part le curé, il a été le seul à signer le baptistère, la marraine, Louise Tremblay (épouse de François Rousset) ayant déclaré, selon la formule habituelle, ne savoir lire ni signer. Notons que notre jeune homme était sur l’île au cœur de l’été 1722.

Le vingt-sept octobre suivant, à Québec en avant-midi, le notaire Jean-Étienne DuBreuil (1664-1734) relate un important événement pour Sébastien en commençant par ces mots :

« Par devant le notaire Royal en la prévosté de Québec soussigné y résident et témoins cy après nommés furent présent en leur personne Sébastien hervé fils de deffunt Sébastien hervé vivant bourgeois de cette ville et françoise phelipeaux lespouse veuve pour luy et en son nom d’une part Et louis Tremblay habitant de la petite rivière de St-François seigneurie de beaupré stipulant pour rosalie tremblay sa fille Issue du mariage qui a esté entre luy et deffunte Marie Perron... » [5].

Suit un texte de trois pages décrivant le contrat de mariage qui liera Sébastien à Rosalie Tremblay après la cérémonie qui sera célébrée… « en face de notre mère la Ste Église le plus tot que faire se pourra ».

Autour du notaire sont présents Rosalie, son père Louis et sa belle-mère Marie Letarte pour le camp Tremblay tandis que Sébastien est accompagné de sa mère, de sa sœur Marie-Renée, de son beau-frère Daniel Pepie dit Lafleur et de son cousin et ami d’enfance, le couturier François Barthélemy.  Il faut aussi noter la présence de l’huissier, maître-tailleur de pierre et entrepreneur d’ouvrages de maçonnerie, Pierre Gratis (1664-1744) et de Jean Brassard (1692-1753), un cousin par alliance[6] et peut-être un ami d’enfance également puisque tout comme Sébastien, il a grandi à Québec.  

La communauté de biens est la base de ce contrat et si on met de côté les nombreuses formules d’usage qu’on retrouve dans tous les documents de ce genre il est intéressant de relever les particularités qui suivent.  Louis Tremblay donne à son futur gendre, devant le notaire, la somme de trente livres en argent et s’engage à compléter la dot par une vache qu’il livrera au jeune couple en temps opportun après leur installation.  De son côté, Sébastien consent à Rosalie un douaire[7] de cinq cents livres et un préciput de deux cents livres.

La fin du document nous renseigne au sujet de la différence d’instruction entre les gens de la campagne et ceux de la ville : aucun des premiers ne signe le document alors que, pour les autres, seul Daniel Pepie dit Lafleur ne s’exécute pas. Sébastien considère sûrement ce papier comme très important puisque, contrairement à son habitude, il prend la peine d’écrire au complet son prénom. Ce faisant, cependant, il introduit curieusement un e entre le b et le a.

Le mariage est célébré vingt et un jours plus tard à Petite-Rivière-Saint-François, soit le dix-sept novembre 1722. Comme il est tard en automne, on profite du passage d’un récollet, le père Michel Bruslé (Brulé) (1673-1724) « missionnaire faisant fonctions curialles dans la ditte paroisse de St-François-Xavier »[8].  Les témoins signataires sont les frères François (1674-1756) et Antoine Bouchard (1682-1759), fils d’un tailleur d’habit et qui, comme Sébastien, ont appris à écrire pendant leur enfance à Québec.  Sébastien est né le 19 janvier 1695.  Le 17 novembre 1722, à l’âge de vingt-sept ans, il prend comme épouse Rosalie Tremblay, fille de Louis Tremblay et de Marie Perron (1667-1706). 

Le marié écrit encore son prénom au complet, mais, cette fois, la faute est à la fin, car il écrit Sébastiem ; de plus, il commence à inverser le r et le v de son nom de famille.

Comme on le voit, la main du défricheur n’est déjà plus très à l’aise sur une feuille de papier et son épouse ne sait ni lire ni écrire.  Le jeune couple se prépare donc à procréer des enfants qui seront illettrés et de nombreuses décennies s’écouleront avant que la plume ne revienne au bout des doigts de leurs descendants.  Aujourd’hui, sept générations plus tard, l’un d’eux écrit ces mots sur le clavier d’un ordinateur et peut les faire lire quelques instants plus tard à un descendant Hervet résident en Outaouais.

*************************************************************************************

Pour passer à la section suivante de la vie de l’ancêtre, cliquez ICI

*******************************************************************************************

[1]  A.S.Q., Grand-livre des comptes, 1701-1723 (C-5). 

[2] COLLECTIF.  Inventaire des Ressources naturelles et industrielles du comté de Charlevoix. Québec, BAnQ, Édition Ministère des affaires municipales, de l'industrie et du commerce, 1942, page 188.  

[3] LALANCETTE, Mario.  La seigneurie de l'île-aux-Coudres au XVIIIe siècle.  Montréal, Les presses de l'Université de Montréal, 1980,  page 29. 

[4] BAnQ., Registre de la paroisse de Baie-Saint-Paul, 25 Août 1722.

[5] A.N.Q., GN. Minutier DuBreuil, 27 octobre 1722.

[6] Jean Baptiste Brassard dit Bordet (1792-1853) est l’époux de Marie-Josèphe Chalifour (1702-1741), la fille de la tante de Sébastien, Jeanne Philippeau décédée en 1708.  Il ne faut pas le confondre avec son frère portant le même prénom de Jean Baptiste (1689-1749), qui reprit le métier du père, le premier bedeau de la cathédrale de Québec à l’époque, aussi prénommé Jean-Baptiste (1651-1715). 

[7]  Le douaire est un terme de droit ancien désignant la portion de biens que le mari réserve à son épouse dans le cas où celle-ci lui survivrait. La bénéficiaire est dite douairière. Le douaire est un élément fondamental du droit des gens mariés sous l'Ancien Régime

[8]   BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Pierre et Saint-Paul de Baie-Saint-Paul, 17 novembre 1722.  Notons qu’il n’y a pas encore officiellement de paroisse à la Petite-Rivière-St-François.  En 1722, le père Michel Bruslé était relevé de sa mission de Ristigouche, Miramichi et Nipisiguit, et desservit par intérim Baie-Saint-Paul et la Petite-Rivière.