13. Sébastien en justice

Sébastien en justice et dans le commerce 

 

Depuis l’arrivée de Sébastien en Nouvelle-France, il a eu le temps de constater que la justice est bonne, loyale, rapide et gratuite, sans distinction de classe.  Comme le roi interdit les avocats dans sa colonie, car ils les considèrent comme une «race d’interminables plaideurs»[1], celui qui, comme notre ancêtre, sait lire et écrire et qui de surcroît est Français, a donc l’avantage des armes dans les tribunaux de Sa Majesté Louis le Grand.  Sébastien saura tirer profit des tribunaux du Roi-Soleil, car sa vie est jalonnée de poursuites par ou contre lui. 

Tout comme à l’époque de sa vie à Ville-Marie, Sébastien se présente régulièrement devant la Prévôté de Québec ou sur le parquet du Conseil souverain.  Vue de nos jours, une telle fréquence à recourir aux tribunaux peut sembler surprenante, mais à l’époque, les principaux utilisateurs de la justice à Québec sont, comme aux Trois-Rivières ou à Ville-Marie, les membres de l’élite urbaine, des bourgeois et des nobles.  Les dettes et différents commerciaux disputés dans ces juridictions sont la façon dont la petite noblesse et les bourgeois règlent leurs conflits en Nouvelle-France.

Hypolite Thibierge (1629-1700), l’époux de Renée Hervet (1736-1702) est malade; il se donnera à son ainé dans quelques temps et ne verra pas la fin de 1700.  C’est à cette époque, vers 1699, que Sébastien, à la demande de sa sœur Renée, eut à jouer de ses relations dans une affaire de conflit entre l’évêque Saint-Vallier et les sœurs hospitalières de l’Hôtel-Dieu[2] dont faisait partie sa nièce.  L’évêque avait décidé de la séparation des Hospitalières de l’Hôtel-Dieu des Hospitalières de son nouvel hôpital général pour en faire deux communautés distinctes.  Les hospitalières de l’Hôtel-Dieu bien établies s’y opposaient.  Après que l’évêque eut promis de laisser les deux communautés réunies afin d’obtenir que le premier établissement envoie des sœurs hospitalières au second, il changea d’idée.  Or la nièce de Sébastien, une des deux recrues, Marie Catherine Thibierge (1681-1757), «fort attachée à sa communauté, alarma sa famille par des plaintes et des pleurs, et attira l’attention des habitants de la ville»[3] au moment du transfert de couventIl faut dire que les habitants de la ville ne voyaient pas tous d’un bon œil ce nouvel établissement si éloigné des fortifications.  Dès le lendemain de son arrivée de l’Hôtel-Dieu de Québec, des rumeurs se répandent dans la ville selon lesquelles Mgr de Saint-Vallier a fait mener de force la jeune religieuse à son hôpital général.  On réussit à convaincre sa famille de faire retourner leur fille à l’Hôtel-Dieu.  Hypolite Thibierge, le père de mère Saint-Joachim, un marchand-tanneur aisé, avait ses entrées également.  Les dotes substantielles (deux milles livres chacune) qu’il avait fourni pour ses filles entrées en religion devaient comptés pour quelque chose.  En peu de temps, une grande partie de la bourgeoisie de Québec s’opposa à l’évêque.  L’intendant Champigny n’y voyait guère d’avantages et les riches donateurs comme François Hazeur (1638-1708) et Charles Aubert de La Chesnaye (1632-1702) furent aussi convaincus et intervinrent.  Cette tragi-comédie valut à Marie Catherine Thibierge, mère Saint-Joachim, de retourner immédiatement parmi ses consœurs.  Même si Saint-Vallier eu gain de cause plus tard, après un passage obligé à la cour en France, cela n’empêcha pas la nièce de Sébastien, qui avait dix-huit ans au moment des événements, d’avoir réussi a marqué la communauté par son audace et sa défense de l’Hôtel-Dieu ce qui lui vaudra dans quelques années d’être nommée hospitalière en chef, puis supérieure de sa communauté[4].

 

En 1700, Sébastien est appelé à comparaître à maintes reprises à la Prévôté de Québec, en tant que subrogé tuteur[5] des enfants mineurs de feu Jean Joly (1646-1691) un ami, boulanger de son métier et également commerçant à la Basse-Ville tout comme Sébastien[6].  On se souviendra que la fille de Jean Joly, Marie Anne (1671-1698), avait épousé en 1688 le neveu de Sébastien, Jacques Thibierge (1664-1732).  Outre le fait que Joly soit un peu parent par alliance, Sébastien et Joly faisaient partie de l’entourage de Charles Aubert de La Chesnaye.  Tout comme Sébastien semble avoir été un agent d’Aubert, en 1683, Joly l’était également.  Aubert alla jusqu’à lui prêter 13000 livres pour la construction d’une boulangerie en 1684[7].

 

Au début de 1700, Sébastien comparaît encore une fois à la Prévôté de Québec dans une cause qui l’implique à Étienne Domingo, dit Carabi (1651-1702), un matelot et marinier originaire d’Aquitaine vivant à la Basse-Ville, qui est représenté par son épouse Marie-Reine Charpentier (1658-1708)[8].  Marie-Reine Charpentier est une habituée de la Prévôté de Québec; entre 1692 et 1700, elle y sera citée à plus d’une douzaine de reprises, au nom de son mari le plus souvent.  Les registres ne nous ont pas révélés à ce jour le dénouement de cette cause impliquant Sébastien.  Tout ce que nous savons c’est qu’à la fin de cette même année, le Lieutenant général de la Prévôté de Québec en était encore à rédiger le brouillon de sa décision qui favorisait Sébastien[9].  Quoi qu’il soit advenu de la décision, Étienne Domingo dit Carabi (1651-1702) n’aurait pu en profiter très longtemps puisqu’il décède en 1702[10].

C’est le 23 septembre 1700 que naît le troisième fils et dernier enfant du couple.  Jean Baptiste est baptisé le 25 du même mois.  La cérémonie se déroule à l’église de la paroisse Notre-Dame de Québec comme pour toutes les autres cérémonies religieuses de la famille.  Son parrain est son oncle «Jean Baptiste Maillou» (1668-1753), l’époux de Louise Philippeau (1674-1702), qui aura le titre d’«Architecte du Roi»[11].  La marraine est une voisine, Marguerite Levasseur (1667-1739), épouse de Pierre de Roy (1650-1723) marchand boucher et sœur de Louis Levasseur (1671-1748), secrétaire de l’intendant Jean Bochart de Champigny (1643-1720).  Jean Baptiste naît dans une période difficile pour la Nouvelle-France, car le début des années 1700 est marqué par des conditions climatiques et des épisodes tragiques. Des épidémies feront sous peu d’énormes ravages au sein de la population; deux à trois mille décès seulement pour l’année 1702, en plus des mauvaises récoltes qui affameront la population[12].


Jean Baptiste Maillou dit Desmoulins, constructeur et architecte (1668-1753). Maçon de métier, Jean Baptiste Maillou apprend l’architecture en travaillant pour Claude BAILLIF. À la mort de l’architecte en 1699, il acquiert ses manuels d’architecture et deviens son successeur à Québec. Sa connaissance des styles classiques et Renaissance française lui vaut des commandes de négociants, de membres du clergé et de fonctionnaires du gouvernement. Jean Baptiste est à la direction d’une entreprise florissante de construction de maisons, d’églises, de maisons religieuses, d’édifices publics et de fortifications.  Les dépenses du gouvernement de la métropole soutiennent la Nouvelle-France, et Maillou en tire profit en exécutant d’importants travaux au château Saint-Louis et des ouvrages de défense à Québec et au fort Saint-Frédéric (aujourd’hui Crown Point dans l’État de New York). Il reçoit le titre d’«Architecte du Roi» en 1719. L’appui royal est essentiel à toute promotion sociale, et, sous la protection de l’intendant, cet ancien maçon devient un bourgeois de Québec possédant propriétés et relations.  Comme il a été arpenteur et estimateur, on le nomme en 1728, contremaître adjoint des voies publiques, chargé de réglementer la construction le long des rues de Québec.  On retrouve encore sa maison, construite en 1736 et fort agrandie depuis, rue Saint-Louis, à Québec.

À la requête de Sébastien, le 14 octobre 1700, assignation à la Prévôté de Québec à Jacques Grouard (1663-1712), serrurier, afin qu’il paie au requérant cinq livres et neuf sols pour un travail fait de son métier de «pothier destein» que Sébastien a exécuté[13]

Le 10 décembre 1700, l’époux de Renée Hervet décède de ce qui s’apparente à une longue maladie[14].  Dès lors, on verra Sébastien veiller aux intérêts de sa sœur et de ses enfants.

Le 25 janvier 1700, pour une affaire qui traînait en justice depuis septembre 1699, l’intendant Bochart de Champigny avait condamné le charretier et fabricant de calèches Hilaire Sureau dit Blondin (1657-1708) à payer ses loyers conformément à son bail.  Arguant que son dû ne devait pas être si élevé, Sureau qui avait pris possession du logement le 15 mars 1697, fit encore traîner les choses en justice pour quelque temps.  Afin d’éclairer le contentieux, la Prévôté de Québec nomma Sébastien comme arbitre dans cette affaire de bail impayé depuis quatre ans.  Le procès-verbal qu’il rédigea entraîna finalement une réduction de quarante-trois livres du montant global de la dette qui était de cent quarante livres tournois, dues par Sureau au sculpteur et menuisier Denis Mallet (1674-1704), lequel avait porté la cause en justice.   Le 15 juillet 1701, l’ordonnance de paiement fut rendue par la Prévôté.  Comme en ces temps l’éducation se monnaie, Sébastien tirera vingt sols pour sa peine dans l'affaire[19].

Au printemps 1701, Françoise Philippeau marie la deuxième de ses filles qu’elle a eue de sa première union.  Marie Marien (1681-1760) s’unit à Alexis Carpentier (1675-1731)[20]Sébastien est de retour de France puisqu’il assiste à la cérémonie.  Marie Marien a vingt ans quand elle quitte ainsi le toit de Sébastien qui a maintenant cinquante-huit ans et Françoise qui en a trente-huit.  Marie Renée à son jeune âge prend sûrement la place de sa grande sœur pour épauler sa mère.  Marie Marien et son mari partent s’installer sur une concession de la Pointe-aux-Trembles dans la seigneurie de Neuville où elle donnera naissance à au moins six enfants.  Puis le couple s’installera à Saint-Augustin-de-Desmaures en 1715 ou 1716; elle y accouchera de deux autres enfants[21]

Il y a encore moins de monde dans la maison. Outre les parents, il ne reste plus que Marie Renée, onze ans, Sébastien le fils, six ans, Marie Charlotte, trois ans et Jean Baptiste, aux couches à sept mois.  On peut présumer que Louis Marien, âgé de seize ans, y demeure toujours également puisque Sébastien, son beau-père, entreprend deux mois plus tard des démarches en justice pour l’intérêt des enfants mineurs, en son nom et en celui de sa sœur, dans une histoire de rentes relatives à l’habitation que leur père avait possédée[22].

En effet le 28 juin 1701, au nom des enfants de feu Louis Marien «il (Sébastien) estait en justice contre Ollivier Morel sieur de la Durantaye Capitaine d’une compagnie des troupes du détachement de la marine».  Une vingtaine d’années plus tôt, Olivier Morel (1640-1716), seigneur de La Durantaye, avait concédé une terre de quatre arpents sur quarante dans son fief de la Rive-Sud de Québec, terre qui allait «depuis le ruisseau nommé Laboise en descendant vers l’habitation de Louis Gaboury»[23].  Louis Marien avait abandonné cette terre quelque huit ans plus tard pour s’établir à Québec avec Françoise et les enfants.  Comme Sébastien avait appris qu’en 1693, Olivier Morel de La Durantaye avait retiré un nouveau profit en concédant une deuxième fois cette terre à un certain Jacques Bidet dit Roussel (1646-1712), habitant la paroisse Saint-Jean de l’île d’Orléans[24], il réclamait, pour les premiers enfants de sa femme, le montant impliqué, car il avait retrouvé les reçus des rentes qu’avait payé feu Louis Marien, le premier concessionnaire.  En première instance, à la Prévôté de Québec, les parties furent renvoyées «hors de Cours», le demandeur Sébastien étant condamné à payer les frais.  L’affaire n’en resta pas là. 

On sait que Jacques Bidet dit Roussel, pendant les sept années qu’il fut concessionnaire de la terre, ne l’habitat pas puisqu’il demeura sur sa terre de l’île d’Orléans.  Probablement instruit de ce qui se tramait à Québec à l’égard de cette terre, en octobre 1700, voulant établir son fils cadet Jacques (1680-1739), il lui accorde cette terre estimée à trois cents livres pour sa part d’héritage[25]

L’affaire n’est pourtant pas si claire qu’il n’y paraît, car les archives de la Nouvelle-France ne nous ont pas encore révélé tous les tenants et aboutissants de l’histoire puisque la terre se retrouve en 1701, entre les mains de Sébastien Hervet suite à une autre décision du Conseil souverain[26].  Jacques Bidet fils n’en jouira pas et fera sa vie sur l’île d’Orléans.

En 1702, Sébastien est de nouveau sur le parquet du Conseil souverain pour obtenir justice en appelant de la sentence de la Prévôté de Québec du 28 juin 1701.  Le 20 février 1702, l’intendant Bochart de Champigny, père du parrain de Sébastien le fils, «ordonne que led Sr de la durantais fera raison audit Hervet» en lui payant la somme de cinquante livres qu’il a reçue de Jacques Bidet pour l’habitation qu’il lui a vendue et le condamne aux dépens[27] :  

«Entre Sébastien HERVET habitant de cette ville au nom et comme ayant épousé Françoise Philippeau auparavant veuve de Louis Merien, appelant de sentence de la prévôté de cette ville du vingt-huitième juin dernier, présent, assisté de sa femme d’une part, et Olivier MOREL écuyer de sieur de Ladurantais capitaine d’une compagnie du détachement de la marine entretenue pour le service du Roi en ce pays intimé, aussi présent, d’autre part...

… Ouï le procureur général du Roi pour l’intérêt des enfants mineurs dudit défunt Merien et de ladite Philippeau.  Le Conseil… ordonne que ledit sieur de Ladurantais fera raison audit Hervet au nom qu’il procède de la somme de cinquante livres, les dépens compensés.[28]»

À la suite du jugement rendu, Sébastien paya tous les arrérages de rente de ladite habitation au seigneur de La Durantaye[29].  Fort du jugement du Conseil Souverain, une terre et une habitation entre les mains, Sébastien du faire une bonne affaire pour faciliter le règlement entre le seigneur Olivier Morel de La Durantaye et Jacques Bidet dit Roussel qui se trouvait ainsi floué.

Depuis qu’il est à Québec, Sébastien passe une bonne partie de son temps dans les bureaux des notaires comme partie prenante dans certaines affaires, comme témoin dans d’autres et, comme on l'a vu plusieurs fois dans la dernière décennie, lors de la signature de contrats de mariage.  Il y est encore le 26 octobre 1701, cette fois-ci en compagnie de sa sœur Renée, pour la signature du contrat qui unira son neveu Nicolas Thibierge (1673-1702) à Anne Prémont (1684-1703)[30].

Le 15 novembre 1701, un peu après midi, le séminaire de Québec s’embrase.  Bien qu’une grande partie de la population accoure, rien n’y fait puisque la haute ville n’est pas munie d’un puits permettant d’avoir de l’eau suffisante en cas d’incendie.  Pour Sébastien, il s’agit de savoir si son neveu Gentien Thibierge (1656-1715) est hors de danger afin de rassurer sa sœur Renée qui porte toujours le deuil de son mari.  Gentien était, depuis son adolescence, domestique du séminaire des missions étrangères.  Nul doute que Sébastien et ses autres neveux demeurant à Québec sont du nombre des trois cents badauds à accourir à la haute ville.  Rapidement, ils auront appris que ce jour-là, à peu près tout le personnel du séminaire s’était rendu, dès le matin, à la maison Saint-Michel située à une lieue de Québec, pour y passer la journée.  Le brasier qui avait pris feu dans la grande salle consuma le séminaire en moins de cinq heures.  Le neveu Gentien était sain et sauf[30a].

Le 1er décembre 1701, Sébastien s’entend devant notaire pour le paiement d’un solde de compte de marchandises avec l’époux de la marraine de François, son fils décédé en bas âge; il doit cent quarante et une livres à Jean Sébille[31].  L’histoire ne dit pas s’il régla la somme en monnaie de cartes ayant cours en ce pays à l’époque.    

Approchant la soixantaine, « le sieur Hervet » est encore en demande pour agir comme parrain lors d’un baptême.  Le 20 février 1702, Marie Anne Thibierge (1669-1705), l’une de ses nièces, lui fait cet honneur lors du baptême de son neuvième enfant, Martin Cheron fils.  Son filleul ne verra cependant pas l’automne puisqu’il décède à l’âge de six mois[32].  

En juin 1702, Sébastien, que l’on connaît pour avoir une forte constitution, se rend pour une deuxième fois en dix ans à l’Hôtel-Dieu de Québec pour y être traité[33]Sébastien souffrait peut-être de fièvre comme beaucoup d’habitants de Québec qui ne fêterons pas «la Saint-Martin»[34]Il vivait une triste période car sa sœur Renée, l’ancêtre féminine des Thibierge/Thivierge du Québec, était décédée à l’Hôtel-Dieu de Québec le 11 novembre en raison de l’épidémie de petite vérole qui fit des centaines de victimes cette année-là.  La famille de sa sœur en sera terriblement frappée ; deux de ses fils, une de ses brus et deux de ses petits-enfants seront emportés au cours de l’hiver[35].  De fait, «durant l’hiver 1702-1703, l’épidémie de petite vérole avait fait, en trois mois, 260 victimes, soit 13 % de la population locale.» [36]   Dans cette même hécatombe, parmi les victimes de la petite vérole, Françoise Philippeau perd également deux de ses quatre sœurs; sa cadette Louise (1674-1702) est emportée le 24 décembre puis c’est au tour d’Anne (1669-1703) de mourir le 3 janvier suivant[37].  Comme on est sous le coup d’une épidémie, il est probable que Sébastien et Françoise ne se pointèrent pas le bout du nez dehors pour assister aux obsèques de ces nombreux parents comme ils l’auraient fait normalement.

La sœur de Sébastien devait se retourner dans sa tombe à l’été 1704 lorsqu’éclatèrent au grand jour les mœurs légères de sa petite-fille Marie Thibierge, veuve de Jacques Marie Genaple.  Cette dernière accouchait d’un enfant né de père inconnu[38].  À l’automne de cette même année, c’est au tour de Sébastien d’être doublement choqué des agissements de la fille de son neveu Gabriel lorsqu’elle étale au grand jour une autre liaison, cette fois-ci avec un Morel, moins de deux ans après la saga qui opposa Sébastien à Olivier Morel, seigneur de La Durantaye, père de l’amant.  Le scandale est d’autant plus grand que les Morel sont alors au cœur des commérages depuis que le Conseil supérieur avait, le 1er septembre, annulé le mariage de Charles Morel de la Durantaye, frère de François Morel sieur de Boisbriand et du Houssay (1685-1763), l’amant de Marie Thibierge.  François, dix-neuf ans, partage donc la couche de Marie qui est de cinq ans son aînée.  Comme la famille Morel est très en vue dans la colonie, l’affaire est d’autant plus bruyante et gênante pour la famille de Sébastien, qui joue le rôle de protecteur de ses neveux et nièces depuis le décès de leurs parents.  Les ragots vont bon train puisque l’amant ne peut prétendre être le premier amant de la gaillarde veuve.  «Les jeunes amants n’ont pourtant cure des bruits qu’ils font naître et le cadet de la Durantaye continuera, pour un temps, à partager l’alcôve de l’aguichante Marie Thibierge.»  Un an plus tard, Marie accouchera d’une autre fille, Marie Madeleine, dont François Morel de la Durantaye reconnaîtra la paternité[39].  Peu après ces scandales, les frères Morel repartiront en France, François laissant sa belle derrière lui.  

Marie Thibierge (1680-1764)

Le 18 août 1699, Marie Thibierge (1680-1764), fille de Gabriel (1654-1726), neveu à qui Sébastien avait de «bon gré et volonté»[40] donné une terre, avait épousé Jacques Marie Genaple de Belfond (1676-1699).  On ne sait pas comment la famille de la mariée avait réagi au fait qu’elle épousait le fils François Genaple (1643-1709) celui qui, en 1676, alors geôlier à la prison de Québec, avait laissé s’échapper le meurtrier de Gabriel Hervet (1640-1675), frère de sa grand-mère.  Le régime avait pardonné à Genaple ses nombreuses fautes de geôlier et l’avait depuis gratifié du titre de notaire royal.  Quoi qu’il en soit, l’époux de Marie Thibierge fut emporté moins de trois mois plus tard par une vague de petite vérole.  Après le scandale qu’elle avait causé avec François Morel en 1704 et 1705 et abandonnée par son amant, elle épousera quatre ans plus tard à Québec un fils de bourgeois de la ville d’«Anvers dans la Flandre».  Son père Gabriel n’assistera pas à la cérémonie[41].  Elle quittera le pays avec son deuxième mari question de se refaire une image et décédera à Basse-Terre en Martinique[42].      

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[1] MATHIEU, Jacques. La Nouvelle-France : les Français en Amérique du Nord, XVIe-XVIIIe siècle. Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2001, page 232-233.

[2] Il s’agit des Augustines hospitalières de la Miséricorde de Jésus de l’Hôtel-Dieu du Précieux-Sang de Québec.

[3] SAINT-IGNACE, mère, A.M.J. Les annales de l’Hôtel-Dieu de Québec, 1636-1716. Hôtel-Dieu de Québec, Québec, 1939, p. 275.

[4] D’ALLAIRE, Micheline.  Histoire sociale d’une communauté en Nouvelle-France; L’hôpital-Général de Québec, 1692-1764.  Ottawa, les presses de l’Université d’Ottawa, 1968, pages 43-55.

[5] Subrogé tuteur : Personne choisie par le conseil de famille, dans une ligne différente de celle du tuteur, ayant pour mission de contrôler et surveiller la gestion du tuteur et de représenter le mineur lorsque les intérêts de ce dernier sont en opposition avec ceux du tuteur.

[6] A.N.Q. Registre 24 de la Prévôté de Québec, f. 38-38v., 19 janvier 1700 et f. 50v-51., 12 février 1700.

[7] ZOLTVANY, Yves F. «Aubert de la Chesnaye, Charles». Dictionnaire biographique du Canada. 1re édition 1969, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 1969, 15 volumes, volume II (Décès de 1701-1740).

[8] A.N.Q. Registre de la Prévôté de Québec, f.34v, 15 janvier 1700.

[9] BAnQ., Registre de la Prévôté de Québec, 15 octobre 1700.

[10] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame de Québec, 28 décembre 1702.

[11] MOOGK, Peter N. «Maillou, dit Desmoulins, Jean-Baptiste». Dictionnaire biographique du Canada. 1re édition 1966, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 1974, 15 volumes, volume III (Décès de 1741-1770), p.419-421.

[12] PROVENCHER, Jean. Chronologie du Québec. Édition Boréal, 1991, page 60.

[13] BAnQ., Registre de la Prévôté de Québec, 14 octobre 1700.

[14] Dictionnaire généalogique des familles canadiennes (Collection Tanguay), Québec, 1608 à 1890, Vol. 7 Sect. 1 : Rob-Tra, page 303.

[15] Archives Canada-France, Fonds du secrétariat de la Marine et aux colonies, Archives nationales d’outre-mer (ANOM, France), COL, Corr. Gén. 18, 1700/folio 311.

[16] Archives Canada-France, Fonds du secrétariat de la Marine et aux colonies, Archives nationales d’outre-mer (ANOM, France), COL, Corr. Gén. 18, 1700/folio 97.

[17] HARVEY, Fernand. Histoire des ancêtres d’Alfred Harvey (1876-1948).  Montréal, Édition privée, 2001, page 96.

[18] A.N.Q., GN. Minutier Louis Chambalon, 1er décembre 1701, où il est fait mention du voyage de l’hiver précédent.

[19] BAnQ., Registre no 10 des arrêts, jugements et délibérations du Conseil souverain de la Nouvelle-France (11 janvier 1694 au 30 mai 1702), f. 254, 25 janvier 1700 et Registre 24 de la Prévôté de Québec, 15 septembre 1699 et 15 juillet 1701, f. 33v-34.

[20] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame de Québec, 26 avril 1701.

[21] Après le décès de son mari en 1731, Marie Marien, qui continua de demeurer à Saint-Augustin-de-Desmaures sera hospitalisée à quelques reprises à l’Hôtel-Dieu de Québec.  À chacune de ses admissions, elle sera inscrite sous le nom qu’on lui connaît à Québec, celui de Marie Hervé.  Toujours à Québec lors de son inhumation le 15 mars 1760, le curé inscrit à son registre Marie Marien Hervé.  Dans : FOURNIER, Marcel et Gisèle MONARQUE. Registre journalier des malades de l’Hôtel-Dieu de Québec. Montréal, les éditions Archiv-Histo, 2005, pages 1291 et 1317. «1735-07-24 — Hervé, Marie, Saint-Augustin, veuve de M. Carpentier.» et «1736-06-08 — Hervé, Marie, Saint-Augustin, veuve de M. Carpentier.» et dans : BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame de Québec, 15 mars 1760.

[22] BAnQ., Prévôté de Québec, 28 juin 1701.  Pour cette raison, il est probable que Louis le fils cadet que Françoise eut de son premier mariage soit aussi de la maisonnée.  Né en 1784, il aurait seize ans maintenant.  Par contre comme il sera absent du recensement de 1716 et qu’il n’apparaît plus dans les registres de la colonie après le 28 juin 1701, il fut peut-être emporté lors de l’épidémie de petite vérole de l’hiver 1702-1703 qui décima la ville.  Dans la famille rapprochée uniquement on comptait au moins trois décès inscrits.

[23] BAnQ, Rapport de l’archiviste de la province de Québec pour 1955-1956 et 1956-1957, «Nos ancêtres au XVIIe siècle», page 455.

[24] A.N.Q., GN. Minutier Louis Chambalon, 21 octobre 1693.  Jacques Bidet dit DesRoussels dans certains actes.

[25] A.N.Q., GN., François Genaple, 11 octobre 1700.

[26] Jugement du Conseil Souverain IV, 645, cité à la page 456 du Rapport de l’archiviste de la province de Québec pour 1955-1956 et 1956-1957.

[27]  BAnQ., Registre no 10 des arrêts, jugements et délibérations du Conseil souverain de la Nouvelle-France (11 janvier 1694 au 30 mai 1702), lundi le 20 février 1702, f. 310v.

[28] A.N.Q. Registre plumitif no 12 des arrêts, jugements et délibérations du Conseil souverain de la Nouvelle-France (9 janvier 1702 au 11 décembre 1702), f. 2 v., décision du 7 mars 1702.

[29] BAnQ., Registre no 10 des arrêts, jugements et délibérations du Conseil souverain de la Nouvelle-France, f. 310 v., 20 février 1702.

[30] A.N.Q., GN. Minutier Charles Rageot de Saint-Luc, 26 octobre 1701.

[30a] ROY, Pierre-Georges. «Le Bulletin des recherches historiques», Recherches historiques; bulletin d’archéologie, d’histoire, de biographie, de bibliographie, etc., etc., Lévis, éditions de Pierre-Georges Roy, volume cinquante-troisième, 1947, page 15.

[31] A.N.Q., GN. Minutier Louis Chambalon, 1er décembre 1701.

[32] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame de Québec, 20 février et 20 août 1702.

[33] FOURNIER, Marcel et Gisèle MONARQUE. Ibid., page 519. «1702-06-01 — Sébastien (60 ans), Québec.».

[34]  La Saint-Martin (11 novembre) a longtemps été un jour de grande foire et de réjouissances populaires.  Une messe était célébrée suivie d’un repas de fête.  La Saint-Martin marquait un terme de paiement des redevances, des locations diverses et des baux d’engagement, de fermages ou de déménagements.  Le caractère juridique de cette date se retrouve en Nouvelle-France, même si le climat est plus froid, le mois de novembre est relié aux préparatifs d’hivernement et c’est au cours de ce mois que prenaient fin les baux d’engagement des hommes dans les fermes ou les contrats de louage de terre ou de bêtes à cornes.

[35] THIVIERGE, Robert. 1662 de Blois à l’Île d’Orléans. Montréal, À compte d’auteur, 2021, pages 120 et 210.  Nicolas Thibierge décède en décembre 1702, suivi de son épouse Anne Prémont et de leur fille Elisabeth.  Hyppolite Thibierge fils et son fils Joseph pour leur part décèdent en janvier 1703.

[36] LEMIEUX, Louis-Guy et André-Philippe CÔTÉ. Nouvelle-France : la grande aventure.  Sillery, les éditions du Septentrion, 2001, page 83.

[37] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame de Québec, 24 décembre 1702 et 3 janvier 1703.

[38] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame de Québec, 10 juillet 1704.

[39] MOREL DE LA DURANTAYE, Jean-Paul.  Olivier Morel de la Durantaye : officier et seigneur en Nouvelle-France.  Sillery, Éditions du Septentrion, page 111.

[40] A.N.Q., GN. Minutier Charles Rageot de Saint-Luc, 15 octobre 1698, donation du sieur Sébastien Hervet à Gabriel Thibierge, son neveu.

[41] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame de Québec, 27 juillet 1709.  Mariage de Marie Thibierge et Pierre Tical (Tiquel, Giquel).

[42] Acte de décès Basse-Terre, Martinique, 4 octobre 1764, cité dans THIVIERGE, Robert. 1662 de Blois à l’île d’Orléans. Montréal, À compte d’auteur, 2021, page 132.