4. Rose Hervé

3.3.4 Rose Hervé (1730-1816),

 

Le 21 octobre 1730, Rosalie Tremblay (1699-1740) donne naissance à sa troisième fille, son quatrième enfant.  La petite est ondoyée à la naissance comme tous les enfants à l’Isle dans l’attente du baptême.  Bien qu’il n’y ait pas encore de sages-femmes reconnues parmi la dizaine d’épouses à l’Isle, de toutes celles pouvant prétendre à une certaine expérience, Marie Angélique Rancourt, quarante ans, la femme de Jean Laforest dit Labranche, sortait du lot avec ses neuf accouchements à ce jour.  Cependant comme on choisira comme marraine Louise Bouchard (1701-1735), l’épouse de Jacques Bonneau dit Labécasse, les cinquièmes voisins en allant vers le nord-est, il est probable que cette femme de vingt-neuf ans fût celle qui seconda Rosalie lors de son accouchement et qui prodigua l’ondoiement. 

Sébastien (1695-1759) le père attendra que sa femme soit en mesure de faire la traversée pour aller chercher le sacrement de baptême de la petite au début du mois suivant.  Comme nous l’avons vu plus tôt, il semble que la fin des traversées qui était fonction des caprices de la nature, de l’audace des habitants et de l’état de la mère se situait au début de novembre.  Avec les embarcations du temps, passé cette date on avait plutôt tendance à attendre au printemps suivant pour se risquer sur le fleuve avec femme et enfant.  Nous en avons encore une fois pour preuve le baptême de la petite de Sébastien et Rosalie le premier novembre 1730 :

«Ce jourd hui, 1e 9 bre de l’année 1730 j’ay soussigné missionnaire de la Baye St Paul, certifie avoir baptisé sous condition dans la chapelle de la petite Rivière Rose hervé né le 21 octobre fille de Sébastien hervé et de marie Rose Tremblay ses père et mère légitimement conjoints et habitant de l’isle aux Coudres. le parain a été Joseph Savar et la maraine Louise bouchard Lesquels m’ont déclaré ne savoir signer de ce enquis Avons signé, pre Pierre Baptiste Lesclache, ptre récollet mission».

C’est donc comme à l’habitude à Petite-Rivière-Saint-François que se transportent les quelques habitants de l’Isle participant au baptême.  Il faut dire que le cœur du noyau villageois qui a donné naissance à la colonisation de l’Isle est à Petite-Rivière.  Ce hameau d’une quinzaine de maisons alignées sur une bande de terre d’environ une demi-lieue de profondeur entre «la montagne à Liguori» et le cap Maillard est l’endroit où demeurent plusieurs parents de Rosalie, du parrain et de la marraine.  Le «sieur Joseph Simon Savard» le parrain de Rose est un homme important dans la région.  Il embrasse plusieurs métiers outre celui d’agriculteur dont celui de pilote et de lieutenant de milice, commandant à l’île aux Coudres.

Si la petite est prénommée Rose, ce n’est pas un accident, car sa mère née et mariée « Rosalie » avait par la suite eu la coquetterie de se faire appeler Rose toute sa vie.

Rose grandira un peu et sera élevée à la dure.  Cette fille de milieu de peloton travaillera probablement à la ferme puisque deux grandes sœurs prennent déjà toute la place dans la maison pour épauler la mère.  Son père en revanche ne peut compter que sur un garçon pour l’assister aux travaux de la terre.  Elle ne sera pas encore une adolescente lorsque sa mère décédera en 1740.  De fait, elle n’a pas encore dix ans lorsque Rosalie passe de vie à trépas.  Tout comme pour les autres enfants de la famille et peut-être un peu plus, ce sera sa sœur aînée Marie Anne (1723-1809) qui fera figure de mère dorénavant.  Lorsque cette dernière quittera l’Isle pour faire sa vie sur la Côte-du-Sud, elle la suivra peu de temps après.

On ne sait pas précisément quand Rose fit le grand saut au Sud, à Saint-Roch-des-Aulnaies où sa sœur Marie Anne vit depuis l’été 1750.  Il est cependant raisonnable de présumer qu’elle est traversée épauler sa sœur enceinte au cours de l’été 1751.  Comme on l’a vu, Marie Anne vient tout juste de se marier en mai et elle attend un enfant pour septembre.  De plus, leur père malade a aussi quitté définitivement l’Isle aux Coudres pour aller crécher chez Marie Anne ce même été.  Rose qui aura vingt et un ans à l’automne ne pouvait certainement pas laisser sa sœur seule, dans sa condition, dans de telles circonstances. 

En 1754, Rose est à Saint-Roch-des-Aulnaies et elle y est depuis un certain temps puisqu’elle est choisie comme marraine de Gabriel Ange Thibeault le 17 juin.  La mère de l’enfant a le même âge que Rose et elle est la cadette de la famille Lebel, dont la terre est voisine de celle de Marie Anne Hervé et Jacques Soulard[1].  Ce témoignage de confiance de Marie Anne Lebel (1731-1755) et de son mari Jacques Lambert Thibeault (1722-1755) montre que Rose devait être arrivée à Saint-Roch-des-Aulnaies depuis un certain temps.  Cette enfant, dont elle est marraine, ne survivra pas longtemps; tout au début de ce qui sera appelé «la grande picote», vers la fin novembre 1755, il sera emporté, de même que sa sœur et ses parents. La mère de l’enfant est emportée le 26 novembre.  C’est Jacques Soulard le conjoint de Marie Anne, la sœur de Rose, qui témoigne de la sépulture.  Le père, Jacques Lambert Thibeault, décède à son tour le 18 décembre.

Jean Hamon

Puis vint l’amour ou à tout le moins ce que pouvait représenter l’amour pour Rose, une femme de près de vingt-sept ans, qui s’unit à Jean Hamon, un Breton veuf de quarante et un ans, qui est père de six jeunes enfants[2].  Celui qui tourne autour de Rose depuis un certain temps n’est pas un étranger de la famille.  Cet ami de son père avait agi comme témoin à l’occasion de son troisième mariage.  En effet le 3 mai 1752, le mariage de Sébastien et de « marie Louise St pierre veuve de deffeunt jacques gauvin (…) » fut célébré « … en présence de pierre Gastonguay de jean hamon et de jean Marie gastonguay… »Rose n’était pas la première à être l’instrument d’un mariage de convenance et elle ne sera pas la dernière non plus.

On dit Jean Hamon «maître du bateau le Saint-Roch», mais ce ne sera pas le seul métier du Breton[3].

Le dimanche 5 juin 1757, Rose, dite « marie Rosalie hervey, se présente donc avec ledit jean ammond » devant le notaire et plusieurs témoins pour signer son contrat de mariage.  La fortune de Rose consiste «… à cent cinquante livres que sebastien hervey son père s’oblige de luy bailler… et trois cent cinquante quatre livres en effet et hardes».   Les futurs époux, par l’entremise du père de la future mariée, ont des témoins importants.  Deux curés de paroisses voisines agissent comme témoins à la signature du contrat de mariage de même que le père Sébastien[4] :

… de la part de lad. Demoiselle marie rosalie hervé et dud Sr son pere; messire gareault pretre curé de ladt paroisse son amis; messire joseph romain dolbec, pretre curé de la paroisse de notre dame de bonsecourt aussy son amis… [5] 

Le père de Rose, depuis qu’il est traversé à Saint-Roch-des-Aulnaies, a retrouvé un ami, l’ancien curé de l’Isle aux Coudres qui avait quitté sa cure de Saint-Louis-de-France un peu avant Sébastien pour prendre celle de Saint-Roch-des-Aulnaies[6].  Le jeune curé Garrault (1724-1794), du temps de son court séjour à l’Isle aux Coudres, avait eu maille à partir avec ses ouailles à cause d’un différend qui apparaît aujourd’hui enfantin.   À l’époque, il s’était appuyé sur les plus vieux de la petite communauté qui étaient plus ouverts à ses idées.  Il avait donc quitté cette île que, paraît-il, il n’aimait pas[7].   Sébastien, voisin de l’église et très dévots comme on l’a vu depuis son arrivée à Saint-Roch devait être près du curé, suffisamment à tout le moins pour qu’il se lie également d’amitié avec Joseph Romain Dolbec (1717-1777), le curé de la paroisse Notre-Dame de Bonsecours de L’Islet qui ne manquait pas de passer au presbytère de Saint-Roch lorsqu’il assurait la desserte du Port Joly[8]

Lors de la cérémonie nuptiale, le jour suivant, le lundi 6 juin, c’est justement le curé de Notre-Dame de Bonsecours de L’Islet, Joseph Romain Dolbec, qui fut le célébrant «Sous le bon plaisir de monsieur Gareault» [9]Rose dite «Marie Rosalie» épousait son Breton Jean Hamon et devenait par ce fait belle-mère de cinq filles âgées de deux à seize ans et d’un garçon de onze ans[10].  De ce nombre, il est probable que les deux plus vieilles, largement en âge de travailler, ne soient plus à la maison.  

Tout comme sa mère, Rose a la coquetterie de se faire prénommée autrement au cours de sa vie adulte.  Ainsi, elle est «Marie Rosalie» lors de la rédaction de son contrat de mariage et elle devient «Marie Rose» le lendemain lors de la cérémonie du mariage.  Il en sera ainsi toute sa vie alors qu’elle valsera d’un prénom à l’autre.

Rose s’installe donc dans la maison de Jean située sur une terre d’un peu plus de quatre arpents de front sur quarante-deux de profondeur bornée au nord-est par celle de François Pellerin (1718-1798) marié à la nièce de Marie Louise Saint-Pierre, la troisième épouse du père de Rose.  Au sud-ouest, on retrouve deux voisins et parents de Jean.  Le premier, Louis Gauvin (1725-1792) est marié à Marie-Françoise Pelletier (1719-1785) alors que le second, Jean Marie Larue (1715-1760) est marié à Marie Josephte Pelletier (1715-1775) [11]Ces deux Pelletier sont les sœurs de la première épouse de Jean.  Ainsi entourée, Rose n’a donc qu’à bien se tenir.

Marie Rosalie Hamon

La famille ne se fera pas attendre, car son Breton n’a pas l’intention d’en rester-là avec seulement six enfants.  Rose est engrossée dans les jours qui suivent son mariage puisque le 16 mars 1758 elle accouche de son premier enfant.  Rose dite «Marie Rosalie Hervé» fait baptiser son enfant le même jour en l’église de la paroisse de Saint-Roch-des-Aulnaies.  Bien que demeurant à Saint-Roch, la famille devait être très prêt du curé de la paroisse Notre-Dame de Bonsecours de L’Islet, car c’est encore Joseph Romain Dolbec, le curé de cette paroisse, qui préside la cérémonie du baptême de «Marie Rosalie Hamon… sous le bon plaisir de monsieur Gareault curé de la paroisse de Saint-roch».  Ce pourrait être Sébastien Hervé, le père de Rose, qui est choisi comme parrain, mais l’encre du registre ne permet pas de l’affirmer avec assurance.  Cependant, pour ce qui est de la marraine, il est clair qu’on a choisi la mère du curé Garrault, «Marie Anne Maugue» (1687-1766)[12], ce qui démontre encore une fois la proximité de la famille avec les curés du coin[13].

Marie Rosalie Hamon

Marie Rosalie épousera Henri Benoit Pelletier (1760-1855) le 20 janvier 1783 à Saint-Roch-des-Aulnaies.  Elle aura de lui au moins sept enfants.  Comme sa mère et sa grand-mère, elle sera aussi prénommée Marie Rose, Rosalie et Rose.  Femme de cultivateur, elle décédera dans son village natal le 21 octobre 1847 à près de quatre-vingt-dix ans[13].

Saint-Roch-des-Aulnaies

Mais revenons à sa mère.  Quelques mois après son accouchement, en août 1758, Rose dite «Marie Rosalie» agit comme marraine du deuxième enfant du couple formé de «Jean François Dubé (1721-1795) et de Marie Catherine Lebel» (1734-1809)[15].  On a ici une autre indication que Rose dû s’installer chez sa sœur Marie Anne à son arrivée à Saint-Roch puisque c’est la deuxième fois qu’elle est choisie marraine d’un enfant d’une Lebel, demeurant sur la terre voisine de celle de la sœur de Rose.  La première Marie Anne Lebel était la fille cadette de feu Joseph Lebel père (1677-1747) alors que Marie Catherine est la fille de Joseph Lebel fils (1702-1756) l’aîné qui a hérité de la terre du père, voisine de celle de Marie Anne Hervé et de son mari Jacques Soulard. 

Rose allaite son premier enfant depuis moins d’un an quand son père décède à l’âge de soixante-quatre ans le 7 mars 1759.  Le lendemain, c’est «jean hamon», le mari de Rose, qui agit comme témoin de la sépulture du patriarche Sébastien Hervé.

Un héros de la guerre de la conquête

Deux mois après la mort du père de Rose, les navires anglais et leurs dix-huit mille hommes remontent le fleuve.  Les miliciens reçoivent l’ordre de se rendre à Québec pour défendre la ville.  Jean Hamon part donc avec Chaussegros de Léry, l’envoyé du Gouverneur Vaudreuil qui est venu recruter des miliciens sur la Côte-du-Sud [16].  Il laisse derrière lui Rose enceinte d’un ou deux mois, mais cela il ne le sait peut-être pas.  

Rose enceinte, sa fille de douze mois, les enfants de son mari, sa sœur aînée Marie Anne et ses deux enfants comme toutes les femmes, les enfants et les vieillards quittent la seigneurie et s’abritent dans les bois avec les animaux qui peuvent y être abrités. 

Au cours de l’été, les Anglais se pointeront le nez à quelques reprises pour faire des rapines dans les environs, mais c’est entre le 9 et le 17 septembre qu’ils brûlent près de mille maisons, granges et dépendances entre Kamouraska et Cap-Saint-Ignace.  Jean Hamon n’est sûrement pas encore de retour pour voir ses champs brûlés puisqu’il est vraisemblablement blessé à Québec.

Après avoir travaillé tout l’automne à rebâtir sur les ruines de la dévastation laissée par l’anglais lors de la conquête et à se préparer pour un long hiver sans provisions solides, Rose accouche de son deuxième et dernier enfant le 20 décembre de la même année.  Il est baptisé le même jour et comme on l’a vu, faute d’hommes, c’est le curé Garrault qui agit comme parrain de Jean Baptiste Hamon comme il le fait souvent ces derniers temps, car plusieurs hommes sont portés manquants, alors que la sœur de Rose agit comme marraine.  Le curé Garrault n’a pas l’habitude d’inscrire à son registre «père absent» lorsque c’est le cas comme tant d’autres de ses confrères.  On ne sait donc pas si le père est de retour de Québec.

Jean Baptiste Hamon

Jean Baptiste épousera Marie Louise Pelletier à Yamachiche, à l’ouest des Trois-Rivières en 1784.  Le couple s’y installe.  Marie Louise est native de Saint-Roch-des-Aulnaies également, mais ses parents comme tant d’autres ont quitté le village pour s’établir dans la seigneurie de Yamachiche l’année précédente lors de la grande migration, mais cela nous le verrons plus tard[17].



On ne sait pas à quel moment le mari de Rose est blessé et par la suite ramené à Saint-Roch-des-Aulnaies après s’être battu contre l’anglais.  Jean Hamon est, dans les annales de la colonie, comme les centaines d’autres miliciens pour lesquelles aucun compte des pertes subies lors de la conquête, morts ou blessés, n’a été établi[18].  A-t-il été soigné à l’Hôpital-Général de Québec comme des centaines d’autres ?  Quoi qu’il en soit, il ne reprendra pas la mer. 

Quelque part à l’automne 1759, lorsque Jean Hamon revient dans son village natal auprès de Rose et de ses enfants, la famille a tout perdu dans les attaques destructrices anglaises.  N’étant plus en mesure de naviguer, il devient alors « farinier au moulin » de Saint-Roch-des-Aulnaies, où la famille s’installe [19]Malade, non rétabli de ses blessures, il recevra les derniers sacrements ; il est emporté le 23 avril 1760.  Jean Hamon n’avait que quarante-trois ans  [20].

À son décès, un seul des enfants de son premier mariage demeure avec Rose.  Les autres sont placés chez des parents de la Côte-du-Sud alors que Geneviève (1750-1824), par l’entremise de Rose, partira travailler pour une famille à l’Isle aux Coudres, (voir la petite histoire de Geneviève Hamon au chapitre 11) tout comme Marie Josephe (1740-1813), l’aînée, qui y est peut-être déjà.

La veuve Hamon

Au printemps 1761, la succession de feu Jean Hamon est réglée et la terre familiale est partagée devant le notaire Barthélemy Joseph Richard (1726-1773)[21].  Avec les sept enfants vivants de feu Jean Hamon, dont cinq d’une première couche, il ne resta pour Rose qu’un bien petit lopin de terre pour sa survie et celle des trois enfants demeurant également sous son toit.  Son domaine est uniquement constitué de quatre perches et trois pieds de terre de front sur quarante-deux arpents de profondeur, «… à elle appartenant comme provenant de son droit de communauté avec feu Jean Hamon, son mari…», qui sont bornées au sud-ouest à Marie Josephte Pelletier, la veuve de Larue, une autre veuve de la conquête[22].

La vie de la «Veuve Jean Mont» reprendra tant bien que mal.  En 1762, trois ans après la conquête, la région est encore dans un état lamentable, car les anglais, en la dévastant, n’avaient pas laissé grand-chose derrière eux.  Il ne reste que quarante-neuf bœufs, cent quatre-vingt-une vaches, cent trente taurailles, trois cent soixante et un moutons, cent un chevaux et deux cent vingt et un cochons dans toute la région des Aulnaies comprenant le lieu-dit de l’Islet-à-la-Peau ou de la demi-lieue.  C’est bien peu pour nourrir les cinq cent cinquante habitants.  Pour une veuve comme Rose avec trois jeunes enfants la vie n’est pas facile.  Outre les deux enfants qu’elle eut avec Jean Hamon, elle élève également Angélique Hamon (1754-1788), huit ans, la plus jeune fille que son défunt mari avait eue avec sa première épouse.   Pour tout bien restant, elle n’a qu’une demi-acre à cultiver, la maison qu’on a reconstruite, une vache, une tauraille, deux moutons et un porc[23].

La veuve Hamon poursuivra ainsi sa vie sans trop de revenus en cultivant son jardin pour plusieurs années.  On peut penser que la proximité de la famille avec les curés Garrault de Saint-Roch et Dolbec de Notre-Dame de Bonsecours ait pu faciliter la vie de Rose et ses enfants.

À l’été 1764, Rose et sa sœur Marie Anne, les deux veuves des Plaines d’Abraham font la traversée ensemble de Saint-Roch-des-Aulnaies à l’Isle aux Coudres pour régler leurs comptes avec le frère aîné.  Rose reçoit de son frère Zacharie Sébastien (1726-c.1813) un montant de cent cinquante livres pour sa portion de l’héritage combiné de sa mère et de son père[24].  Bien engrangée, cette somme devrait permettre à Rose d’améliorer le quotidien de sa famille pour un certain temps.

C’est en 1769 que le curé Garrault quitte la curie de Saint-Roch-des-Aulnaies.  Les sœurs Hervé, la veuve Soulard et la veuve Hamon devaient être bien tristes de voir partir cet ami de la famille et ce protecteur.  La paroisse sera sans curé pour un certain temps.  Au début de 1773, le curé de Sainte-Anne-de-la-Pocatière qui assure les services dans la paroisse fait entreprendre l’agrandissement de l’église sise sur le terrain qu’avait donné en 1724 la veuve Soulard première, la mère de feu le beau-frère de Rose.  L’agrandissement est terminé juste à temps pour l’arrivée du nouveau curé l’abbé Pierre Huet de la Valinière (1732-1806) en janvier 1777.  Les sermons de ce dernier, d’une déloyauté légendaire envers les autorités britanniques, devaient sonner comme de la musique aux oreilles de Rose et Marie Anne, les deux veuves des Plaines d’Abraham (voir l’encadré ci-contre).

Rose sera absente des registres de la colonie pour une bonne douzaine d’années.  Une veuve de peu de fortune élevant trois enfants laisse bien peu de traces.  Le 20 janvier 1777, elle assiste avec Marie Rosalie et Jean Baptiste, ses deux enfants de près de vingt ans, au mariage de sa nièce Marie Angélique Soulard à Sainte-Anne-de-la-Pocatière où la mariée vivait et travaillait avant son mariage.

Une seconde union

En 1778 un certain Michel Migneault dit Aubin perd sa première épouse.  Le 15 février 1779, Rose prend pour deuxième mari ledit Aubin né à Saint-Louis de Kamouraska sur la terre du premier migrant de cette famille, Jean Mignaux de Châtillon (1622-c.1681).  Lors de son premier mariage en 1765, Michel s’était établi à Saint-Roch-des-Aulnaies avec son épouse de Montmagny.  Rose connaissait donc le veuf depuis un certain temps.  Le mariage de «Marie Rose à Michel Migneau» à bien entendu lieu à Saint-Roch-des-Aulnaies[25].  Bien que le père de Michel, Pierre Mignault (1692-1770) soit né en Acadie et ait été parmi les premiers Acadiens ayant abouti sur la rive sud du grand fleuve à la suite de l’attaque de Phipps à Port-Royal en 1690, il n’était Acadien que par sa mère et n’y a vécu que quelques mois.  Le fleuve étant impraticable, aucun de ses trois frères ni sa sœur Marguerite (1728-1818) vivant à l’Isle aux Coudres n’assistera pas à la cérémonie.  Seule la veuve Soulard, Marie Anne Hervé, sera sans doute présente.  Jean Baptiste, le fils de Rose que le nouveau curé Louis Antoine Hubert (1744-1794) nomme «Jean Mont», lui sert de témoin.  Il est assisté dans cette tâche par «Louis Gauvin (1725-1792) beau-frère» ; on ne prendra pas la peine d’expliquer à ce nouveau curé nommer en catastrophe par l’évêque Briand, le monseigneur des anglais, pour remplacer Huet de la Valinière[26], que le témoin est de fait le beau-frère de feu le premier mari de Rose du temps où ce dernier était marié à sa première épouse.

Rose dont les enfants ont respectivement dix-neuf et vingt et un ans devra dorénavant voir au bien-être d’une enfant, car son nouvel époux à une fille d’à peine douze ans Marie Josephte (1766-1832).

Yamachiche

Quelques années plus tard, Rose mari sa fille Marie Rosalie à un fils du village.  C’est son nouvel époux ainsi que le frère de la mariée qui lui servent de témoins[27].  Nous sommes en janvier 1783 et c’est à cette époque, probablement à l’été, qu’une dizaine de familles de Saint-Roch quittent alors le village pour partir vivre dans la seigneurie de Yamachiche.  C’est le cas de François Marie Pelletier (1734-1794) et de Marguerite Ursule Caron (1735-1791), les père et mère d’une jeune fille dont Jean Baptiste le fils de Rose s’est certainement déjà amouraché, car le 25 octobre de l’année suivante, il épouse Louise Pelletier en l’église Sainte-Anne-d’Yamachiche[28].  Les nouveaux mariés s’établissent à Yamachiche.

Cette migration semble s’être effectuée sous la férule d’une certaine famille Caron de Saint-Roch-des-Aulnaies.  Michel Caron (1734-1800), après avoir perdu sa femme en janvier 1783, quitte Saint-Roch à l’été avec sa douzaine d’enfants et plusieurs parents pour s’établir sur des terres qu’ils acquièrent cette année-là dans la seigneurie de Yamachiche et qui furent connues plus tard sous le nom de rang ou de village des Caron.  Lors de son mariage l’année suivante, Jean Baptiste Hamon choisira comme témoin son ami d’enfance Joseph Caron (1758-1823), l’aîné de cette tribu de Caron.

En mars 1784 décède Marie Louise Saint-Pierre, la troisième épouse du père de Rose avec qui il avait passé les sept dernières années de sa vie.  Rose et sa sœur Marie Anne, qui habitait avec la défunte, assistent probablement aux obsèques de la veuve, mais comme les registres de l’église ne font qu’exceptionnellement place aux femmes à cette époque à Saint-Roch-des-Aulnaies, nous n’en aurons jamais la preuve.

C’est à cette époque que Rose voit débarquer dans son village ses neveux, François (1760-1843), David Louis Dominique (1764-1837) et Joseph Sébastien (1767-1834), trois fils de Sébastien Dominique (1736-1812) ainsi que David Gagnon l’aîné de sa sœur Marguerite Rosalie.  Elle qui avait vu partir son unique fils pour Yamachiche voit sans doute leur arrivée comme un baume sur la plaie de la perte de son deuxième homme.  Ce que Saint-Roch-des-Aulnaies avait perdu aux mains de la seigneurie de Yamachiche, elle le regagnait suffisamment avec une arrivée massive de plusieurs jeunes gens de l’Isle aux Coudres venus tenter leur chance sur la Côte-du-SudRose était venue s’établir sur la rive sud quelques années avant la naissance des trois frères Hervéet probablement l’été de la naissance de David Gagnon alors que sa sœur demeurait encore aux Éboulements; elle ne les avait connus que lors de ses traversées à l’Isle ou lorsque le cadet de ses frères, pilotes de son métier, venait rendre visite aux deux veuves Hervé de Saint-Roch-des-Aulnaies. 

La vie continue pour le nouveau couple formé de Rose et de Michel Migneault dit Aubin.  La relation de ce dernier avec son unique fille qu’il avait eu de sa première union ne devait pas être paisible, car lors du mariage de cette dernière en 1791, Michel Migneault ne se présente pas à la cérémonie.  La jeune fille avait attendu son vingt-cinquième anniversaire, l’âge de sa majorité, pour pouvoir épouser celui qu’elle voulait.  On peut supposer que le père n’approuvait pas cette union avec ce Michel Reinhardt, un prétendu Strasbourgeois apparemment né protestant et arrivé en Amérique on ne sait dans quelles circonstances[29].  Avec son fils qui a quitté la région depuis un certain temps, on pourrait penser que Rose, avec c’est soixante ans révolus et son époux de cinquante-cinq ans, s’appuient sur son unique fille Marie Rosalie et son mari de même que sur les trois neveux Hervé habitants également Saint-Roch, et pourtant…

Bien que Rose n’ait vécu que trois ans avec son premier mari, celle qui est toujours appelé la veuve Hamon au village a soixante-quinze ans lorsque s’éteint Michel Migneault le 19 janvier 1806, l’époux avec lequel elle a partagé près de vingt-sept ans de vie commune[30]Rose quitte alors le village de Saint-Roch-des-Aulnaies, où elle vécut sa vie d’épouse et de mère pour se réfugier chez son fils à Yamachiche.  Elle laisse derrière elle Marie Rosalie, sa fille de cinquante-huit ans et Marie Anne Hervé sa sœur aînée qui en a maintenant quatre-vingt-trois.

Rose y vivra un peu plus de dix ans avant d’être emporté à son tour le 19 février 1816. «marie arvé veuve de feu jeanmont cultivateur» décède à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.  Outre son fils qui assiste bien entendu à la cérémonie, tout le clan des Caron, les amis de ce dernier natifs de Saint-Roch-des-Aulnaies et ayant migré à Yamachiche plus de trente ans auparavant assistent également à la cérémonie.  Le juge de paix et député de Saint-Maurice Michel Caron fils (1763-1831)[31] et son frère Augustin (1765-1845) agissent comme témoin à sa sépulture[32].

 Généalogie de Rose Hervé (1730-1816)

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[1] ROY, Léon. Les terres de la Grande-Anse, des Aulnaies et du Port-Joly. Lévis, Fortin & fils, 1951, page 232.

[2] Fichier Origine, Fédération québécoise des sociétés de généalogie et Fédération française de généalogie.  Fiche 242016. HAMON, Jean (b : Jean Vincent).  

[3] A.N.Q., GN. Minutier Nicolas Jean Olide Kerverzo, 29 octobre 1755.

[4] Née Rose, elle est aussi prénommée Marie Rose et Marie Rosalie au cours de sa vie.

[5] A.N.Q., GN. Minutier Joseph Dionne, 5 juin 1757.

[6] ALLAIRE Jean-Baptiste-Arthur. Dictionnaire biographique du clergé canadien-français; Les anciens. Montréal, Imprimerie de l’école catholique des Sourds-Muets, 1910, page 490.  SAINT-ONGE (L’abbé Charles Maugue-Garaut de), né à Montréal, le 26 février 1724, de Pierre Garaut de Saint-Onge et de Marie Anne Maugue, fut ordonné le 23 février 1747. Curé de de l’Ile-aux-Coudres (1748-1750); curé de Saint-Roch-des-Aulnaies (1750-1769), avec desserte du Cap Saint-Ignace (1764-1769) et curé de Berthier-en-Bas (1783-1785); décédé à Saint-Vallier, le 24 juillet 1794. 

[7] MAILLOUX, Alexis. Histoire de l’Île-aux-Coudres depuis son établissement jusqu’à nos jours, op. cit., pages 56-57.

[8] ALLAIRE Jean-Baptiste-Arthur. Op. cit., page 173.  L’abbé Dolbec fut le premier curé L’Islet, avec desserte de Saint-Jean-Port-Joli (1745-1767).

[9] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Roch-des-Aulnaies, 6 juin 1757.

[10] Ibid., 14 avril 1756.  Bien qu’il ait eu six filles de sa première épouse, Jean Hamon avait perdu le printemps précédent celle prénommée Marie Madeleine âgée de huit ans qui était morte trois mois après le décès de sa mère.

[11] ROY, Léon. Les terres de la Grande-Anse, des Aulnaies et du Port-Joly. Lévis, Fortin & fils, 1951, pages 223-226.

[12] SAINTE-HENRIETTE, sœur.  Histoire de la congrégation de Notre-Dame de Montréal; 1763-1790. Montréal, Édition de la congrégation Notre-Dame, 1941, 10 volumes, Volume V, pages 99, 100, 103-211, 424, et 425.

[13] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Roch-des-Aulnaies, 16 mars 1758.

[14] Ibid., 20 janvier 1783 et 23 octobre 1847.

[15] Ibid., 22 août 1758. Baptême de Marie Agathe Dubé.

[16] DESCHÊSNES, Gaston. L’année des anglais : la Côte-du-Sud à l’heure de la conquête, op. cit.

[17] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Roch-des-Aulnaies, 3 septembre 1763 et 25 octobre 1784.

[18] FILTEAU, Gérard.  Par la bouche de mes canons! : la ville de Québec face à l’ennemi. Sillery, les éditions du Septentrion, 1990, pages 171.  Le bilan de cette bataille décisive varie selon les sources.  Dans l’armée française, les pertes sont considérables.  Plusieurs chiffres ont été avancés, six cent cinquante est celui qui revient le plus souvent alors que le rapport de La Pause parle de cent cinquante morts sans compter les disparus portés à vingt-huit. Quant au nombre de blessés, il est élevé, plusieurs centaines.  De plus, cent quatre-vingt-treize hommes meurent des suites de leurs blessures à l’Hôpital Général.  Le nombre de pertes et blessés dans les milices est inconnu.

[19] A.N.Q., GN. Minutier Barthélémy Joseph Richard, 11 et 27 avril et 20 décembre 1760.

[20] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Roch-des-Aulnaies, 24 avril 1760.  Il n’y a pas de preuve historique liant sa mort à la bataille de la conquête à laquelle il a participé au cours de l’été 1759.  Par contre, on sait que les miliciens de Saint-Roch-des-Aulnaies sont sur les plaines d’Abraham au moment de l’assaut final par l’anglais et que son beau-frère Jacques Soulard y est mort.

[21] TRUDEL, Marcel.  Le régime militaire et la disparition de la Nouvelle-France, 1759-1764. Montréal, Éditions Fides, «Histoire de la Nouvelle-France», Volume 10, 1999, pages 170 et 172 et BAnQ., Collection Centre d’archives de Québec, cote P1000, S3, D1783.

[22] A.N.Q., GN. Minutier Barthélémy Joseph Richard, 21 avril 1761 et dans : ROY, Léon, op. cit., pages 224.

[23] BAnQ., «Recensement du gouvernement de Québec en 1762 par Jean-Claude Panet», 5 avril 1721.  Rapport de l’Archiviste de la province de Québec pour 1925-26, 310 pages, pages 14-16.

[24] A.N.Q., GN. Minutier Antoine Crespin père (1713-1782), 22 juillet 1764; Rose 150 livres.  Le notaire fond dans un seul acte les remboursements de Zacharie Sébastien à ses deux sœurs, Rose et Marie Anne.

[25] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Roch-des-Aulnaies, 15 février 1779.

[26] COLLECTIF Université Laval. Les Prêtres de Saint-Sulpice au Canada : grandes figures de leur histoire. Sainte-Foy, les Presses de l’université Laval, 1992, pages 156-160.

[27] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Roch-des-Aulnaies, 20 janvier 1783.

[28] BAnQ., Registre de la paroisse Sainte-Anne-d’Yamachiche, 25 octobre 1784.

[29] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Roch-des-Aulnaies, 7 novembre 1791.

[30] Ibid., 20 janvier 1806.

[31] A.N.Q.  Assemblée nationale du Québec, députés. Op. cit.

[32] BAnQ., Registre de la paroisse Sainte-Anne-d’Yamachiche, 20 février 1816.