Les Harvey à Bourlamaque

Lionel Harvey (1878-1963)

Joseph Lionel est le fils d’Hermias Harvey (1852-post.1931) et d’Elmire Potvin (1856-1922).  Son grand-père Timothée Hervey (1806-1880) était un cultivateur important de Saint-Fulgence au Saguenay.  Il est de la lignée de Michel Hervé (1771-1810) à Pierre Hervé (1733-1799) à Sébastien Hervé (1695-1759) chez le migrant Sébastien Hervet (1642-1714).  Natif de Saint-Fulgence, il n’a pas quinze ans lorsque la famille quitte le Saguenay pour Causapscal dans la vallée de la Matapédia.  En 1908, au moment du mariage de Lionel à Diana Brisson (1881-1965) à Causapscal, ses parents ont déjà quitté la Vallée et résident dans la paroisse Saint-Sauveur à Québec.  Diana est elle aussi native du Saguenay, mais demeure à Causapscal[1]Lionel sera l’un des derniers Harvey à s’établir en Abitibi avant 1940. 

C’est en juin 1906 qu’avaient débuté les travaux de construction de la partie est du National Transcontinental Railway.  Cette section devait relier Moncton au Nouveau-Brunswick à Winnipeg au Manitoba.  Depuis 1872, un important tronçon du trajet proposé, celui qui traverserait l’Abitibi pour relier Winnipeg, était déjà construit entre Moncton et Québec.  Il s’agissait de l’Intercolonial.  En 1910, Lionel met de côté son métier d’agriculteur pour devenir aide-cantonnier à la gare de Routhierville.  Lionel s’assure de la sécurité de l’infrastructure de la voie ferrée en repérant et corrigeant les défauts.  Le couple est alors établi à la mission Assemetquagan qui deviendra rapidement Routhierville dans la Vallée du nom du chef de gare, Alphonse Antoine Routhier, pour qui Lionel travaille.  Ce sera d’ailleurs ce dernier et son épouse qui seront choisis parrain et marraine de leur premier enfant, lequel naîtra à la mission Assemetquagan[2]À cette époque, la vie des gens s’organisait autour de la gare et on s’adonnait à la pêche au saumon de l’Atlantique.  Comme la chapelle-école du village avait été construite en 1909, les enfants de la famille la fréquenteront.  

Diana qui avait accouché d’un premier enfant à Causapscal en aura dix autres à Routhierville[3], le dernier en 1924.  L’endroit compte alors une cinquantaine d’habitants. 

Lorsque les opérations ferroviaires déménagent à Amqui après 1920, Lionel est promu cantonnier à L’Isle-Verte entre Trois-Pistoles et Rivière-du-Loup au Bas-Saint-Laurent[4].  En 1931, le cantonnier est promu chef cantonnier à Amqui; la famille repart donc pour la vallée de la Matapédia où elle emménage dans cet autre village[5].  C’est à cette époque qu’est hospitalisée à Québec la plus vieille des filles toujours à la maison; Eva y décède en mai 1932[6].

Les parents de Lionel, avec tous ses frères et une de ses sœurs, avaient quitté le Québec pour la Saskatchewan à quelques kilomètres au sud d’Ormeaux au début des années 1910[7].  Il s’approchera d’eux un tant soit peu à la fin des années 1930 alors qu’il amène sa famille vivre à Bourlamaque en Abitibi. 

Ce n’est assurément pas pour lui-même que le chef cantonnier qui approche la soixantaine abandonne son métier dans les chemins de fer, métier qui avait mis du pain sur la table de la famille pendant toutes ces années.   Lionel et Diana ont cinq fils et, outre le travail dans la foresterie, les emplois ne sont pas nombreux dans la vallée.  Il en va de même pour leurs trois filles plus jeunes, toujours à la maison, qui auront peine à trouver un emploi.  De plus, la vallée de l’or vers laquelle ils se dirigent fait briller tant de rêves chez plusieurs célibataires; ils sont nombreux à s’y ruer.  Bien qu’habituée aux voyages en train, la famille trouva sans doute exténuant ce dernier grand déplacement.  À bord de l’Intercolonial maintenant fusionné à la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, ils ont dû parcourir plus de quatre cents kilomètres pour atteindre Québec, un voyage d’une douzaine d’heures à l’époque.  Ils passèrent sans doute la nuit dans la capitale avant de prendre le National Transcontinental le lendemain en direction d’Amos, cette fois-ci un voyage de plus de sept cents kilomètres qu’il faut franchir, près de vingt-quatre heures à regarder la forêt.  Une fois à Amos et par bateau sur la rivière Harricana, c’est plus de soixante-dix kilomètres qu’il faut franchir jusqu’au lac Blouin pour ensuite emprunter une route de fortune en carriole afin de rejoindre Bourlamaque, quelques kilomètres plus loin.  Ce n’est pas le travail de chef cantonnier qui amène Lionel sur la ligne de chemin de fer traversant l’Abitibi puisqu’il finira sa carrière comme mineur à la mine de Bourlamaque avec certains de ses fils.

C’est en 1935 que la Lamaque Gold Mines Limited avait fait construire le village de Bourlamaque pour attirer des familles et s’assurer ainsi de travailleurs à temps plein.  Avant cela, les premières cohortes de mineurs étaient logées dans quelques tentes et constructions en pièce sur pièce.  Cette main-d’œuvre était temporaire et même saisonnière.  Lionel et sa famille s’installent donc dès leur arrivée dans l’une des soixante-huit nouvelles maisons unifamiliales en bois rond construit par la compagnie pour ses employés.  La maison de billes d’épinettes blanches et grises est typique de celles construites à l’époque de la colonisation de l’Abitibi.

Le village ressemble aux aménagements urbains de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle dans les milieux anglo-saxons.   Outre les maisons familiales, l’édifice abritant les bureaux et les résidences cossues des dirigeants, des bâtiments ont été assignés aux différents employés selon leur statut et leur rang professionnel.  Des pensions à l’écart des familles sont aussi offertes aux travailleurs célibataires.  Bien que les travailleurs ne soient pas tenus d’habiter Bourlamaque, et que plusieurs logent à Val-d’Or, Lionel et sa famille auront choisi une maison de la compagnie.  La maison qu’il loue ne lui coûte que cinquante dollars par année, incluant l’eau, l’électricité, le téléphone et l’entretien paysager.  C’est probablement dans les premières années d’opération de la mine que la famille quitte Amqui pour Bourlamaque.  Ils y sont déjà depuis un certain temps en 1938[8].

Comme leur nouvelle ville est munie d’un grand hôtel, d’un théâtre, d’une épicerie, d’une banque et d’une salle de billard et de quilles, les trois filles de Lionel auront la possibilité de se trouver un emploi.

Si les deux plus vieux étaient demeurés au Bas-Saint-Laurent, l’une à L’Isle-Verte et l’autre à Amqui, sept enfants avaient suivi les parents en Abitibi.  Un seul ne s’acclimatera pas et reviendra dans le Bas-Saint-Laurent.

À soixante-deux ans, Lionel descend toujours dans le puits de la mine chaque jour, mais ce n'est plus pour longtemps[9].  En 1943, il prend sa retraite[10].

Au début des années soixante, Lionel est malade et hospitalisé au Sanatorium Saint-Jean de Macamic où il décède en 1963 à l’âge de quatre-vingt-cinq ans[11].  Diana Brisson, la mère de cette grande famille décède quant à elle deux ans plus tard[12].  Le couple n’aura donc pas vécu le regroupement de Bourlamaque à Val-d’Or qui ne se fusionnera qu’en 1968.

Théodore Harvez (1888-1964) l’un des jeunes frères de Lionel, parti avec les parents en Saskatchewan dans les années 1910, était revenu au Québec, probablement dans les années 1950, et habitait chez Lionel.  Il décède d’ailleurs à Val-d’Or un an après ce dernier.

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[1] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Jacques-le-Majeur de Causapscal, 28 avril 1908.

[2] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Laurent de Matapédia, 16 février 1911.

[3] BAnQ., Registres de la Mission Assemetquagan et de la paroisse de Sainte-Florence de 1911 à 1924.

[4] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Jean-Baptiste de L’Isle-Verte, 22 janvier 1930. Mariage de Jeanne Léontine Harvey et Jean Léon Dumas.

[5] B.A.C., G., Recensement de 1931, Amqui, microfilm e011589686.

[6] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Benoit-Joseph-Labre d’Amqui, 14 mai 1932.

[7] Recensement canadien de 1916 pour la Saskatchewan, North Battleford, microfilm, 31228_4363970-00717.

[8] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Benoit-Joseph-Labre d’Amqui, 27 juillet 1938.  Mariage de Léon Alcide Harvey et Thérèse Riverin.

[9] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Sauveur les mines, 20 décembre 1940. Mariage de Victorien Harvey et Géraldine Bellavance.

[10] B.A.C., G., Liste des électeurs du Pontiac, ville de Bourlamaque, 1945, microfilm 302437-01188

[11] B.A.C., G., Liste des électeurs de Chapleau, Sanatorium Saint-Jean de Macamic, 1963, microfilm 33022_302258-00965.

[12] Registre du cimetière Saint-Sauveur de Val-d’Or.