Un Harvey à Notre-Dame-du-Nord

Théodule Harvey (1884-1937) au Témiscamingue

Il y a souvent une histoire particulière en trame de fond chez les Harvey migrateurs.  Théodule ne fait pas exception.  Aîné du premier lit de son père Pierre dit Pitre (1854-1934), il naît le 6 février 1884 à Alma[1].  Sa mère, Marie Luce Larouche (1863-1887), décède en laissant trois enfants orphelins alors que Théodule n’a pas encore trois ans.  Cette année-là, son père a fait l’acquisition d’une ferme de deux cent neuf acres en 1887, mais cela ne retiendra pas son aîné devenu grand.  Il faut dire que ce père s’était remarié un an après le décès de Marie Luce et qu’il avait eu treize autres enfants[2]

Avant le tournant du siècle, Théodule avait déjà quitté le toit familial et travaillait à la ferme de son oncle Jean Harvey (1866-1944)[3].  Il y sera quelques années avant de partir tenter sa chance dans les forêts du nord des États-Unis.  Le 2 mai 1910, il traverse la frontière américaine au poste frontalier de Newport au Vermont, pour tenter d’aller y gagner sa vie[4].  Il y resta une quinzaine de mois, car il n’est toujours pas de retour en juin 1911 lors du recensement[5] ou, s’il est quelque part dans les bois au Québec, il n’est pas recensé. 

Fort de son expérience acquise dans les forêts américaines, il se dirige vers le Témiscamingue où il travaillera comme bûcheron dans la forêt de la tête du lac Témiscamingue.  Le village où s’établit Théodule est situé sur la rive droite des rapides des Quinze, juste avant que la rivière n’atteigne la baie Paulson du lac Témiscamingue.  Les premières familles à prendre pied à cet endroit s’étaient établies à l’emplacement de l’établissement amérindien.  L’histoire de sa colonisation avait débuté avec l’arrivée d’un premier colon métis qui y défricha une terre vers la fin du XIXe siècle.  À l’arrivée de Théodule, les Algonquins, les Canadiens français et les anglophones d’origine écossaise et irlandaise s’y côtoient et ils sont déjà sept cent vingt-sept à habiter le canton de Nédélec[6].

Il ne fait aucun doute que Théodule est dans la région depuis un certain temps puisque le 8 janvier 1912, il épouse Marie Anne Chouinard (1887-1917) dans la chapelle de Notre-Dame-du-Nord à la tête du lac[7]Théodule est réputé « de cette paroisse ».  Marie Anne y habite également chez ses parents.  C’est un confrère de quarante et un ans, Hyppolite Pleau (1871-1940), qui sert de témoin à Théodule[8]

Notre-Dame-du-Nord, qui ne prendra cette appellation qu’en 1928[9], se situe à l’endroit de confluence de la rivière des Quinze et du lac Témiscamingue, à la croisée des routes qui relient Ville-Marie et l’Ontario.  Le village se trouve à moins de deux kilomètres de la province voisine.

Théodule acquiert une terre, ce qui ne l’empêchera pas de continuer à travailler en forêt.  D’ailleurs, il y est toujours lorsqu’est baptisé son premier enfant le 21 juillet 1913.   C’est curieusement soixante-treize jours après la naissance alors que le missionnaire, qui a pied à terre à Notre-Dame-du-Nord, était pourtant passé à sa chapelle très régulièrement depuis[10]Théodule et Marie Anne Chouinard auront trois autres enfants à la tête du lac.

Marie Chouinard ne survivra pas à l’accouchement de son dernier enfant.  Elle décède sept jours plus tard, le 20 février 1917, et elle est inhumée dans le cimetière adjacent à la petite chapelle[11].


Au fil des ans, la paroisse prendra de l’ampleur. Un presbytère sera construit en 1921 et une église remplacera la chapelle de Tête-du-Lac en 1922.  Cependant, Théodule n’y sera plus pour témoigner de ces changements.  Lui et ses trois enfants toujours vivants traverseront la frontière ontarienne pour s’établir à une trentaine de kilomètres au sud-ouest dans le secteur de Haileybury, du côté ontarien du lac Témiscamingue. 

Le 4 juillet 1921, il épouse en secondes noces Laura Synotte (1884-1942) dans l’église Sainte-Croix de Haileybury.  Laura, récemment débarquée dans la région, est native de L’Anse-au-Griffon en Gaspésie[12].  On sait que le couple aura au moins un enfant.

Laura et Théodule vivront des heures dramatiques lorsqu’en 1922 le Grand Feu enflamme la région.  Près de trois mille cinq cents personnes se retrouvent à la rue.  Théodule et sa famille logeront dans un des vieux tramways désaffectés qui furent envoyés de Toronto pour servir d’habitation temporaire, le temps de la reconstruction.

Par la suite la famille s’établira sur une terre où Théodule sera agriculteur l’été et, même vieillissant, poursuivra son travail dans les chantiers l’hiver.  Tombé malade en novembre 1936, il est hospitalisé à Toronto au printemps 1937. Il ne survivra pas aux trois opérations qu’il doit subir et décédera le 25 avril 1937.  Au certificat de décès, on inscrira comme profession « Jack of all trades in lumber camp »Il avait cinquante-trois ans.  Laura Synotte le suivra dans la tombe le 22 mars 1942[13].

Théodule Harvey a comme généalogie patrilinéaire son père le cultivateur d’Alma Pierre dit Pitre Harvey (1854-1934), son grand-père, membre de l’association des défricheurs du township de Jonquière et commissaire d’école, Protes Hervai (1825-1897), l’entrepreneur forestier Pierre Hervez (1799-1853), le travailleur forestier et propriétaire d’un moulin à scie Pierre Hervé (1759-1857), l’insulaire Pierre Hervé (1733-1799), le colonisateur à l’Isle aux Coudres Sébastien Hervé (1695-1759) et le migrant Sébastien Hervet (1642-1714).

Le Témiscamingue n’a vu passer que bien peu de Harvey descendants de Sébastien Hervet avant 1940à part son fils au XVIIIe siècle et Théodule pour une dizaine d’années au XXe siècle.  Plus aucun de ses descendants ne vivait dans cette région en 1931[14].  Cependant, les descendants de François Hervy des îles de la Madeleine ont été nombreux à y prendre racine (voir le chapitre Les Harvey des îles de la Madeleine pour les connaître). 

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[1] BAnQ., Registre de la paroisse Saint-Joseph d’Alma, 7 février 1884.

[2] BEAULIEU, Carl. Les Harvey, entrepreneurs polyvalents et citoyens engagés. Chicoutimi, Éditions du patrimoine, 2002, pages 247-249.

[3] B.A.C., G., Recensement de 1901, Saint-Joseph d’Alma, microfilm z000133585.

[4] U.S. National Archives and Records Administration, registre des passages à la frontière canado-américaine pour le 5 mai 1910.

[5] B.A.C., G., Recensement de 1911, District du Pontiac, canton de Nedelec et réserve sauvage, microfilm e002079781.

[6] Ministère de l’Agriculture/Bureau fédéral de la statistique/Statistique Canada, Recensements du Canada, 1911.

[7] Coupures de journal tirées de : BAnQ., COLLECTIF. «Mission indienne à la tête du lac Témiscamingue», Journal Le Monde illustré. Montréal, Vol. 10, no 471 (13 mai 1893), page. 19.

[8] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame-du-Lac, 8 janvier 1912.

[9] La municipalité a été constituée le 23 septembre 1919 sous l’appellation de municipalité du canton de Nedelec-Partie-Sud. Elle est renommée municipalité de Notre-Dame-du-Nord, en 1928, en référence à sa situation au nord-est du lac Témiscamingue.

[10] BAnQ., Registre de la paroisse Notre-Dame-du-Lac, 5 mai au 21 juillet 1913.

[11] Ibid., 22 février 1917.

[12] Province of Ontario, Mariage certificate, 4 juillet 1921.

[13] Province of Ontario, Certificate of registration of death, 25 avril 1937 et 22 mars 1942.

[14] B.A.C., G., Recensement de 1931, District du Témiscamingue.