le Médoc autrefois
Le Médoc actuel ne ressemble en rien à celui d’autrefois. Les choses ont bien changé de face. Sur le sol occupé aujourd’hui par de riches vignobles ; à la place des champs où mûrit la récolte, fruit d’une culture libre et intelligente ; à l’endroit même où, dans de gros pâturages, on élève la race si appréciée du cheval médocain, existaient, anciennement, d’épaisses forêts, couvrant le pays presque en entier, peuplées d’animaux sauvages, entrecoupées de distance en distance d’infranchissables et pestilentiels marais.
Près de ces marais, vivaient dans des huttes, nos ancêtres, misérables, à demi nus gémissant sous le poids du servage, menacés presque continuellement dans leur existence, veillant sur leur maigre champ de millet, ravagé par la bête sauvage, quand ce n’était pas par la meute du seigneur et pour son bon plaisir.
La configuration des côtes tant du côté du fleuve que du côté de l’Océan, donnée par les plus anciennes carte, indique qu’à cette même époque, les terrains connus aujourd’hui sous le nom de mattes ou alluvions formaient le lit de la Gironde, beaucoup plus rapprochée par conséquent de nous, qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Sur différents points, qu’il serait facile d’indiquer, les eaux du fleuve pénétraient fort avant dans l’intérieur des terres, s’y rendant par des échancrures ou des bas-fonds existant sur la rive.
Chargées de limon, elles en déposèrent, à la logue, sur le sol submergé en couche épaisse qui, mise à sec lorsque le fleuve déplaça son lit, devint, sous la double action de l’air et du soleil, ce terrain si fertile des mattes qui est comme un signe de richesse pour ceux qui en sont les heureux possesseurs.
On comprend que dans leur parcours à l’intérieur des terres, dont elles contournèrent,en tout ou partie, les points les plus élevés, ces eaux fournies par le courant principal de la Gironde, durent former comme autant d’îles ou de presqu’îles, sur lesquelles les anciens habitants du Médoc ne manquèrent pas d’établir les habitations.
Plus tard, ces habitations, dans bien des cas, et par voie d’accroissement, devinrent un burg, nom sous lequel on désignait autrefois toute agglomération administrée par un chef.
La position sur des points élevés de tous les bourgs ou gros villages actuellement limitrophes du fleuve, paraît être une preuve certaine.
C’est par ces bras du fleuve, que les hordes normandes purent facilement pénétrer jusqu’au coeur du pays et le dévaster.
Comme on devait s’y attendre, nos ancêtres, pour se défendre des incursions de ces pirates, ne manquèrent pas de construire soit au fond des baies, soit à l’entrée de ces canaux, des forteresses dont on voit encore les vestiges en plusieurs endroits, principalement dans la vallée de St-Seurin-de-Cadourne, au lieu appelé Ville de Brion, ainsi qu’à St-Christoly, au fort de Castillon.
A cette époque, une phénomène surprenant se produisit.
Au moment même où le fleuve s’éloignait nous abandonnant une immense étendue d’alluvions, on vit l’océan, par une marche progressive, envahir en la couvrant de ses sables et de ses eaux, toute la partie ouest de notre pays : ports, bourgs, villes, forêts, tout disparut, ne laissant de leur existence qu’un nom ou qu’un souvenir confus.
Les populations affolées durent s’éloigner pour s’établir plus loin.
Cette marche envahissante des sables et de la mer a duré jusqu’au jour où l’ingénieur Brémontier parvint à fixer le sable mobile des dunes du littoral.
Pierre de Cassanet.
(le Journal du Médoc du dimanche 23 octobre 1927
20 centimes le numéro)