Le médoc est perdu au nord de la Gironde, la terre y est vallonnée et presque uniquement plantée de vignes.
Le médocain est en général de teint assez rouge et accuse le vent d’être responsable de sa jolie couleur de peau, alors que hein, le vin quand même, ça n’aide pas à avoir le teint clair.
Le médocain fait fi des lois et n’applique que les siennes, il est sans doute cousin du corse mais ne fait rien exploser ni personne.
Il considère par contre être seul maître de son territoire et chasse par conséquent quand il veut et non quand la loi l’autorise, d’où la perdurance de la chasse à la tourterelle au mois de mai qui à défaut de décimer la race (si vous en voyez qui passent dites le) permet à Bougrain-Dubourg de passer à la télé une fois par an parce qu’il est molesté par de sanguinaires chasseurs, qui toute l’année attendent en rigolant le moment où il sera là pour lui jeter des œufs, amoureusement mis à pourrir depuis noël.
Normalement ces gens là, n’aiment pas l’étranger, ce qui nous sauvait la mise en tant que bordelais de la pire espèce, c’est le métier de mon père.
[…]
Et quand en plus, il rigole tout le temps, aime boire de bons coups et faire griller l’entrecôte sur la plage, c’est tout bon, t’es sauvé.
Pendant quelques années, j’ai donc ramassé les petits gris sur la plage, manqué plusieurs fois la piqûre de vipère sauvagement coupée en deux à coup de bottes Le Chameau doublées cuir, cueilli les champignons, fait cuire les crabes sur le feu de bois dans l’eau du marais, ben oui quand ça bout ça tue les microbes, plumé les oiseaux à peine tués, fait des tas de collections de petits cailloux et branchages divers, coursé les vaches et marché des heures dans les labours.
Alors ça, marcher des heures dans les labours, c’est pas le meilleur souvenir que je garde.
Je ne sais si certains d’entre vous l’ont déjà fait, mais la terre médocaine fraîchement labourée est très, très collante, et tous les cents mètres à peu prés 1 kilo de glaise noire est collé à chacune de vos bottes, c’est très lourd et très chiant à décoller. Un vrai plaisir.
Dans ce temps là mes parents avaient à peu prés l’âge que j’ai aujourd’hui, c’étaient donc de jeunes cons qui aimaient bien rigoler.
Il y avait là tous les week-ends une dizaine d’autres du même acabit et étant le seul enfant du troupeau, il y avait tout le temps quelqu’un pour répondre à mes questions et s’occuper de moi, c’était vachement bien.
Vers sept ou huit ans, je ne sais plus, j’ai eu une carabine à air comprimé et me suis appliquée à viser les moineaux à ma portée, sans grand succès, il faut l’avouer.
Vers douze ans j’ai eu une carabine 12 mm, ça tire de vraies cartouches, mais toutes petites et j’étais drôlement fière.
C’est là que les ennuis ont commencé.
Ouais, parce que j’avais pas de pot, je n’avais pas des parents chasseurs viandards qui s’en foutent.
C'est-à-dire que c’est là que j’ai commencé à tuer quelques oiseaux et à évidemment, ne pas regarder où ils tombaient.
Et ça, c’est très con.
Parce que le discours c’était, on ne tue pas un animal pour rien, et encore moins pour le laisser pourrir on ne sait où, alors même si tu dois y passer la matinée, tu prends le chien, tu cherches et tu le retrouves, ton oiseau mort, et n’oublie pas de ramasser tes douilles par terre, la nature n’a pas besoin de tes bouts de plastique colorés qui traînent pour s’épanouir.
Discours plutôt rassurant aujourd’hui sur l’état de santé mentale de mes géniteurs quant aux crimes commis sur ces bêtes là, mais.
A l’époque je vous assure que le nombre d’heures que j’ai pu passer à travers les champs de vignes à la recherche d’un pauvre moineau (qu’il est par ailleurs interdit de tuer) m’a appris à regarder où ça tombait quand j’avais tiré.
A quatorze ans j’ai eu une 410, c’est un petit peu plus prés du fusil de chasse et j’étais championne en brochettes de petits oiseaux interdits.
Pour les dubitatifs, les petits oiseaux interdits c’est tellement bon qu’un ortolan c’est de la merde à côté.
Sauf qu’à cet âge là, je comprenais de moins en moins la nécessité de me lever à pas d’heure pour aller me planter au coin d’un buisson où j’allais me cailler les miches pendant des heures.
Mais on est souvent prête à tout pour faire plaisir à son papa.
J’ai donc passé, à seize ans, mon permis de chasse.
Un gros bouquin à apprendre par cœur.
Le truc qui vous permet à coup sûr de différencier une trace de sanglier de celle d’un canard.
Savoir le temps de gestation du vanneau huppé, il faut le reconnaître, dans la vie, c’est important.
[…]