souvenirs d’enfance :

la chasse dans le Médoc

J’ai retrouvé au fond de mon ordinateur – je suis un grand conservateur – un texte que j’ai beaucoup aimé, sur la chasse dans le Médoc. Il date probablement d’avant 2004. Je ne me souviens plus du nom de son auteur.

J’ai fait des recherches sur Google et ne l’ai pas trouvé.

Je vous en fais profiter. En voici de larges extraits. Pour conserver l’anonymat de son auteur, j’ai tronqué certains passages qui permettraient de l’identifier.

[…]

Je suis fille unique de parents eux-mêmes uniques.

La chasse est pratiquée par tous.

Hommes et femmes.

C’est comme ça.

Dès mes trois ans, on me levait à 4 heures du matin, pour me recoucher sur la banquette arrière de la voiture aussi sec avec les chiens pour copains de banquette, puis après une heure de route, m’allonger à nouveau, sur un banc cette fois, avec un gros duvet, les yeux aux ciels, vers les étoiles.

Petite j’aimais beaucoup ça, finir ma nuit sous les étoiles.

Le but de ces levés plus que matinaux étant d’être sur place au lever du jour, parce que c’est là que ça se passe.

Je garde donc d’innombrables souvenirs d’innombrables levers de soleil sur la plage entre mes trois ans et mes treize-quatorze ans, âge auquel j’ai de plus en plus souvent catégoriquement refusé de me lever à des heures pareilles, ça va pas non, puis je m’ennuie après moi, m’en fous j’irais pas.

Mais c’était plutôt bien comme truc.

Mes parents louaient avec des copains à eux des kilomètres et des kilomètres de labours, perdus dans les vignes et en bord de plage.

Mais pas une plage normale, de celles que vous connaissez.

C’était une plage en bord de Gironde (la Gironde étant comme chacun sait un affluent de la Garonne qui se jette dans la mer au Verdon, Médoc).

Une plage avec du sable, mais en bord de rivière, qui elle, est salée et boueuse et tracte un tas de merdes diverses et variées dérivés directs de troncs d’arbres et animaux morts. Comme toute rivière qui se respecte on ne peut pas s’y baigner.

J’ai donc commencé mon apprentissage de la nature en terres médocaines, et c’est pas rien.


Le médoc est perdu au nord de la Gironde, la terre y est vallonnée et presque uniquement plantée de vignes.

Le médocain est en général de teint assez rouge et accuse le vent d’être responsable de sa jolie couleur de peau, alors que hein, le vin quand même, ça n’aide pas à avoir le teint clair.

Le médocain fait fi des lois et n’applique que les siennes, il est sans doute cousin du corse mais ne fait rien exploser ni personne.

Il considère par contre être seul maître de son territoire et chasse par conséquent quand il veut et non quand la loi l’autorise, d’où la perdurance de la chasse à la tourterelle au mois de mai qui à défaut de décimer la race (si vous en voyez qui passent dites le) permet à Bougrain-Dubourg de passer à la télé une fois par an parce qu’il est molesté par de sanguinaires chasseurs, qui toute l’année attendent en rigolant le moment où il sera là pour lui jeter des œufs, amoureusement mis à pourrir depuis noël.

Normalement ces gens là, n’aiment pas l’étranger, ce qui nous sauvait la mise en tant que bordelais de la pire espèce, c’est le métier de mon père.

[…]

Et quand en plus, il rigole tout le temps, aime boire de bons coups et faire griller l’entrecôte sur la plage, c’est tout bon, t’es sauvé.

Pendant quelques années, j’ai donc ramassé les petits gris sur la plage, manqué plusieurs fois la piqûre de vipère sauvagement coupée en deux à coup de bottes Le Chameau doublées cuir, cueilli les champignons, fait cuire les crabes sur le feu de bois dans l’eau du marais, ben oui quand ça bout ça tue les microbes, plumé les oiseaux à peine tués, fait des tas de collections de petits cailloux et branchages divers, coursé les vaches et marché des heures dans les labours.

Alors ça, marcher des heures dans les labours, c’est pas le meilleur souvenir que je garde.

Je ne sais si certains d’entre vous l’ont déjà fait, mais la terre médocaine fraîchement labourée est très, très collante, et tous les cents mètres à peu prés 1 kilo de glaise noire est collé à chacune de vos bottes, c’est très lourd et très chiant à décoller. Un vrai plaisir.

Dans ce temps là mes parents avaient à peu prés l’âge que j’ai aujourd’hui, c’étaient donc de jeunes cons qui aimaient bien rigoler.

Il y avait là tous les week-ends une dizaine d’autres du même acabit et étant le seul enfant du troupeau, il y avait tout le temps quelqu’un pour répondre à mes questions et s’occuper de moi, c’était vachement bien.

Vers sept ou huit ans, je ne sais plus, j’ai eu une carabine à air comprimé et me suis appliquée à viser les moineaux à ma portée, sans grand succès, il faut l’avouer.

Vers douze ans j’ai eu une carabine 12 mm, ça tire de vraies cartouches, mais toutes petites et j’étais drôlement fière.

C’est là que les ennuis ont commencé.

Ouais, parce que j’avais pas de pot, je n’avais pas des parents chasseurs viandards qui s’en foutent.

C'est-à-dire que c’est là que j’ai commencé à tuer quelques oiseaux et à évidemment, ne pas regarder où ils tombaient.

Et ça, c’est très con.

Parce que le discours c’était, on ne tue pas un animal pour rien, et encore moins pour le laisser pourrir on ne sait où, alors même si tu dois y passer la matinée, tu prends le chien, tu cherches et tu le retrouves, ton oiseau mort, et n’oublie pas de ramasser tes douilles par terre, la nature n’a pas besoin de tes bouts de plastique colorés qui traînent pour s’épanouir.

Discours plutôt rassurant aujourd’hui sur l’état de santé mentale de mes géniteurs quant aux crimes commis sur ces bêtes là, mais.

A l’époque je vous assure que le nombre d’heures que j’ai pu passer à travers les champs de vignes à la recherche d’un pauvre moineau (qu’il est par ailleurs interdit de tuer) m’a appris à regarder où ça tombait quand j’avais tiré.

A quatorze ans j’ai eu une 410, c’est un petit peu plus prés du fusil de chasse et j’étais championne en brochettes de petits oiseaux interdits.

Pour les dubitatifs, les petits oiseaux interdits c’est tellement bon qu’un ortolan c’est de la merde à côté.

Sauf qu’à cet âge là, je comprenais de moins en moins la nécessité de me lever à pas d’heure pour aller me planter au coin d’un buisson où j’allais me cailler les miches pendant des heures.

Mais on est souvent prête à tout pour faire plaisir à son papa.

J’ai donc passé, à seize ans, mon permis de chasse.

Un gros bouquin à apprendre par cœur.

Le truc qui vous permet à coup sûr de différencier une trace de sanglier de celle d’un canard.

Savoir le temps de gestation du vanneau huppé, il faut le reconnaître, dans la vie, c’est important.

[…]