LE guide touristique du Médoc – Patrimoine du Médoc


le Château Lafite Rothschild

Les « news French clarets »

Dès le début du XVIIIème siècle, le vin de Lafite se vend à Londres. Il apparaît dans la très officielle London Gazette, dès 1707, vendu aux enchères publiques dans la Cité de Londres, en provenance de bateaux de commerce étrangers saisis par les corsaires britanniques et par les nefs de la Royal Navy (on était, en effet, en pleine guerre de succession d’Espagne). La London Gazette décrivait le vin de Lafite et de ses pairs comme des « New French clarets », vendus sur lies, en précisant le cru et bientôt le millésime. En 1732-1733, Robert Walpole, Premier Ministre, achète une barrique de Lafite tous les trois mois, alors qu’en France on ne s’intéressa aux bordeaux rouges que beaucoup plus tard.

Le vin du Roi et le Prince des Vignes

A partir de 1716, le marquis Nicolas Alexandre de Ségur va s’attacher à consolider les premiers succès, améliorer les techniques vinicoles et surtout à promouvoir le prestige des grands vins sur les marchés étrangers et à la cour de Versailles. Il y gagnera le surnom de « Prince des Vignes » et le vin de Lafite, le titre de « Vin du Roi », avec le soutien d’un ambassadeur de choix, le Maréchal de Richelieu. Lorsque, en 1755, le Maréchal de Richelieu fut nommé Gouverneur de Guyenne, il consulta à Bordeaux un médecin qui lui prescrivit le vin de Château Lafite comme le meilleur et le plus agréable des toniques. - "Maréchal, lui dit Louis XV à son retour à Paris, je suis tenté de croire que vous avez vingt cinq ans de moins qu'à votre départ pour la Guyenne". - "Votre Majesté ignore-t-elle que j'ai trouvé la fameuse fontaine de Jouvence? J'ai découvert que le vin de Château Lafite est un cordial généreux, délicieux et comparable à l'ambroisie des Dieux de l'Olympe". Bientôt on ne parla plus à Versailles que du vin de Lafite, honoré de la haute approbation du Roi. Tout le monde en voulut, Madame de Pompadour le fit servir à ses petits soupers; et plus tard, Madame du Barry se fit un devoir de ne boire que le vin du Roi, comme on disait alors.

Successions difficiles

Le marquis n’avait pas de fils et ses propriétés furent divisées entre ses quatre filles. Lafite fut ainsi séparé de Latour, tout en restant dans la même famille et administré par le même régisseur jusqu’en 1785. Lafiteéchut au Comte Nicolas Marie Alexandre de Ségur, fils de la fille aînée du marquis qui avait épousé un cousin, Alexandre de Ségur, prévôt de Paris. En 1785, l’auteur anonyme d’un Mémoire sur la ‘Seigneurie deLafite’ parlera du « plus beau vignoble de l’Univers ». Il n’en était cependant pas de même des affaires du Comte de Ségur. Couvert de dettes, il est contraint de vendre Château Lafite en 1784. En tant que parent du vendeur, Nicolas Pierre de Pichard, premier président au Parlement de Bordeaux, utilise alors la procédure de « retrait lignager » pour racheter le domaine.

Thomas Jefferson

A la veille de la révolution, Lafite est déjà au sommet de la hiérarchie viticole comme en témoignent les écrits exceptionnels de Thomas Jefferson, futur président des Etats-Unis. Alors ambassadeur de la « jeune République des Etats-Unis » auprès de la Cour de Versailles, ce personnage, agriculteur, homme d’affaires, homme politique, juriste et diplomate, était passionné par la viticulture qu’il songeait à développer dans son pays. Il séjourna à Bordeaux en mai 1787, cinq jours lui suffirent pour visiter les plus grands négociants des Chartrons et recueillir une moisson d’information qu’il rapportera dans ses notes de voyage. Il y précise notamment la hiérarchie des crus consacrant la prééminence des futurs quatre premiers crus dont Château Lafite. Il restera sa vie durant un fidèle client des grands vins de Bordeaux

Propriété hollandaise

La présence de la famille de Ségur à la tête de Lafite devait finalement s’achever très brutalement avec l’exécution de Nicolas Pierre de Pichard sous la Terreur, le 12 messidor de l’an II (30 juin 1794). Dans le vestibule du Château Lafite se trouve, encadrée, la très vieille affiche annonçant la vente aux enchères de la propriété, le 12 septembre 1797. Le domaine est décrit alors comme « le premier cru du médoc, produisant le premier vin de Bordeaux ». L’acheteur, Jean de Witt, citoyen hollandais, est rapidement contraint de revendre Lafite à trois négociants également hollandais. Du court passage de Jean de Witt, Château Lafite gagnera une remarquable lignée de régisseurs dont le premier d’entre eux, Joseph Goudal, tiendra ferme les rênes du domaine pendant la première partie du XIXème siècle. Les trois propriétaires deLafite à partir de 1800 sont le Baron Jean Arend de Vos Van Steenvwyck, Othon Guillaume Jean Berg et Jean Goll de Franckenstein.

Le mystère Vanlerberghe

En 1818, le nouvel acquéreur de Lafite est Mme Barbe-Rosalie Lemaire dont le mari est Ignace-Joseph Vanlerberghe, gros négociant en grains, important fournisseur des armées de Napoléon. Le mystère se noue au décès d’Ignace-Joseph Vanlerberghe ; officiellement Mme Lemaire vend le domaine de Lafite en 1821 au britannique Sir Samuel Scott. Celui-ci puis son fils en assurent bien la gestion effective jusqu’en 1867. En réalité, Samuel Scott père et fils ne furent jamais que les mandataires et les banquiers d’Aimé-Eugène Vanlerberghe, fils de Mme Lemaire et d’Ignace-Joseph Vanlerberghe. Lors de la succession d’Aimé-EugèneVanlerberghe ouverte en 1866, la déclaration de mandat fut produite pour apporter la preuve de la propriété du défunt. Ainsi apparaissait au grand jour après un demi-siècle de secret, le nom de Vanlerberghe, comme propriétaire de Lafite. De cette période, quelques grands millésimes ont marqué les annales : 1795 et 1798, de qualité exceptionnelle, 1801, 1802, 1814, 1815 et surtout 1818.

Le classement de 1855

En 1815, M. Lawton dans le journal de la maison de courtage du même nom établit un premier classement des crus du Médoc qui se révèlera très proche du classement de 1855. Lafite y est déjà au sommet : « Je l’ai classé comme possédant le plus d’élégance et de délicatesse et sève plus fine des trois [premiers crus] ». Il ajoutait « La position de ses vignes est une des plus belles du Médoc ». Le millésime 1834 fut très réussi, 1841 et surtout 1846 excellents. Le classement des crus classés pour l’Exposition Universelle de Paris, en 1855, consacra officiellement, non sans quelques intrigues et péripéties parisiennes, la place deLafite comme le « premier des premiers crûs ». Ce classement allait constituer le point de référence d’une ère de prospérité sans précédent pour le Médoc. Parmi les millésimes de cette période, il faut citer les 1847, 1848, 1858, 1864, 1869, 1870 et 1876 notamment

Le Baron James de Rothschild

Le 8 août 1868, le Baron James de Rothschild acquiert le Château Lafite mis en vente publique dans le cadre de la succession de Ignace-Joseph Vanlerberghe. Le Baron James, chef de famille de la branche française des Rothschild, meurt 3 mois après l’achat, Lafite devient la propriété conjointe de ses trois fils: Alphonse, Gustave et Edmond. Le Domaine comprend alors 74 ha de vignes. Est-ce pour saluer le changement de propriétaire ou l’euphorie de cette période prospère… l’année 1868 reste mémorable pour Lafite à un autre titre, le prix exceptionnel atteint par le millésime (6250 Francs de l’époque le tonneau, soit plus de 4 700 Euros actuels). Cette cotation en primeur allait constituer un record pendant un siècle, avant d’être largement dépassée à la fin du XXème siècle. Fort heureusement pour les Barons Alphonse, Gustave et Edmond de Rothschild, la « belle époque » du Médoc allait se prolonger une quinzaine d’années après l’acquisition de Lafite

Calamités, guerres et crises

La fin du XIXème siècle et la première moitié du XXème siècle sont globalement calamiteuses : crise phylloxérique et développement du mildiou dans le vignoble, mais également fraude organisée au détriment des grands crus, première guerre mondiale et grande crise économique qui conduisent à l’effondrement des cours. Fortement touché par le mildiou, Château Lafite Rothschild n’hésitera pas à déclasser certains millésimes de 1882 à 1886, et quelques autres jusqu’à 1910 et 1915. La mise en bouteilles au Château sera également adoptée pour lutter plus efficacement contre cette fraude. Pendant la guerre 1914-1918, le domaine sera très touché par les mobilisations et les restrictions d’approvisionnement. La crise économique des années 30 sera également durement ressentie dans le vignoble avec un marché durablement déprimé et une crise financière sans précédent qui nécessiteront de réduire les surfaces plantées. Notables exceptions à ce tableau noir, les millésimes 1899, 1900, 1906 puis 1926 et 1929 de très grande qualité.

Guerre et occupation

La seconde guerre mondiale allait être une épreuve d’une autre ampleur, la défaite conduit dès juin 1940 à l’occupation du Médoc. Une garnison allemande s’installe pour la durée de l’occupation aux Châteaux LafiteRothschild et Mouton Rothschild. Les propriétés de la famille Rothschild sont séquestrées et placées sous administration publique. Pour échapper aux convoitises allemandes et grâce à la vigilance des administrateurs provisoires, les domaines viticoles sont finalement expropriés en 1942 pour en faire des écoles d’agriculture. Les pénuries et restrictions, qui s’ajoutent aux réquisitions et pillages déguisés des vieilles bouteilles éprouvent cependant durement le Château pendant cette période. Les Barons de Rothschild reprennent possession du Château Lafite Rothschild à la fin de 1945 et c’est le Baron Elie qui est chargé de rétablir la bonne marche du Domaine. Une série de remarquables millésimes 1945, 1947 et 1949 vont donner du cœur à l’ouvrage de la reconstruction.

Le Baron Elie : la remise en état

Le Baron Elie orchestre un programme de remise en état du vignoble et des bâtiments, et une réorganisation complète de l’administration de la propriété. Un troupeau de vaches laitières sera même constitué dans les années 1950 pour exploiter les prairies en contrebas du château et fournir la précieuse fumure des vignes. Le Baron Elie sera un des acteurs majeurs de la difficile reconstitution du marché des grands vins. Il sera un membre actif des premières manifestations de « tasting » à Londres et, l’un des membres fondateurs de la confrérie vigneronne, la Commanderie du Bontemps du Médoc, en 1950. Le très grand millésime 1955 apparut comme le signe du renouveau mais le vignoble bordelais devait encore subir les terribles gelées de février 1956 avant de véritablement se relever et enclencher un nouveau cycle avec les millésimes exceptionnels de 1959 et 1961. Les années 1960 vont consacrer la renaissance grâce à l’ouverture élargie des marchés, et notamment des Etats-Unis. Les cotations se redressent et une certaine émulation entre les Châteaux Lafite Rothschild et Mouton Rothschild y contribue largement.

Le Baron Eric : le renouveau

Après la crise bordelaise de 1973-1976, la relance se confirme avec les très beaux millésimes 1975 et 1976 et la prise en main des destinées de Château Lafite Rothschild par le Baron Eric de Rothschild, neveu du Baron Elie. L’arrivée aux commandes du Baron Eric va donner une nouvelle impulsion par son implication dans la recherche de l’excellence et la mise en place progressive d’une nouvelle équipe technique. Dans le vignoble, le travail de replantation et de restauration se double d’amendements réajustés et de traitements phytosanitaires raisonnés. Dans les chais, on installe une cuverie en inox en complément des cuves en chêne et on construit un nouveau chai de vieillissement, de forme circulaire, sous la direction de l’architecte catalan Ricardo Bofill. Ce chai révolutionnaire, salué par son caractère innovant et son esthétisme épuré, peut accueillir 2200 barriques. Dans le même esprit, le Baron Eric initie en 1985 une démarche artistique associant Lafite à des artistes photographes parmi lesquels on peut citer Jacques Henri Lartigue, Irving Penn, Robert Doisneau et Richard Avedon. Il va également élargir l’horizon des Domaines par de nouvelles acquisitions en France et à l’étranger (voir l’histoire des Domaines Barons de Rothschild). Les très beaux millésimes de la décennie 1980 (1982, 1985, 1986, 1989 et 1990) vont être salués par des cotations en forte hausse.

De belles promesses

Ce contexte porteur se confirme dans les années 1990. Le passage du siècle se fait dans la sérénité compte tenu des promesses des millésimes en cours de vieillissement dans les chais et les caves. Parmi les 1995, 1996, 1998, 1999 et 2000, le temps fera ses étoiles. Cet optimisme raisonnable s’appuie sur la permanence de la recherche de l’excellence qui a traversé l’histoire largement tri-séculaire de Château LafiteRothschild.

Source : www.lafite.com

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Pauillac