Reconstitution d'après le plan de fouilles de l'Abbé Cocher - 1870 - (ci-dessous)
Plan de fouilles de l'Abbé Cocher (1870)
source Gallica
Longtemps connu pour son théâtre gallo-romain, le site de Saint-André-sur-Cailly, au Bout Levet, a récemment dévoilé des secrets bien plus impressionnants. Grâce à des prospections aériennes et des images satellites, notre compréhension de ce lieu s'est profondément renouvelée, révélant un complexe monumental beaucoup plus vaste qu'on ne l'imaginait.
Un Emplacement Stratégique
Situé sur un plateau à environ 160 mètres d'altitude, le site s'étend sur une superficie remarquable de 70 hectares. Son emplacement était stratégique, à l'intersection des anciens territoires des Véliocasses, Calètes et Bellovaques, et sur un axe routier majeur reliant Rouen à Amiens.
Le Cœur du Site : Le Théâtre Antique
L'élément central, le théâtre antique, fut découvert et exploré dès 1870 par l'abbé Cochet. Il s'agit d'un édifice de type mixte, une caractéristique fréquente dans le nord de la Gaule pour les "théâtres ruraux", capable d'accueillir aussi bien des pièces de théâtre que des jeux d'arène. Avec ses quelque 80 mètres de diamètre, sa structure semi-circulaire se prolongeait par des murs parallèles, s'ouvrant vers l'ouest. Sa construction, faite de tuf et de silex, a nécessité d'importants travaux sur le terrain en pente. Des monnaies des empereurs Néron, Domitien, Marc Aurèle et Antonin, découvertes sur place, indiquent une utilisation du Ier au IIe siècle de notre ère, avec une probable construction au début du IIe siècle et un abandon dès la fin de ce même siècle. Malheureusement, les recherches initiales de l'abbé Cochet furent limitées par le manque de temps et de ressources.
Au-Delà du Spectacle : Un Vaste Complexe Cultuel
Mais le théâtre n'était pas seul. Les photographies aériennes ont révélé la présence d'au moins deux sanctuaires de type fanum. Ces temples, caractérisés par une cella quadrangulaire (pièce centrale) entourée d'une galerie périphérique et orientés vers l'est, s'inscrivent dans un péribole monumental (enceinte sacrée) doté de portiques, témoignant d'une envergure comparable à celle de complexes urbains. L'association fréquente d'un théâtre et d'un sanctuaire en milieu rural est significative, souvent liée au culte impérial, renforçant l'adhésion à l'Empire romain. La découverte d'une tête de Mercure gravée sur un pavé de marbre en 1884 suggère le culte de cette divinité, particulièrement pertinente pour un site de passage, propice aux échanges commerciaux.
Une Agglomération Vivante et des Racines Gauloises
Ce grand ensemble n'est pas isolé. Il est entouré d'une agglomération secondaire ainsi que de villae (exploitations agricoles) isolées. Ces villae, avec leurs fondations robustes, présentent souvent une pars urbana (partie résidentielle) romanisée, ornée de mosaïques, de marbres et d'enduits peints. L'emplacement à la confluence de trois cités gauloises et sur un axe routier important fait de Saint-André-sur-Cailly un lieu stratégique d'échanges et de rencontres. La présence de monnaies gauloises (bronzes "au sanglier" des Véliocasses, deniers de type Togirix) prouve une occupation pré-romaine du site.
Déclin et Héritage
L'abandon du complexe semble avoir eu lieu vers la fin du IIe et le milieu du IIIe siècle de notre ère, période marquée par des incendies au théâtre et dans la "villa". Cette époque fut particulièrement troublée pour l'Empire romain, avec les incursions germaniques, la "peste antonine" (probablement la variole) et des famines. Ces événements ont probablement mené à la désaffectation des bâtiments publics, devenus trop coûteux à entretenir, et à une restructuration de l'habitat. Plus tard, des sarcophages francs furent même implantés dans les ruines des anciens bâtiments, y compris le théâtre. Le toponyme actuel de "Bout Levé" pourrait d'ailleurs dériver des vestiges du théâtre, qui demeurait une "extrémité levée" dans le paysage agricole.
En définitive, Saint-André-sur-Cailly est un exemple fascinant de l'organisation spatiale et religieuse de la Gaule romaine, un site dont l'importance ne cesse d'être mise en lumière grâce aux avancées de l'archéologie.