Crédit : Gallica - Wikipédia
Homme de lettres français, jacques Salbigoton Quesné né à Pavilly en 1778, mort à St Germain en Laye en 1859, s’est engagé à l’âge de 16 ans dans la marine marchande où il subit coup sur coup deux naufrages. Après avoir été clerc de notaire et commis marchand à Rouen, il s’établit à Paris en 1800 pour se consacrer à la littérature. Un temps inspecteur des contributions indirectes, puis de 1831 à 1834 responsable d’une librairie parisienne à Bruxelles, il écrit de très nombreux ouvrages, dont certains ont connu une certaine notoriété, mais toute son œuvre est ensuite tombée dans l’oubli.
Dans ses confessions, il raconte l’année passée à Grugny chez les frères Leleu qui accueillaient chez eux quelques collégiens, ce qui nous permet de mieux connaître les deux frères, l’un prêtre de Grugny, l’autre premier juge de paix du canton de Monville, puis de Clères :
“Le directeur se nommait M. Leleu, curé du lieu, petit homme rond, gras, dodu, bonne face, double étage au menton, panse rebondie, amateur de fine chère, connaisseur en vins délicats, et se reposant des soins de l'éducation des élèves sur son frère, homme instruit, grand chasseur, excellent convive, et très-friand du gibier tiré de ses mains. Il n'avait pas un seul cheveu sur la tête, et nous parlait fréquemment sa perruque à la main, situation piquante et peu propre à retenir dans le sérieux des écoliers auxquels le besoin de rire est presque aussi nécessaire à l'existence que l'air qu'ils respirent.
Le chasseur M. Leleu est mort juge de paix du canton de Monville (Seine-Inférieure), dans un âge fort avancé. Me voici donc au village de Grugny, à trois lieues de ma demeure, assez bien reçu, et je pense, un peu recommandé. J'apprends mes leçons avec une rare facilité ; l'on s'en étonne; je passe pour un prodige et j'atterre, par un découragement complet, tous les écoliers de ma classe, qui, dans l'impuissance de me suivre, se contentent de regarder l'aigle planer aux nues. Mais que ce vol dura peu ! Ayant confié à ma mémoire une provision d'études acquises chez l'abbé Noel, je savais par cœur les deux tiers de la syntaxe… mais lorsqu'il fallut apprendre l'autre partie, ainsi que des leçons nouvelles, le carquois épuisé, je ne trouvai plus de flèches pour maintenir ma supériorité sur mes adversaires; je tombai du ciel, ne volant plus que terre à terre, et restant encore malaisément leur égal. Alors les murmures, les plaintes, les reproches, les menaces de M. Leleu tombèrent sur ma tête comme la grêle ; j'eus beau parler, m'expliquer, me justifier, invoquer le témoignage de mon précédent maître, on ne me crut point. Peu avancé dans mes études, je quittai Grugny pour entrer au collège de Pavilly. J’étais en cinquième à Grugny, je doublais cette classe au collège »
Des renseignements aussi sur la dureté de l’hiver 1788-1789, et l’inconfort de la pension des frères Leleu:
“L’hiver de 1788 à 1789, comme on sait, fut extraordinairement rude. Nous prenions nos repas au presbytère ; mais quand il fallait en sortir à neuf heures du soir, traverser une longue cour, monter à nos chambres qui n'étaient autre chose que des greniers mal clos, Dieu ! Quel froid pour de petits membres tels que les nôtres, échauffés pendant le jour jusqu'à la transpiration par un poêle ! Je me souviens qu'au souper, les murailles du réfectoire offraient en une multitude de points le brillant des diamants. Les trous pratiqués dans la glace des mares avaient plusieurs pieds d'épaisseur, et l'on était contraint de la casser plusieurs fois dans la journée. A ce froid inouï dans nos climats se joignait la disette des grains. Des malheureux, et quelquefois des voleurs, parcouraient les campagnes dans les ténèbres, demandant du pain, l'œil hagard et la menace à la bouche. On les nommait pauvres de nuit.”