Dans la première moitié du 20è siècle, la renommée du Sieur Boucher dépasse largement les limites de la Houssaye. On le dit “sorcier”. Des villages voisins, on accourt en grand nombre pour consulter ce petit homme redouté pour recevoir ses conseils, ses cures, ses préceptes.
Dans Rouen gazette de 1925, on trouve le témoignage suivant :
A La Houssaye-Bérenger, devant l’église, j’ai demandé mon chemin. C’était une petite épicerie de campagne et lorsque j’entrai, trois femmes bavardaient et riaient.
Alors, je lançai comme une balle le nom de Leboucher.
Les rires s’arrêtèrent. Il y eut un silence pendant que l’épicière, sans me regarder, ouvrait la porte, descendait les deux marches, s’avançaient sur la place, et là, m’indiquant du doigt la direction à suivre, me disait enfin : « Vous tournerez à gauche et prendrez ce chemin que vous voyez là, derrière le cimetière. C’est la deuxième maison ».
Puis elle s’en fut et j’imagine que la conversation se poursuivit dans un chuchotement.
A l’endroit annoncé, derrière le cimetière, j’aperçus un petit homme, bedonnant ; j’hésitai à le considérer comme étant le rebouteux. Sa présence à cette heure, hors des champs, le signalait cependant à l’attention.
Une forte commère m’accueillit, d’un sourire complice.
J’entrai dans la maison. Une salle basse, la cuisine, puis une autre, propre, nette, avec une table ronde, recouverte d’un tapis bourgeois. Au plafond, une suspension à pétrole.
Mais à gauche, sur une commode, tout un attirail mystique, de cierges et de statuettes représentant les saints et les saintes de la religion chrétienne.
Je voulus prendre place à contre-jour. Le rebouteux m’en empêcha. C’était là qu’il avait coutume de s’asseoir. La pleine lumière était pour le patient, le malheureux, le client.
Il me demanda mon nom, mon adresse, comme aux enfants à qui le bonhomme Noël doit remettre un jouet.
Puis j’exposai mon cas. Crise nerveuse intermittente, avec tremblements.
Il ne sourcilla pas. Rien ne l’étonne. Il a dû en entendre d’autres. Il se prit la tête dans les mains, saisit une feuille de papier, un crayon et dessina une croix.
Pendant qu’il écrit, j’évoquai le souvenir des renoueurs et rhabilleurs célèbres. S’agissait-il d’une entorse, ils prenaient entre les mains le pied du patient, le poussaient, le tourmentaient et le faisaient revenir dans sa position normale. Ceux-là avaient la science de l’ostéologie, science que mon guérisseur ne pratique pas plus qu’il ne la connaît.
Il appartient à la catégorie des « rebouteux mystiques ». Lorsqu’un client se présente au seuil de sa porte et qu’il l’a fait asseoir dans sa petite salle à manger banale, il l’examine des yeux et se contente de recommander des prières, sans même se conformer à la tradition qui veut des formules latines consacrées.
Il a le menton dur, l’œil gris, le front bas. Dommage vraiment qu’il puisse inspirer la terreur à cinq lieues à la ronde. Il a l’air d’un honnête commerçant bien nourri.
Il signa son papier d’un paraphe brusque, incohérent, comme si la main traçait des mots sous l’influence d’une volonté étrangère à la sienne. Il simulait alors un certain automatisme propre aux magnétiseurs. Puis, il écrivit à nouveau, posément, en homme peu habitué à noircir du papier, prit la feuille, la coupa et m’en tendit la moitié. Il y avait inscrit ceci, textuellement :
+ Saint Hubert St Mamert et notre Dame des nerfs assitez (sic) moi et par votre Ste intercession Délivrez moi du mal dont je suit (sic) Affligé obtenez moi ma guérison s’il vous plait +
Nulle ponctuation et des fautes d’orthographe. Ce sorcier recommandait en outre trois « Pater » et trois « Ave », pendant six semaines. Tel était le traitement. Après quoi, il parut me faire quelques passes magnétiques et me recommanda de revenir le voir.
« Je ne suis pas médecin, me dit-il. J’aide les médecins. Je n’ordonne nulle drogue … Vous ne me devez rien ». Puis il se détourna, sans doute pour ne pas voir les quelques pièces d’argent que je déposai sur la table.
A ce régime, notre homme a acquis, en vingt ans, une aisance honnête. D’employé de ferme qu’il était, il devint un beau jour sorcier. C’était plus facile et plus intéressant. Un rebouteux, qui opère près d’Auffay, lui raconta le « truc ».
André RENAUDIN. Rouen Gazette. 12.09.1925.
Ce “sorcier” ne s’appelait pas Leboucher, mais Boucher (acte de naissance en 1884 à la Houssaye, recensements, liste électorale).