Paul Strand (1890-1976) photographe américain, né à New York de parents originaires de la Bohème qu'ils ont quitté comme de nombreux juifs, son père, Jacob Stransky change son nom en Strand peu de temps avant la naissance de Paul, qui grandit émerveillé par la verticalité des villes.
En 1902 à l’âge de 12 ans il reçoit son premier appareil photo, un Brownie, mais ne s’y intéresse guère, plus préoccupé à jouer en rue avec les gamins de son quartier.
En 1904, ses parents l’inscrive dans une école privée, l’« Ethical Culture Fieldston School ». Son professeur de sciences est le photographe Lewis Hine, qui donne des cours de photographie en option libre, encourage ses étudiants à utiliser la photographie comme outil éducatif. Lewis Hine l’emmène à la Photo-Secession Gallery et lui fait découvrir l’œuvre d’Alfred Stieglitz. C’est à compter de ce moment, alors âgé de 17 ans, qu’il décide de devenir photographe. Hine lui enseigne non seulement les rudiments de l’art photographique, mais également les principes de la réflexion morale et de la pensée humaniste.
Il passe dès lors la majeure partie de son temps libre à effectuer des photos avec une chambre 20x25 cm que lui prête son oncle et devient membre du Camera Club de New York. Sa mère pense que photographie n’est pas une profession convenable pour quelqu’un qui veut réussir dans la vie, mais son père semble le comprendre dès le début.
« Mon père n’était pas un intellectuel, mais il a été immédiatement intéressé par ce qu’il a vu lorsque je l’ai emmené à la Photo-Secession Gallery, et il a développé une sensibilité extraordinaire pour les images. Il sentait que l’art était important. » Paul Strand
N’étant guère intéressé par des études supérieures, il travaille comme employé de bureau dans l’entreprise familiale jusqu’à ce qu’elle soit rachetée. Il rassemble ses économies, environ 400 dollars, et part pour un voyage de six semaines en Europe, de Naples en passant par Rome, Venise, Lucerne et terminer Paris, afin de visiter les principaux musées et monuments, parcourant à pied de longues distances.
De retour aux États Unis, il trouve un emploi dans une compagnie d’assurances, qu’il quitte à fin de l’année 1911, pour s’installer en tant que photographe professionnel. Il commence par une carrière de portraitiste avec un certain succès et parcourt également la région en prenant des photos des collèges qu’il vend aux étudiants. Son travail lui permet de visiter son pays et de réaliser des clichés pour son compte, de développer son style et d’affiner son regard. Depuis sa rencontre avec Lewis Hine, il cherche sa voie, influencé par les courants dominants du moment, tous les deux ans, il rend visite à Alfred Stieglitz dans sa galerie et lui soumet ses photographies.
Ses photos des débuts sont encore fortement influencées par le pictorialisme, mais en 1913, il découvre la peinture moderne européenne, surtout celles de Braque, Picasso et la sculpture de Brancusi qui sont pour lui, un choc et une révélation, ce mouvement cubiste l’amène à une remise en question radicale dans son travail personnel, il prend un tournant représentatif de ce qui s’appelle rapidement la « straight photography » qui reste son fil conducteur tout au long de sa vie.
En 1915, il estime être devenu réellement un photographe et relativement confiant. Stieglitz et Edward Steichen très impressionnés, lui donnent un accès total à leur galerie le 291 qui devient pour le jeune Strand sa maison. En mars 1916, il expose pour la première fois chez Stieglitz et plusieurs de ses photos sont publiées au cours de l’année dans « Camera Work ».
« Ces photos sont l’expression directe du temps présent. » Stieglitz
En 1918, il est incorporé au sein de l’armée et envoyé à Rochester dans le Minnesota afin de suivre une formation d’infirmier. Lorsqu’il assiste à une opération chirurgicale, tout en devenant radiographe, il a l’idée de réaliser des films d’opérations pour les projeter aux étudiants en médecine.
En 1919, à la fin de son service militaire, il s’essaye à la photo publicitaire mais contacté en 1922 afin de réaliser des films médicaux, il accepte immédiatement de devenir cameraman. Ses commanditaires l’encouragent à acheter la meilleure caméra qu’il puisse trouver pour réaliser ce genre de film et son choix se porte sur une « Akeley ». À peine la commande passé, les investisseurs se désistent, il achète à son propre compte la caméra au prix de 2,500 dollars, et pendant dix ans, du matériel, pour filmer des événements sportifs pour Pathé News et Fox Films et occasionnellement des scènes d’action pour Hollywood.
En 1922, il épouse Rebecca Salsbury, une artiste peintre, amie de Georgia O’Keefe et ainsi fait plusieurs séjours au Nouveau-Mexique.
En 1932, son mariage bat de l’aile, son épouse rentre à New York, lui de son coté part pour Mexico, il fait la connaissance du compositeur Carlos Chávez, particulièrement chaleureux et influent, qu’il lui organise une exposition de ses œuvres, dans le bâtiment du Ministère de l’Éducation. Strand voyage à travers le Michoacán en compagnie de Chávez et utilise pour la première fois un objectif pourvu d’un prisme adaptable qui lui permet de faire des prise de vues à 90°. Il réalise des portraits surprenants d’intensité de personnes regardant fixement son appareil 13x18 sans se douter qu’ils sont eux-mêmes photographiés, l’objectif est dirigé dans une autre direction. Il a déjà utilisé un stratagème semblable, moins sophistiqué, pour des portraits de rue à New York, dont sa célèbre photo « Blind ».
A la fin de 1934, il retourne à New-York. Divorcé, s’éloigne d’Alfred Stieglitz et fréquente le Group Theatre, un collectif fortement influencé par l’esthétique et le cinéma soviétique.
En 1935, lors de son voyage en URSS, il rencontre le réalisateur soviétique, Serge Eisenstein.
En 1936, il se remarie et c’est à l’occasion de son voyage de noces au Québec, qu’il réalise une nouvelle série de paysages en Gaspésie. il reçoit une commande du gouvernement mexicain et du syndicat antifasciste, pour réaliser un film, « Native Land ».
En 1937, il fonde sa propre société, Frontier Film, société de production de films éducatifs à but non-lucratif grâce à laquelle il peut militer ardemment en produisant des films qualifiés de subversifs, un cinéma d’avant-garde expérimental à visée sociale est sa machine à faire reculer les fascistes.
En 1945, le Musée d’Art moderne de New York organise une rétrospective de son travail, la première grande rétrospective du MoMA consacrée à un photographe. C’est durant la préparation de cette exposition que la directrice du département photographique, Nancy Newhall, fortement impressionnée par ses clichés, lui propose de réaliser en commun un livre sur la Nouvelle-Angleterre, durant cinq ans, ils travaille ensemble à la préparation de l'ouvrage, intitulé, « Time in New-England », publié en 1950.
En 1949, son second mariage se termine par un nouveau divorce. Au printemps 1950, il s'embarque pour la France avec Hazel Kingsbury qu’il épouse en troisième noces en 1951, photographe employée par la Croix-Rouge qui parcoure les zones de combats en Europe et en Extrême-Orient. Le couple parcoure la France de long en large à la recherche d'un village idéal, sans jamais le trouver, Strand en profite pour effectuer de nombreuses photographies qu'il regroupe et publie en 1952, sous le titre « La France de profil ». Lors du festival du film de Pérouse en Italie, il rencontre le scénariste et écrivain Cesare Zavattini avec qui il évoque son projet d'un portrait global d’un village. Trois ans plus tard, Zavattini se fait son guide et lui fait connaître son village natal, Luzzara, sur le Pô, où Paul Strand réalise enfin son vieux rêve, avec un nouvel ouvrage à la clef, « Un Paese » publié en 1955.
En 1965, en signe de protestation contre la Guerre du Vietnam, il refuse publiquement par une lettre publiée dans le Times, une invitation à un déjeuner à la Maison Blanche, à l’occasion d’un festival des arts,
En 1973, après plus de vingt ans d’absence, il retourne dans son pays, pour un séjour de deux ans, à l’occasion d’une grande rétrospective qui lui est consacrée par le « Metropolitan Museum » of Art de New York. Il retourne en France, continue à travailler, réalise des images en gros plans dans son jardin et prépare deux ouvrages « On my Doorstep » et « The Garde » qui paraissent à titre posthume.
En 1976, au cour de sa dernière année, il est de plus en plus malade, accepte l’assistance d’un jeune laborantin, Richard Benson. La plupart du temps alité, il porte en permanence sur sa robe de chambre, la rosette de Commandeur de l’Ordre des Arts et Lettres qui lui a été récemment attribué, honneur rarement conféré à un photographe, avec encore quelques forces, il parvient à approuver, à la fin mars 1976, ses derniers tirages. Sans rien dire à ses proches, il cesse de boire et de s’alimenter et meurt paisiblement quelques jours plus tard dans sa maison d’Orgeval près de Paris.
Toute sa vie et sa carrière témoignent de la profondeur de ses convictions en tant qu’artiste et en tant qu’homme, qui l’amène à s’exiler en France pour fuir le maccarthysme. Photographe de la réalité immédiate, son œuvre continue d’irradier par sa perfection formelle, ses recherches, sa façon de rendre vivants et vibrants les détails, de magnifier la terre et la vie, maître incontesté, c’est grâce à lui que Walker Evans est devenu photographe en découvrant le portrait de la femme aveugle, « Blind » de 1916.
« Dites ce que vous avez à dire et faites que cela tienne dans un espace rectangulaire. » Paul Strand
Strand avec Edward Weston font basculer la photographie dans l’ère moderne, en faisant tomber dans les oubliettes le mouvement pictorialiste. Il laisse tout au long de sa légende, d'innombrables clichés, sa signature est l’intensité qui en émane. Il est un partisan absolu de la « Straight photography », une photographie pure et directe, sans apprêt, rude, non idéalisée.
« L’objectivité est la pure essence de la photographie, c’est sa plus grande contribution et en même temps sa limite. » Paul Strand
Il croit à l'utilisation de la photographie comme un outil de réforme sociale, toute sa vie, il est un homme de gauche, très proche du parti communiste, imposant sa révolution de la perception de l’objet et du champ de l'image. Le mouvement dans la ville, les abstractions et les portraits de rue sont ses thèmes de prédilection. Il est autant attiré par la restitution fantasmée de la nature immense, que par les portraits des hommes simples, aussi vastes pour lui que les paysages. La vie des choses simples est sa recherche, son aboutissement. Dans ses portraits les plus dépouillés, les plus rudes, il ne peut s’empêcher de faire de l’art, et de réintroduire de l’esthétisme.
« Trois routes importantes s’ouvraient à moi. Elles m’aidèrent à trouver mon chemin. Mon travail se développa en réponse à mon désir de comprendre l’évolution nouvelle de la peinture, mon désir de pouvoir exprimer certains des sentiments suscités en moi par New York, ville où je vivais, un dernier désir, aussi important que les deux précédents qui était que je voulais voir si je pouvais photographier les gens dans la rue sans qu’ils se rendent compte de la présence de l’appareil photo. » Paul Strand
Sa méthode de travail, c'est la lumière qui sculpte, qui ordonne, qui structure, avec une rigueur implacable, il impose une netteté des pans, une profusion des détails, une construction travaillée.
« Le problème de la photographie est de voir à la fois les limites et les qualités potentielles de son art, car une expression vivante dépend au moins autant de l’honnêteté que de l’intensité de la vision. Il s’agit de respecter l’objet et de l’exprimer par le moyen d’une gamme presque infinie de tonalités. La réussite est là, obtenue sans trucages ni manipulations par l’emploi de la photographie directe. » Paul Strand
Il traite la condition humaine prise dans le contexte urbain moderne, et jamais il ne déroge à son exigence. Que ce soit dans ses portraits les plus directs, ou dans la patiente mise en valeur des objets les plus quotidiens, il est tension, vision directe. Rien n’est banal, pas plus une pierre qu’un visage. Tous les deux recèlent une part profonde d’invisible et d’intériorité. Il inscrit ses modèles dans une construction rigoureuse, architecturale, géométrique à ses débuts, mais c'est avant tout, les gens qui le fascine, il fait les portraits de ces gens tels qu'il les voit, dans les parcs de New York et ailleurs, assis simplement, sans être conscients d'être photographiés.
« Faire des petites photographies pour des grands sujets. » Paul Strand
Il s’interdisait tout trucage, toute retouche, toute manipulation, imprime ses photographies sur un papier au platine qu’il importe directement d’Angleterre, au prix très élevé, un papier qui lui offre, une échelle de valeurs la plus étendue qui soit, du noir le plus profond au blanc pur, il l’améliore encore plus par des expérimentations pour enrichir et approfondir la richesse des tons obtenus, ajoutant au papier déjà préparé une nouvelle couche d’émulsion au platine qu’il fabrique lui-même, après l’impression, il ajoute un virage à l’or pour intensifier la richesse des noirs, chacun de ses tirages sont très onéreux et demande au développement un temps excessif.
« Il photographie comme Cézanne fait des pommes, ou Weston des poivrons. » Jean Dieuzaide
Il délaisse la peinture, quitte quelque temps la photographie, afin de se consacrer au cinéma, « New York la Magnifique » est son premier grand projet cinématographique, avec comme thème, la vie quotidienne de la ville et de ses habitants. D’autres films muets suivent, « La Vague » en 1934 sur des pêcheurs mexicains, le documentaire « The Plow that Broke the Plains » (La charrue qui détruit les plaines) en 1935, et certains sur le sport, l’art lyrique.
« Votre photographie est un enregistrement de votre vie, pour n’importe qui regarde vraiment. » Paul Strand