Berenice Abbott (1898-1991) photographe américaine, née à Springfield. A 19 ans elle fuit une enfance malheureuse dans une famille décomposée en rejoignant l'université de l'Ohio et rapidement les Beaux Arts de la ville de New York. Elle y rencontre Man Ray, la baronne Elsa von Freytag-Loringhoven et Marcel Duchamp. Après quelques essais en sculpture et en peinture, elle se lance dans l'aventure du voyage en embarquant pour Paris en mars 1921. Dans un premier temps, elle travaille dans l'atelier d'Antoine Bourdelle, puis dans celui de Constantin Brancusi, mais elle reste sans revenu et sans vocation. Man Ray lui propose de devenir son assistante, il lui apprend les techniques du tirage en laboratoire pour lesquelles elle se montre douée puis celle de la prise de vue. Abbott s'immerge au cœur de la scène artistique d’avant-garde, et notamment surréaliste.

      • Entre 1923 et 1926, elle s'initie à la pratique du tirage et au métier de portraitiste tout en bénéficiant d’une formation intellectuelle et artistique. Avant d’ouvrir son propre espace, elle utilise dans un premier temps l’atelier de Man Ray pour produire ses portraits puis inaugure avec succès son studio avec l’aide de Peggy Guggenheim en 1926. Elle connait aussitôt le succès, André Gide, Jean Cocteau, James Joyce, Marie Laurencin, Pierre de Massot, André Maurois, Djuna Barnes, la baronne Murat y sont photographiés.

      • En 1925, après avoir découvert Eugène Atget grâce à Man Ray, elle lui achète quelques tirages. Admiratrice de son œuvre, en 1927 elle lui demande de poser pour elle mais quand elle lui présente ses photos, il est trop tard, le photographe meurt de temps après la séance. Elle profite de sa bonne situation financière pour acheter toutes les archives d'Atget. Elle ne cesse tout au long de s vie, de défendre l’œuvre d’Atget, et contribue à le faire connaître au grand public.

      • « Le photographe est l’être contemporain par excellence, à travers son regard, le maintenant devient du passé. » Berenice Abbott

      • En 1929 lors de son retour à New York, elle est surprise par les changements de la ville qu'elle a habité auparavant pendant huit ans, une ville vouée à la disparition. Cet étonnement est à l'origine de son premier projet photographique d'envergure, le « Changing New York » qui aboutit en 1937 avec une exposition au Museum of Modern Art de New York. Mais la vie à New York n'est pas aussi aisée que celle de Paris, en Amérique la concurrence entre photographes est plus rude. Berenice Abbott n'appartient pas au cercle des admirateurs d'Alfred Stieglitz qui domine alors le microcosme photographique imposant le modèle pictorialiste.

      • En 1935, un poste d'enseignement de la photographie lui assure un revenu fixe et son projet est enfin reconnu par le Fédéral Art Project, suivi d'un portfolio édité dans le magazine LIFE et d'un livre en 1939. Forte de ce succès elle continue à valoriser l'œuvre d'Atget et découvre celle d'un autre photographe dédaigné des pictoralistes, Lewis Hine.

      • L’été 1935, Berenice Abbott se rend dans le Sud des États-Unis afin de dresser le portrait d’un monde rural alors en crise. Optant pour un style documentaire qui caractérise les images de la campagne photographique de la Farm Security Administration (FSA), lancée la même année, organisme américain créé par le ministère de l'agriculture, chargé d'aider les fermiers les plus pauvres touchés par la crise de 1929. Elle s’intéresse aux modestes maisons en bois et aux fermiers, lors de ce voyage en voiture entrepris avec Elizabeth McCausland, Abbott produit environ deux cents images, appartenant à une vaste et ambitieuse entreprise menée par le couple, afin de réaliser un livre de photographies couvrant tout le territoire américain qui ne verra jamais le jour.

      • En 1939, un an avant la mort du photographe Lewis Hine, elle organise une rétrospective de son travail au « Riverside Museum de New York », afin de le réhabiliter le photographe et le faire connaitre en tant que précurseur du style documentaire.

      • En 1954, elle entame un autre projet dans le même style sur les petites villes et les villages bordant la « Route 1 » qui connait le même sort, elle longe la côte Est des Etats-Unis, du Maine à la Floride. Accompagné d’un assistant, elle parcoure près de 6 500 kilomètres selon le tracé de la route, traversant la Géorgie, la Virginie et le Connecticut, et réalise un corpus de deux mille quatre cents épreuves mêlant échoppes, portraits de paysans, lieux de divertissement et de consommation en insistant sur la place prépondérante que prend l’automobile dans la culture du pays. La photographe alterne entre esthétique documentaire et Street Photography. Avec « Route 1», Abbott poursuit son ambition de représenter l’ensemble de ce qu’elle appelle la « scène américaine ».

      • Berenice Abbott n’a de cesse de questionner et défendre les notions de photographie documentaire et de réalisme, elle marque doublement l’histoire de ce nouveau médium, elle propose une nouvelle vision avec une recherche permanente, utilisant des angles inédits, structurant et fragmentant ses clichés par des diagonales et des cadrages en plan rapprochés, en rupture complète avec la tradition.

      • Par la suite elle s'intéresse à la photographie scientifique estimant que la majorité en ignore tout, la science domine le monde contemporain. Elle fait le pari que la photographie peut contribuer à la culture scientifique des Américains, mais elle est bien seule à défendre cette conviction. Déjà oubliée de la mode photographique, elle repart en quête de financements, vivant dans l'intervalle de maigres commandes. C'est le lancement de Spoutnik par l'URSS en 1957 qui lui donne alors raison. Les États-Unis, craignant d'être dépassés par les Soviétiques, décident de financer davantage de projets scientifiques. Berenice Abbott obtient de collaborer avec le Massachusetts Institute of Technology et peut en quelques années réaliser les photos auxquelles elle pense depuis vingt ans.


« Le photographe est l’être contemporain par excellence, à travers son regard, le maintenant devient du passé. » Berenice Abbott

Esprit aventureux, éprise de liberté et parfaitement en phase avec son époque, Berenice Abbott développe une œuvre de photographe sous le signe de deux noms, Man Ray et Eugène Atget, elle photographie intensément le New York des années trente et notamment la construction du Rockefeller Center. Le sens instinctif de la ville et le coté archéologique urbaine côtoie dans ses images les prémices de l’architecture du futur, son regard est direct, pur et dur.

« Nous ne pouvons-nous contentez de regarder les choses en surface, nous devons allez plus en profondeur. » Berenice Abbott

En suivant les traces d'Atget qui voulait par la photographie posséder le vieux Paris, la photographe en fait de même sur sa ville de New York, en dressant un spectaculaire portrait d’une ville qui déjà fascine le monde entier. De 1929 à 1939, elle est séduite par l'énergie et la vitalité de la métropole américaine, décide d'y rester, en y consacrant dix années de sa vie à arpenter sans relâche, à ausculter New York en réalisant son premier grand projet photographique, un travail documentaire de premier ordre, le « Changing New York » avec plus de 10 000 photographies réalisées, dressant un colossale inventaire de New York.

« La photographie peut ne jamais grandir si elle imite un autre milieu, elle doit marcher seule, elle doit être elle-même. » Berenice Abbott

Elle achète une chambre photographique la plus légère et la plus maniable que l'on peut trouver aux États-Unis à cette époque, une « Century Universal » effectuant ainsi un nombre considérable de photographies, une grande partie de ses clichés atteindront par la suite, le statut d’œuvre d’art. La photographe ne se contente pas de photographier un immeuble, un lieu, une rue, elle analyse avec soin chaque élément qu’elle veut intégrer dans chacune de ses images, prépare son travail, elle attend les meilleures conditions pour réaliser ses photographies, cela pouvant lui demander des semaines de préparation, d’attente de conditions climatiques favorables, de pourboires qu'elle donne aux gardiens des immeubles convoités.

« Je voulais combiner science et photographie de façon sensible, mais sans émotion. » Bérénice Abbott

La photographie de Bérénice par excellence, documente son époque, piège le spectateur dans une obscurité sans fond, une invitation à plonger en noir et blanc dans l’Amérique telle qu’elle est, vivante.

« Le photographe doit s'appliquer à mettre en avant la meilleure expression possible du modèle sans pour autant sacrifier l'identité. » Berenice Abbott

L'œuvre de Berenice Abbott illustre une conception de l'essence de la photographie qui repose sur ce rapport au temps. Le rôle de la photographie est d'enregistrer cet instant qui disparaît que Roland Barthes appelle le « ça a été ». La photographie dans son rapport au temps fonctionne toujours au passé, comme représentation d'un temps devenu passé. Pourtant les images ses images, comme celles de Lewis Hine et d'Eugène Atget ne sont pas seulement nostalgiques, le passé, en arrière, fixé sur photographie, est à sa place. La photographie telle que la conçoit Berenice Abbott doit marcher d'elle-même, débutante elle déclare « les photos viennent bien ». En 1951, elle continue à déranger les photographes intellectualistes en déclarant « It has to walk alone ». Selon Abott, la photographie ne doit pas chercher à imiter la peinture par des compositions ou des manipulations savantes, elle doit continuer à chercher son essence dans ce rapport à l'instant.

« Le rythme de la ville n'est ni celui de l'éternité ni celui du temps qui passe mais de l'instant qui disparaît. C'est ce qui confère à son enregistrement une valeur documentaire autant qu'artistique. » Berenice Abbot

« La photographie aide les gens à voir. » Berenice Abbot

Jean Cocteau with Gun, New York, 1926

Photomontage New York, 1932

Foundations Rockefeller, New York, 1932

Bourse de New York, 1933

Vue Place de la Bourse depuis Broadway, New York, 1934

Canyon : Broadway and Exchange Place, New York, 1936

115. Jay Street, New York, 1936

Cedar Street, New York

March 28th 1936

Hot-Dogs Man, New York

April 8th 1936

El, Lignes des 2e et 3e Avenues, Bowery et Division Streets

New-York, April 26th 1936

Station-Service, Tremont avenue et Dock Street, Bronx

July 1936

Bridge of Manhattan, New York

November 11th 1936


Gunsmith, New York, 1937

Father Duffy, Times Square

April 14 1937

Pont de Triborough, New York

June 29th 1937

Façade de verre et de brique, 209-211 48e East Street,

New York, February 1st 1938

City Arabesque, New York, 1938

Fifth avenue and 42nd Street, Manhattan, New York, 1938

Abri sur les Quais, Coenties Slip, New York, 1938

Ampoules, Laboratoires Edison, 1940

Station-Service Sunoco, Route N°1, Trenton

New Jersey, 1954

Carcasses de voitures, Route N°1, West Palm Beach

Floride, 1954

Stand Happy's Refreshment, Route N°1, Daytona Beach

Floride 1954

Main Street, Mystic, Route N°1, Connecticut, 1958

Miroir Parabolique, Cambridge, 1958

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