Man Ray (1890-1976) photographe américain, né Emmanuel Radnitzky à Philadelphie, originaire d'une famille d’émigrants russe. Connu sous le nom de Man Ray, pour des raisons de prononciation de son patronyme, il choisit de réduire le surnom de son prénom « Manny » en « Man » et reprend les deux premières lettres et la dernière de son nom pour former « Ray » . Il est tout à la fois peintre, designer, réalisateur de films d'avant-garde, mais surtout connu en tant que photographe surréaliste à partir de 1918, en compagnie de son ami proche Marcel Duchamp, ils forment ensemble la branche américaine du mouvement Dada, né en Europe par rejet de l'art traditionnel.


Man Ray fait partie des avant-gardistes connaissant déjà les orientations nouvelles de la photographie et les techniques novatrices.Il est l’artiste photographe le plus inventif du 20eme siècle et sans aucun doute l’esprit le plus créatif dans ce domaine. Loin de se laisser emprisonner dans le carcan des règles traditionnelles, il considère la forme dans laquelle il travaille comme un simple moyen au service de ses idées. Il élargit non seulement les frontières de la photographie d’ordinaire, mais également met en cause les conceptions de la beauté. Il est l’un des premiers à libérer la photographie de sa vocation à servir la consignation du réel, en créant des images sorties tout droit de son imagination.

Il est un des artistes les plus originaux, avec un singulier talent de visionnaire en restant inclassable. Ses études de nus révolutionnaires, ses photos de mode et ses portraits ouvrent un nouveau chapitre de l’histoire de la photographie. Man Ray sans relâche expérimente de nouvelles techniques photographiques à des fins artistiques qui donnent naissance à ses œuvres les plus célèbres, l’exposition multiple, la rayographie, la solarisation, la manipulation des surfaces optiques, le couplage des épreuves positives et négatives et dans le titre de ses œuvres, une foule de jeux de mots qu’il fabrique à l’aide de son vocabulaire dada et surréaliste. Érotiques, malicieuses, parfois sinistres, ses compositions mettent en avant des corps et des objets inhabituels, ses images étranges et stupéfiantes modifient notre perception de la réalité.

« Créer est divin, reproduire est humain. » Man Ray

Durant trente ans à Montparnasse, il révolutionne l’art photographique, les grands artistes de son temps posent sous son objectif, comme Georges Braque, Albert Eisenstein, Le Corbusier, Hemingway, Pablo Picasso, Henry Miller, James Joyce ou Jean Cocteau. Il contribue à valoriser l’œuvre d’Eugène Atget, qu’il fait découvrir aux surréalistes et à son assistante Berenice Abbott.

« On n'a encore rien fait en photographie, elle est encore dans l'enfance, c'est le plus primitif des Arts, la peinture a 20 000 ans, la photographie 100 à peine, elle est actuellement à une époque qui correspondrait pour la peinture à celle des gravures rupestres dans les cavernes. » Man Ray

Pour le peintre aux tendances modernistes qu’il est, la photographie devient le mode d’expression de l’Art moderne par excellence, la technique se substitue à l’artiste pour les notions de représentation et ce dernier, libre de ces contingences, pouvant explorer de nouveaux modes d’expressions.

« J’ai commencé par être peintre. En photographiant mes toiles, j’ai découvert l’intérêt de leur reproduction en noir et blanc. Un jour, j’en suis venu à détruire l’original pour ne garder que la reproduction. A partir de là, je n’ai jamais cessé de croire que la peinture est une forme d’expression dépassée, et que la photographie la détrônera quand le public sera visuellement éduqué. Pour moi, une chose est sûre- j’ai besoin d’expérimenter sous une forme ou une autre. La photographie m’en donne le moyen, un moyen plus simple et plus rapide que la peinture »  Man Ray

« Je peins ce qui ne peut être photographié, ce qui vient de l’imagination, du rêve, ou d'une pulsion inconsciente, et je photographie les choses que je ne veux pas peindre, les choses qui ont déjà une existence. » Man Ray

Dès qu'on entre dans son studio à Montmartre, on est baigné d'une atmosphère d'objectivité, murs clairs, paravents unis, luxe technique qui permettent des éclairages les plus divers. Aux murs, quelques photographies de nus, de machines, de porcelaines et de paysages, confirme qu’il est un photographe direct, soucieux de découvrir l'objet photogénique et non d'exprimer sa personnalité.

« Toute opinion est transitoire et toute œuvre est permanente » Man Ray

En 1943, il signe un article ironique sur la photographie : « La Photographie n'est pas de l'art ». Il a en effet débuté en tant que peintre et ne s'adonne à cette pratique qu'en 1915, dans le seul souci d'obtenir des images de ses toiles, mais simultanément il effectue des photographies documentaires, professionnelles, des photographies d'art, depuis son installation à Paris, en 1921.


La Rayographie

Une nuit en 1922 Man Ray découvre la possibilité de reproduire des objets sans utiliser l’appareil photographique, il place des objets sur une surface photosensible, papier photo ou film, et les expose ensuite directement à la lumière pendant quelques secondes, puis il développe normalement l’image. Cette technique nouvelle porte son nom, la Rayographie connue aussi sous le nom de photogramme, ou tout objet alors interposé entre la source lumineuse et le papier laisse en ombres chinoises son empreinte, là où la lumière peux se poser, elle noircie le papier et partout ailleurs elle reste blanche.

« Tout peut être transformé, éliminé par la lumière, sa souplesse est la même que celle d’un pinceau. » Man Ray


La Solarisation

Étape marquante de son travail, en 1929, son assistante et modèle de l’époque Lee Miller, en développant des négatifs de nus, sent une souris lui passer entre les jambes, pousse un cri et allume la lumière du labo pendant que les images sont dans le révélateur, Man Ray accoure et a la judicieuse idée de plonger les négatifs dans le fixateur, sans le savoir il vient de pratiquer sa première solarisation. La technique de la solarisation est une brève exposition du négatif lors du développement, avec une lampe placée au dessus de la cuve du révélateur, pendant 1 à 2 secondes, la lumière irradie et provoque l'inversion des valeurs d'ombre et de lumière, les noirs deviennent blancs, tout en créant l’apparition de lignes sur les contours qui sont nimbés de halos. Avec la solarisation, Man Ray trouve le moyen original de détourner le coté trop réaliste de la photographie et d'alimenter sa soif d’onirisme de surréaliste.


Man Ray et les femmes

L’expérience démiurgique, le plaisir de la possession et du contrôle marque également sa vie sentimentale qui domine et retient les femmes avec lesquelles il vit par le charme de la photographie. Ces femmes répondent à un amour absolu et ensorcelé, marquant de leurs diverses personnalités, leurs formes plus ou moins généreuses, leurs regards plus ou moins différents. De Kiki, charnelle, direct, premier amour parisien, qu'il réinvente et redessine, la maquillant personnellement avant de sortir, en passant par Lee Miller, mannequin et photographe, ambitieuse et éthérée, unique compagne considérée sur un pied d’égalité, à Juliet Browner, exotique, effervescente, ouverte à tous les jeux, proche de Man Ray jusqu’au dernier jour. Il aime faire des photos de ses muses et amantes endormies, de Mina Loy, poétesse anglaise avec un thermomètre en guise de boucle d’oreille à Kiki de Montparnasse au coté d’un masque d’ébène africain, puis Lee Miller solarisée et Juliet le visage recouvert d’un bas noir comme un ver à soie prêt à éclore, Man Ray les recouvre d’objets, incise leur peau de clefs de violon, les brule avec l’argenté d’une solarisation.


Man Ray et le Nu

Il sait reproduire en maître le relief et le velouté d'un corps, son œil se transforme en objectif photographique, il découpe ses sujets dans l'espace et les fixe dans le temps. Le corps d'une femme n'est pour lui qu'un objet qu’il traite avec la même curiosité qu’un cristal ou une porcelaine. Il met en valeur le galbe, les jeux d'ombres et les lumières. Il aime les éclairages vigoureux qui découpent les formes avec une netteté brutale, massent les volumes et permettent des oppositions heurtées. Dans cette recherche photographique de la beauté en elle-même, il ne fait aucune étude au préalable, il se contente simplement de se surprendre et de surprendre le monde qui l'entoure.

« Un ami avait vu une photo et il était tombé amoureux de mon modèle, je lui ai dit viens elle est chez moi et je lui ai montré la fille, c’était un plâtre de la Vénus de Milo, vous croyez que c’est l’appareil qui fait ça ? ». Man Ray

La Collection Lucien Treillard 

Lucien Treillard est un de ses assistants, ami et l’un des derniers confidents de Man Ray qui lui lègue une partie de ses négatifs.

Le Violon d'Ingres

La Photographie réalisé en 1924 est une des plus célèbres de son œuvre, une photographie emblématique du mouvement surréaliste, faisant partie des pimages iconiques du 20eme siècle, une photographie à mi-chemin entre la peinture et la reproduction mécanique. Grâce aux deux ouïes dessinées à la mine de plomb et à l’encre de Chine sur l’épreuve, le corps d'Alice Prin, dite Kiki de Montparnasse est métamorphosé en violon, Man Ray jouant avec l’expression populaire « avoir un violon d’Ingres », un hobby, qui rappelle qu’Ingres était un fervent violoniste, il entend aussi révéler l’érotisme de la jeune femme et de sa propre passion, elle est son violon d’Ingres, il évoque ainsi le thème de « l’amour fou », qu’André Breton explore à son tour dans l’ouvrage éponyme de 1937.

Le corps de Kiki, sa tête, coiffée d’un turban oriental, évoque les tableaux orientalistes du peintre français rappellent « les baigneuses » de Jean-Auguste-Dominique Ingres, dont Man Ray est un grand admirateur, son cliché lui rendant hommage. Kiki est situé au premier plan du Bain turc, référence suggérée à Man Ray par la perfection du corps de la jeune femme qui, dit-il, « aurait inspiré n’importe quel peintre académique ». Elle est vue de dos, tourne la tête de ¾ de sorte que l'on aperçoit le profil de son visage. Le bas du dos est la naissance des fesses sont  rendus visibles par la chute d'un vêtement qui forme une sorte de couronne autour du bassin. Les bras sont totalement repliés vers l'avant de sorte qu'ils sont invisibles, ne laissant apparentes que les épaules dont la bordure forme une ligne continue avec celle du dos. Elle est assise sur ce qui semble être la bordure d'un lit recouvert d'une couverture. Le fond de la photographie n'est fait que d'un noir uniforme sauf une pièce de bois, à la gauche que l'on distingue à peine. Enfin, le rapprochement d’un corps de femme et d’un violon illustre le principe de la rencontre insolite cher aux surréalistes. À cet égard, cette photographie est publiée pour la première fois en juin 1924 sur la page de garde du numéro 13 de la revue d’André Breton et Philippe Soupault, « Littérature » , et a longtemps appartenu à Breton.

Dans ses mémoires, Man Ray raconte qu’Alice Prin, dite Kiki de Montparnasse, refusait de poser pour lui, parce que, disait-elle, « un photographe n’enregistrait que la réalité ». Relatant sa réponse à Kiki, il poursuit : « Pas moi, je photographiais comme je peignais, transformant le sujet comme le ferait un peintre. Comme lui, j’idéalisais ou déformais mon sujet ».

« Je photographie ce que je ne désire pas peindre, et je peins ce que je ne peux pas photographier. » Man Ray

Retour à la raison, 1923

Film enroulé, 1923

Le Violon d'Ingres, 1924

Nancy Cunard, 1926

Sans titre, circa 1925

Noire et Blanche, 1926

Femme aux cheveux longs, 1929

Primat de la matière sur la pensée, Meret Oppenheim, 1929

Les Arums, 1930

Les arums entrent dans le jardin de Man Ray comme la plus sensuelle des fleurs. Non pas comme un simple exercice académique, mais tel un emblème du désir, creux parfait prêt à recevoir, volume lisse et immaculé sur lequel il exhibe la virtuose lumière de la solarisation. L’image est précise et dynamique avec une diagonale qui semble vouloir croître hors des limites du cadre.

Le Baiser, Lee Miller et Belbourne, 1930

La prière, 1930

Les Larmes, 1932

Sans titre, circa 1930

Sans titre,  Femme endormie solarisée, 1931

Natacha - Nu Solarisé, 1930

La maison, 1931

Lee Miller, une main sur les lèvres, 1928

Sans Titre, 1932 - Collection Lucien Treillard

Masculin, 1933

Pablo Picasso, 1933

En Pleine Occultation de Venus, 1930 - Collection Lucien Treillard

Les Mains peintes par Picasso, 1935

Sans titre, circa 1935

Chevelure, 1937

Sans Titre, 1946