Jean Philippe Charbonnier (1921-2004) photographe et journaliste français, né à Paris. Il est issu d'une famille d'artistes et d'intellectuels, d’un père peintre et d’une mère, Annette Vaillant écrivain et fille d'Alfred Natanson dit Alfred Athis, un des fondateurs de la « Revue blanche » et de l'actrice Marthe Mellot. Baigné dans ce milieu artistique, Jean Philippe se tourne vers la photographie dès 1939, en fréquentant l'atelier du portraitiste de cinéma Sam Lévin.

    • Pendant la Seconde Guerre mondiale, il s'exila en Suisse pour échapper au Service du travail obligatoire. A partir de 1948, il est successivement rédacteur en chef technique du journal « Libération », et collaborateur de « France Dimanche » et « Point de Vue ».

    • En 1949, il est le photographe phare du magazine « Réalités ». Il est le premier recruté, le plus publié, le plus grand voyageur, celui qui est resté le plus longtemps, le seul à avoir eu le titre de chef des reportages. Ayant une très forte personnalité et un style le plus adapté à celui de la revue. Il est le seul photographe à quitter, puis retrouvé le mensuel, en 1956, après avoir tenté l’aventure dans un nouveau journal, « Le Temps de Paris », pour s'occuper de la maquette. A la fin de cette même année, il entre au quotidien « Libération », où il travaille à la mise en page. Parallèlement, il collabore à « France Dimanche », mais cumulant les emplois qui pour lui sont intenable, il quitte « Libération » et rejoint Albert Plecy à « Point de vue – Images du monde ». Pendant six mois, on lui demande de faire du photo-journalisme.

    • A partir de 1950, avec Édouard Boubat et Jean-Louis Swiners, il fait partie du trio de tête des reporters pour le magazine « Réalités » à partir de 1950, il réalise épisodiquement quelques photographies de mode, photographiant des mannequins à Paris en extérieur.

    • Il commence ses premiers voyages, en Afrique, au Gabon en compagnie de l’écrivain Philippe Soupault, puis en Turquie, en Yougoslavie, au Canada et au Kenya. Il rend compte de terres méconnues par les touristes. Il parcoure Bénarès la ville sainte aux rites horribles et magnifiques, les secrets de la mer Rouge, le Siam, dernier îlot paisible de l’Asie, des scènes de la vie martiniquaise, la stupéfiante ascension du Brésil, les Philippines et Haïti. En 1955, il accomplit un tour du monde.

    • En 1960, il se tourne vers la photographie commerciale, travaillant pour de grands groupes comme « Carrefour » et « Renault » ainsi que pour le Ministère du Travail. En parallèle il enseigne à « l'ESAG Penninghen » et en Angleterre.

    • En 1970 invité par Michel Tournier, et participe aux premières Rencontres d'Arles. En 1974, il quitte définitivement le magazine « Réalités ».


Photographe moins connu que ses pairs de la photographie française humaniste, son œuvre est comparable à celle de Walker Evans plutôt que celle de Robert Doisneau, de par ses reportages dans le monde entier et en particulier par ses sujets saisis dans son environnement proche en France, il reste un témoin de la deuxième moitié du 20eme siècle.

Pendant plus de quarante ans, Jean-Philippe Charbonnier arpente Paris inlassablement, appareils à la main, des faubourgs aux quartiers huppés au gré de ses promenades, d’Aubervilliers, au quartier du Marais, du Luxembourg à Rungis et les quais de Seine avec une attention particulière pour Notre Dame, il fréquente les terrasses de restaurant, le métro, les musées, les gares, les terrains vagues, les jardins et les femmes.

Il dévoile toujours une intelligence très vive de la composition et des formes, et, quand il ne fréquente pas Bettina ou Juliette Gréco, c'est vers les femmes de la rue qu'il tourne son objectif, vers ces jeunes filles au soleil du Luxembourg, émouvantes, gauches et un peu ridicules, vers les dames-pipi ou les danseuses des Folies Bergères s'ennuyant en coulisse plutôt que paradant sur scène.

Ses photos de la capitale s’inscrivent en complément de ses reportages qu’il réalise à l’étranger Bénarès, Manhattan ou encore dans le Sahara. Jean-Philippe Charbonnier sait se fondre dans le décor, pour livrer sa vision singulière du monde.

Au hasard de ses reportages, il offre des tranches de vie, devenues des documents d’histoire. Son intérêt réside à montrer, autant de belles images, des photos de stars, comme les jambes de Marisa Berenson, qu’un travail plus sombre, plus populaire, plus au fait des réalités du quotidien. Il traque l'incongru, ce qui détonne, avec un regard très sûr et parfois un humour grinçant dans ses légendes, plutôt du côté du Hérisson que de Réalités, c’est une salle d'attente d'un coiffeur qui l’intéresse plus que celle d'un médecin.

« On fait toujours des photos qui seront historiques un jour ou l’autre. » Jean Philippe Charbonnier

Ses images racontent le quotidien des hommes, jamais la politique des gouvernants. Certaines sont prises dans la rue, à la volée, et d’autres sont posées. Ses photographies sont toujours compréhensibles par le lecteur, centrées sur le personnage principal, sans effets de cadrages inutiles, sans dramatisation du tirage, évacuant le lyrisme facile. Lors des prises de vue, il ne tergiverse pas, ne cherche pas à passer inaperçu et se confronte aux gens, sans empathie excessive. Il ne les flatte pas ni ne les ridiculise, il cherche à tirer au plus juste et se montre souvent corrosif, une vision incisive.

Jean-Philippe Charbonnier n’embellit pas la réalité, son regard ne déborde pas de bons sentiments et ne retranscrit pas l’amour et la foi dans l’homme recherchée par ses confrères, d’où peut-être son défaut de célébrité. Jean-Philippe Charbonnier montre ses modèles tels qu’ils sont, sans complaisance, sans idéalisation.

Ses images sont des compositions formelles très étonnantes, de rares images qui ne se déchiffrent pas immédiatement, entre les angles, les lignes d'ombre, et les formes pures, tout semble presque incongrue.

« Les photographies doivent se regarder en silence, sinon elles ne vous regardent pas. » Jean Philippe Charbonnier

Juliette Gréco & Miles Davis, Salle Pleyel, Paris, 1949


En mai 1949 dans les coulisses de la salle Pleyel de la rue du Faubourg Saint-Honoré, il est présent à l’instant même ou une idylle nait, juste devant son objectif entre Juliette Gréco et Miles Davis qui se dévorent du regard, tapie dans l’ombre. Miles Davis à 23 ans, déjà fougueux et légitimé par ses prestations avec Charles Mingus, Charlie Parker, et Dizzie Gillespie, effectue son premier voyage à l'étranger. Au festival international de jazz de Paris, il croise et captive l'intelligentsia de l'époque, Jean-Paul Sartre, Boris Vian, Pablo Picasso et la belle Juliette Gréco. Une passion foudroyante qui survient par l’intermédiaire de Michèle, la femme de Boris Vian qui présente à Juliette dans des coulisses de la salle le tout jeune trompettiste.


« Il y avait la beauté de l'homme. L'extrême beauté et le génie. La force et l'étrangeté, la différence et la modernité de ce qu'il jouait, de ce qu'il était. J'étais bouleversée par cette rencontre. Ce profil de dieu égyptien, j'avais 22 ans, je sortais de la guerre, et dans sa musique, j'entendais la liberté. » Juliette Gréco

Bettina, Van Cleefs & Arpels, Place Vendôme, Paris, 1953