Irving Penn (1917-2009) photographe américain, né à Plainfield, dans le New Jersey, frère du cinéaste Arthur Penn. Très tôt, il se dirige vers le monde des arts. Après des études de design avec le photographe et designer Alexey Brodovitch et l’obtention de son diplôme, il travaille en tant que graphiste, tout en apprenant le dessin et la peinture durant quatre ans à l’université des arts de la « Pennsylvania Museum & School of Industrial Art ». Tout en étant étudiant, parallèlement, il débute une collaboration avec le magazine « Haper’s Bazaar », illustrant des articles sur la mode.
En 1938, il s’installe à New York, ouvre son propre studio sur la cinquième avenue et travaille à son compte, se lançant dans le design, tout en prenant en main un outil qui ne le lâche plus, l’appareil photo. Tout en étant l'assistant de Alexey Brodovitch, il travaille pour le prestigieux magasin, « Saks Fifth Avenue » situé à Manhattan.
En 1940, il accepte le poste de directeur artistique et y reste un an, puis abandonne tout pour se rendre proche de Mexico, ou pendant une année, il se met à peindre tout en prenant des photographies.
En 1941, à son retour, il est recruté par Alexander Liberman pour intégrer l'équipe photographique du magazine Vogue, avec lequel il collabore jusqu’à la fin de sa vie.
En 1943, il réalise sa première couverture de Vogue, avec l'image d'une nature morte, à compter de cette date, sa carrière prend son envol. Avec son Rolleiflex à la main, ses photographies paraissent régulièrement au sein du Vogue. En à peine cinq ans, il effectue plus de 160 couvertures de magazines, en étant reconnu comme l'un des plus grands photographes de mode du moment.
Toujours avec Vogue, grâce à la rédactrice en chef, Edmonde Charles-Roux, il débute un projet de portraits, intitulée « Small trades » (Les petits métiers), convaincu que nombre de ces activités vont disparaître. Ils recrute dans les rues de Paris, Londres et New York, des modèles qui se rendent dans leurs tenues de travail, des vendeurs, des marchands de journaux, des chiffonniers, des ramoneurs, tous posant dans un territoire neutre, celui d'un studio. A Paris, c'est l'écrivain Robert Giraud, ami de Robert Doisneau, qui les recrute pour lui. Les premiers clichés de sa série qui en compte 216, paraissent dans la version Française du Vogue en juin 1951.
En 1951, internationalement célèbre, il exécute des photos pour des commanditaires du monde entier, travaille avec les plus grandes maisons de haute couture, il signe de nombreuses photographies de mode et ses mannequins fétiches sont Régine Destribaud et Lisa Fonssagrives avec qui il se marie. En dehors de ses commandes, il réalise de nombreux portraits de personnalités du 20eme siècle, peintres, musiciens, danseurs, écrivains, Giorgio de Chirico, Igor Stravinsky, Julian Schnabel, Alexander Calder, George Balanchine, Truman Capote, Pablo Picasso, Piero Fornasetti, Yves Saint Laurent, Blaise Cendrars, Max Ernst, Louise Bourgeois, Al Pacino, Marlène Dietrich, Colette, la duchesse de Windsor, Audrey Hepburn, Alfred Hitchcock, Jean Cocteau, Salvador Dalí, Francis Bacon, Woody Allen, Miles Davis.
Au milieu des années 1960, il commence une période d’expérimentations approfondies qui lui permet de maîtriser et de perfectionner la technique de tirage au platine qui diffère du tirage gélatino-argentique, pour ce procédé au platine, la couche sensible à la lumière est absorbée dans les fibres du papier du support qui reste visible, alors que dans les tirages gélatino-argentiques, les particules sensibles à la lumière sont suspendues dans une émulsion de gélatine qui masque le support. Il teste d’infinies variations de cette technique, en combinant deux ou plusieurs négatifs de contrastes variables, ou encore en recouvrant le tirage de diverses combinaisons de platine et de palladium, en l’exposant une nouvelle fois sous le même négatif ou sous un autre. Relativement fort en contraste, les tirages gélatino-argentiques décrivent bien les tenues et les outils, modelés par la lumière naturelle, ceux au platine sont plus resserrés sur les figures et leurs dimensions sont plus grandes, ce qui donne à ses modèles une monumentalité quasi sculpturale et très expressive, révélant une gamme de tonalités passant des gris nuancés aux noirs profonds.
A la fin des années 1960, il entame un nouveau projet qui englobe toute sa démarche de photographe, réalisant cette fois ci, des portraits d’indigènes dans le monde entier. Il se déplace sur tous les continents avec son studio ambulant. En entomologiste de l’image, il vient prélever des spécimens de l’humanité, que ce soit au Pérou ou au Népal, tous sont traités sur un pied d’égalité, toujours dans un décor neutre, d’un vieil homme assis sur un âne en Crète, ou encore de deux femmes voilées, empaquetées comme des bouquets de fleurs dans leur tissu noir, au Maroc.
Il publie de nombreux ouvrages, « Moments préserved » en 1960, « Des mondes dans une petite chambre » en 1974, sont les deux le s plus emblématiques.
En 1984 il collabore avec John Szarkowski conservateur pour la photographie au MoMA de New York, sur une rétrospective où l’enchaînement des thèmes est signifié par celui des couleurs.
En 2009, à l'age de 92 ans, il s’éteint dans son appartement new-yorkais de Manhattan, année ou la totalité de ses clichés de sa série des petits métiers, sont exposés au Getty Museum de Los Angeles et une centaine font l’objet d’une exposition à la Fondation Cartier-Bresson en 2010.
Durant plus de soixante ans, il a marqué l’histoire de la photographie par ses images de mode, ses natures mortes et ses portraits avec son style atypique, un mélange d’académisme hérité des peintres flamands et de créativité débridée. Ses images sont d’une folle inventivité, stupéfiantes par leur apparente simplicité, tout est ainsi chez lui, paradoxal, déroutant. Ce qui frappe dans son travail, c'est les volumes, les effets de profondeur qui renforcent la sérénité picturale et palpitante de la vie humaine, où qu’il se trouve, à New York comme dans les Andes, il fait entrer le monde dans son studio.
« Éloigner les modèles de leur environnement naturel et les installer dans un studio face à l’objectif n’avaient pas seulement pour but de les isoler, cela les transformait. » Irving Penn
Très rapidement il se rend célèbre tout particulièrement pour son travail de photographe de mode, au même titre que Richard Avedon. Mais contrairement à ce dernier, il ne s'intéresse pas à la photographie hors studio, il reste fidèle aux réalisations en studio, qui lui permet d'obtenir un éclairage, source principale pour ses images. La personne occupe une position centrale et majeure dans son travail, la personnalité du modèle tenant une place primordiale dans sa photographie de mode, de sorte que ses images sont toujours très proches du portrait.
Aucun flou artistique, il peint littéralement, restitue la réalité avec l'objectif. Ses photographies de mode sont des portraits volés, une ode à l'artificiel, à la pose, à la froideur des statues trop belles pour être humaines. Pas de top models qui sautent en l’air à la plage, pas de décors extravagants, pas d’instants décisifs, avec lui, le minimum c’est le maximum. Ainsi, son travail le plus personnel est sur ce registre, un noir et blanc contrasté sans fard, ni paillettes.
« Je pense que le noir & blanc est intrinsèquement meilleur que la couleur. Je crois que je n’ai jamais vu une photographie en couleur vraiment belle. » Irving Penn
La discipline qui retient toute son attention la plus grande partie de sa vie est le portrait, toutes les heures qu’il passe sur ses natures mortes lui donne un sens aiguisé de la lumière, il l’utilise pour souligner les formes et les textures des objets, que ce soit des poires, des canettes ou des fleurs. Pour Irving, prendre la photo d’un gâteau peut se révéler être un art. Son passage au portrait n’est qu'un prolongement dans son œuvre, ce qui l’intéresse, c’est effectuer des photos de personnes qui apportent leur lot de psychologie, afin de leurs faire tomber leurs masques lorsqu'ils se savent pris en photo. L'arrière-plan est la scène sur laquelle il fait évoluer ses modèles, qu'il s'agisse de mode ou de portrait, il dégage toujours la personne du contexte social qui est le sien afin d'isoler et d'attirer ainsi l'attention sur ce qu'elle est vraiment. Son cadre ne les enferme pas, il emploi un fond gris, toujours le même, qui a en réalité deux sortes d'effets, celui de mettre en valeur l'individu, de l'extraire de l'anonymat, mais aussi celui de faire ressortir le vêtement. Chaque vêtement, à partir du moment où il est présenté sur sa scène particulière, devient pour lui un objet de mode. Jamais une image n’est saisie en lumière naturelle ou en extérieur, il voyage avec un studio mobile, faisait venir les gens à lui.
« C’est le principal problème du portrait, de passer derrière la façade que les gens veulent bien vous présenter. » Irving Penn
A partir des années 1960, il prend l'habitude de retirer ses négatifs au platine, technique ancienne qui donne un grain si particulier, si graphique, aucun tirage n’est identique, la photographie s’efface, donnant un aspect du dessin au fusain, avec un noir profond, un gris poussiéreux, et un blanc sorti d’une palette.
Dans ses clichés pour les grands couturiers, il témoigne de la liberté nouvelle des femmes d’après guerre en donnant l’impression de les figer. utilisant toujours la technique de tirage au platine-palladium, il révèle la complexité émotionnelle de ses modèles, que ce soient les mannequins comme sa femme, son modèle favori, Lisa Fonssagrives, ou les célébrités comme Louis Jouvet, venant poser dans son studio peu de temps avant sa mort. Il porte un regard bouleversant sur l’acteur malade, la tête hors du manteau comme celle d’un noyé qui se débat encore à la surface de l’eau avant d’être happé.
Pour ses portraits, il prend le sujet frontalement dans un décor épuré, parfois dans l’encoignure de deux parois, aucune échappatoire possible, il ne photographie que ce qui l’intrigue, ses interrogations sont immenses et toujours surprenantes, en choisissant des femmes potelées, bien en chair, qu’il modèle comme une pâte d’une blancheur lunaire. Les détritus il les ramasse dans les caniveaux de New York, des vieux papiers, des mégots, qu’il célèbre par ses images en vestiges d’une civilisation disparue.
Salvador Dalí, New York, 1947
Piero Fornasetti, Milan, Italie, 1948
Lisa Fonssagrives, Balenciaga Dress, Paris, 1950
Ramoneur, Londres, 1950 - (Small Trades)
Gardienne de voitures, Londres, 1950 - (Small Trades)
Garçons bouchers, Paris, 1950 - (Small Trades)
Marchand de journaux, Paris, 1950 - (Small Trades)
Pompier, Paris, 1950 - (Small Trades)
Vendeur de marrons, New York, 1951 - (Small Trades)
Vendeur de hot dog, New York, 1951 - (Small Trades)
Cigarette N°17, 1972