August Sander (1876-1964) photographe allemand, né à Herdorf proche de Cologne, fils de mineur, quatrième enfant d’une famille de neuf. Dès la fin de l'école primaire évangélique, en 1890 il travaille comme garçon de terril, dans la mine de fer San Fernando d’Herdorf en Rhénanie-Palatinat. Il est pour la première fois au contact avec la photographie en qu’assistant photographe accrédité pour la société d'exploitation minière.

Portraitiste scrupuleux, August Sander réunit photographie documentaire et pratique artistique, une démarche unique dans le milieu de la photographie. Son œuvre demeure un monument de mémoire et une réinvention du portrait en photographie, avec une absence d'effets, une frontalité, un effacement du photographe face à son sujet, elle constitue une référence fondamentale, influençant des artistes photographes comme Walker Evans, Dorothea Lange ou plus tard le couple Bernd et Hilla Becher et continue de s’étendre jusqu’au années 1970 et 1980.

Sa philosophie est de voir, observer, penser, il ne cherche pas le beau, mais par une photographie exacte, saisir l’autre réalité, celle mystérieuse et cachée que son objectif, objectivement révèle en chaque être humain. Il passe du noir du fond, du carreau de la mine à la lumière de la photographie, une trajectoire unique des ombres à la densité du jour et des êtres, qui marque sa manière de photographier qui veut magnifier le réel en pleine clarté, le cartographier face au temps des bouleversements.

« Une belle photo n’est que le premier pas vers un usage intelligent de la photographie, je ne peux montrer mon travail en une seule image, ni même en deux ou en trois, ce ne serait jamais que des instantanés. La photographie c’est comme une mosaïque qui ne devient synthèse que lorsqu’elle est présentée dans sa complexité. » August Sander

Sander met toute sa technique de photographe de studio au service de ses portraits en plein air, poses travaillées, éclairage calculé et composition maîtrisée, lumière éclatante, arrière-plans en flou qui s’effacent. Tout devenant parfait et inquiétant dans le même temps, laissant des secrets s’en échapper. Ce sont des « autoportraits assistés » dit-il. Et de cette mosaïque d’individus émerge, grâce à la succession des images soigneusement voulue par Sander, un sens profond sur notre monde. Il est incontestablement un sismographe fidèle de son temps, sans embellissement, sans plaidoyer sentimental, des citoyens anonymes représentant un peuple témoin. Sander avec son appareil parcoure trois périodes de l’Allemagne, celle de Guillaume II, de la république de Weimar jusqu’au national-socialisme, l’histoire de l’Allemagne se lit dans les visages qu’il photographie. Il se tient avec cet art du photographe de portrait en frontalité absolu avec son temps, face au temps, pour en sorte témoigner. Sa photo est idéologique et toujours humaniste.

« Nous savons que les gens sont formés par la lumière et l’air, par les traits don’t ils ont hérité et leur action, nous pouvons dire, d’après l’apparence, le travail que l’un accomplit ou n’accomplit pas, nous pouvons lire sur son visage si il est content ou soucieux, mon intention n’est ni de critiquer, ni de décrire ces gens, mais de créer un morceau d’histoire avec mes photographies. » August Sander

Les portraits de Sander  sont toujours placés dans un environnement simple, avec les indices des vêtements pour en révéler l’origine sociale. Les gens sont face à l’appareil, figés dans leur propre éternité avec leur visage de sortie, de cérémonie, avec quelques objets quotidiens pour les accompagner. Ils sont en statues d’une vérité qui les dépasse, une sorte d’épouvantails du temps qui passe. Une réalité passée sous la loupe révélatrice du photographe qu’il scrute intensément, cherche la restitution parfaite. Plus qu’un portrait mis en scène, c’est la vérité profonde d’une époque, de l’être, qu’il met à nu. Sander sera sans cesse dans sa recherche d’absolu, dans sa recherche d’une authenticité plastique.

« Je ne déteste rien plus que la photographie au sucre avec minauderies, poses et affectations. Cela étant laissez-moi dire sincèrement la vérité sur notre époque et ses hommes. » August Sander

Par des sortes de portraits documentaires de l’Allemagne de son temps, les années trente qui voient le basculement de la République de Weimar à la dictature du national-socialisme, August Sander, dresse un portrait clinique, souvent inquiétant et toujours révélateur de son époque. Une photographie qui s’inscrit dans le mouvement de la nouvelle objectivité, une vision frontale de ses contemporains, sans empathie particulière, simplement la violente vérité de la vie et des visages. Sorte d’arpenteur, comme un agent de recensement, il fixe, sans lyrisme particulier ce qui est le présent de l’Allemagne à ce moment charnière du glissement dans la dictature. Il ne fait pas de la photographie, mais une véritable fresque, une épopée du réel. D’un réel mis à nu, sans effusion déplacée, sans empathie débordante, sans sentimentalisme.

« L’essence de toute photographie est documentaire par nature. » August Sander

Cette objectivité est liée à celle qui est dans les autres arts, peinture, cinéma que Sander connait fort bien et qu’il côtoie et admire. Il l’utilise pour scruter, donner à voir sans juger. Son approche est contemporaine, relevant du dadaïsme, et de la peinture d’Otto Dix, du courant de la « Nouvelle Objectivité ». Il photographie son Allemagne natale en plein bouillonnement, au travers des métiers, des portraits d’artistes, des portraits de bourgeois ou de soldats, une cartographie de la misère humaine intérieure, avec la rédemption par le monde paysan. Toute une galerie d’êtres et de caractères se donne à voir, en face, ouvriers, soldats, amis peintres, marchands d’arts, bourgeois en représentation, paysans méfiants, gitans, vagabonds, banquiers. À partir de portraits individuels c’est tout un peuple qui émerge, dépassant la simple analyse, c’est une sorte d’hymne à son temps, sans concession, sans détachement.

« Menschen des 20. Jahrhunderts », les hommes du 20eme siècle, est tout au long de sa carrière le fil conducteur de son œuvre, obstinément il édifie une sociologie sans paroles par ce projet immense, un corpus de plus de 600 portraits passant en revue toutes les différentes couches sociales de la société allemande. Il l’organise en 45 portfolios subdivisés en 7 groupes : le paysan, l'artisan, la femme, les catégories socioprofessionnelles, les artistes, la grande ville, les derniers hommes. Une première édition partielle, préfacée par Alfred Döblin, paraît en 1929 sous le titre « Antlitz der Zeit », visage du temps.

« En photographie, il n'existe pas d'ombres que l'on ne puisse éclairer. » August Sander