Lisette Model (1901-1983) photographe américaine, née Elise Amelie Felicie Stern à Vienne, elle est la seconde d'une famille de trois enfants avec un frère Salvatore plus âgé et une sœur Olga plus jeune, dont le père Victor, juif austro-tchèque et italien est médecin au service de l'armée impériale autrichienne puis à la Croix-Rouge, et d'une mère Félicie, française et catholique. Deux ans après sa naissance, ses parents changent leur nom de famille pour Seybert afin de cacher leur origines juives.


Depuis qu 'elle a photographié la Promenade des Anglais à Nice dans le sud de la France, Lisette Model s'est découvert un regard franc, acerbe et impitoyable. Tel est le monde pour la photographe pour lequel elle s'efforce de montrer en grand format avec des images souvent floues.

Elle fait subir le même traitement de choc aux riches et aux clochards croisés dans les rues de Paris, plus qu'une critique sociale, c'est la description qu'elle vise, en détaillant les apparences et les attitudes, s'arrête sur les tissus bariolés, souligne avec douceur la sensualité des corps aux courbes généreuses, aux corps massifs pour lesquels elle a une attirance.

Le soleil brille sur la riche et oisive bourgeoisie française comme pour en mieux lui révéler les aspect grossiers et disgracieux, des portraits qu'elle dresse parfois caricaturaux de de l'humanité. Lorsqu'elle arrive aux États-Unis, elle continue de photographier les oubliés de la société et les femmes vulgaires, elle trouve dans la grossièreté américaine, le pendant à la décadence française. 

« L'appareil photo est un instrument indispensable de détection, il ne se contente pas de montrer ce que nous connaissons déjà, mais explore également de nouvelles facettes d'un monde en constante mutation. » Lisette Model

Elle aborde presque tous les aspects fuyants qui constituent la force nébuleuse et régulatrice, appelée, la « normalité », patriotisme, identité sexuelle, et code génétique. Elle photographie toute l'humanité, d'un travesti à un nain, elle cherche à révéler la face cachée, son intérêt elle le porte pour les êtres solidement inscrits dans certains ordres sociaux ou tout à l'opposé, ceux relégués en marge de la société.

En Amérique, les humains au quotidien sont aussi sa cible, en passant dans les rues, elle dévisage brutalement, des clients en plein baiser dans les bars à la mode, enregistre des spectatrices de l'Opéra en fourrure, les habitants désargentés du quartier new-yorkais de Lower East Side. Dans chacune de ses prises de vue, elle dramatise ses images.

« J'ai compris que ce qui me fascinait avec la photographie, c'était l'instant. La photographie est un art qui, à la seconde près, révèle des images et des aspects de la vie qui sont quasi invisibles au regard. » Lisette Model

Dans la rue, elle se sert d'un appareil Rolleiflex qu'elle tient à hauteur de taille, l'objectif levé vers les passants qu'elle croise, réalisant ainsi des portraits pris du bas vers le haut, dans un mouvement de contreplongée caractéristique de ses prises de vue, les personnages qu'elle capte acquièrent de ce fait une allure imposante, voire hautaine et l'ombre qu'elle projette par le bord d'un chapeau sur un visage d'homme ne fait qu'accentuer son air bourru.

Elle utilise le flash, pratique la contreplongée et n'hésite pas à recadrer-décadrer ses négatifs pour zoomer franchement sur un baiser à pleine bouche, un visage décrépi et sur un corps bien en chair.

« Ne prends jamais ce qui ne passionne pas. » Lisette Model

La Promenade des Anglais I , Nice, 1934

La Promenade des Anglais II , Nice, 1934

La Baigneuse, Coney Island, 1941

Par une chaude journée d’été sur le sable de Coney Island, une femme bien en chair, plantureuse, en maillot de bain foncé, interpelle Lisette Model chargée de son lourd appareil, « Madame, photographiez-moi ! », elle prend la pose, devant les vagues, en pleine jubilation, debout comme un sumo, les pieds plantés éloignés l’un de l’autre et les mains sur les genoux, la baigneuse offre ses formes généreuses devant un auditoire hilare sur la plage que la photographe en un seul clic, réalise une image audacieuse, ou elle révèle l'excentricité de son sujet avec tendresse et humour.

La femme déclare « Bande d’imbéciles, crie-t-elle, en souriant d’une oreille à l’autre. Vous avez déjà vu une grosse femme, non ? »

Cette baigneuse qu'elle vient de rencontrer, remplit le cadre avec exubérance, elle est joyeuse, vivante, mais au sein de son cliché elle la place comme disproportionnée et déséquilibrée, la beauté conventionnelle pour la photographe ne l’intéresse pas.

San Francisco, 1949