Abelardo Morell (1948) photographe d’origine cubaine, à 14 ans il émigre aux États-Unis avec ses parents et sa sœur, durant l'invasion de la baie des Cochons et la crise des missiles de 1962. 


Ses images les plus étonnantes sont celles qu’il crée avec la « camera obscura », il réalise sa toute première photo en 1881, en utilisant cette technique, dans son salon assombri. Le principe consiste à faire passer un rayon de lumière dans une boite, à travers une lentille. Le paysage extérieur se projette alors à l’envers sur la paroi opposée à la lentille. Il met en pratique ce principe qu’il explique à ses élèves, non pas à l’aide d’une simple boite à chaussures mais d’une pièce d’un appartement qu’il transforme en camera obscura. Il recouvre les fenêtres de papier collant noir, y perce un petit trou et place ensuite, pendant huit heures une chambre noire devant le mur où l’image du paysage extérieur va se révéler. Le résultat est étonnant, le mobilier de la pièce se confond avec l’image projetée à l’envers. 

Il prend plaisir à choisir des chambres d’hôtel devant Times square, le sud de Manhattan, le musée des offices, la tour Eiffel. Nul besoin de voyager loin pour découvrir un monde inattendu, celui des livres par exemple, il capte leur tranche, leurs feuilles de très près, joue avec les courbures des pages et la juxtaposition d’images. Avec des Bottins entassés les uns sur les autres, il engendre un paysage à la Chirico. Il met en scène également Alice au pays des merveilles en découpant des personnages qu’il dispose devant des livres ouverts. 

Il explore la photographie là où on ne l’attend pas, deux fourchettes plongées dans un verre d’eau composent un tableau abstrait, une carte routière disposée en forme de cuvette se transforme en lac entourée de montagne, avec l’eau il compose un alphabet sur une planche vernie en y dessinant des lettres du bout du doigt.

Dans sa série réalisée par camera obscura, il joue alors avec la notion de temps, en utilisant des poses si longues que la vie passe sans que la pellicule puisse la capter. Il le fait à la manière du photographe japonais, Hiroshi Sugimoto qui photographie des salles de cinéma également en longue pose, où le film projeté et les spectateurs sont absents de l’image finale, une salle vide éclairée par un écran blanc. Tel un magicien Abelardo utilise des astuces pour faire apparaître des visions inédites d’un univers quotidien.

Dans ses images, une introspection le pousse à faire des photos simples avec une recherche esthétique constante, quand il pose son regard sur des objets anodins, il s’évertue avec succès à leur donner une dimension poétique et originale. Pour y parvenir, il joue avec la lumière et l’imaginaire, il est capable de créer une ombre qui pourrait être celle d’un pieu. Son regard, reflet de son univers intérieur, convie le spectateur à un spectacle visuel totalement nouveau, la réalité matérielle la plus simple devient par le truchement de son art une vision mystérieuse et onirique, étrange et surprenante.

« Les photographies de Morell traduisent les mille et une façons dont nos yeux et notre cerveau absorbent images, récits et mots. »

Empire State Building in Bedroom, New York, 1994

Times Square in Hotel Room, New York, 2010

View of the East Side of Midtown Manhattan, New York,  2014

Vue de l’Hôtel de Ville, Paris, 2015