William Eugene Smith (1918-1978) photographe américain né à Wichita dans l’état du Kansas. Il tombe très vite dans le révélateur de la photographie, initié dès son plus jeune âge par sa mère qui pratique la photographie en amateur, il en fait sa passion avec la musique. Au cours de ses études secondaires, il réalise ses premières photographies, des avions, univers qui le fascine, qu’il côtoie chaque jour à Wichita, endroit ou sont basées les usines des compagnies Cessna et Boeing.

  • En 1933, à quinze ans il débute la photographie et rencontre le photographe de presse Frank Noel, qui le conseille, et l’aide à publier ses photos dans les journaux locaux, le « Wichita Eagle », et le « Wichita Beacon ». De 1935 à 1936, il réalise des reportages sur les événements sportifs, l’aviation, les catastrophes naturelles. C’est l’époque du Dust Bowl et de la grande misère des fermiers du Midwest. En 1936, son père négociant en céréales se suicide au fusil de chasse, ruiné par la crise économique, une tragédie qui le marque à jamais.

  • En 1936, boursier, il étudie la photo pendant un semestre à l’université « Notre-Dame du Lac de South Bend » dans l’Indiana. Travail qu’il détruit par la suite, le jugeant techniquement insuffisant et manquant de profondeur. En 1937, il s’installe à New York et s’inscrit au « New York Institute of Photography ».

  • Dès 1938, il réussit à entrer au magazine « Newsweek » mais est rapidement licencié à cause de l’utilisation d’un appareil de petit format (± 6 x 6), il s’oppose à cette époque aux règles du magazine, les reporters utilisant en général un Speed Graphic 4 x 5 inches, alors que Smith défend le petit format qui donne selon ses mots « une plus grande liberté de vision ». Il intègre l’agence « Black Star » en tant que collaborateur indépendant et publie ses photos dans « Life Magazine », « Collier’s », « The New York Times » et « Harpers Bazaar ».

  • En 1939, Smith est rapidement intégré à l’équipe de Life Magazine pour réaliser deux reportages par mois, il quitte la revue peu de temps après en 1941, insatisfait de la routine qu’impose une publication régulière et devient photographe indépendant. Il travaille pour le magazine « Parade », reconnu pour la qualité de ses documents photographiques.

  • En 1942, Smith est invité à rejoindre l’unité photographique de la Navy, la « Naval Photographic Institute » dirigée par Edward Steichen, il est refusé par la commission de sélection pour « insuffisance physique et académique », souffrant de mauvaise vue et ne possédant pas de diplôme universitaire.

  • En 1943, il rejoint comme correspondant de guerre le magazine « Flying » et la « Ziff Davis Publishing Company », travaillant sur le porte-avions « Independence », il réalise des prises de vue aériennes, en mer et sur terre de la campagne des îles Marshall, puis il est transféré dans le Pacifique Sud à bord d’un autre bâtiment, ne se séparant jamais de sa chère musique grâce à un phonographe portatif qu’il trimballe sur les champs de bataille. En s’apercevant que près de la moitié de ses photos sont censurées, en 1944 il quitte « Flying » et « Ziff Davis » et rejoint à nouveau le Life.

  • Le 22 mai 1945, à Okinawa, il est grièvement blessé à la tête par un éclat d’obus, l’immobilisant il subit plusieurs opérations l’immobilisant pendant deux ans.

  • Durant sa convalescence, il publie des articles et des interviews et insiste sur son attachement à une éthique du photojournalisme. La première photo qu’il réalise au terme de cette période difficile est « The Walk to Paradise Garden », image de ses enfants devenue célèbre, refusée par le Life, les personnages tournant le dos à l’objectif.

  • En 1947, il rejoint la « Photo League », et publie librement ses reportages sous le titre « Image ». Cette même année, il est de retour à la revue Life, travaillant à plein temps jusqu’à sa démission en 1954, à la suite d'un désaccord de plus en plus profond sur la façon dont la revue modifie les légendes de ses photos et l’usage qui en est parfois fait. Le principal sujet de rupture est la publication du reportage sur Albert Schweitzer, alors considéré par Life comme le plus grand homme de son époque. Smith, tout en reconnaissant son travail humanitaire, le trouve autoritaire et raciste et veut montrer par un reportage en deux parties la complexité du personnage, la revue publie une version abrégée conforme au sentiment de l’époque sur le médecin, prix Nobel de la paix en 1952.

  • En 1955, Smith rejoint l’agence Magnum, et en devient membre à part entière en 1957. Il se rend à Pittsburgh pour effectuer un reportage, qui doit durer trois semaines, pour lequel il doit fournir une centaine de photos à l’occasion du bicentenaire de la ville. Il y travaille durant trois ans et ramène plus de 10 000 images, sans l’accord ni le soutien de l’agence, cela entraîne sa ruine malgré deux bourses reçues de la fondation Guggenheim, en 1956 et 1958, aucune revue ou agence n’accepte de financer son projet. Il refuse une proposition de 21 000 $ pour une publication partielle, ne lui accordant pas le contrôle du choix des images, de leurs légendes et de la mise en page. Ayant le contrôle total, seulement une publication a lieu, de 88 photos dans la revue « Photography Annual » de 1959, pour laquelle il ne touche que 1 900 $.

  • En 1956, Smith réalise sa première commande en couleurs pour « l’American Institute of Architects », travail sur l’architecture moderne, des tirages géants de 3,50 m sont réalisés à cette occasion.

  • En 1957, il quitte sa famille et s’installe seul dans un loft de la Sixième avenue à New York, il débute un travail de longue haleine sur des images de rue prises de sa fenêtre et des photos de musiciens lors de jam sessions et de séances d’enregistrement. Il enseigne à la « New School for Social Research ».

  • En 1958, il quitte Magnum. De 1961 à 1962, il effectue un reportage sur la firme Hitachi au Japon et en 1971, il s’installe à Minamata, une petite ville du Japon, avec sa seconde épouse la photographe Eileen Mioko, lieu ou il suit les effets de la pollution industrielle, victime de violences de la part d’employés de la firme Chisso, responsable de la pollution, il perd presque la vue et doit être rapatrié d’urgence aux États-Unis. La publication de 11 de ses photos dans le Life sur le sujet a un retentissement mondial. C'est au cours de ce reportage qu'il réalise l’une de ses plus célèbres photographies de photojournalisme « Le Bain de Tomoko ».

  • En 1975, il est l’invité aux « Rencontres internationales de la photographie » d'Arles, pour exposer en avant-première, le résultat du travail réalisé avec sa femme, sur les conséquences sur la population, de la pollution au mercure de la baie de Minamata, par les rejets en mer d'une usine chimique.

  • En 1976, Smith dépose ses archives, près de 11 tonnes à l'université d'Arizona, à Tucson, où il enseigne.

Connu sous le diminutif de « Gene Smith », ses photos sont immédiatement reconnaissables, il réalise méticuleusement lui-même ses tirages, joue sur des violents contrastes, où prédominent des noirs profonds. Il met en scène comme au cinéma, avec un soin démentiel, des repérages, des esquisses, des clichés pris et repris des dizaines de fois pour trouver le bon angle, recherchant un dramatisme théâtral.

Sa rigueur et son exigence en ont font un modèle pour des générations de photographes, attachés à la valeur du témoignage, William Eugene Smith est, au sens littéral du terme, celui que l’on appelle un « concerned photographer », un photographe engagé, qui utilise son appareil photographique comme une arme pour défendre ses idées. Sa volonté d’implication personnelle dans les sujets de ses reportages révolutionne cette nouvelle forme de photojournalisme, nommé « essai photographique ».

« A chaque fois que j’ai appuyé sur le déclencheur, c’était un cri de condamnation, lancé avec l’espoir que mes images puissent survivre à travers les années, avec l’espoir qu’elles puissent résonner dans l’esprit des hommes. » William Eugene Smith

Moine-soldat, éveilleur de conscience au risque de passer pour un illuminé à moitié fou, Smith est le photographe du dépassement, assoiffé d’absolu. Il photographie aussi bien les combats que leurs conséquences, il développe dans son travail le thème de la responsabilité sociale du reporter qui reste présent durant toute sa vie.

« À quoi sert d’utiliser une grande profondeur de champ, s’il n’y a pas une profondeur suffisante de sentiment ? » William Eugene Smith

Smith est un compositeur d’images, au point d’en faire des poèmes visuels à plusieurs niveaux où il intègre des juxtapositions de deux plans, presque cubiste, qui donne un impact pictural. Sa technique n’est qu’une échelle vers le ciel, et non le but, il ne veut pas faire de petits morceaux d’art, mais des morceaux de vie.

La prise de vue n’est pour lui qu’une étape déjà élaborée, mais vient ensuite un long travail maniaque sur les négatifs, il passe des journées entières dans sa chambre noire, en modifiant les valeurs de lumière, le rôle des ombres, afin d’aboutir à un dramatisme puissant, donnant à ses clichés une gravité et une émotion.

Il préfère les images très contrastées, avec des noirs profonds qui refoulent les détails au second plan, ses tons charbonneux ne correspondent pas aux attentes des éditeurs.

Il est le maître absolu des clairs-obscurs et du cadrage serré et parfait. Il peut travailler plusieurs jours sur un seul tirage, obsédé par la perfection. Il retravaille même ses négatifs et fait poser ses sujets, la vérité du réel ne l’intéresse nullement, c’est la vérité profonde qu’il cherche, n’hésitant pas à la recréer en la retouchant.

De 1946 à 1954, Life lui commander de nombreux de reportages qui le rendre célèbre, celui d’un village espagnol, village perdu d’Estrémadure, écrasé par le soleil et la noirceur du franquisme en 1950, d’une infirmière et sage-femme noire en 1951, du tournage des feux de la rampe de Charlie Chaplin en 1952, celui sur Albert Schweitzer à Lambaréné en 1954, ou encore un simple médecin de campagne de la région de Denver en 1948.

« La photo n’est qu’une petite voix, au mieux, mais parfois une photographie ou un groupe d’entre elles peuvent attirer nos sens vers une prise de conscience. Cela dépend beaucoup de celui qui regarde, dans certains cas, les photos peuvent même convoquer une émotion assez forte pour être un catalyseur à de la pensée. Certains ou peut-être beaucoup, parmi nous, ont la tête uniquement à la raison. Le reste d’entre nous a, peut-être, un plus grand sentiment de compréhension et de compassion pour ceux dont les vies sont étrangères à la nôtre. La photographie est une petite voix, je crois en elle, si elle est bien conçue, elle fonctionne. « William Eugene Smith

« Je n’ai jamais réalisé une photo bonne ou mauvaise, sans devoir la payer par une tourmente émotionnelle. » William Eugene Smith

Bataille de Saïpan, 27 juin 1944

Le 27 juin 1944, dans l’océan Pacifique, lors de la bataille sur l’ile de Saipan, une gorgée d’eau avant de mourir, les yeux plantés dans un horizon vide et insoutenable, quelques secondes de calme avant de replonger dans l’horreur des combats, telle est la guerre vue par William Eugene Smith. Une photographie humaniste engagée, de nombreux soldats américains et japonais vont y perdre la vie, mais au delà des dates et des chiffres, ce qui émeut Smith, c’est la tragédie de l’homme, éternelle victime en lutte, en ombre et lumière. Et c’est cet ombre qui l’emporte dans ce cliché, il sait mieux que personne capter les gestes de désespoir et d’héroïsme de l’homme prêt à survivre la tragédie.

Sur les champs de bataille, en raison de son intrépidité les soldats le surnomment « Wonderful Smith », il veut toujours se trouver devant le premier soldat au combat, veut être au plus près de son sujet, en déclarant « To be into the heart of the picture. »