D - Néo-Classicisme allemand

Le Néo-Classicisme

Au XVIIIe siècle, deux artistes, d'un goût très différent, voient le jour en Allemagne. Le premier, Chodowieki (1726-1801), médiocre peintre d'histoire, se montre fin observateur et quelque peu ironiste dans les sujets de genre, dont s'emparent les graveurs; l'autre, Raphaël Mengs (1728-1779), imbu des idées de Winckelmann, son ami, est l'un des champions de la renaissance néo-classique, dont le succès s'affirme dans les divers pays durant la seconde moitié du XVIIIe siècle.

On cite encore Johann Friedrich August Tischbein (1722-1789), rallié aux mêmes principes, et dont le musée de Kassel conserve un caractéristique Ecce homo.

Daniel Nikolaus Chodowieki

Daniel Nikolaus Chodowiecki, né à Dantzig le 16 octobre 1726 et mort à Berlin le 7 février 1801, est un artiste-peintre, illustrateur et graveur germano-polonais. Il est enterré au cimetière français de Berlin.

Daniel Nicolas Chodowiecki, peintre et graveur, naquit à Dantzig, le 16 octobre 1726. Son père, qui était marchand de drogues, voulut l'élever pour le même commerce. Cependant, comme il avait appris lui-même la miniature, il enseigna à son fils tout ce qu'il savait, et le jeune Chodowiecki commençait à faire sa principale étude de ce qui ne lui était enseigné que pour le distraire de travaux plus utiles, quand son père mourut. Resté très jeune encore à la charge d'une mère sans fortune, il fut placé chez un épicier où il était occupé des détails du commerce depuis six heures du matin jusqu'à onze heures du soir. Chodowiecki, qu'un goût décidé pour le dessin appelait vers d'autres occupations, souffrait de cette contrainte, et surtout de la position de sa mère, qu'il voyait dans le besoin. L'espoir de lui procurer par ses dessins quelques secours l'enchaîna au travail; pendant la nuit, retiré dans sa chambre, il y travaillait jusqu'à quatre heures du matin. Il ne tarda pas à faire des dessins dignes de l'attention des amateurs; mais il fut obligé de quitter son épicier, par suite du mauvais état où le commerce était tombé. Privé plus que jamais des moyens de subvenir aux besoins de sa mère, il fut envoyé en 1743 à Berlin, chez un oncle où il finit son apprentissage en fréquentant les foires comme teneur de livres. A ses heures de loisir, il peignait en miniature de petits sujets sur des tabatières qu'il vendait à des marchands de Berlin. Son oncle, qui trouvait des avantages dans ce nouveau genre de commerce, pensa qu'il le rendrait encore plus lucratif si son neveu connaissait les procédés de la peinture en émail et lui faisait un grand nombre de boites émaillées. Chodowiecki ignorait encore les principes de la composition, lorsque le hasard lui fit voir des figures académiques et d'autres dessins. Il renonça dès lors à la peinture des tabatières que son oncle vendait, se livra tout entier à de nouvelles études, et ses premiers essais dans ce genre ne tardèrent pas à fixer les regards des artistes les plus distingués; ce fut surtout une petite gravure exécutés en 1756, et qui a pour titre le "Passe-dix", qui attira sur lui l'attention de l'académie de peinture de Berlin. Cette société le chargea des figures de son almanach, qui n'avait été jusque là que médiocrement recherché. Les gravures pleines d'esprit de Chodowiecki lui donnèrent une vogue extraordinaire. Il grava, pendant la guerre de sept ans, différents sujets qui y avaient rapport, et, entre autres, "les Prisonniers russes à Berlin, secourus par les habitants" : c'est une de ses gravures les plus rares. Il parut à peu près dans le même temps, à Paris, une estampe intitulée " la Malheureuse famille de Calas". Ce fut dans cette production médiocre que Chodowiecki prit l'idée de ses "Adieux de Calas"; il choisit le moment où le père quitte ses enfants pour être conduit à la place de l'exécution. Cette scène, vraiment déchirante, était rendue avec tant d'âme et d'expression, que Chodowiecki, qui l'avait peinte en détrempe, la grava à la pointe sèche, à la sollicitation de toutes les personnes qui avaient vu son tableau. Cette gravure, terminée en 1767, ne parut que l'année suivante. Les épreuves qui portent la date de 1767 sont très recherchées, parce qu'il n'en fut tiré que cent. Il avait peint quelques années auparavant la "Passion de Jésus-Christ" en 12 parties; ce n'était qu'une miniature, mais elle était d'un fini précieux, et en même temps d'une énergie si admirable, que tout le monde avait voulu la voir et en connaître l'auteur. Chodowiecki eut dès lors beaucoup d'occupation; il fut même obligé de renoncer à la peinture, pour donner tout son temps à la composition des dessins et des gravures qu'on lui demandait de toutes parts. Presque toutes les estampes qui enrichissent le grand ouvrage de Lavater sur la physiognomonie ont été faites sur ses dessins; il en a même gravé plusieurs avec une perfection inimitable. On retrouve le même esprit de composition dans les estampes dont il a enrichi les ouvrages de Basedow et l'Almanach de Gotha. Sa réputation s'accrut au point que tous les libraires voulaient avoir des gravures de sa composition pour en orner les ouvrages qu'ils publiaient, et il ne paraissait pas un livre en Prusse qui n'eût au moins un frontispice gravé par Chodowiecki. Il avait fait une étude particulière de l'histoire, et il a donné à chaque personnage le costume du temps et du pays où il a vécu.

Son oeuvre se compose de plus de 3000 pièces. Il a beaucoup travaillé pour l'Arioste, Gessner, et le roman de Don Quichotte; pour la Messiade de Klopstock; quelques comédies de Lessing lui ont aussi fourni le sujet de charmantes compositions. Il semblait faire avec son burin l'extrait de tous les livres qu'il lisait. Les contrastes qui renouvellent nos pensées semblent aussi renouveler ses compositions; tantôt malin ou pathétique, il persifle avec Voltaire, ou conspire avec Shakespeare; il dessine avec le crayon de La Bruyère , ou bruine avec l'énergie de Tacite; il rit avec La Fontaine , ou épie avec Lavater les secrets de la physionomie. On a dit qu'il fut l'Hogarth de l'Allemagne; il n'aimait pourtant pas qu'on lui donnât ce nom; moins bizarre dans ses compositions que l'artiste anglais, il est aussi original. Avec des qualités si remarquables, on ne doit pas s'étonner de l'empressement des amateurs à rechercher les ouvrages de Chodowiecki. Plusieurs se sont attachés à compléter son oeuvre, et leurs efforts ont été plus ou moins heureux. Par une bizarrerie qui n'est pas sans exemple parmi les artistes, il se plaisait à faire quelque changement à ses ouvrages quand il en avait tiré un petit nombre; de sorte que toutes les épreuves d'une estampe ne sont jamais les mêmes, et que, pour avoir son oeuvre complète, il faut se procurer, pour ainsi dire, l'oeuvre complète de chacune de ses gravures. Cet artiste est mort à Berlin en 1801, étant directeur de l'académie des arts et des sciences mécaniques de cette ville.

Raphaël Mengs

Anton Raphaël Mengs, né le 12 mars 1728 à Aussig, en Bohême, mort le 29 juin 1779 à Rome, est un peintre et théoricien d'art allemand, premier chef de file du mouvement néo-classique en peinture.

Anton Raphaël Mengs est le fils du peintre danois Israël Mengs qui s’était établi à Dresde en Allemagne. Son père l’initie très jeune au dessin et à la peinture. En 1741, Mengs fait un premier séjour à Rome avec son père. Il y retourne en 1747 pour étudier les grands maîtres du 16e siècle, en particulier Raphaël (1483-1520) et Titien (1488-1576). C’est pendant ce séjour qu’il se lie d’amitié avec Johann Joachim Winckelmann (1717-1768), historien de l’art allemand. Winckelmann aura une grande influence sur l’œuvre de Mengs. A Rome, une fille de paysans, très belle, Margarita Guazzi (1730-1778) lui sert de modèle. Il l’épouse en 1748.

De retour à Dresde, il reçoit des commandes (portraits, tableaux religieux) de la cour de Frédéric-Auguste III (1696-1763), électeur de Saxe et roi de Pologne. Après trois ans passés à Dresde, il part pour Rome en 1751 et y devient célèbre pour ses décorations d’églises et de palais (fresque de l’église Sant’Eusebio en 1757, plafond de la villa Albani en 1760-61).

Le roi Charles III d’Espagne (1716-1788) invite Raphaël Mengs à Madrid en 1761. Le souverain lui confie la voûte du palais d’Aranjuez, plusieurs plafonds à Madrid, des fresques à L’Escurial et de nombreux tableaux religieux.

En 1770, Mengs rejoint l’Italie pour travailler à Rome et à Florence. En 1773, il revient à Madrid pour décorer la salle à manger du roi Charles III. Malade, il quitte l’Espagne pour Rome en 1777. Il mourra dans cette ville en 1779, un an après son épouse Margarita.

Au 18e siècle, Raphaël Mengs est considéré comme l’un des plus grands peintres d’Europe. Lié à Winckelmann, qui prône la « manière simple et noble du bel antique », il incarne la réaction néo-classique, le retour à la pureté de la statuaire grecque et au dessin de Raphaël. Il se range donc aux côtés de ceux qui voyaient dans le rococo un art décadent et corrompu. Mengs, qui était également écrivain, a développé ses conceptions artistiques dans plusieurs textes qui ont été regroupés par José Nicolas de Azara (1730-1804), dit le chevalier d’Azara, ambassadeur d’Espagne à Rome. Ces textes permettent de comprendre l’ambition des néo-classiques pour lesquels, selon Mengs, « la beauté est la perfection rendue agréable à la raison par l’intelligence ». Les termes qui reviennent le plus souvent chez Mengs pour caractériser le beau sont l’harmonie, la simplicité, l’ordre, la symétrie. Il cite en exemple Raphaël, Corrège et Titien mais déconseille Rubens et Caravage. Selon Stendhal, Mengs, « pendant un demi-siècle, a passé pour un grand peintre, grâce au charlatanisme adroit de M. d’Azara. »

Les quelques oeuvres ci-après montreront que Mengs est un peintre de grand talent qui ne méritait pas l’opprobre de Stendhal.

Johann Heinrich Wilhelm Tischbein

Johann Heinrich Wilhelm dit Wilhelm Tischbein ou le Tischbein de Goethe (Haina 1751 – Haina 1829), issu du baroque tardif par sa formation auprès de ses deux oncles, Johann Heinrich à Kassel et Jacob à Hambourg, il reçoit l’influence hollandaise lors d’un séjour aux Pays-Bas, découvre le Sturm und Drang en Suisse et n’adhérera au classicisme que lors de son deuxième séjour à Rome.

Il s’installe en 1777 à Berlin, où il connaît, comme portraitiste, un rapide succès. En 1779, l’Académie de Kassel lui décerne la bourse d’études en Italie. En chemin, il s’arrête à Munich et Nuremberg pour étudier les œuvres de Dürer, dont il copie les Apôtres. En 1781, il séjourne à Zurich chez Lavater qui le met en rapport avec Goethe. Il fait le Portrait de Bodmer (Zurich, Kunsthaus), instantané qui illustre la conception des « caractères » de Lavater, Götz et Weislingen (Weimar, Goethe Nationalmuseum), dont le sujet médiéval est en opposition apparente avec la présentation « classique » des personnages, alors que conception et pathos trahissent encore les origines baroques de l’artiste. La Vue du Saint-Gothard (id.) insiste, pour la première fois dans l’art allemand, sur le caractère violent et sauvage de la montagne suisse. En 1783, Goethe lui fait obtenir une bourse du duc de Gotha pour un nouveau voyage en Italie. Au début, il continue d’affectionner les thèmes inspirés par l’histoire allemande, mais il sera bientôt en contact avec le classicisme de David et se tournera vers l’Antiquité gréco-romaine. En 1787, il peint le célèbre portrait de Goethe dans la campagne romaine (Francfort, Städel. Inst.), œuvre chargée de symboles et d’allégories qui élèvent le modèle au-dessus de son existence naturelle. La même année, il part pour Naples, où il devient, en 1789, directeur de l’Académie. La prise de la ville par les Français provoque son retour en Allemagne, où il s’installe, à Hambourg (1800), puis à Eutin (1809) au service du duc d’Oldenbourg. La médiocrité de son talent explique mal la réputation dont il a joui à l’époque, due en partie à ses liens avec le milieu suisse de Bodmer et avec Goethe, ainsi qu’à ses gravures de vases de la collection Hamilton et à ses illustrations d’Homère. Dans son œuvre se reflètent certaines tendances, parfois contradictoires, de l’époque : le néo-classicisme, l’intérêt pour l’histoire nationale (Conradin de Souabe, musée de Gotha), l’exigence d’une étude très stricte de la nature, opposée aux pratiques de la peinture rococo, qui se manifeste dans son intérêt pour les théories de Lavater, dans son admiration pour Dürer, le goût pour le symbole et l’allégorie, parfois cachés dans des représentations réalistes l’Éplucheuse de pommes de terre, Hambourg, Kunsthalle).