D - Impressionnisme allemand

L'Impressionnisme

En 1879, c'est Munich qui révèle les impressionnistes à l'Allemagne.

il y a bien eu un important impressionnisme pictural outre-Rhin, avec des représentants dignes de figurer aux côtés de Monet, de Pissarro, de Sisley : Max Liebermann, Lovis Corinth ou Max Slevogt

Le plus précoce cependant des impressionnistes allemands et promoteur important du courant est l’Autrichien Hermann Bahr, étudiant ambitieux d’une vingtaine d’années Des peintres en vogue tels que Max Liebermann, Walter Leistikow ou le Suisse Félix Vallotton participent à l’illustration du périodique Pan fondé par Julius Meier-Graefe et Otto Julius Bierbaum à Berlin.

Félix Vallotton

Félix Vallotton est un artiste peintre et graveur de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Il a la double nationalité suisse, d'origine, et française qu'il obtient en 1900. Il rejoint le groupe des Nabis (1889-1903) en 1897. Il est aussi écrivain. Il meurt à Neuilly-sur-Seine, le 29 décembre 1925 et fut un artiste peintre, graveur, illustrateur, sculpteur, critique d'art et romancier franco-suisse.

Le 28 décembre 1865, Félix Édouard Vallotton naît à Lausanne (Suisse francophone). Son père exerce le métier de droguiste puis de fabricant de chocolat. Sa mère s'appelle Emma Roseng originaire de la ville de Berne (Suisse germanophone) issue d'une famille de boulangers. Félix a un frère et une soeur, il vit dans un milieu bourgeois protestant.

Vallotton se marie en 1899, à 34 ans, avec Gabrielle Rodrigues-Henriques, une riche veuve, mère de trois enfants.

Dès l’âge de 15 ans, il peint ses premiers tableaux et date ses dessins. Aurait-il déjà l'idée de devenir un artiste ? À l’âge de 17 ans, en 1882, son choix de carrière est fait, il part s'installer à Paris où il suit les cours de peinture de Jules Lefebvre (réputé pour ses nus féminins) et de Gustave Boulanger, à l'académie Julian, école privée de peinture et de sculpture. À 18 ans, en 1823, il est admis à l'École des beaux-arts de Paris qu'il n'intègre pas. Il préfére continuer sa formation à l'Académie Julian.

À l’âge de 20 ans, en 1885, il expose le portrait de Monsieur Ursenbach au Salon des artistes français.

Il vient régulièrement au Louvre pour copier les maîtres. Il apprécie particulièrement les œuvres des artistes allemands Holbein et Dürer et des italiens, Léonard de Vinci et Antonello de Messine. Le jeune artiste, méthodique, commence à dresser la liste chronologique de ses œuvres dans un répertoire appelé le livre de raison.

En 1885, aux Salon des Champs-Élysées et Salon suisse des beaux-arts, à Genève, il présente l'Autoportrait ci-dessous qui lui vaut une mention honorable au Salon des Champs-Élysées. Il aime à représenter les portraits des membres de sa famille. En 1889, à l'Exposition universelle de Paris, il obtient une autre mention honorable avec un portrait de vieillard, Monsieur Ursenbach (Zurich, Kunsthaus Zürich).

Vallotton commence sa carrière en se spécialisant dans l'art du portrait. Alors à Paris, il écrit à ses parents, en 1889 : "Que voulez-vous c'est mon goût et c'est la seule chose que je risque le plus d'avoir du succès". Il aime le dessin et les lignes pures – il trouve son inspiration dans les œuvres de Hans Holbein (peintre allemand de la fin du XVe et du début du XVIe xiècle) observées au musée du Louvre. Ses portraits sont de grande qualité. Ils restituent fidèlement le physique et le caractère de ses modèles. Mais il cherche aussi l'originalité en dépassant les règles de l'art, comme dans le portrait de son ami Félix Jasinski. Il donne au chapeau haut-de-forme plus d'importance qu'au modèle. Son maître d'atelier le lui reproche. Félix d'un caractère pas facile quitte l'Académie Julian.

À la fin du XIXe siècle, les estampes japonaises s'exposent à Paris. Produites à partir de gravures sur bois (xylographie), elles vont redonner goût pour cette technique à certains artistes dont Vallotton fait partie.

Dès 1891, il commence à produire de nombreuses images montrant, la société contemporaine, la vie urbaine, d'une manière plutôt cynique. Ses gravures prennent une forme nouvelle et moderne. Vallotton sort de l'ombre. Le groupe des nabis reconnaît dans les gravures de Vallotton leurs principes picturaux. Son ami Edouard Vuillard l'introduit auprès des membres de la Revue blanche, la revue des nabis, dans laquelle il publiera ses gravures. Il y écrit également des articles. La gravure à succès de Vallotton lui permet de revoir sa façon de peindre.

Il va appliquer son nouveau style dans Bain au soir d'été. Cette toile exposée au Salon des indépendants, en 1993 sera l'objet de moquerie des visiteurs. Cette oeuvre présente un sujet classique de la peinture: les femmes au bain et fait références à des maîtres anciens. Il n'y a pas de perspective, les couleurs sont posées en aplats selon les principes de la peinture nabie.

En 1899, Vallotton se marie. Sa vie devient plus confortable. Il s'éloigne du mouvement nabi et de la gravure. Sa manière de peindre change. Il s'adonne au paysage. On retrouve la perspective et des détails dans ses œuvres plus réaliste et "décoratives".

Vallotton a peint plus de mille sept cent peintures et environ deux cent cinquante gravures et des centaines d'illustrations imprimées dans des revues et des livres, ainsi que de très nombreux dessins. En tant qu'écrivain, il a écrit trois romans, dix pièces de théâtre et une trentaire de critiques et textes sur l'art.

Max Liebermann

Max Liebermann est considéré, avec Max Slevogt (1868-1932) et Lovis Corinth (1858-1925), comme l’un des principaux représentants de l’impressionnisme allemand. La première influence artistique vient de la peinture hollandaise. Liebermann est un admirateur de Rembrandt et de Franz Hals. Les portraits de ce dernier auront une influence importante sur les siens. Le réalisme de ses débuts se situe donc historiquement dans le sillage de la peinture flamande et néerlandaise. Il choisit pour thèmes le travail manuel des hommes, qu’ils soient paysans, artisans ou ouvriers, donnant ainsi une connotation sociale à sa peinture. Les couleurs sombres prédominent d’abord, puis les effets de lumière deviendront l’un des aspects importants de son travail.

Max Liebermann est né le 20 juillet 1847 à Berlin dans un milieu aisé. Son père est industriel. La famille Liebermann est apparentée aux Rathenau. Emil Rathenau (1838-1915), ingénieur et fondateur du groupe AEG, est le cousin de Max Liebermann. Walther Rathenau (1867-1922), ministre sous la République de Weimar et neveu de Max Liebermann, fut assassiné par des nationalistes antisémites. Les Liebermann, comme les Rathenau, appartiennent en effet à la riche bourgeoisie industrielle juive.

La vie familiale se déroule dans un vaste hôtel particulier de la Pariser Platz de Berlin. La discipline est rigoureuse, les parents attachant une grande importance aux études de leurs enfants.

Le goût pour le dessin et la peinture apparaît dès l’enfance chez Max Liebermann. Ses parents l’autorisent à suivre pendant son temps libre des cours de dessin et de peinture chez les peintres Eduard Holbein (1807-1875) et Carl Steffeck (1818-1890).

Après des études secondaires moyennes, Max Liebermann commence, sous l’influence familiale, des études de chimie à l’université Humboldt de Berlin. Mais il ne s’intéresse nullement à la chimie, s’absente des cours pour assister Carl Steffeck et finit par être renvoyé de l’université. Il entre alors à l’Académie des Beaux-arts (Großherzoglich-Sächsische Kunstschule) de Weimar où il devient l’élève du peintre d’histoire belge Ferdinand Pauwels (1830-1904) qui lui fait découvrir Rembrandt. L’œuvre du peintre hollandais marquera profondément Liebermann.

La guerre franco-prussienne éclate en juillet 1870 et durera jusqu’à janvier 1871. Par patriotisme, Liebermann s’enrôle dans l’armée et est affecté au service de santé près de Metz. Courant 1871, il se rend pour la première fois aux Pays-Bas où il visite Amsterdam et Scheveningen. A son retour, il réalise son premier grand tableau, Les plumeuses d’oies, très mal accueilli par la critique, qui utilise à propos de Liebermann l’expression « apôtre du laid ». L’académisme régnait encore largement à cette époque et la peinture d’histoire restait en Allemagne le goût dominant. Un sujet aussi réaliste, traité sur une toile de grandes dimensions, ne pouvait que choquer.

Liebermann persiste cependant dans la veine réaliste. Pendant quelques années, il représentera des hommes et des femmes au travail. Le rejet de ses œuvres en Allemagne conduit le peintre à s’installer à Paris en 1873. Il loue un atelier à Montmartre, mais la récente guerre franco-allemande rend les rapports avec le milieu artistique français problématiques. Au cours de l’été 1874, il se rend à Barbizon pour étudier la peinture réaliste de paysage. Ce séjour lui permettra de diversifier sa thématique vers les peintures de plein air, tout en restant dans le réalisme. En butte à l’ostracisme des peintres français qui refusent de fréquenter un allemand, il quitte Paris.

Au cours des années suivantes, plusieurs voyages élargissent sa culture artistique. En 1875 et en 1876, il découvre les tableaux de Franz Hals à Zandvoort, qui auront une grande influence sur son art de portraitiste. En 1878, il voyage en Italie et en particulier à Venise où il rencontre un groupe de peintres munichois appartenant à l’école naturaliste bavaroise. Il suit ces artistes à Munich.

C’est dans cette ville qu’il réalise en 1879 son tableau Jésus à douze ans au temple, qui suscite des protestations dans toute l’Allemagne. Les propos antisémites ne sont pas rares. Cette peinture ayant été réalisée sur la base de dessins pris sur le vif dans des synagogues, Jésus y apparaît comme un jeune garçon juif entouré de ses coreligionnaires. Les politiciens conservateurs et les représentants du christianisme n’ont pas de propos assez durs pour Libermannn tandis que le prince-régent de Bavière, Léopold (1821-1912), et quelques peintres comme Friedrich von Kaulbach et Wilhelm Leibl, le soutiennent.

Au cours de l’été 1880, il fait un séjour aux Pays-Bas et réalise Maison de retraite à Amsterdam qui le rattache vraiment à l’impressionnisme par l’importance accordée à l’étude de la lumière et l’utilisation d’une palette plus claire.

Le tableau est très bien accueilli au Salon de 1880 à Paris. Il participe à nouveau au Salon officiel parisien en 1882 avec des tableaux impressionnistes. Les souvenirs de la guerre s’éloignant, le milieu artistique français le consacre enfin comme un grand artiste du courant impressionniste. Liebermann n’abandonne pas pour autant ses scènes réalistes, mais ses études de la lumière constitueront désormais une des caractéristiques principales de son œuvre.

En 1884, Liebermann quitte Munich pour retrouver Berlin, sa ville natale. En septembre de cette même année, il épouse Martha Mackwald, la sœur de sa propre belle-sœur. La fille unique du couple naît en août 1885. Liebermann est admis à l’Association des Artistes Berlinois et participe en 1886 à l’exposition du Salon des Beaux-arts de Berlin où la critique l’accueille favorablement.

En 1889, se tient à Paris une Exposition universelle célébrant le centenaire de la Révolution de 1789. Max Liebermann et deux autres peintres allemands sont désignés comme membres du jury. Cette participation soulève de vives protestations à Berlin où la Révolution française est appréhendée négativement. La plupart des monarchies européennes refusent d’ailleurs de participer à l’évènement, qu’il s’agisse des britanniques, des austro-hongrois ou des russes. Liebermann souhaite présenter à Paris les grands noms de la peinture allemande et se faire connaître à cette occasion d’un public français beaucoup plus large. Il reçoit une médaille d’honneur mais refuse la Légion d’honneur pour ne pas s’aliéner le gouvernement prussien, dont le ministre de l’Éducation et de la Culture, Gustav von Goßlern, l’avait soutenu officieusement dans son entreprise parisienne.

Max Liebermann est désormais un artiste reconnu internationalement.

La mère de Max Liebermann meurt en 1892 et son père en 1894. Il hérite alors d’une fortune importante et de l’hôtel particulier de la Pariser Platz dans lequel il aménage un atelier.

En 1892, onze peintres berlinois fondent un groupe qui aboutira en 1898 à la Sécession Berlinoise (Berliner Secession), association souhaitant remettre en cause la peinture académique qui dominait largement l’art allemand. Max Liebermann joue un rôle de premier plan au sein de ce mouvement, aux côtés de Paul Cassirer (1871-1926), critique d’art. Pendant cette période, Liebermann réalise des toiles de tendance impressionniste mais également de nombreux portraits. Il devient le peintre le plus en vue à Berlin et même les milieux officiels le reconnaissent. En 1897, pour son cinquantième anniversaire, l’Académie des Beaux-arts lui consacre une exposition : trente toiles et de nombreux dessins et gravures sont présentés. En 1898, il devient professeur à l’Académie et reçoit la grande médaille d’or.

La première exposition de la Sécession Berlinoise a lieu en 1899. Les débats font rage à Berlin entre les partisans des tendances artistiques émergentes et les conservateurs. La Sécession poursuivra ses expositions les années suivantes avec un succès croissant.

De l’imagination en peinture (Die Phantasie in der Malerei), premier article de Liebermann en tant que professeur à l’Académie des Beaux-arts de Berlin, paraît en 1903. Pour Liebermann, la création doit provenir de l’observation du réel. Il rejette donc toute évolution vers l’art abstrait et en particulier l’expressionnisme. Cette prise de position met en évidence les oppositions internes à la Sécession Berlinoise. Elle débouchera en 1910 sur la scission du mouvement entre impressionnistes et expressionnistes. Emil Nolde (1867-1956) sera le chef de file du courant expressionniste et Liebermann le leader du courant impressionniste. Malgré des prises de position très tranchées de Nolde contre Liebermann (« Son œuvre s’effrite et s’effondre ; il essaie de la sauver, devient nerveux et emphatique. »), Liebermann votera en 1910 contre l’exclusion de Nolde de la Sécession. Mais celle-ci est acquise par quarante voix contre deux. Nolde crée alors la Nouvelle Sécession à laquelle se rallieront l’association des artistes munichois et les membres du courant Die Brücke (Le Pont) fondé à Dresde en 1905.

Le 16 novembre 1911, Liebermann abandonne la présidence de la Sécession Berlinoise.

Après son départ de la Sécession, Liebermann s’absente de plus en plus souvent de Berlin pour vivre dans sa maison de campagne, sur les rives de lac Wannsee, non loin de Berlin. Cette belle villa a été transformée en musée.

Pendant la Première Guerre mondiale, il se comporte en patriote et collabore par des illustrations à l’hebdomadaire de Paul Cassirer, Kriegszeit – Künstlerflugblätter. Au début de la guerre, il rejoint la Société allemande, association de tendance libérale conservatrice. Il devient également de plus en plus le portraitiste de la haute société berlinoise. En 1916, il développe son article De l’imagination en peinture (Die Phantasie in der Malerei) pour le publier sous forme d’un essai. Une grande rétrospective de ses œuvres a lieu en 1917 à Berlin, où plus de deux-cents toiles sont exposées à l’initiative de l’Académie des Beaux-arts.

Les troubles révolutionnaires qui secouent l’Allemagne après la guerre inquiètent beaucoup Liebermann qui est un humaniste libéral. Ces troubles mettent fin à l’Empire et débouchent sur l’instauration de la République de Weimar, régime parlementaire qui ira de crise en crise jusqu’à l’accession au pouvoir d’Adolf Hitler en 1933.

En 1920, Liebermann est nommé Président de l’Académie des Beaux-arts. Bien que n’appréciant pas l’expressionnisme, son esprit libéral le conduit à lui faire une place. Il déclare ainsi dans le discours d’ouverture d’une exposition de l’Académie : « Quelqu'un qui a fait l'expérience, dans sa jeunesse, du rejet de l'impressionnisme, se gardera bien de condamner un mouvement qu'il ne comprend pas ou ne comprend plus, notamment en tant que directeur de l'Académie, qui, aussi conservatrice soit-elle, se figerait totalement si elle désapprouvait systématiquement la jeunesse. »

En 1922, son neveu Walther Rathenau, qui était la cible des groupuscules violents d’extrême-droite et d’extrême-gauche, est assassiné par des membres du groupe terroriste d’extrême-droite Consul. Liebermann est profondément bouleversé par cet évènement. En 1924, il perd son frère cadet Felix et un ami proche, Hugo Preuß, juriste et homme politique. Il privilégie dès lors une vie plus retirée. Il confie dans un article du Jüdisch-Liberale Zeitung paru en 1926 que la foi a une grande importance pour lui.

En 1927, son 80e anniversaire est célébré par une exposition d’une centaine de ses peintures. Albert Einstein et Thomas Mann font son éloge. La ville de Berlin lui décerne le titre de citoyen d'honneur et le Président du Reich Paul von Hindenburg le décore de la Grande Croix de l'ordre de l'Aigle germanique.

Gravement malade en 1932, il quitte son poste de Président de l’Académie et devient Président d’honneur. Il retrouve la santé, mais assiste en 1933 à la prise du pouvoir par les nationaux-socialistes et voient les vainqueurs défiler devant son domicile de la Pariser Platz. Il prononce alors cette phrase en dialecte berlinois : « Je ne pourrai jamais assez manger pour vomir autant que je le souhaite. » Le 10 mai 1933, dans Berlin et 21 autres villes, des dizaines de milliers de livres sont brûlés sur des buchers organisés par des membres du parti national-socialiste dans le cadre d’une action voulue par Hitler contre « l’esprit non allemand ». A la suite de cet autodafé, Liebermann démissionne de toutes ses fonctions officielles.

Il décède le 8 février 1934 dans son hôtel particulier de la Pariser Platz. Les médias, sous contrôle nazi, évoquent à peine son décès. L’Académie refuse d’honorer son ancien Président. Aucun représentant officiel n’est présent à son inhumation au cimetière juif de la Schönhauser Allee.

Son épouse Martha se suicidera en 1943, alors qu’elle devait être envoyée dans un camp de concentration. Les tableaux de Liebermann appartiennent à ce que les nazis appelaient « art dégénéré ». L’héritage du peintre, comportant une vaste collection de tableaux impressionnistes et réalistes, a donc été confisqué par le Reich.

Le rejet dont il fut victime à ses débuts tient au choix de cette thématique, qui heurtait la prééminence de l’art académique allemand orienté vers la peinture d’histoire. Une toile aussi grande que Les plumeuses d’oies (119 × 170 cm) n’était admise en 1872 que pour l’histoire, la religion et la mythologie, mais en aucun cas pour une scène de genre paysanne. Millet s’était heurté en France, en 1857, aux mêmes réticences pour Des glaneuses.

La découverte de l’impressionnisme français dans la décennie 1870 infléchit son style, mais il conserve une prédilection pour les scènes de genre consacrées au travail. La recherche d’une représentation exacte du réel cède cependant la place à une peinture de la perception, comportant un assemblage suggestif de touches de couleurs et une omniprésence des effets d’ombre et de lumière.

A la fin du 19e siècle, la Sécession Berlinoise, dont il prendra la tête, le conforte dans sa recherche de la représentation subjective d’un instant de la réalité extérieure. Il exclut toute orientation vers une peinture de l’intériorité rejetant l’observation exacte du réel. Ainsi, expressionnisme et art abstrait seront tolérés par l’académicien mais jamais compris.

Les thèmes sociaux de sa jeunesse cèdent la place à partir de la décennie 1890 à une peinture des loisirs de la bourgeoisie (promenades, restaurants, plages, courses de chevaux, etc.). Il devient le grand peintre des scènes de plein air comportant souvent des effets de lumière à travers le feuillage des arbres. Mais un second aspect de son œuvre prend également de l’importance : le portrait. Liebermann est, au début du 20e siècle, le portraitiste favori de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie allemandes.

Grand bourgeois libéral par ses origines et son mode de vie, Max Liebermann, travailleur acharné, est devenu un peintre maîtrisant un vaste registre : scènes de genre, paysages, portraits, dessins, lithographies. De confession juive, il voit avec effarement la montée du nazisme et l’éviction violente de « l’art dégénéré », qu’il avait contribué toute sa vie à faire naître.

Max Slevogt

Franz Theodor Max Slevogt est né le 8 octobre 1868 à Landshut, au Nord-Est de Munich, et est décédé le 20 septembre 1932 à Leinsweiler. Il est le fils du Bavarois Friedrich von Slevogt. A la mort de son père, il s'installe avec sa maman, Caroline (née Lucas), à Würzburg.

Cet artiste peintre, graveur et dessinateur appartient au courant des impressionnistes allemands.

Avec Lovis Corinth et Max Liebermann, ils quittent leurs ateliers pour peindre en pleine nature.

Excellant chanteur classique, il hésitera de longues années entre la carrière lyrique et celle des arts classiques. De 1885 à 1889, Max Slevogt étudie à l'Académie des Beaux-Arts de Munich et suit, entre autres, l'enseignement de Wilhelm von Diez et Karl Raupp.

Ses premières toiles se caractérisent par un choix de tons sombres.

A la fin de ses études, Slevogt réside à Paris, où il entre à l'académie Julian.

En 1896, des journaux, tels le Simplicissimus ou le Jugend, publient ses caricatures.

En 1897, il expose pour la première fois à Vienne des toiles plus lumineuses et moins surchargées.

Durant l'Exposition universelle de 1900 à Paris, sa toile "Scheherezade" est exposée au sein du pavillon allemand. C'est en France qu'il tombe en admiration devant les œuvres d'Edouard Manet...

En 1901, il rejoint la Berliner Secession et se lie à Lovis Corinth. Son portrait du baryton portugais Francisco d’Andrade, "Das Champagnerlied" (1901-1902), surnommé "Der Weiße d'Andrade", tant il affiche une gamme de jaunes d'une grande intensité, frôle l'incandescence pour le public de l'époque.

Ce travail donnera lieu à deux variantes : une aux tons dominants noirs, "Der Schwarze d’Andrade" (1904) ; une autre, dans les rouges, "Der Rote d'Andrade" (1912).

Durant les années d'avant-guerre, Slevogt voyage beaucoup vers les pays du Sud (Italie, Égypte...).

En 1902, et, plus tard, en février 1914, il ramène d'Égypte de nombreuses aquarelles et plus de 20 toiles.

En 1905, il se rapproche du milieu de la scène. Ainsi, il dessine des costumes et des décors de théâtre pour Max Reinhardt.

En 1907 et 1908 naissent Nina et Wolgang.

Entre 1908 et 1910, il est appelé à la cour de Bavière, auprès du prince régent Luitpold, qui lui commande plusieurs toiles de grand format.

En juin 1914, il hérite, par le biais de sa femme, Nini Finkler, à laquelle il est marié depuis 1898, du château de Neukastel, situé en Rhénanie-Palatinat. Plus tard, il y entreprendra des travaux, y créant, entre autres, une salle de concert ainsi qu'une grande bibliothèque.

Durant le Premier Conflit mondial, il se rend sur le Front Ouest comme peintre officiel de l'armée.

En août 1914, lors de l'invasion de la Belgique, Max a 55 ans. Il est en mauvaise santé, lorsqu'en octobre 1914, il entame un périple sur les champs de bataille.

Son vécu des combats se transforme très vite en aversion. Il essaie par ailleurs de transmettre l'expression de cette horreur sous des formes artistitiques appropriées.

Sur les lieux des activités militaires, Max Slevogt esquisse des aquarelles représentant les blessés, les prisonniers, les morts, ainsi que les ruines...

C'est à partir de photographies qu'il réalisera une oeuvre majeure de cette époque troublée représentant la Cathédrale de Louvain en ruine. L’incendie provoqué par les troupes allemandes ravagera également la bibliothèque universitaire, le théâtre, le toit de la cathédrale Saint-Pierre, ainsi que 1.081 maisons...

L'œuvre, représentant la Cathédrale sur fond d'hôtel de ville, avec démolitions au premier plan de l'aquarelle, donne suite au bombardement ciblé de la Cathédrale de Reims, le 19 septembre 1914.

Dès lors que l’Allemagne s'attaque au patrimoine historique des territoires occupés, elle fait l'objet d’une polémique internationale sans précédent.

L’instrumentalisation, par les Alliés, de l’incendie de Notre-Dame de Reims, a pour but de pousser les pays neutres à s'engager dans le conflit, dans le camp de ceux qui défendent une cause noble et juste, face à la barbarie allemande.

Les intellectuels allemands, en ce compris des philosophes, des historiens de l’art, des artistes et des économistes, répondront, le 3 octobre 1914, via une note dite "Appel au monde civilisé" signée par 93 universitaires...

Ce manifeste justifiera les incendies de Louvain et de Reims en ces termes : "Nous refusons énergiquement d’acheter la conservation d’une œuvre d’art au prix d’une défaite de nos armes".

Max Slevogt demeurera un des rares artistes allemands à ne point vouloir édulcorer la représentation des atrocités commises par son armée.

Bouleversé par tout ce qu'il a pu voir, il quitte le front après trois semaines.

Au même titre que d'autres artistes, tels Otto Dix, Max Beckman, Ernst Ludwig Kirchner et Oskar Kokoschka, il demeurera durablement marqué par l’horreur de la guerre.

De retour en Allemagne, Max Slevogt réalisera une série de 21 dessins condamnant la guerre.

En 1917, il est élu à l'Académie des arts de Berlin, alors que son Journal de guerre dans lequel figure "La Cathédrale de Louvain" est publié.

En 1920, il illustre, par le biais de 39 eaux fortes, une édition de la Flûte enchantée, sous la direction de Paul Cassirer. On lui sera également reconnaissant de la réalisation d'une suite de gravures pour le Faust de Goethe.

En 1924, il sera nommé conseiller artistique en charge de fournir une expertise pour le Don Giovanni joué à l'opéra de Dresde.

En 1928, pour son soixantième anniversaire, une grande rétrospective de son travail sera organisée à l'académie de Berlin.

De 1931 à 1932, il compose une fresque religieuse intitulée Golgotha, pour l’église de la Paix à Ludwigshafen am Rhein ; oeuvre qui sera détruite par la suite, lors des bombardements de la Seconde Guerre mondiale.

Max Slevogt est enseveli dans le tombeau de la famille Finkler, au coeur du parc de Neukastel.

Lovis Corinth

Après un séjour à Paris entre 1884 et 1887, où il étudie dans l'atelier de Bouguereau, Corinth s'installe à Berlin en 1900 et devient l'un des membres les plus actifs de la Sécession locale aux côtés de Max Liebermann ou Max Slevogt. Corinth aborde presque tous les genres : mythologie, religion, portraits et autoportraits, scènes de genre et paysages. Le dessin, la gravure, le livre illustré ont joué un rôle primordial dans la diffusion de l'oeuvre de cet artiste, considéré comme l'un des précurseurs de l'expressionnisme allemand.

Franz Heinrich Louis Corinth, dit Lovis Corinth (né le 21 juillet 1858 à Tapiau en province de Prusse - mort le 17 juillet 1925 à Zandvoort aux Pays-Bas)

La Sécession berlinoise est fondée en 1898. Max Liebermann en est le premier président et Walter Leistikow l'acteur principal. C'est ce dernier qui convainc Max Slevogt et Lovis Corinth de rallier le groupe. De 1899 à 1911 cette association devient vite un pôle majeur de la vie artistique allemande. En 1904, Paul Cassirer invente l'expression "triumvirat de l'impressionnisme allemand" pour Liebermann, Slevogt et Corinth : il souligne ainsi en quoi ces trois peintres se rapprochent de l'impressionnisme français. Son œuvre est ainsi alors considérée comme une synthèse réussie entre l'impressionnisme et l'expressionnisme ce qui permet de qualifier Corinth de "classique des modernes".

C'est pourtant le courant symbolique qui sous-tend l'ensemble de l'œuvre de Lovis Corinth et qui marque sa rupture avec la peinture académique et le naturalisme de la deuxième moitié du XIXe siècle. Avec Ferdinand Hodler, Max Klinger et Arnold Böcklin, il est l'un des principaux représentants du symbolisme allemand.

Son oeuvre rassemble plus de mille toiles et aborde presque tous les genres : mythologie, religion, portraits et autoportraits, scènes de genre et paysages. Le dessin, la gravure, le livre illustré et ses essais sur la peinture ont joué un rôle primordial dans la diffusion de l'œuvre de cet artiste.

A partir de motifs classiques empruntés à la mythologie grecque, à la religion chrétienne et au monde littéraire, Corinth traite de façon obsessionnelle les thèmes de l'amour, du sexe ou de la mort. Sa peinture, dans son approche et sa facture, s'inspire d'abord de Frans Hals et de Rembrandt.

Corinth a toujours peint d'après le modèle, généralement choisi dans son entourage direct. Ses personnages, aux gestes et aux expressions souvent outrés, célèbrent la nudité sans rien de la grâce présumée des figures bibliques ou mythologiques. Cette parodie de la tradition témoigne d'une veine satirique qui doit beaucoup à Arnold Böcklin et dont les échos se feront sentir chez Ludwig Meidner ou chez George Grosz et Otto Dix.

Plus tard, l'abandon de la hiérarchie des genres incite Corinth à s'intéresser aux scènes de la vie contemporaine, en particulier dans Jeu de quilles, Distribution des cadeaux de Noël(1913) ou dans Sur la plage de Forte dei Marmi (1914).

Les portraits de Corinth reflètent son évolution artistique, d'un académisme naturaliste à l'expressionnisme, en passant par une phase impressionniste. Il exécute une centaine de portraits d'hommes et de femmes du monde artistique et politique, devenant le portraitiste le plus en vogue de Berlin. Sa famille lui sert également de modèle. Avec l'autoportrait, Corinth poursuit la quête de soi à travers la peinture. A partir de 1900, à l'approche de son anniversaire, il entame chaque année un autoportrait. La mise en scène exagérée de soi par le jeu, le recours au travestissement et à l'allégorie, ainsi que le travail en série, sont sans équivalent à l'époque.

Le peintre a sans conteste élaboré à travers cet exercice la partie la plus forte de son oeuvre. Dans son Dernier autoportrait de 1925, il se représente en buste devant un miroir qui renvoie l'image de son profil déformé et marqué par l'âge. Qu'il se montre en pleine activité ou désespéré, Corinth se révèle dans ce genre.

Corinth prête une attention particulière à la passion et à la mort de Jésus-Christ. Or leGrand martyre (1907), plutôt que célébrer la rédemption par le sacrifice de la croix, décrit crûment les tourments endurés par le Christ. Le thème récurrent de la crucifixion montre comment un même sujet a pu être prétexte à des solutions picturales différentes tout au long de son oeuvre.

Dans Salomé II (1900), où Corinth fait cohabiter les thèmes de la séduction et de la mort, les modèles restent identifiables. L'artiste y combine morbidité et virtuosité picturale. Plutôt qu'une page d'histoire, le tableau se présente comme une parodie de la vie. Sa manière provocante et non conventionnelle d'aborder le sujet fait de Corinth un peintre subversif.

Victime d'une attaque d'apoplexie en décembre 1911, Corinth se représente quelques mois plus tard en Samson aveuglé. Dans ce tableau, thème biblique et autobiographie se croisent. Le cadrage inattendu préfigure la dramaturgie cinématographique.

Fidèle à une tradition de l'histoire de l'art, Corinth s'est avec obstination représenté en Christ, une pratique qui trouve son apogée dans l'Ecce homo de 1925. On y retrouve la facture distinctive des oeuvres tardives : la touche violente, qui devient un élément de style et le rapproche de l'expressionnisme.

L'attachement au sujet sert souvent de prétexte à une peinture qui a déjà conquis son autonomie. La façon dont il aborde les thèmes de ses représentations illustre la liberté qu'il exprime à l'égard de l'iconographie traditionnelle, tout en témoignant de son attachement à la peinture et à la présence sensuelle de la couleur.

Corinth étudie le nu à l'Académie Julian de Paris, dans les années 1880. Il considère ce genre comme le "latin de la peinture". Sa production de nus s'accroît sensiblement après 1904. Fidèle à l'idée expressionniste de fusionner l'art et la vie, l'artiste choisit rarement ses modèles parmi les professionnels. Il s'agit le plus souvent de proches.

Alors que nombre de ses allégories célèbrent la nudité, Corinth finit par débarrasser ses représentations de toute allusion mythologique ou religieuse. Certains tableaux sont nés d'observations spontanées de la vie quotidienne, tels que Matinée (1905) et Après le bain(1906), qui montrent son épouse, son modèle de prédilection, dans une occupation intime.

La volonté de Corinth de saisir le corps, la chair comme le sang, lui permet d'aborder des sujets dont se détournent d'autres peintres . A l'instar de Rembrandt, il s'intéresse aux scènes de boucherie, sans qu'elles relèvent du tableau de genre classique. Corinth associe en effet souvent les carcasses d'animaux aux nus, en raison de la sensualité des couleurs et de l'aspect lascif qu'ils dégagent. La viande et le sang sont mêlés aux cris qui résonnent, la touche picturale exaltée renvoyant à l'atmosphère de l'abattoir dans Le boeuf abattu à l'abattoir.

Les paysages de Corinth répondent rarement à une commande. Ils obéissent le plus souvent à son désir créateur. Affranchis de tout contenu susceptible de distraire le regard, ce genre, qui relève des codifications traditionnelles de la peinture, met en évidence les qualités picturales de l'oeuvre : la composition, le traitement de la surface, la touche apparente, l'intensité des couleurs.

Les paysages tardifs, et plus précisément les vues du lac de Walchen, confirment l'amour profond de Corinth pour la nature et témoignent de sa lassitude à l'égard de la vie urbaine. Ces oeuvres reflètent le caractère changeant des paysages. Ainsi, à l'instar des impressionnistes français, il peint un même site à divers moments de la journée, voire de l'année. Cette série de tableaux réalisée entre 1918 et 1925 célèbre l'autonomie de la couleur.

La production de paysages, comme celle de natures mortes, s'intensifie vers la fin de sa vie. Corinth y fait évoluer ses motifs. Bon nombre de ces tableaux aux couleurs floues et entremêlées se caractérisent par la dissolution des formes, leur point de vue rapproché et une touche rageuse. L'expressivité de la peinture même l'emporte sur le rendu précis du sujet.