Pieter Brueghel

Pieter Brueghel

Les Brueghel constituent une dynastie de peintres flamands dont les plus importants sont Pieter Brueghel l'Ancien et Jan Brueghel de Velours. Pieter Brueghel, dit l'Ancien, grand peintre de la Renaissance flamande, eut deux fils également peintres : Pieter le Jeune dit d'Enfer (1564-1638) et Jan I (1568-1625) dit de Velours. Jan I aura lui-même deux fils peintres : Jan II dit le Jeune (1601-1678) et Ambrosius (1617-1675). Enfin Jan II aura deux fils peintres : Abraham (1631-1697) et Jan-Baptist (1647-1719). Le nom de la famille provient d'un petit village situé près de Breda, au sud des actuels Pays-Bas, où serait né Brueghel l'Ancien. Il choisit en effet le nom de ce village pour signer ses toiles. L'orthographe peut fluctuer : Brueghel ou Bruegel ou encore Breughel (adaptation en français, déconseillée).

Les informations biographiques concernant ce peintre sont peu nombreuses et il est courant de se référer à Karel Van Mander qui lui consacre un bref article. Sa date de naissance n'est pas connue, mais se situe probablement autour de 1525. Selon Van Mander, il fut l'élève de Pieter Coecke van Aelst (1502-1550), peintre flamand célèbre pour avoir peint une évocation très animée de La Cène dans une sorte d'auberge flamande. En 1552-53, il voyage en Italie selon un itinéraire que l'on a pu reconstituer en partie grâce aux dessins réalisés à cette occasion. Il a été jusqu'à Rome. A l'exception de ce voyage, Brueghel l'Ancien travaille à Anvers de 1551 à 1562 et appartient à la Guilde des peintres de la ville. Il se lie avec Hans Franckert, un marchand originaire de Nuremberg, qui est aussi son commanditaire. Van Mander rapporte les équipées des deux compères :

« Un marchand, du nom de Hans Franckert, lui commanda de nombreux tableaux. C'était un excellent homme qui était fort attaché au peintre. A eux deux, Franckert et Brueghel prenaient plaisir à aller aux kermesses et noces villageoises, déguisés en paysans, offrant des cadeaux comme les autres convives et se disant de la famille de l'un des conjoints. Le bonheur de Brueghel était d'étudier ces mœurs rustiques, ces ripailles, ces danses, ces amours champêtres qu'il excellait à traduire par son pinceau, tantôt à l'huile, tantôt à la détrempe, car l'un et l'autre genre lui étaient familiers. C'était merveille de voir comme il s'entendait à accoutrer les paysans à la mode campinoise ou autrement, à rendre leur attitude, leur démarche, leur façon de danser. Il était d'une précision extraordinaire dans ses compositions et se servait de la plume avec beaucoup d'adresse pour tracer de petites vues d'après nature. »

Paris Musée du Louvre

Les Mendiants

« Cinq mendiants, culs-de-jatte et autres estropiés, se traînent péniblement sur leurs béquilles, dans la cour ensoleillée d'un hôpital de briques rouges. Ils semblent sur le point de se séparer pour aller demander l'aumône dans différents endroits, tout comme la femme de l'arrière-plan qui tend une sébile. Au dos du tableau une inscription flamande proclame : "Courage, estropiés, salut, que vos affaires s'améliorent". » Encore une fois, il apparaît que Brueghel a observé attentivement et sans doute dessiné préalablement des mendiants physiquement handicapés car le réalisme des postures et des mimiques est saisissant : « une œuvre très forte malgré son petit format. »

Bruxelles Musée Royal Beaux Arts

Paysage d'hiver avec patineurs et trappe aux oiseaux

La scène vue en plongée représente un paysage enneigé, une place de village servant de patinoire où évoluent des personnages débonnaires, au sol des oiseaux entrain de picorer des graines près d’une trappe (trébuchet qui est un piège à oiseaux) Au premier plan à droite des arbustes aux branches sèches viennent vers nous. Des tonalités de blanc ocre gris et brun avec la lumière dorée du ciel qui se reflète sur ce magnifique paysage enneigé. L’interprétation de ce tableau pourrait être une image de douce quiétude mais qui ne tient qu’à un fil : la trappe synonyme de piège, et la glace évoquant le coté glissant et incertain de l’existence

Chute des anges rebelles

Ce tableau fait partie de la série des œuvres couvertes de multiples personnages, mais l'inspiration est clairement du côté de Jérôme Bosch : thème religieux, obsession du mal. Le mythe judéo-chrétien de la chute des anges rebelles comporte des variantes mais il s'agit d'anges (le bien) s'étant détournés de leur créateur pour rallier le démon (le mal). Évidemment, cette trahison entraîne leur chute, provoquée par Dieu. Ici, saint Michel en armure, aidé d'anges loyaux (en blanc), chasse une infinité de créatures déchues figurées comme plus ou moins monstrueuses.

On y trouve une foule de détails insolites et des monstres : poissons (en bas à gauche), batraciens (en bas au centre), reptiles libellules et papillons. Beaucoup ne se rattachent à aucun genre connu. On trouve aussi beaucoup de personnages hybrides, mi-homme, mi-insecte.

Les contrastes de tons opposent deux univers. Le bas du tableau est sombre alors que le haut est éclairé par la lumière divine. Les anges fidèles sont vêtus de tuniques de couleurs claires (blanches, roses, jaunes) indiquant leur pureté. Seul Saint Michel revêt des couleurs plus foncées, mais son armure dorée, sa longue cape bleue et son bouclier marqué d'une croix rouge ne laisse aucun doute.

La composition adopte ensuite une disposition triangulaire pour aller de la tête de St Michel jusqu'aux angles inférieurs.

Les occupations de ces personnages sont très diverses. Certains luttent contre les anges qui les chassent. D'autres sonnent l'olifant, en réponse aux quatres anges qui le sonnent dans le ciel. Les détails insolites sont légions. Au bout de la cape de Saint Michel, deux animaux se tiennent mutuellement par la queue. Une autre étrange bestiole, coiffé d'un drap rouge noué, porte un couteau attaché à cette coiffe. Beaucoup ouvrent largement leur gueule. D'autres vont jusqu'à exhiber leurs entrailles ou leur anus.

Bruxelles Musée Oldmasters

Le dénombrement de Bethléem

Au premier coup d’oeil, un nombre remarquable d’éléments s’offre ici aux spectateurs. Pourtant, aucune impression de désordre ne perturbe la lecture de l’oeuvre. Foisonnante, elle séduit à la fois par son ampleur et par l’équilibre des couleurs et de la composition.

Le regard embrasse d’abord une vaste étendue enneigée, où chacun vaque à ses occupations. La curiosité du spectateur est ensuite happée par les différentes saynètes qui se chevauchent. Elles entourent le sujet principal qui donne son titre à l’oeuvre, leDénombrement de Bethléem. Mais ce sujet biblique ne serait-il pas finalement un prétexte ? N’y-a-t’il pas, comme souvent chez le maître flamand, plusieurs degrés de lecture possibles ?

Le point de vue, comme c’est souvent le cas chez Bruegel, est plus haut que la scène. Comme l’homme penché derrière un volet à l’avant-plan, l’artiste semble observer le village depuis l’étage d’un bâtiment. Avec lui, notre regard est emporté jusqu’à l’horizon, où le soleil se lève. La veillée de Noël commencera dans quelques heures. Partout chacun s'affaire, pris dans le cours de sa vie.

Tel un instantané, Bruegel capture sur le vif un village brabançon de son époque. Chaque personnage est représenté en pleine action.

Des enfants jouent à la toupie ou glissent sur l’eau gelée, tandis qu’un couple avance avec prudence sur la glace.

Anvers Mayer Van den Bergh

Margot la Folle

Margot la folle ou Dulle Griet, est une huile sur panneau de chêne (115 × 161 cm) de Pieter Brueghel l'Ancien, inspirée de Margot la Folle personnage du folklore gantois. Elle date probablement de 1562.

Cette œuvre est actuellement présentée au Musée Mayer van den Bergh à Anvers, qui est le seul des Flandres à posséder des œuvres de Pieter Brueghel l’Ancien. Contrairement à de nombreuses autres œuvres du peintre, il n’en existe aucune copie.

La peinture montre une paysanne, Margot la Folle, qui est à la tête d'une armée de femmes en route pour piller l'Enfer. Autour d'elle, les scènes de destruction dominent le paysage. L'attaque a été probablement menée par elle. La couleur dominante du tableau est le rouge des flammes.

Alors que ses compagnons d'armes féminines vandalisent une maison, Margot la Folle s'avance vers la bouche de l'Enfer au milieu d'un paysage peuplé de monstres tout droit sortis de l'univers de Jérôme Bosch. Ces derniers représentent les péchés qui sont punis.

Margot la Folle est vêtue d'une armure (un plastron, un gant et une cape en métal). Cette femme cuirassée et armée s'élance en avant ; elle tient des couverts et un coffret à la main. Margot la Folle a aussi un couteau qui pend du côté gauche tandis que sur le côté droit elle porte une épée qui peut faire allusion au dicton : « Il pouvait aller en enfer avec une épée dans sa main ».

Son costume militaire est parodié par un monstre posté derrière elle, portant un casque, et qui lève un pont-levis.

Naples Musée Capodimonte

La parabole des aveugles

Il s’agit d’une toile inspirée de la parabole des aveugles de l’Évangile de Mathieu: « Laissez-les : ce sont des aveugles qui guident des aveugles. Or si un aveugle guide un aveugle, tous les deux tomberont dans un trou ! » (Mt 15,14).

On y voit la procession de six aveugles marchant l’un derrière l’autre et chacun se guidant soit en déposant une main sur l’épaule de celui qui le précède ou en tenant son bâton. Le premier est tombé dans le fossé et bientôt le suivant fera de même. En regardant la scène tel qu’elle est représentée, nous pouvons supposer que tous les aveugles subiront le même sort que celui qui les «guidait».

Déjà avec le choix des couleurs : bruns, sombres et délavés, des couleurs froides pour le ciel, ainsi que les manteaux des aveugles, nous pouvons en conclure que nous sommes dans un univers tragique. Les aveugles sont seuls dans cette toile : aucun autre être vivant n’est présent, ils sont isolés par leur handicap et confinés sur un étroit sentier descendant. Les diagonales négatives les mènent vers le drame. Si un aveugle les conduit, on suppose qu’ils n’ont pas de choix… ils tomberont ! Peut-être sont-ils aussi inconscients du danger ? Du premier aveugle à gauche au dernier dans le fossé, on peut apprécier les différentes phases du mouvement de la chute. Le cinquième aveugle tourne ses orbites vides vers nous comme s’il voulait nous mettre en garde contre une telle tragédie : « Notre guide (que ce soit nos valeurs ou un être réel) est-il un incapable ? Nous guide-il vers la chute ? Nous-mêmes, sommes-nous aveugles ? Considérons-nous comme normal les injustices qui nous entourent ? »

Londres National Gallery

Adoration des Mages

Le point de vue adopté est légèrement plongeant, comme c'est souvent le cas chez Bruegel. L'Adoration se situe dans un cadre ouvert sur l'extérieur. La Vierge est assise devant une sorte d'étable aux grosses poutres de bois tordues. Un âne y broute du foin. L'horizon est obstrué par des curieux en armes.

L'Enfant occupe une place centrale. Les mages sont devant lui et les autres acteurs de la scène, secondaires, se pressent derrière, dans la grange ou à l'extérieur. Seul l'espace du premier plan est relativement dégagé.

Si les bruns dominent (grange, sol, manteau de Joseph et de deux spectateurs de la scène), ils sont contrebalancés par de nombreuses teintes claires et variées : vert, rose, rouge, bleu, blanc. Ses couleurs sont réservées aux personnages principaux, qui sont ainsi mis en valeur.

La Vierge est assise au centre de la toile. Elle est vêtue de rose et est enveloppée dans un long voile bleu. Sa tête et son cou sont couverts par un voile blanc. Entre tous ces tissus, son visage n'est qu'entr'aperçu mais il ne semble pas être d'une grande beauté. Ses paupières paraissent lourdes : on ne trouve pas ces traits fins et lisses, cet air grave et serein qui caractérisent généralement le visage de la Madone. Sa main droite est tendue vers les mages, peut-être pour recevoir leurs présents. Sa main gauche retient l'enfant qui gigote sur ses genoux.Celui-ci est posé sur un linge blanc. Il est nu et semble bien craintif, s'agrippant à la main de sa mère et se serrant contre elle.


Joseph est un homme corpulent à la barbe et aux cheveux blancs. Placé juste derrière la Vierge, il est vêtu d'un manteau brun clair sans apprêts. Il affiche un air débonnaire, n'observant la scène que du coin de l'oeil. Son attention est en effet requise par un homme qui lui chuchote à l'oreille. Cette absence totale de majesté et d'attention est contraire aux préconisations de la Contre-Réforme. Mais Bruegel a souhaité représenter Joseph comme un simple paysan de son époque et non comme un personnage sacré.


La peur de l'enfant semble bien naturelle lorsqu'on observe les visages grimaçants des deux vieillards qui se penchent vers lui. En effet, excepté le mage noir qui semble plus jeune, les mages paraissent âgés et leurs visages, longs et ridés, sont dépourvus de beauté. L'un est agenouillé devant l'enfant et lui tend une coupe d'or à trois lobes, emplie d'une substance probablement précieuse. Il porte une robe d'un vert sombre surmontée d'un manteau rose pâle, bordé de dorures et de fourrures. Un ceinture de médaillons d'or lui enserre la taille. Une grosse chaîne, toujours en or, entoure son col. Cette opulence ne masque pas les désagréments de la vieillesse. Ces cheveux filasses sont d'un blanc jauni, et son visage manque de fraîcheur.

L'autre vieux mage, que l'on voit de face, ne présente pas une meilleure figure, même si ces cheveux sont bruns et non blancs. Il est vêtu d'un grand manteau rouge qui semble moins luxueux que celui de son voisin. La coupe (col, manches bouffantes) paraît cependant recherchée. Il n'est pas à genoux mais s'incline fortement vers l'enfant pour lui présenter une coupe dorée, finement ciselée. A ces pieds est posé un chapeau noir cousu d'or, qu'il a probablement ôté par respect pour l'Enfant. Une épée et deux récipients en or gisent à côté.

Seul le mage noir reste debout, comme s'il attendait son tour. Il est entièrement vêtu de blanc, à l'exception de ces bottes rouges. Son manteau présente des franges et une étrange capuche terminée par des lambeaux de tissus. Son visage, très sombre, est difficile à discerner. Son front est ceint d'un bandeau blanc relevé de petits pics. Il tient à la main un étrange objet composé d'une coque de bateau doré, d'une coquille de nautile verte, d'un globe de cristal et d'une chaîne d'argent : il s'agirait d'un encensoir.

Madrid Prado

Le triomphe de la Mort

Vaste paysage apocalyptique constituant une allégorie de la mort, représentée sous différentes formes : combat, exécution, suicide, crime, etc. L'influence de Jérôme Bosch est évidente. Comme pour La chute des anges rebelles, outre les qualités esthétiques, l'intérêt principal aujourd'hui se situe dans la représentation du mental des hommes de l'époque. Imprégnés de religiosité, ils sont hantés par le mal et la douleur qui d'ailleurs sont omniprésents dans leur environnement (maladies, guerres, etc.. .)

Venise Musée Correr

L'adoration des mages en hiver

Il existe plusieurs versions de l’œuvre . On fait le compte : Bruegel a peint plusieurs tableaux représentant la scène de l’Adoration des Mages. Et l’Adoration des Mages dans un paysage de neige a ensuite été copiée plusieurs fois par son fils : il n’était pas rare qu’un peintre peigne plusieurs fois un même sujet, notamment religieux, sous des angles plus ou moins différents. Il n’était pas rare non plus que des peintres fassent deux versions (ou plus) d’un même tableau. Les raisons à cela étaient diverses : certains tableaux étaient des essais, d’autres des copies conçues pour la vente. Dans le cas de Bruegel l’Ancien, notons que son fils Bruegel le Jeune a pu réaliser des copies d’œuvres de son père, a priori pour satisfaire des commandes et, ma foi, il faut bien manger! Les talents d’imitateur de Bruegel le Jeune envers l’œuvre de son père sont souvent soulignés.

Berlin Gemaldegalerie

Les proverbes flamands

Également titré Le Monde renversé ou La Huque bleue, ce tableau est l'un des premiers où l'artiste laisse libre court à son regard mi-ironique, mi-poétique sur le monde qui l'entoure en représentant une profusion de petits personnages agités sur fond de paysage plus ou moins imaginaire. Il s'agit de l'illustration de proverbes courants à l'époque et connus de tous (de 85 à 118 proverbes sur le tableau !). Par exemple, au premier plan à droite, figure une roue avec un bâton illustrant l'expression encore en usage aujourd'hui : « mettre des bâtons dans les roues »

https://www.laboiteverte.fr/peinture-flamande-de-1559-illustre-120-proverbes/

Deux singes

Au xviie siècle, l'œuvre était plus connue sous le titre La Ville d'Anvers et les deux Singes, témoignage de l'importance accordée à cette vue de la ville à l'arrière-plan, ne serait-ce que pour identifier le tableau.

La restitution réussie de l'atmosphère brumeuse, au-dessus de l'Escaut est surprenante à une date aussi précoce que 1562. Les singes sont des mangabey couronnés, une espèce rare mais appréciée des collectionneurs d'animaux comme le cardinal de Granvelle. Dans le port d'Anvers on faisait le commerce d'animaux exotiques.

Vienne Kunsthistorisches

Jeux d'enfants

Les Jeux d'enfants, huile sur bois de 1560, frappent par l'architecture du tableau - bâtiments aux lignes franches, perspective volontaire où l'on a vu un rappel de l'art italien ou de Hans Vredeman de Vries en Flandre - et par le monde joyeux qui se construit en tous sens, celui de l'enfance, auquel on pourrait opposer la vision effrayante offerte par Le Triomphe de la Mort quelques années plus tard. Le thème, repris aux bréviaires, livres d'heures, calendriers, parallèle aux allégories du xvie siècle, infantia ou innocentia, se renouvelle par l'étonnante animation créée dans un site urbain, qu'envahissent quelque deux cent trente enfants et dont l'adulte est banni, à l'exception d'une femme jetant un seau d'eau sur deux garçons qui se battent, comme on le ferait sur des chiens trop excités.

Si les jeux sont identifiables (on en a dénombré près de 91), l'enfant n'est guère individualisé : une attitude, une expression le font vivre et le mouvement naît d'une ligne, d'une forme, d'une tache de couleur. Tel serait peut-être le caractère positif de ce grand tableau dont le titre,Khinderspill von Bruegel, figure en 1595 dans l'inventaire de la succession de l'archiduc Ernest qui l'avait acquis l'année précédente à Bruxelles. Carel van Mander mentionne également une œuvre avec tous les jeux d'enfants, et d'innombrables petites allégories. Ce dernier membre de phrase, qui peut se rattacher aux Jeux ou terminer une énumération, ouvre la porte à des lectures plurielles. En contrepartie à la simple et habile suite des quelque deux cent dix-huit divertissements de Gargantua que Rabelais aligne : au flux, à la prime, au renard, aux marelles, au poirier, à pimpompet, à colin maillard, à myrelemofle , aux croquinolles, à cul salé et jusqu'aux chiquenaudes on a vu chez Bruegel un prétexte à dénoncer la folie humaine.

On épingle, par exemple, la parodie du mariage au centre, un jeu de hasard au bas du tableau où une petite fille joue aux osselets, une huque bleue que porte un enfant dans la procession du baptême. Les essais d'interprétation de l'un ou l'autre groupe, isolés de leur ensemble, peuvent ouvrir la voie à une approche satirique. Mais quoi de plus innocent, inversement, que de jouer à la poupée, de courir après un cerceau, de jouer à saute-mouton, de marcher sur des échasses ou de faire des culbutes ? Certes, l'anonymat physionomique caractérise ces petits personnages ; on ne reconnaît pas Pierre de Paul ou Catherine de Marie, mais le monde enfantin n'est guère personnalisé et le vêtement, sauf ses couleurs, est quasi uniforme, s'il distingue les sexes. Cet univers de l'enfance semble bien réel. L'impression se renforce si on le compare à celui qui anime L'Âne à l'école. Les prétendus enfants y ont un air vieillot et leur physionomie est plus proche du cercle des adultes que de l'école primaire.

Vienne Musée de l'histoire de l'Art

La Tour de Babel

Après le Déluge, les hommes entreprennent la construction d'une immense tour dans le pays de Shinar. Son sommet doit toucher le ciel. Dieu les en empêche en brouillant leur langage (ils ne se comprennent plus) et en les dispersant sur toute la terre. Brueghel semble s'être inspiré du Colisée qu'il avait vu lors de son séjour à Rome. En bas à gauche, on aperçoit le roi Nemrod, le premier roi après le Déluge, selon la légende biblique, habillé à la mode de la Renaissance ce qui est une évocation du roi Philippe II d’Espagne qui régnait alors sur les Pays-Bas.

A l’horizon, la nature s’étend à perte de vue : champs, vallées, forêts, prairies et cours d’eau dressent le panorama des merveilles de notre Terre et soulignent la beauté de la création divine, en opposition à l’œuvre humaine gigantesque mais pourtant vaine.

Mais le plus intéressant dans ce tableau, ce sont ses très nombreux détails. Si vous prenez le temps de l’étudier de près, vous remarquerez des tas de personnages en train de s’affairer sur et autour de la tour.

En représentant les nombreux ouvriers de la tour, Brueghel a surtout dressé une représentation merveilleuse des artisans de la ville d’Anvers au XVIe siècle. Regardez bien : vous y verrez de nombreuses techniques, plusieurs corps de métiers (tailleurs de pierre, maçons…) ainsi que des machines de construction.

Le mur d’enceinte qui entoure la ville est celui d’Anvers où vivait Brueghel. La ville était alors une puissante cité en pleine expansion qui accueillait de nombreux voyageurs et faisait donc face à un important mélange des langues. Il est possible que l’artiste se soit interrogé sur les ressemblances entre Babel et Anvers.

Chasseurs dans la neige

Ce tableau hivernal de Breughel l'Ancien est l'un des plus célèbres paysages de neige de l'histoire de la peinture. Les flocons ne tombent pas, comme dans d'autres tableaux, mais de nombreuses nuances de blanc, où dominent les teintes vertes, suggèrent avec vraisemblance l'atmosphère d'une campagne enneigée depuis fort longtemps. Toits, branches d'arbres et murs permettent au peintre de conférer à la neige des qualités plastiques.

Au premier rang, il dispose des ronces qui percent le manteau neigeux et en laissent deviner le poids. S'en revenant de la chasse avec leurs chiens, des hommes laissent dans la neige de profondes traces de pas. Leur descente vers la vallée accompagne le regard du spectateur qui y découvre une multitude de scènes hivernales : de divers jeux sur un étang gelé, à un feu de cheminée.

À l'horizon, sur la droite, des rochers escarpés font contrepoint à la diagonale de la colline au premier plan et marquent de leurs formes minérales le caractère rebutant de l'hiver.

Le Repas de noce

Le Re­pas de noces a été conçu par Brue­gel en 1568. En re­pré­sen­tant le monde pay­san dans cette toile et dans bien d’autres (LaDanse de la ma­riée en plein air, Tête de pay­sanne, La Danse des pay­sans), Brue­gel se sin­gu­la­rise. Le monde ru­ral n’est pas un su­jet à la mode et fait plu­tôt l’ob­jet de sar­casmes. Si les in­ten­tions de Brue­gel ne sont pas tout à fait lim­pides, il est fort pro­bable qu’il n’est pas mon­tré le monde pay­san comme un re­pous­soir mais plu­tôt comme une com­po­sante de la so­cié­té, qu’il tente de pré­sen­ter avec réalisme.

A cet in­té­rêt presque so­cio­lo­gique s’a­joute un goût de la pa­ro­die. En voyant l’é­chan­son ver­ser le vin dans des cruches, on ne peut s’empêcher de pen­ser à une toute autre cé­ré­mo­nie, celle des Noces de Ca­na, re­pré­sen­tées par Vé­ro­nèse ou le Tin­to­ret. Ici les noces sont plus simples et sans miracle.

Le re­pas de noces est or­ga­ni­sé dans une vaste grange. L’ im­mense table de bois, qui ne semble pour­tant pas suf­fire à ac­cueillir la foule de cu­rieux qui se pressent à la porte, est cou­verte d’une nappe blanche. Toutes sortes de sièges ont été ali­gnés au­tour d’elle : des bancs en bois clair, l’un avec dos­sier, des chaises, des tabourets. Le dé­cor de la pièce est presque in­exis­tant. Les poutres ont pour fonc­tion de sta­bi­li­ser les murs et n’ont pas de vo­ca­tion dé­co­ra­tive. Les deux gerbes et le râ­teau ac­cro­chés au mur évoquent la des­ti­na­tion pre­mière de cette grange et les tra­vaux en cours. Seul le drap vert ten­du der­rière la ma­riée montre un sou­ci d’ornement.

L a danse des paysans

Si la fête se déroule bien dans une rue de village, la disposition des tables et du terrain de danse serait tout à fait envisageable dans un espace fermé. Le mouvement est introduit dans la composition par la droite, où un vieux paysan entraîne derrière lui sa partenaire. Ses jambes dérogent volontairement aux règles de l'anatomie, de façon à donner une impression de vitesse.

C’est avec de telles compositions à grands personnages que Brueghel l’Ancien s’est inscrit dans notre mémoire visuelle. Pourtant, il n’a que rarement peint de telles figures, et uniquement dans ses dernières années.

Le paysan et le voleur de fruits

L'arrière-plan est soigneusement décrit : les activités de la ferme, avec ses volatiles, ses chevaux qu'on rentre à l'étable. Les commentaires sur le tableau citent souvent un troisième personnage, mais je me demande s'il ne faudrait pas en compter quatre : un dans le verger à gauche, et peut-être un autre sous l'arbre central, sur une charrette.

Mais ce qui frappe ici, c'est avant tout cet homme au premier plan. Dans les tableaux, les regards sont toujours intéressants, et les mains qui montrent encore davantage. C'est une espèce de mise en abyme dans le tableau : le peintre donne à voir, et à l'intérieur, un personnage le fait aussi.

L'homme en question, c'est un paysan en blouse, ses outils à la ceinture, un à la main, pris dans une position dynamique, comme s'il était en train d'avancer. Un peu le même procédé que le danseur dans la Danse des paysans. Pour montrer, il croise le bras devant la poitrine et désigne du regard, mais sans tourner la tête : c'est clairement à nous que s'adresse la mimique.

En outre, il est mis en scène comme si un projecteur (inconnu à l'époque, cela va sans dire) traçait un cercle de lumière, dont il est prêt à sortir.

Pourquoi tant d'effet pour montrer un jeune homme grimpé à un arbre ?

En résumé, on y voit parfois une métaphore grivoise ; une opposition sur l'âge des deux personnages, le plus grand regrettant de ne pouvoir agir comme le plus jeune ; ou alors se préparant à lui infliger une correction. Cette dernière proposition me paraît peu logique ; même si le manche est tenu fermement, il est dirigé vers le bas, et l'expression du paysan ne me semble pas particulièrement vindicative.

Le Massacre des innocents

Comme pour d'autres épisodes tirés des Évangiles, Brueghel choisit de représenter le Massacre des innocents dans un cadre contemporain et quotidien. Sous un ciel radieux, dans un très beau paysage couvert de neige, un village flamand est livré à la violence aveugle des soldats chargés de massacrer tous les nouveau-nés de sexe masculin. L'effet d'ensemble produit par le décor masque au premier regard l'atrocité de la scène qui ne se dévoile que progressivement lorsque, à y regarder de plus près, le spectateur découvre des mères éplorées ou hagardes, serrant contre elles des petits cadavres désarticulés et sanguinolents, des parents suppliants ou tentant de défendre ou de cacher quelques enfants encore en vie et, par contraste, l’impassibilité des soldats en armure, groupés en rang serré au fond de la place du village.

Si le choix de placer la scène dans un cadre contemporain en accroit l’impact dramatique, il en accroit aussi l'actualité. Or, Brueghel peint ce tableau alors que le duc d'Albe a été envoyé en Flandres par Philippe II d'Espagne pour rétablir l'ordre après des révoltes protestantes. Brueghel aurait dès lors utilisé le thème du massacre des innocents pour dénoncer les exactions des troupes espagnoles, célèbres par leur brutalité

Le tableau a été abondamment copié par Pieter Brueghel le Jeune et son atelier quelques décennies plus tard et l’identification du tableau original parmi les nombreuses versions qui nous sont parvenues n'a pas été chose facile. Plusieurs versions proches les unes des autres pouvaient en effet y prétendre, parmi lesquelles la version appartenant à la Royal Collection, mais aussi celle conservée au Kunsthistorisches Museum de Vienne ou celle de la collection Brukenthal à Sibiu. Aujourd’hui, il y a consensus pour admettre que le prototype autographe de Bruegel l’Ancien est le tableau de la Royal Collection conservé à Windsor. Malheureusement, cette œuvre nous est parvenue très altérée.

La Rentrée des troupeaux

La rentrée des troupeaux ne trouve pas ses origines dans les calendriers flamands. Peut-être Brueghel l'Ancien combine-t-il ici son expérience des paysages alpins, avec l'intention convaincante, du point de vue de la composition de peindre un paysage de montagne à l'automne. De fait, il relègue au second plan les traditionnelles vendanges, et leur accorde peu d'espace. L'orage qui s'approche tire une grande partie de ses effets des montagnes se dressant devant lui. Le troupeau de vaches se dirigeant vers le village constitue une de ses créations les plus libres. Vues de dos, les bêtes apparaissent proportionnées au chemin forestier et leur fourrure est rendue par un sens consommé de la matière par de fines couches de couleurs transparentes. S'il fallait décider quel tableau de la série des mois a été exécuté en dernier, ou du moins par la main la plus rapide et expérimentée, on pourrait bien s'accorder sur ce paysage de fin d'automne.

Le Combat de Carnaval et Carême

Le Combat de Carnaval et Carême est un tableau peint à l'huile par Pieter Brueghel l'Ancien en 1559, qui représente une lutte (festive et symbolique) traditionnelle de l'époque, où deux chars et deux personnages étaient chargés d'incarner le contraste entre deux thèmes : le mardi gras (= Carnaval, c'est-à-dire étymologiquement « adieu à la viande ») et le mercredi des Cendres (= Carême, où seule la consommation de poisson était autorisée). Ces deux défilés rivaux devaient finalement s'affronter : le tableau dépeint le moment où ils vont croiser leurs lances respectives, sur une place du marché très animée.

De manière plus symbolique, le tableau peut se comprendre comme le partage de la société villageoise flamande entre deux tentations distinctes :

– la vie tournée vers le plaisir - dont le centre est l'auberge située à gauche du tableau ;

– l'observance religieuse - dont le centre est la chapelle à droite du tableau

mais aussi entre deux religions s'opposant en 1559 : le protestantisme, qui fait fi du Carême, et catholicisme, qui le respecte. Il faut néanmoins noter que la « confrontation » entre les deux défilés de chars est dénuée de toute agressivité. Il s'agit davantage ici du respect des temps religieux : Carnaval semble laisser place à Carême comme les festivités liées à la célébration du Carnaval laissent place à celles liées au Carême dans le déroulement de l'année.

Vienne Musée Albertina

Le peintre et l'acheteur

Le caractère déroutant de ce dessin a déjà donné lieu à une grande variété d'interprétations, mais son contenu peut être largement pris pour argent comptant : l'œuvre traite du monde de l'artiste et de l'acheteur, où la grande distance qui les sépare devient évidente dans leurs physionomies, vêtements et actions disparates. L'artiste, complètement absorbé par son travail, a fixé son regard sur un point situé en dehors du tableau. Que Brueghel se soit représenté sous l'apparence d'une personne indifférente à sa propre apparence, ou qu'il veuille dépeindre les caractéristiques élevées d'un peintre spiritualisé et surnaturel, est discutable. L'acheteur à ses côtés forme un contraste net.L'homme imberbe et aux lèvres fines qui attrape facilement son sac d'argent représente le monde matériel des finances. Les lunettes de l'acheteur font référence à la mauvaise vue du « connaisseur », dont l'expression débile est encore renforcée par sa bouche, qui est bouche bée.

Typique de Brueghel est la vague constellation spatiale des figures. L'artiste se tient devant l'acheteur, plus grand que l'artiste et dont la tête apparaît pourtant plus proche du spectateur. On ne sait pas à quoi le dessin était destiné. Il est concevable qu'il ait été réalisé comme une œuvre autonome, soit pour l'usage personnel de l'artiste, soit comme cadeau offert à un particulier. En tout cas, il semble avoir été très connu au XVIe siècle, car pas moins de quatre répétitions ont été conservées.

Winterthur Coll. Oskar Reinhart

L'adoration des mages en hiver

L'Adoration des mages dans un paysage d'hiver est un tableau peint par Pieter Bruegel l'Ancien en 1563. Il est conservé au musée Oskar Reinhart « Am Römerholz » à Winterthouren Suisse. Il existe plusieurs versions de l’œuvre . On fait le compte : Bruegel a peint plusieurs tableaux représentant la scène de l’Adoration des Mages. Et l’Adoration des Mages dans un paysage de neige a ensuite été copiée plusieurs fois par son fils : il n’était pas rare qu’un peintre peigne plusieurs fois un même sujet, notamment religieux, sous des angles plus ou moins différents. Il n’était pas rare non plus que des peintres fassent deux versions (ou plus) d’un même tableau. Les raisons à cela étaient diverses : certains tableaux étaient des essais, d’autres des copies conçues pour la vente.

Budapest Musée des Beaux Arts

La Prédication de saint Jean-Baptiste

Ce n'est qu'à partir du xvie siècle que saint Jean-Baptiste est figuré en prédicateur. Il se tient ici loin à l'arrière plan, mais l'attention dont il fait l'objet et la tribune que lui offre la nature pour prêcher suffisent à le mettre en évidence. De la main gauche, il semble annoncer l'importance de Jésus qui se tient légèrement à l'écart. Jean est ainsi représenté à la fois en prédicateur ambulant, maître de Jésus, et prophète annonçant la venue du Messie.

New York Metropolitan

La Moisson

La Moisson ou Les Moissonneurs est un tableau peint par Pieter Brueghel l'Ancien en 1565. Il est conservé au Metropolitan Museum of Art à New York. Il fait partie d'une série de 6 tableaux sur les saisons.

La période de la moisson est clairement fixée et correspond au mois d'août dans tous les calendriers flamands. Mais comme le tableau présente de toute évidence une abondance de fruits mûrs, on est ici sans doute en présence d'une représentation d'août et de septembre. En effet généralement connu pour être le mois des fruits, ce dernier était aussi figuré comme tel. Du plan le plus rapproché à la portion la plus reculée, du paysage, Brueghel l'Ancien ponctue sa représentation du plein été de plusieurs scènes annexes : une cruche reposant au frais à l'ombre des blés, deux cailles s'envolant, effrayées par le bruit des faucheurs, trois servantes portant des gerbes de blés vers le chariot de la moisson, un étang avec des baigneurs et à l'arrière, un verger flanqué sur sa droite d'un pacage de village où s'ébattent des joueurs.

Pieter Brueghel le Jeune


Venise Musée Correr

L'adoration des mages en hiver

Il existe plusieurs versions de l’œuvre . On fait le compte : Bruegel a peint plusieurs tableaux représentant la scène de l’Adoration des Mages. Et l’Adoration des Mages dans un paysage de neige a ensuite été copiée plusieurs fois par son fils : il n’était pas rare qu’un peintre peigne plusieurs fois un même sujet, notamment religieux, sous des angles plus ou moins différents. Il n’était pas rare non plus que des peintres fassent deux versions (ou plus) d’un même tableau. Les raisons à cela étaient diverses : certains tableaux étaient des essais, d’autres des copies conçues pour la vente. Dans le cas de Bruegel l’Ancien, notons que son fils Bruegel le Jeune a pu réaliser des copies d’œuvres de son père, a priori pour satisfaire des commandes et, ma foi, il faut bien manger! Les talents d’imitateur de Bruegel le Jeune envers l’œuvre de son père sont souvent soulignés.