D - Moyen âge Germanique

Le Moyen Age

Dès le XIVe siècle, des écoles fleurissent à Prague, à Nuremberg, à Cologne surtout. L'école de Cologne a produit des oeuvres d'une candeur d'expression et d'une fraîcheur de coloris exquises. Stephan Lochner (mort en 1452) en fut le maître par excellence (ses oeuvres se trouvent à la cathédrale et dans les musées de Cologne). Ces mêmes qualités, avec un remarquable don d'expression dramatique, se retrouvent chez un peintre qui travailla à Hambourg, dans la première moitié du XVe siècle, maître Francke (ses oeuvres sont à la Kunsthalle de Hambourg). Martin Schongauer, de Colmar (vers 1450-1491), peut-être élève de Van der Weyden, outre quelques tableaux, a laissé de nombreuses gravures burinées avec fermeté et souplesse. L'Allemagne a disputé, non sans raison, à l'Italie l'honneur d'avoir pratiqué la première la gravure sur cuivre; des artistes habiles en ce genre avaient même précédé Martin Schongauer.

Maître Francke

C'est un des représentants les plus originaux du Gothique international allemand. Il réinterprète les formes d'un style courtois dans le sens d'un expressionnisme religieux, où il traduit directement ses méditations sur la Passion ou la vie des saints.

Maître Francke est un moine dominicain et peintre de retables, représentatif du style gothique international du début du XVᵉ siècle en Allemagne.

On ne possède sur lui que très peu de documents : c'est un moine dominicain — ce qui explique que son nom ne figure sur aucun registre municipal — originaire de Zutphen en Gueldre, où il serait né v. 1380-1390 ; il peint pour la cathédrale de Münster 2 panneaux de la Vierge et de saint Jean-Baptiste, sans doute av. 1420 (détruits) ; en 1424, il passe contrat d'un retable pour l'église Saint-Jean de Hambourg avec la confrérie des Englandfahrer, retable conservé et qui a permis le regroupement stylistique du reste de son œuvre ; puis, sa célébrité se répandant autour de la Baltique dans les villes affiliées à la Hanse, il peint en 1429 un retable pour la confrérie des Têtes-Noires de Reval en Estonie (détruit).

Son œuvre se compose de 2 tableaux représentant l'Homme de douleur (musées de Leipzig et de Hambourg) et de 2 grands retables à volets : le Retable de sainte Barbe (musée d'Helsinki), sans doute exécuté pour la cathédrale du port hanséatique d'Åbo en Finlande, comporte un intérieur sculpté probablement dans l'atelier du peintre, ou sur ses dessins, et des doubles volets peints avec 8 scènes de la vie de sainte Barbe ; du Retable des " Englandfahrer ", dit " retable de saint Thomas Becket " (musée de Hambourg), incomplètement conservé, il subsiste un fragment du panneau central peint (Crucifixion) et, des doubles volets, 4 Scènes de la Passion sur fond d'or, 2 Scènes de l'enfance du Christ et 2 Scènes de l'histoire de saint Thomas Becket sur fond rouge étoilé.

On a considéré, depuis B. Martens (1929) et Stange (1938), le Retable de sainte Barbe comme un ouvrage des débuts du peintre, qui se serait formé au contact intime de la miniature française, dans un esprit ouvert au monde extérieur, et s'en serait détourné ensuite dans le Retable de saint Thomas pour se limiter à l'essentiel et exprimer, avec des moyens réduits, une vision subjective personnelle. Mais il convient de préférer une chronologie différente qui donne une plus juste idée d'un peintre médiéval évoluant vers le réalisme sous les diverses influences artistiques de son époque.

Il semble que son origine gueldroise ait été déterminante dans son œuvre : il trouvait là un répertoire iconographique particulier et surtout un climat d'expressionnisme mystique traduit artistiquement dans un récit simplifié et efficace. En outre, il subit en Gueldre l'influence du style gothique international franco-flamand, largement importé grâce à la duchesse Marie de Gueldre, princesse française ; il emprunte aux manuscrits des environs de 1410, connus directement ou par des recueils de modèles, des motifs de détail ou des formules de composition. Son goût de l'expressivité par les formes simples et d'un espace plat réduit au jeu des personnages le rapproche des premières œuvres des frères Limbourg (Belles Heures). En Westphalie, il apprend la version allemande du Gothique international, particulièrement devant le Retable de Wildungen de Conrad de Soest, à qui il emprunte la composition de sa Crucifixion et les types des visages, des mains et des plis. De cette époque datent l'Homme de douleur de Leipzig (v. 1420), le Retable de saint Thomas (1424), que l'ignorance de l'anatomie et du modelé, les plis fluides, la calligraphie, la composition sans profondeur obligent à placer tôt dans la carrière du peintre. Puis il perfectionne sa connaissance de la peinture occidentale ; le Retable de sainte Barbe (v. 1430-1435) et l'Homme de douleur de Hambourg (v. 1435-1440) montrent un goût nouveau pour le volume, le modelé, les plis gonflés et lourds, les paysages mieux structurés. La carrière de Francke se situe ainsi à mi-chemin du Gothique international tardif et du futur réalisme. Peintre régional, monacal et d'une inspiration toute personnelle, il n'a pas fait école ; cependant, plusieurs retables en Basse-Allemagne ou dans des villes hanséatiques rappellent ses formes, ses motifs, son mode de récit expressif et ramassé, et les prolongent, comme chez Johann Koerbecke, dans le courant réaliste au-delà du milieu du xve s.

Martin Schongauer

Martin Schongauer (Colmar, vers 1445 – Vieux-Brisach, 1491) est l’un des plus grands graveurs et peintres rhénans de la fin du 15e siècle. Paradoxalement, le manque d’archives et de témoignages écrits a rendu délicate la reconstitution de sa vie et en particulier de sa formation artistique.

Il est né à Colmar vers 1445 dans une famille originaire de Schongau, au sud de la Bavière. Son père Caspar est orfèvre et s’établit à Colmar en mai 1440. Des cinq fils Schongauer, Jörg, Caspar le jeune et Paul embrasseront la profession du père, tandis que Ludwig et Martin choisiront le métier de peintre. Autour de 1460, le jeune Martin reçoit une solide formation dans l’atelier paternel, où la rigueur et la précision du métier d’orfèvre auront une influence majeure sur sa maîtrise future de la gravure au burin. Il entame ensuite son apprentissage de peintre, avant de partir en octobre 1465 pour l’université de Leipzig. En chemin, il s’arrête à Nuremberg, où il fréquente l’atelier de Hans Pleydenwurff (actif de 1457 à 1472). Là, il est confronté à des modèles fortement inspirés des maîtres de l’art flamand. Au retour, il est possible que le jeune artiste ait pris une route plus à l’ouest et soit passé par Cologne avant de rejoindre les Pays-Bas méridionaux où il a pu observer directement l’art des primitifs flamands.

Son style, forgé au cours de ses voyages, offre un bel équilibre entre le naturalisme, apporté par les flamands, et la douceur idéale des peintures du Rhin supérieur dans la première moitié du 15e siècle.

Stefan Lochner

L’œuvre de Stefan Lochner apparaît comme l’alternative nordique à celle de Fra Angelico. Cet art transitoire entre le gothique international et l’art de la Renaissance conserve l’ingénuité du style ancien mais cherche cependant à utiliser les innovations autorisées par la technique de la peinture à l’huile. Certaines œuvres de Robert Campin et de Jan Van Eyck étaient connues à Cologne dès 1440 et ont suscité l’admiration.

Les détails végétaux (fleurs, feuilles) étaient déjà traités avec minutie par le gothique, mais les figures restaient très idéalisées, surtout lorsqu’elles concernaient la noblesse. Chez Lochner, l’influence flamande apparaît dans le réalisme des figures, dont l’expressivité constitue une innovation.

Stefan Lochner est probablement né à Meersburg, petite ville située sur les bords du lac de Constance, à la frontière actuelle entre la Suisse et l’Allemagne. Il existe des documents évoquant son talent dès son plus jeune âge et les historiens supposent donc qu’il aurait appris à peindre avec un maître de la région du Haut-Rhin. Les peintres étaient à cette époque des artisans dont la formation relevait du compagnonnage. Ils devaient faire un voyage, le tour, pour fréquenter différents ateliers et se familiariser avec des pratiques professionnelles diversifiées. Selon les historiens, Lochner aurait pu entrer en contact avec les frères Limbourg, auteurs des Très Riches Heures du duc de Berry, l’un des chefs-d’œuvre du manuscrit enluminé de style gothique international. L’hypothèse a également été faite qu’il aurait travaillé avec Robert Campin, le Maître de Flémalle.

La vie de Stefan Lochner (parfois écrit Stephan Lochner) est très mal connue. Il n’apparaît dans l’histoire de l’art qu’au 19esiècle lorsque l’historien allemand Johann Jakob Merlo (1810-1890) établit un lien entre une annotation figurant dans le journal de voyage d’Albrecht Dürer et le Retable des saints patrons de Cologne. Dürer avait noté dans son journal qu’il avait dû payer cinq pfennigs d’argent pour obtenir l’ouverture du retable réalisé par « Maister Steffan » et se trouvant alors dans la chapelle de l’Hôtel de ville. La recherche historique attribua ce retable à un certain Stefan Lochner, documenté à Cologne entre 1442 et 1451.

Aucune des œuvres de Lochner n’étant signée, il a fallu procéder aux attributions sur des critères techniques et stylistiques. Mais ce peintre de la fin du gothique international est désormais sorti de l’ombre.

Pourquoi Lochner s’installe-t-il à Cologne ? La réponse est très simple. Au milieu du 15e siècle, la ville de Cologne est la plus importante et la plus riche du Saint-Empire romain germanique. Ville marchande et centre financier, elle dispose des ressources et des commanditaires pour la création artistique. Lochner accède rapidement au succès à Cologne car il apporte avec lui les innovations stylistiques et techniques de la peinture flamande : le réalisme de Campin et Van Eyck et la maîtrise de la peinture à l’huile. Les artistes plus anciens, cantonnés dans le gothique international, vont apparaître dépassés.

Les documents historiques font état d’un Stefan Lochner à partir de 1442. Il est marié à une certaine Lysbeth, mais rien n’indique que le couple ait eu des enfants. Il achète une maison à Cologne vers 1442 puis deux autres propriétés en 1444. Son succès artistique est donc attesté par cette bonne situation financière. En 1447, la guilde des peintres de Cologne le désigne comme représentant au conseil de la ville, ce qui suppose de devenir bourgeois de Cologne, c’est-à-dire citoyen de la ville, et de payer pour acquérir ce statut.

Lochner est aussi devenu célèbre pour le traitement des grandes capes ou manteaux dont il revêt ses personnages. Il marque fortement les plis des vêtements.

En 1451, une épidémie de peste se répand dans la région. Elle atteint Cologne et les victimes sont si nombreuses que le cimetière ne peut les accueillir toutes. De nombreux corps sont brûlés. Plus aucune trace de Stefan Lochner ni de sa femme n’apparaissent dans les documents de l’époque après 1451. Ils sont donc très probablement morts de la peste.