Légende de St Gobiet

Sur la droite du vieux chemin qui conduit de Soulme à Omezée, se trouve une fontaine qui porte le nom de Saint Gobiet. D'après la légende, ce saint, pauvre et loqueteux, serait venu à Soulme mais n'aurait pas trouvé à se loger. Il aurait passé la nuit à cet endroit et, plantant son bâton, aurait fait jaillir une source. Son bâton aurait pris racine et aurait donné naissance à un tilleul...

Dans le patois local, le mot "gobieux", d'origine celtique, très proche de "Gobiet", désigne un mendiant, un "gobeur", qui avale sans discernement tout ce qu'il trouve. Les premiers évangélisateurs qui parcouraient notre pays étaient d'ailleurs très souvent victimes de l'opiniâtreté et de la résistance des villageois.

La même mésaventure semble être arrivée à saint Martin à Horion en Hesbaye. Dans "La vie de saint Materne, apôtre de Namur" qu'il publia à Namur en 1694, J.Dupont, chapelain de la collégiale de Namur, raconte en effet que les habitants d'Horion chassèrent le saint

"... avec opprobe et avec menace de la charger de coups s'il avoit encore la pensée d'y revenir. Ce saint homme ne sachant où donner de la tête, nul n'osant le recevoir dans sa maison, de peur de s'attirer la fureur de cette populace mutinée, il se vit obligé de se retirer avec ses prêtres sur un rocher afin d'y prendre un peu de repos pendant la nuit."

La légende de Saint Gobiet est très semblable à celle de Saint Hadelin, fondateur du monastère de Celles, qui nous est relatée dans la "Vie de Saint Hadelin", texte du Xème siècle. Le miracle de Saint Hadelin se situe à Franchimont au VIIe siècle: lors d'une sécheresse catastrophique, il aurait fait jaillir une source avec son bâton. Cette source est toujours visible en contrebas de l'église de Franchimont.

Non loin de Soulme, la source de St Hadelin à Franchimont aurait donné naissance à une légende identique à celle de St Gobiet.

D'autres légendes attachées à Saint Martin, évangélisateur accompli, sont également très semblables: à Jannée (Pessoux), il se reposa au bord d'une source qui porte son nom et l'anneau taillé dans le roc où il a attaché sa monture; à Horion, il fut chassé par les habitants résistants à la religion chrétienne et menacé de coups.

Ce type de légende est rattaché aux premiers évangélistes qui avaient fait vœux de pauvreté et se déplaçaient dans la région pour prêcher et convertir les paysans. Saint Gobiet serait donc, sans doute, l'un de ces prêtres mendiants qui serait passé à Soulme et y aurait baptisé les premiers chrétiens vers le VIIe siècle.

La fontaine de Saint Gobiet en 2019.

Le symbole du bâton planté donnant naissance à un tilleul se rattache à la croyance selon laquelle les saints auraient créé des forêts. Ainsi, saint Waast aurait planté en terre un bâton qui devint un énorme tilleul dont les graines, dispersées au vent, donnèrent naissance à la forêt de Wardes-en-Vexin. Afin de se faire accepter plus facilement, les premiers moines évangélisateurs savaient donc rattacher le nouveau culte chrétien au culte des forêts, des bois et des arbres des ancêtres païens.

Lors du Concile de Tours en 567, l'Eglise dogmatique essaya en vain de supprimer le culte rendu aux arbres, aux sources et aux pierres. En 789, on essaya de nouveau d'interdire ces pratiques d'un paganisme révolu en interdisant de vénérer les bois sacrés, de faire des sacrifices près des sources et sur les rochers.

Devant l'impossibilité de faire disparaître totalement les cultes païens qui subsistaient dans les traditions, les hommes d'Eglise se résolurent à adopter une autre tactique. C'est ainsi que saint Augustin écrivit:

" Il en est des bois sacrés comme des gentils; on n'extermine pas ces derniers, on les convertit, on les change. De même, on ne coupe pas les bois sacrés, on fait mieux: on les consacre à Jésus-Christ."

C'est la raison pour laquelle les traditions attachées aux sources, aux rochers, aux arbres et aux forêts ont subsisté jusqu'à nos jours, donnant bien souvent lieu encore à certains cultes.

La fontaine de Saint Gobiet en 2019 se prolonge par une roue à aubes dont la fonction reste une énigme.

Références:

Félix Rousseau - Tradition Wallonne - Légéndes et coutumes au Pays de Namur - Ministère de la Communauté française de Belgique - Bruxelles 2006 - page 216