1057 - Soulme et Florennes

1057 - Soulme entre dans le patrimoine de Florennes.

Le premier texte faisant allusion au territoire de Soulme date du 16 février 1057 et est signé de la main de Théoduin, évêque de Liège, qui ratifie un échange entre Otbert, l'un de ses chevaliers, et l'abbaye Saint-Jean de Florennes qui cède la ville de Lesve contre le bénéfice de Soulme. Dans cet acte, Lesve (commune de Profondeville) est dénommée Layba. A cette date, Soulme entre donc dans le patrimoine de Florennes.

Dans cette charte épiscopale, il est question d'une "warra contra episcopatum" (une guerre contre l'évêché) qui a dévasté la région de Soulme. Il s'agit d'une attaque en provenance du comte de Hainaut qui voulait porter atteinte aux intérêts de l'évêque de Liège. Il faut dire que ce Théoduin avait aussi détruit quelques châteaux hennuyers...

Quant à Otbert, il dénommé "miles meus" (mon soldat), c'est-à-dire qu'il est vassal de l'évêque Théoduin. Ce personnage pourrait éventuellement être assimilé à celui qui devint évêque sous le même nom de 1091 à 1119 et qui fut l'une des plus intéressantes figures de l'épiscopat liégeois mais dont on ignore malheureusement l'origine.

L'abbaye a cependant quelques objections à formuler à cette acquisition car le village, trop éloigné des châteaux, était constamment pillé, désolé et dévasté par les armées en guerre contre le sud de la principauté de Liège.

L'abbaye de Florennes s'incline cependant devant la décision de Théoduin qui, le 16 février 1057 cède à l'abbaye:

... lotum ipsum beneficium de Soulmes cum familia et ecclesia silvis, aquis, terris, cultis et incultis omnibusque appenditiis totius ville et ecclesie, liberum est ante semper fuerat ab anni amnino tam advocati quam comitis districtione.

(Berlière: Documents inédits - T.1, p.16)

... le bénéfice de Soulme entre dans le patrimoine de l'abbaye de Florennes avec les bois, les eaux, les terres cultivées ou incultes appartenant aux familles et à  la communauté, ainsi qu'avec toutes les dépendances du village et de cette communauté.

Pour autant que je m'en souvienne, ce village a toujours été libre auparavant, mais moi, évêque de Liège, ait été si souvent appelé en consultation à son sujet que je considère qu'il peut être incorporé à mon district.

Dans les archives de l'abbaye de Florennes (Extrait des Archives de l'Etat à Namur - Archives ecclésiastiques, n°2654), on relève le texte suivant:

L'an 1057 par l'entremise de (Théoduin), évesque de Liège, a esté attesté entre l'abbé et Otbert, soldat dudit sérénissime évesque, ensuitte duquel ledit Prélat a cédé audit Otbert le lieu de Laÿve et en contréchange ledit Otbert a transporté audit Rd Prélat le village de Saulme avec touttes ses dépendances, bois, terre, eaues et annexes, libres de tout service du comte et advoué.

Dans son Histoire généalogique de la maison de Rumigny-Florennes, le chanoine C-G Roland mentionne aussi le texte suivant issu des archives de Florennes:

L'an 1057, Diethwinus, évesque de Liège, se trouvant importuné par Otbert, son soldat, et aultres amys d'icelluy, afin qu'il vouldroit employer son crédit vers l'abbé de Florines pour l'induire à amener à l'eschange de Layve (venant de l'évesque Gérard et de ses frères) avec son bénéfice de Soulmes, et pour cet effet s'estant adressé audit abbé, il y réussy, quoique avec grande difficulté pour raison que ledit lieu de Soulme spectant * audit Otbert estoit exposé au ravage des guerres et que celuy de laive en estoit à couvert à la faveur de la ville de Fosse, de sorte que ledit eschange fut arresté, ledit Otbert ayant cédé ledit bénéfice de Soulme, (...) et en réciproque ledit abbé lui céda ledit lieu de Layve.

* Note: spectant = appartenant

Il y a lieu de noter que Lesves, près de Profondeville, appartenait alors aux dotations de l'abbaye de Florennes et avait été cédé par les fils de Arnoul, seigneur de Florennes, et de Ermentrude d'Ardenne, leur fille Alpaïde ayant cédé ses droits à un monastère bénédictin de Gand dans un acte du 2 avril 1021.

L'empereur d'Allemagne confirma cet échange la même année:

Ledit an 1057, ledit echange at esté confirmé par l'empereur Henry.

A partir de cette date, à Soulme comme dans ses autres domaines de la région (Vodelée, Mazée, Corenne, Hemptinne, Villers-le-Gambon et Jamiolle) l'abbaye pourra nommer maire, justicier et sergent, avoir haute, moyenne et basse justice, recevoir le serment des bourgeois, percevoir les lods (droits de mutation payés par l'acheteur en cas d'aliénation d'une censive), terrages (droits de prélever des produits de la terre), cens seigneuriaux (quotités d'imposition), droits pour boutiques, percevoir les afforages (taxes sur certaines productions) par moitié avec l'avoué, les tonlieux (impôt sur le transport et l'étalage des marchandises), 2/3 des mortemains (droits de succession), l'autre tiers étant perçu par l'avoué.

L'abbaye de Florennes, planche tirée des "Délices du Pays de Liège" de Saumery (1738 -1744), gravure de Remacle Leloup (rééditée par le Musée de Cerfontaine en 1976).

La ferme de l'abbaye de Florennes est le seul vestige qui reste aujourd'hui de l'ensemble des bâtiments détruits à la Révolution française et dont le terrain est aujourd'hui traversé par la route de Florennes à Hanzinelle (rue du pont su Sansoir).

Définition des termes utilisés dans cet acte:

  Beneficium

Dans son sens latin, le mot beneficium signifie privilège. Au Moyen Age, il sera utilisé pour désigner une concession de terre faite par un seigneur à l'un de ses vassaux en échange de certains devoirs.

  Familia

Le mot familia désigne l'ensemble des ménages et domestiques attachés à une même maison, c'est-à-dire un groupe de paysans qui dépendent d'un seigneur, d'une église ou d'une abbaye. Cette familia constitue une réserve de main d'oeuvre dans laquelle le seigneur ou l'abbé peut puiser librement pour l'exploitation de son domaine. La familia constitue donc une véritable richesse, plus précieuse que la terre qui, sans main d'oeuvre, serait restée sans valeur.

La familia de Soulme désigne donc les habitants du village et la familia de l'abbaye de Florennes désigne, quant à elle, les moines venus s'installer à Soulme et qui ne sont donc pas originaires de ce lieu.

  Villa

A l'époque romaine, le terme villa désigne une exploitation agricole composée de la demeure du maître et d'un ensemble d'ateliers et d'habitations disposées en ligne droite de part et d'autre d'une cour centrale de dimension imposante.

A l'époque franque, le mot villa désigne une portion de patrimoine formant un tout cohérent, appartenant à un seigneur et géré au profit de celui-ci. Etant donné le peu de rendement de l'agriculture, le territoire administré par une villa est parfois très étendu et très disparate, les appendicia, c'est-à-dire les annexes, étant très nombreuses. Ce territoire couvrait parfois plusieurs de nos villages actuels.

Les seigneurs propriétaires des villas firent couramment donation de leur patrimoine foncier aux congrégations religieuses et, comme dans le cas de Soulme, la donation constitue très souvent en une villa toute entière.

Le terme villa se retrouve dans certains actes notariés du XVIIIe siècle, relatif à un partage de terres et dans lequel le lieu-dit "dessous la ville" est plusieurs fois cité.

Appendicia

Le mot appendicia désigne toutes les annexes proches du village et dispersées dans la ceinture des coûtures formées par les jardins réservés aux cultures maraîchères. Rattachées à la parcelle centrale de la villa, les appendicia comprenaient des terres de labour, des champs, des prés, des pâtures, des bois et de très vastes friches. Par extension, ce terme désigna très rapidement le droit de participer à l'exploitation collective des terres incultes.

Ecclesia

A l'origine, le terme ecclesia ne désigne pas un bâtiment réservé au culte: à l'époque romaine, ce mot signifie "assemblée du peuple" et sera utilisé ensuite pour désigner les premières assemblées de chrétiens. Le terme désigne donc ici la communauté chrétienne de Soulme et ne témoigne pas forcément de la présence d'une véritable église dans le village.

L'abbaye Saint-Jean céda rapidement le bénéfice de Soulme au seigneur de Florennes:

... excepta familia sua que ex aliis locis ibi tamen manebat.

C'est-à-dire:

... à l'exception de ses gens originaires d'autres endroits mais qui demeureront toutefois en ce lieu.

Voici le texte complet, en latin, de cet acte du 16 février 1057:

In nomine sancte et individue Trinitatis. Ego Diethuinus Dei gratia episcopus Leodiensis notifico cunctis tam presentibus quam futuris quo vel cuius rei causa factum est concambium inter abbatiam Florinensem et Otbertum militem meum. Idem miles meus multocies est me aggressus suis suorumque amicorum precibus ut cum abbate meo Gonzone omnimodis satagerem affectare quatenus beneficium suum Soulmes vellet recipere sibique daret villam que Layba dicitur mutua vicissitudine. Cur autem hoc tantopere concupierit causa talis fuit : quandocumque suboriebatur hinc inde werra contra episcopatum, ab undique diripiebatur, desolabatur, devastabatur ipsum beneficium adeo ut sepenumero ad nihilum pene fuerit redactum, quippe quia erat longe situm ab episcoporum munitione castrorum, ipsa autem quam expetiit villa ad plenum erat instaurata suisque redditibus plurimum proficua, Fossis etiam castro episcopi contigua, ob cuius metum circumpositionemque castrorum ab incursu predonum sive raptorum summe munita. Quod concambium ut fieret cum non facili prece obtinuissem ab abbate, consilio archidiaconorum peneque omnium indominicatorum militum manu propria simul cum publica legitimi advocati Lietberti traditione reddidi totum ipsum beneficium de Soulmes pretitulate abbatie cum familia et ecclesia, silvis, aquis, terris, cultis et incultis, omnibusque appendiciis totius ville et ecclesie liberum ut antea semper fuerat ab omni omnino tam advocati quam comitis districtione ; abbas vero remisit in manum meam ad opus beneficii quidquid habebat in Layba in terra mansuali, culturis, sartis, silvis, familia omnibusque appendiciis, excepta familia sua que ex aliis locis ibi tamen (?) manebat et silvula que iam diu concambiata Broniensi abbatie fuerat. Hec igitur commutatio ut perpetualiter consistat rata et inconcussa, nullusque valeat infirmare vel infringere Leodiensium episcoporum post me futurorum, seu quispiam militum post Otbertum habiturus beneficium qualibet ex causa, decrevi hoc scriptum episcopali authoritate fieri sigillique mei impressione confirmari, et itidem regali anthoritate fieri apud dominum meum regem Henricum obtinui. Sequuntur testes consilio suaque presentia hoc adstipulantes : Gozilo comes, Emmo comes, Godefridus comes, Lietbertus advocatus, Otbertus, Ramselinus traditor, Wiltramnus filius Witfredi, Fastradus, Lambertus et frater eius, filii Lamberti Raynardus, Theofridus, Hermannus Florinensis, archidiaconus Godescalcus, Gosbertus, Bernerus, Godezo, Gerardus Humbertus. Actum publice Leodii in viridario episcopi prima quadragesime hebdomada die dominica, anno incarnationis dominice millesimo quinquagesimo septimo, indictione XI, regnante Henrico in anno secundo, duce Fretherico, comite Alberto.

(Recueil des titres, fol. 172-173) 

Références:

Berlière: Documents inédits.

MARCHANDISE, Alain - Le prince-évêque de Liège et les comtes de Hainaut des maisons d'Avesnes et Wittelsbach (1247-1433). Un marché de dupes quasi permanant - revue du Nord, Année 2000 - 337: https://www.persee.fr/doc/rnord_0035-2624_2000_num_82_337_3028?q=soulme 

KUPPER, Jean-Louis. Chapitre premier. Le territoire liégeois In : Liège et l’Église impériale aux XIe-XIIe siècles [en ligne]. Liège : Presses universitaires de Liège, 1981 (généré le 17 mai 2020). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/pulg/1463>. ISBN : 9782821828681. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pulg.1463.

KUPPER, Jean-Louis. Chapitre premier. Le choix de l’évêque In : Liège et l’Église impériale aux XIe-XIIe siècles [en ligne]. Liége : Presses universitaires de Liège, 1981 (généré le 16 mai 2020). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/pulg/1452>. ISBN : 9782821828681. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pulg.1452.