1863 - Procès Fesler

1863 - Procès opposant les familles Fesler et Robert à propos d'une terre sur les Batty.

En 1859, Joseph Fesler vend à Jean Baptiste Robert une terre "sur les Batty" qui est louée par bail à Charles Minet. L'acte de vente stipule que

"Les acquéreurs entreront en jouissance des biens non affermés à partir de ce jour et de ceux qui pourraient l'être après expiration du bail, en compensation, ces adjudicataires recevront les fermages à échoir, s'il en est du"

L'année suivante, Jean Baptiste Robert réclamera le remboursement de 36 francs, soit une année de fermage échu qui aurait été perçu anticipativement par Joseph Fesler.

La procédure fut assez longue, avec quelques rebondissements, et, dans les archives à Namur, la farde dénommée "Procès Fesler" est assez épaisse. Elle comporte néanmoins les documents relatifs à d'autres procès n'ayant visiblement aucun lien direct avec la famille Fesler.

Le jugement en défaveur de Joseph Fesler sera confirmé par les documents reproduits ci-dessous qui sont particulièrement remarquables en raison de leur magnifique graphisme.

Les Batty, vaste espace situé à côté de l'église, constituent pratiquement la place du village.

Le haut des Batty donnent accès à de vastes prairies qui s'étendent jusqu'à Falize.

Nous Léopold, premier roi des Belges, à tous présents et à venir, faisons savoir:

Le tribunal de la Justice de Paix du Canton de Florennes, province de Namur, a rendu le jugement suivant:

Entre

Joseph Fesler, agissant tant pour lui qu'exerçant les droits et actions mobiliers de Séraphine Pasquy, son épouse, propriétaires, domiciliés à Soulmes, défendeur originaire à la citation à lui signifié à la requête du Sieur Pierre Célestin Robert et consorts, le dix sept octobre mil huit cent soixante, et demandeur aux fins d'exploit d'opposition au jugement contre lui rendu par défaut le vingt octobre mil huit cent soixante, comparant assisté de Maître Piérard avocat à Philippeville, (d'une part)

Et

Jean-Baptiste Robert, cultivateur, domicilié à Soulmes demandeur originaire sur la citation du dix sept octobre mil huit cent soixante, enregistré et défendeur aux fins d'opposition au jugement par défaut rendu à son profit; la dite opposition à lui signifiée le dix neuf mars mil huit cent soixante trois à la requête dudit Joseph Fesler es nom qu'il agit comparant en personne (d'autre part)

A l'appel de la cause, à l'audience du vingt un mars mil huit cent soixante trois, le demandeur a pris les conclusions suivantes

Plaise à Monsieur le Juge de Paix adjuger les conclusions reprises dans l'exploit introductif d'instance et basées au fond sur les motifs déduits dans cet exploit.

Le défendeur a conclu de son côté comme suit:

Plaise au tribunal déclarer le demandeur non fondé en son action, l'en débouter et le condamner aux dépends;

Conclusions fondées sur l'acte de vente, du trois mars mil huit cent cinquante neuf, enregistré, sur les articles onze cent quatre vingt dix, dix sept cent vingt huit, seize cent deux, seize cent trois, et seize cent quatorze du code civil, sur ce que Fesler devrait exécuter l'acte de vente qu'il n'avait pas le droit de toucher le fermage de trente six francs; sur ce que le compte réglé le vingt six juillet mil huit cent cinquante neuf s'applique à des objets distincts de celui du litige; que ce compte ne concerne pas les frères et soeur du défendeur à qui les trente six francs appartiennent pour leur parts quotatives.

Point de fait.

Par exploit de l'huissier Chantelot de Florennes en date du dix sept octobre mil huit cent soixante, enregistré, Jean Baptiste Robert et consorts ont fait citer les époux Fesler devant ce tribunal, en remboursement de trente six francs pour une année de fermage échu en juillet mil huit cent cinquante neuf d'une terre acquise par eux desdits époux Fesler suivant acte passé devant Maître Marlier notaire à Florennes le trois mars même année, fermage que le sieur Fesler avait perçu contrairement aux conditions de cet acte.

Les époux Fesler n'ayant pas comparu, un jugement par défaut en date du vingt octobre mil huit cent soixante les a condamnés au paiement de cette somme.

Par exploit du même huissier Chantelot en date du dix neuf mars dernier, enregistré, Joseph Fesler, esnom qu'il agit, a formé opposition au jugement par défaut du vingt octobre mil huit cent soixante et a assigné non pas tous les demandeurs originaires mais seulement Jean Baptiste Robert devant ce tribunal pour y avoir déclaré son opposition recevable et statuant sur le fond du litige déclarer ledit Robert non recevable ni fondé en sa demande avec sa condamnation aux dépens.

Opposition fondée quant à la forme de sa recevabilité, sur ce que le dix sept octobre mil huit cent soixante date de la citation de l'huissier soussigné le demandeur habitait la France, de sorte que la dite citation lui a été inconnue, et qu'aux termes de l'article vingt un du code de procédure civile ledit demandeur est admissible dans ce cas à l'opposition;

Elle est fondée au fond sur ce que, si par acte de vente du trois mars mil huit cent cinquante neuf passé devant Maître Marlier notaire à Florennes il est dit que les adjudicataires entront en jouissance, ledit jour, des biens non affermés, il est stipulé qu'il n'entrerait en jouissance de ceux loués qu'après expiration des baux, en compensation de quoi ils recevraient les fermages à échoir, s'il en était du, et que dans l'espèce le demandeur ayant reçu de Maître Henry, notaire, la somme réclamée, il résulte qu'elle n'était plus due et qu'ainsi les obtenteurs du jugement n'y avaient aucun droit.

A l'audience du vingt un mars dernier, Fesler a comparu en personne assisté de Maître Piérard qui a conclu comme il est dit ci-dessus et fait valoir ses moyens a l'appui.

Jean Baptiste Robert comparant personnellement a pris ses conclusions qu'il a développées.

Les débats clos la cause a été tenue en délibéré et le vingt sept mars suivant, le tribunal vidant son délibéré a, par jugement du même jour, relevé le demandeur du délai et déclaré admissible son opposition en ce qui concerne le défendeur Jean Baptiste Robert, en enjoignant aux parties de plaider au fond, dépens réservés.

A la suite de ce jugement le demandeur et le défendeur ont respectivement pris les conclusions transcrites en tête du présent jugement et ont exposés leurs moyens.

Parties ouie la cause a été tenue en délibéré et le prononcé du jugement remis à la huitaine; et avenant ledit jour il a été rendu la décision suivante:

Attendu que suivant acte passé devant Maître Marlier notaire à Florennes le trois mars mil huit cent cinquante neuf, enregistré, les époux Fesler ont vendu à la famille Robert la terre sur les Batty que l'article quatre de cette vente porte:

"Les acquéreurs entreront en jouissance des biens non affermés à partir de ce jour et de ceux qui pourraient l'être après expiration du bail, en compensation, ces adjudicataires recevront les fermages à échoir, s'il en est du"

Attendu que la terre des Batty était affermée moyennant trente six francs à Charles Minet en vertu d'un bail reçu par Maître Henry notaire en date dix neuf juillet mil huit cent cinquante deux,

Attendu que Fesler ayant touché de Maître Henry le vingt trois novembre mil huit centcinquante huit le fermage à échoir le premier juillet mil huit cent cinquante neuf, payé au dit Maître Henry le vingt sept mars même année, Fesler soutient que le défendeur n'as pas le droit à ce fermage puis qu'il n'était plus du.

Attendu que par l'article quatre précité le demandeur a conféré d'une manière absolue aux adjudicataires le droit de perçevoir les fermages non échus au moment de la vente pour être désintéressés de la privation de jouissance immédiate; que telle a été et a du être la commune intention des parties; que par suite Fesler n'était plus libre de toucher ses fermages anticipativement et de rendre cette clause illusoire, parce que d'une part ce serait une déloyauté, un leurre véritable et d'autre part une absurdité; qu'au surplus le vendeur n'a pas fait de réserve quant au fermage en litige et que les conventions doivent s'exécuter de bonne foi.

Attendu que si l'interprétation donnée à l'article quatre par Fesler était accueillie elle enlèverait à cette clause son effet, elle serait un non sens et en opposition manifeste avec le but que les parties ont voulu atteindre, puisque, si Fesler pouvait recevoir les fermages anticipativement, la compensation accordée du chef du deéfaut de jouissance n'existerait pas; que de ce qui précède on doit conclure ou que la compensation donnée aux adjudicataires est réelle ou dérisoire; que si elle est sérieuse Fesler n'était plus maître de paralyser cette stipulation; que du reste si la finale de l'article quatre présentait quelqu'ambiguïté, les mots, s'il en est dû, devraient s'interpréter contre le demandeur qui en sa qualité de vendeur était tenu d'expliquer clairement ce à quoi il s'obligeait (article seize cent deux du code civil)

Que c'est donc au mépris de l'acte de vente que Fesler a touché la somme de trente six francs

Attendu que c'est à tort que le demandeur soutient que Robert aurait du agir contre Minet; qu'en effet cette demande eut été un circuit inutile puisqu'alors Minet aurait en son recours contre Fesler, que l'acte d'adjudication est étranger à Minet; qu'enfin si Fesler s'était conformé à l'article quatre, l'action dirigée contre lui n'aurait pas eu lieu qu'il ne peut donc exciper de la violation de ses engagements pour se soustraire au remboursement du fermage de mil huit cent cinquante neuf, que le défendeur puise donc dans l'acte d'adjudication le droit de s'adresser à celui qui contrairement à la foi du contrat, a touché la somme qui lui revenait.

Par ces motifs

Le Tribunal, faisant droit au fond entre les parties en cause sur la dite opposition, la déclare non fondée en conséquence ordonne que le jugement dont s'agit sera exécuté selon la forme et teneur.

Condamne le demandeur aux dépens liquidés à sept francs quatre vingt douze centimes non compris les cents des minutes, enregistrements, levée et signification des jugements tant sur la forme que sur le fond, auxquels il est également condamné.

Ainsi fait et prononcé contradictoirement et en dernier ressort à Florennes en l'audience publique tenue en l'hôtel de ville dudit lieu, le samedi quatre avril mil huit cent soixante trois, où étaient présents Messieurs Erasme Degrange, Juge de Paix et Charles Pasquin, greffier.

(Signé) Degrange, Ch.Pasquin

Mandons et ordonnons à tous huissiers, à ce requis, de mettre le présent jugement à exécution.

A nos procureurs généraux et à nos procureurs près les tribunaux de première instance, d'y tenir la main, et à tous commandants et officiers de la force publique, d'y prêter main-forte, losqu'ils en seront légalement requis.

En foi de quoi le présent jugement a été signé et scellé du sceau du tribunal

Pour expédition conforme.

Le greffier: (signature) Ch.Rasquin.

Soulme 1863 - Procès Fesler.pdf