Soulme au Haut Moyen Age

SOULME, LIEU DE CULTE PALÉOCHRÉTIEN?

La plupart des cimetières mérovingiens du sud de l'Entre-Sambre-et-Meuse comportaient un petit bâtiment de plan carré semblable à celui de Franchimont ou de Anthée: c'était aussi le cas à Couvin, Feschaux, Flavion et St-Gérard.

Il est curieux de constater que très souvent, ces constructions sont liées à la toponymie locale où l'on retrouve l'expression Al Champelle (à la chapelle) qui peut laisser supposer que ces bâtiments servaient aussi au culte.

Le terme capella désignait primitivement un petit édicule où était gardé le manteau, la cappa militaire de saint Martin, disciple de saint Hilaire et introducteur du christianisme dans la Gaule romaine. Le diverticule romain reliant Vodecée à Hermeton-sur-Meuse est curieusement jalonné de noms de lieux-dits faisant allusion à de tels édifice. Il se fait qu'il s'en trouve justement un à Soulme.

LA CHAMPELLE est en effet le hameau de Soulme, situé le long de la grand' route et qui compte quelques maisons et un ancien hôtel de tourisme.

L'endroit est connu sous ce nom depuis au moins 1363 où il s'appelait LE CHAMPELHE (Cartulaire de Waulsort). Or, c'est à cet endroit que l'on a découvert les restes de quelques tombes gallo-romaines... Il existe aussi à proximité une fontaine, lieu traditionnel des cultes païens et des premiers baptêmes chrétiens... Bien que cette fontaine, à l'exemple de beaucoup d'autres dans la région, ne soit pas dédiée à saint Remi qui, faut-il le rappeler, convertit et baptisa Clovis, ce saint n'est pas étranger au village puisque, avant d'être dédiée à sainte Colombe, l'église de Soulme avait jadis ce saint pour patron...

Ces différents indices nous amènent évidemment à penser qu'une petite communauté chrétienne existait déjà à Soulme vers le Vle siècle. Il ne serait donc pas impossible que l'on découvre un jour à LA CHAMPELLE les fondations d'un petit édifice de plan carré semblable à ceux de Flavion, Franchimont ou Anthée.

Le hameau de La Champelle se situe le long de la route de Biesmes qui descend depuis Gochenée.

SOULME, FRONTIÈRE TERRITORIALE ?

Près de la source de Inzevaux qui est sans doute le point d'origine de Soulme, les lieux-dits INZEDUC, TIENNE DES DUCS, TERRE DES DUCS, et BOUT DES DUCS attirent notre attention par leur proximité avec le diverticule romain qui passe à cet endroit. Ces terres auraient-elles réellement appartenu à un duc? Le Cartulaire de Waulsort nous donne les différentes ortographes de ce lieu-dit depuis le XlVe siècle:

    • 1363: Le duze; adhue
    • 1667: au bois dedu
    • 1668: au bout de duz
    • 1691: le terne des duz
    • 1694: une prairie appellée les dus
    • 1697: le pret de duz
    • 1698: la prairie de dhuz
    • 1703: un prez les duz
    • 1740: dessous la terre de duz; bout dedeu; le terne de du; au ris dedeu
    • 1749: un trieu nommé les dues; le terne des dues
    • 1755: terne des dedeu
    • 1774: prez des dus; le prez enz et dus.

Les plus anciennes formes de ce nom de lieu-dit retiendront particulièrement notre attention: Le duze et adhue sont en effet très proches des mots latins dux et adhuc qui signifient respectivement chef et jusqu'ici. Il se fait qu'à l'époque carolingienne, le commandant supérieur et permanent d'une zone frontière était parfois appelé marquis (marchio) mais aussi plus simplement duc (dux) , comme tout autre commandant supérieur dans une région non frontalière. Cette frontière (limes) était généralement établie le long d'une chaussée défendue par des postes militaires.

Or, nous nous trouvons à Soulme le long d'un diverticule romain qui semble avoir été protégé par un poste défensif situé à LOUVAIN-CHESTIA.

Au IXe siècle, les Normands remontèrent la Meuse Jusque dans la région de Givet et détruisirent le château de Hierge. Il est donc possible que le diverticule passant à Soulme ait servi de limite administrative sinon de frontière sud au territoire des carolingiens qui venait alors jusqu'adhuc, c'est-à- dire jusqu'ici, ou ad dux, jusqu'au territoire du duc.

Cette hypothèse pourrait nous être confirmée par deux autres éléments.

En premier lieu, il faut en effet remarquer que le domaine carolingien a été à l'origine de la formation de la principauté de Liège. Soulme, situé dans la partie le plus méridionale de cette principauté, était donc aussi situé à proximité de la frontière sud du domaine carolingien.

D'autre part, les études linguistiques menées dans la région par Pirsoul ("Dictionnaire namurois") , Niederlander ("Zeitscrift fUr Romanisch philologie de Groeber") , J.Haust ("Dictionnaire du liégeois") , M. Bruneau ("Etude phonétique des patois de l'Ardenne", "Enquête linguistique sur les patois d'Ardenne") et les travaux de M.Grignard ("Phonétique et morphologie de l'Ouest wallon") démontrent tous que, au point de vue linguistique, la région de Soulme se distingue de l'ouest wallon et que cette particularité serait due à sa situation dans une zone restée frontalière pendant toute son histoire.

Le village de Soulme est séparé de son hameau de La Champelle et dela ferme Falgeotte par une dépression dénommée Inzedu.

En 1937, Jean Fabry écrivait:

Notre patois n'est pas près de suivre toutes les règles applicables au domaine de l'ouest wallon. Les écarts sont nombreux et dus, pour la plupart, aux influences orientales et méridionales qui font du patois de Soulme un wallon de carrefour, écartelé au milieu des aires tumultueuses qui se croisent et se recroisent dans l'Entre-Sambre-et-tleuse. Ajoutons que les mœurs paysannes, rendues plus casanières encore par la grande difficulté des voies de communication et le grand respect qu'a, pour la pureté de sa langue, le sujet parlant, ont favorisé le maintien des phénomènes acquis et la résistance farouche aux innovations phonétiques et aux alternances de toutes sortes.

(Le Patois dans la vie rustique de Soulme - Essai d'enquête linguistique - Mémoire de Licence en philologie romane présenté par Jean Fabry - Juin 1937 - Autographie G.Delporte, Mons)

ig. 20: Le hameau de La Champelle, la route de Biesmes et le pont sur l'Hermeton.