1943 - Enlèvement des cloches

En mars 1943, les Allemands décidèrent d'enlever les cloches des églises afin de pallier la manque de bronze pour la fabrication des armes. Cette décision fut une grave faute psychologique car elle souleva l'indignation des catholiques et des non croyants, les cloches étant considérées non seulement comme un accessoire du culte mais aussi comme une sorte de symbole des libertés communales.

Le 6 avril 1943, le Prince E. de Croy, Gouverneur de la province, adressa pour information aux administrations communales copie d'une lettre que G. Schruind, Secrétaire Général du Ministère de la Justice, avait adressée à un bourgmestre d'une ville belge qui avait été invitée à fournir un relevé des cloches se trouvant dans les églises et chapelle de sa localité et destinée à l'autorité occupante.

Monsieur le Bourgmestre,

Par votre lettre du 24 mars 1943, vous vous êtes adressé à moi pour réclamer mes instructions quant à la suite à réserver à la demande de l'autorité occupante tendant à obtenir de vous le relevé des cloches se trouvant dans les églises et chapelles de votre ville.

Cette demande constitue un acte préparatoire à la réquisition des cloches par l'autorité occupante et à leur utilisation pour des buts de guerre.

Une telle réquisition ne peut être considérée comme conforme aux dispositions du Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, annexé à la Convention de la Haye du 18 octobre 1907.

Il est de nature à heurter les sentiments patriotiques de tous nos concitoyens.

En outre, elle porte une atteinte particulièrement grave à l'exercice du culte et à la conscience religieuse de la majorité de notre peuple.

Dans ces conditions, accomplissant la mission qui m'incombe conformément aux instructions contenues dans le livret de mobilisation, je vous fais connaître que j'estime la fourniture des relevés réclamés comme incompatible avec le devoir de fidélité envers la Patrie.

En conséquence, aucune suite ne peut être réservée à la demande formulée.

J'ai d'ailleurs saisi de la question de principe posée par la réquisition des cloches les autorités occupantes et j'ose espérer que celles-ci renonceront à leur intention et à leur demande.

Veuillez agréer, Monsieur le Bourgmestre,...

Le Secrétaire Général,

G.Schruind

La tentative de G. Schruind ne fut malheureusement pas couronnée de succès. Les évêques protestèrent...

Dans certains villages, les cloches furent enlevées et cachées par les habitants, suivant une vieille tradition guerrière parfois à l'origine de légendes de cloches englouties, comme celle de Soulme qui trouve son origine dans des événements précédents.

En guise de représailles contre les populations récalcitrantes, les Allemands interdirent dès le 30 mars aux automobilistes et aux cyclistes de rouler les dimanches et jours fériés. Par contre, dans d'autres villages, certains curés, malencontreusement oubliés par l'administration allemande, s'adressèrent à l'occupant afin de toucher les bons de réquisition...

La question se posa alors de savoir si les réquisitions et les enlèvements de cloches constituaient des dommages de guerre. Certaines églises avaient en effet subit des dégâts qui nécessitaient parfois d'importantes réparations. Le Gouverneur de la province écrivit à ce sujet aux administrations communales.

Gouvernement provincial de Namur

4ème division

N° 7774/D.G.

Cloches

Réquisition.

Réparation.

Namur, le 12 août 1943,

Messieurs,

Sous la date du 30 juillet dernier, M. le secrétaire Général de la Justice m'écrit ce qui suit:

"On me signale que l'enlèvement des cloches, par l'autorité occupante, dans les églises cathédrales et paroissiales ainsi que dans les chapelles et églises-annexes donne lieu à des dégâts qui sont parfois importants.

J'ai soumis au Commissariat Général à la Restauration du Pays la question de savoir si ces dégâts constituaient des dommages de guerre au sens des arrêtés des 30 août et 30 juin 1941 relatifs à la réparation des dommages de guerre causés au domaine public. Ce Commissariat Général m'a répondu négativement.

A l'appui de sa manière de voir, le dit Office fait remarquer que l'arrêté du 15 mars 1941 indique les dommages qui sont susceptibles de constatation et d'évaluation par les commissions créées à cet effet et que la notion du dommage de guerre ainsi définie sert de base à l'application des arrêtés des 30 août 1940 et 31 juin 1941. Il y ajoute que le dommage né de l'enlèvement des cloches n'est pas un dommage de guerre au sens du dit arrêté du 15 mars 1941 et qu'en conséquence, l'application des arrêtés des 30 août 1940 et 30 juin 1941 doit être exclue en l'espèce.

En vue toutefois de sauvegarder les droits éventuels des provinces, des communes ou des fabriques d'église, propriétaires des édifices du culte, je vous prie de vouloir bien inviter d'urgence les Administrations publiques intéressées à faire constater, sans retard, par voie d'huissier et, le cas échéant, de commun accord, les dégâts occasionnés aux dis bâtiments ou au mobilier les garnissant, par suite de l'enlèvement des cloches.

Il appartiendra à ces Administrations de ma faire parvenir par votre intermédiaire, une copie certifiée conforme du procès-verbal de constat."

Agréez, Messieurs, l'assurance de mes sentiments très distingués.

Le Gouverneur a.i.

P. Em. de Croy

Soulme 1943 - Enlèvement cloches.pdf

A Soulme, la cloche "Marie-Joséphine" de 1899 fut ainsi enlevée et disparut dans les vicissitudes de la seconde guerre mondiale.

A la fin des hostilités, un grand nombre de cloches furent retrouvées intactes en Allemagne et rapatriées dans leur paroisse. Malheureusement, ce ne fut pas le cas de la cloche enlevée à Soulme et, après la guerre, il fallut penser à la remplacer...

Cet épisode de l'enlèvement des cloches sur tout le territoire belge fut conté par Harry Schuermans, un ancien habitant de Soulme, dans un reportage diffusé à la RTBF en 1997.

Harry Schuermans avait en effet participé à l'inventaire des cloches et à la tentative de préserver les plus belles d'entre elles, ce qui permit d'en récupérer un certain nombre après la guerre et de les rapatrier dans leur paroisse d'origine.

Quant à Noël Fabry, il nous relate ce vol de cloche dans son livre "Le prix du Pain" publié en 2008 à l'Edition Imprimages:

"Lorsqu'arriva le camion qui devait l'emporter, tous les habitants s'assemblèrent autour de l'église. Ils virent avec une profonde tristesse, la cloche Marie-Joséphine, sortit du clocher par un des abat-sons, rester de longues minutes suspendue à des cordes et comme à regret, descendre très lentement. A l'aide d'un burin et d'un marteau, un habitant fut autorisé à découper sur le pourtour, de petits éclats qu'il donna aux spectateurs, peinés et en pleurs, en guise de souvenir. Longtemps, ces reliques furent gardées dans un tiroir."