Le langage caché

L’église romane Sainte-Colombe de Soulme, construite entre les XIe et XVIe siècles et restaurée au XIXe siècle, est un édifice religieux rustique et campagnard dont la simplicité reflète l’humilité de ses paroissiens. Lorsqu’on la visite avec un peu d’attention, on est néanmoins frappé par la lisibilité de ses différentes périodes de construction, encore bien visibles dans sa maçonnerie, ainsi que par la richesse relative de son décor intérieur contrastant avec la rusticité du lieu.

Lorsqu’on s’intéresse quelque peu à l’histoire de l’édifice, on s’interroge sur les motivations de ses différents bâtisseurs qui, à travers les siècles, ont pu le construire, le reconstruire, le restaurer et le décorer. On se plaît alors à penser que la foi religieuse qui devait les guider dans leur tâche était sans doute accompagnée d’une volonté de réaliser un bel ouvrage et, malgré le peu de moyens ou de connaissances disponibles, d’atteindre une sorte de perfection qui serait reconnue et entretenue à travers le temps.

Si notre regard d’aujourd’hui apprécie un tel bâtiment essentiellement en raison de son ancienneté, on s’interroge bien évidemment sur les critères utilisés jadis pour juger de la réussite d’une telle oeuvre de construction. L’histoire de l’art et de l’architecture nous aidera malheureusement très peu dans ce domaine. Nos connaissances en matière de religion ou de théologie ne nous seront guère plus utiles. Pour découvrir la vérité cachée dans ces pierres presque millénaires, il nous faudra explorer le dénominateur commun de ces différentes sciences: le domaine tout particulier du symbolisme.

Cet aspect symbolique, nous le retrouverons en effet à la fois dans les règles de constructions, dans le décor, dans les légendes et dans les traditions qui, à travers les siècles, sont parvenus jusqu’à nous. Langage caché, langage secret, le symbolisme se retrouve dès lors dans chaque chose. On en arrive alors à se demander parfois s’il n’existe pas, parallèlement à la réalité quotidienne, un autre vérité qui gouvernerait l’univers et les créatures qui l’habitent... Partons à la découverte de cet univers mystérieux en essayant d’abord de comprendre quel était la conception de l’univers des bâtisseurs romans de l’église Sainte-Colombe de Soulme...

Macrocosme et microcosme.

Au Moyen-Age, l’activité scientifique ne pratiquait guère l’expérimentation: elle consistait à élaborer une construction purement intellectuelle, un système cohérent selon lequel le monde invisible et supérieur devait être ordonné. L’analyse de la nature se limitait alors à découvrir ce qui pouvait correspondre à l’idée préétablie qu’on se faisait du cosmos. Le monde visible ne devait être que la représentation symbolique du monde invisible et son étude devait révéler les grandes règles ordonnant l’univers.

Le monde visible, celui des hommes, devait alors être organisé en fonction de ce système de manière à atteindre la perfection. Le monde tel qu’il est perçu est un macrocosme. Les créatures, les objets, les constructions sont des microcosmes: ils symbolisent le monde en plus petit et reproduisent ses règles d’organisation à une échelle plus réduite.

Cosmologie.

La conception moyenâgeuse de l’univers est issue des premières observations réalisées au Proche Orient et en Egypte.

Lorsqu’il observe l’univers, l’homme perçoit d’abord la ligne d’horizon qui l’entoure en formant un cercle. Au-dessus de lui, les étoiles et les astres parcourent la voûte céleste qui a la forme d'une sphère. Le cercle et la sphère constitueront la première représentation de son univers.

En observant sa place dans cet univers, l’homme perçoit ensuite quatre directions: devant, derrière, à gauche et à droite. Le monde semble donc être aussi un carré...

En regardant l’ombre de son corps sur le sol, l’homme observe l’écart maximum entre l’ombre du matin et l’ombre du soir. Le carré s’oriente donc en fonction des axes nord-sud et est-ouest qui deviendront le decumanus et le cardo des Romains. Il en résulte une croix selon laquelle s’organise la construction du cosmos: c’est la rose des vents avec ses quatre points cardinaux auxquels seront bien vite attaché les quatre éléments (l’air, le feu, la terre et l’eau), les quatre fleuves de la création (le Phison, le Gihon, le Tigre et l’Euphrate) et plus tard les quatre évangélistes (Mathieu, Marc, Luc et Jean).

L’homme se tenant debout au milieu de l’univers, son corps forme un axe vertical. Vers le haut, ce axe est dirigé vers le ciel, domaine des dieux, domaine de Dieu. Vers le bas, il pénètre dans le sol, domaine des morts. Entre les deux se trouve l’homme.

On imagine donc trois mondes distincts:

  • le ciel, monde ordonné et infini des dieux;
  • la terre, monde ordonné, fini des hommes;
  • l’enfer, monde chaotique et néant des démons.

Les quatre points cardinaux et l’axe vertical entre ciel, terre et enfer forment un cube.