Marques des tailleurs de pierre

Dans l'église de Soulme, le fin observateur remarquera que tous les bases et les chapiteaux des colonnes, bien que très semblables, sont en réalité tous différents afin de symboliser la séparation entre "l'espace céleste" de la partie supérieure et "l'espace terrestre" des murs et colonnes sortant du sol. Contrairement à Dieu, l'homme est imparfait et tout ce qu'il crée ne peut donc être parfait.

Pour les tailleurs de pierre, il est aussi plus aisé de sculpter des pierres assez semblables plutôt que des pierres absolument identiques... Mais les chrétiens préféreront l'explication symbolique plutôt que celle plus terre à terre...

Différentes marques de tailleurs de pierre sont visibles sur certaines colonnes de l'église Sainte-Colombe de Soulme.

Ces marques représentent toutes une fourche à trois dents orientées de différentes manières. Elles sont reprises sous le N°18 des marques de tailleurs de pierre dans les Pays-Bas Espagnols relevées par M. Van de Winckel. Outre leur signification symbolique, ces marques pouvaient indiquer l’origine de la carrière, servir de repères pour leur placement dans l’édifice ou être tout simplement une signature personnelle, une marque familiale ou l’insigne d’une corporation.

Marques de tailleur de pierre sur la deuxième colonne du collatéral sud.

Marques de tailleurs de pierre dans les Pays-Bas espagnols relevées par M.Van de Winckel.

Ces signes identitaires sont laissées par les exploitants de carrière ou les artisans pour permettre d'identifier l'origine du matériau ou le travail réalisé. Ce sont donc des marques de tâcherons laissées par le tailleur sur la pierre afin de pouvoir distinguer leur travail de production, de justifier et de percevoir un salaire. On notera que, si le signe de la fourche semble indiquer que toutes les pierres des colonnes ont été fournies par le même ateliers, la différence entre les dessins de ces fourches indique qu'il y a peut-être eu au moins deux artisans différents pour les réaliser.

Les signes lapidaires justifient donc de l'origine du matériau, de la propriété du travail, de la responsabilité de celui-ci mais joue aussi le rôle de logo publicitaire. C'est la raison pour laquelle ils restent bien visibles sur la face des colonnes de manière un peu ostentatoire.

Première marque de tailleur de pierre figurant sur la deuxième colonne du collatéral sud.

Deuxième marque de tailleur de pierre figurant sur la deuxième colonne du collatéral sud.

Marque de tailleur de pierre figurant sur la demi-colonne du collatéral sud.

L'intérieur de l'église en 1944.

Photo © KIK-IRPA Bruxelles

A Soulme, les marques lapidaires appartiennent à la catégorie des traits sous forme de fourches, mais, dans cette catégorie, on peut également retrouver des flèches, des croix, des lignes barrées, etc. Les autres catégories de marques lapidaires sont classées parmi les lettres, les chiffres, les formes géométriques, les formes courbes et les idéogrammes.

Outre les signes identitaires comme ceux de l'église de Soulme, il existe aussi des signes utilitaires qui constituent par exemple des points de repère pour la pose des pierres. Dans ce cas, il s'agit en quelque sorte d'un message codé utilisé par les seuls maçons.

L'étude de ces signes est donc particulièrement complexe et constitue à elle seule une science dénommée glyptographie ou glyptologie. Elle se distingue de l'étude des graffitis par le fait que les signes étudiés sont destinés à indiquer l'ordre d'assemblage des éléments et à se faire payer.

Références:

  • Jean-Louis VAN BELLE, Signes gravés, signes écrits, signes reproduits, «SIGNO. Revista de Historia de la Cultura Escrita» 8 (2001) I.S.S.N. 1134-1165, Universidad de Alcalá, pp. 211-247.
  • http://laviers-muraillers-bourgogne.fr/public_html/emailing/pqr_16/pdf/signes_graves_JC_Van_Belle.pdf
  • J.-L. Van Belle, Dictionnaire des signes lapidaires: Belgique et Nord de la France, Ciaco, 1984.
  • VAN DE WINCKEL M., Marques de tailleurs de pierre et marques utilitaires dans les Pays-Bas, à l'époque du régime espagnol.