Soulme à l'époque romaine

Vestiges romains découverts à Soulme.

Les vestiges d'une petite exploitation agricole semblent avoir été découverts au siècle dernier à Soulme, plus précisément à LA CHAMPELLE. Un cimetière gallo-romain a également été mis à jour dans un terrain schisteux qui fut défoncé vers 1845. Lors de son examen par des archéologues namurois en 1895, il n'en subsistait malheureusement que quelques débris de poteries et deux pièces de monnaies frustres en bronze.

L'existence en ces lieux d'une petite exploitation rurale peut sans doute s'expliquer par la présence antérieure de quelques agriculteurs qui avaient choisi l'endroit pour sa bonne orientation, la présence d'une fontaine d'eau potable, d'un diverticule romain et d'un promontoire pouvant servir de retranchement.

L'occupation du site à l'époque gallo-romaine est également attestée par l'existence de nombreux lieux-dits dont l'étymologie latine est évidente.

STREPY.

Ce lieu-dit, situé dans le bas du hameau de La Champelle, est parfois repris dans les relevés cartographiques et cadastraux sous les noms de STREPY (1740), LES TREPYS, LES STREPI ou LES STREPYS.

Tout comme la commune de Strépy-Bracquegnies, dans le Hainaut, dont le nom s'orthographiait jadis sous les formes Stirpia (1137), Stepiz (1177) et Esterpy (1136), ce lieu doit sa dénomination à la forme latine Stirpeiram qui vient de l'expression silva extirpa signifiant littéralement sorti de la forêt. La racine stirps, stirpis désigne d'ailleurs la souche d'un arbre avec ses racines, mais aussi des rejetons, des surgeons et des jeunes pousses. L'endroit est ainsi tout désigné pour avoir été l'un des premiers défrichements de la vallée de l'Hermeton et l'une des premières zones cultivées de Soulme, ce qui confirmerait la présence d'une villa à La Champelle.

Relevons en passant l'anecdote selon laquelle, vers 1800, un vieux sage du nom de Mallien, installé aux Strépys pour y lire la Bible, y aurait annoncé, dans d'étourdissantes prophéties, les voitures sans chevaux .

Le hameau de La Champelle se situe le long de la route de Biesmes.

Le lieu-dit des Strépys se situe dans le bas du hameau de La Champelle.

VEMONT.

Ainsi, VEMONT qui s'écrivait jadis VINMONT, doit son nom à l'expression latine vinus mons, le mont au vin.

Toute la Wallonie possédait depuis longtemps ses propres vignobles. Ceux-ci étaient très nombreux sur les versants de la Meuse et de ses propres affluents. Mais ces vins étaient très différents de ceux d'aujourd'hui car ils étaient très ordinaires et devaient parfois être mélangés avec de l'eau ou des épices qui le rendaient plus facilement buvable et lui enlevaient son goût de vinaigre.

La culture de la vigne et le commerce du vin furent particulièrement florissants dans la région pendant tout le Moyen Age. Au milieu du Xle siècle, l'abbé Lambert de Waulsort fit par exemple planter de ceps les coteaux les mieux exposés de l'abbaye et, en 1389 et 1406, la présence de la vigne est encore attestée dans la région de Freyr et de Waulsort. Le vin antique, très différent de celui que nous buvons aujourd'hui, était déjà particulièrement apprécié dès l'époque romaine. Il n'est donc pas impossible que la culture de la vigne ait existé dans la vallée de l'Hermeton à cette époque.

Il faut reconnaître que l'orientation et l'inclinaison du versant sud de la colline de VEMONT sont particulièrement indiqués pour ce genre de culture. A Gochenée, il existe également un lieu-dit encore dénommé actuellement LA VIGNE et qui témoigne de la présence de cette culture dans la région.

La colline de Vémont permet une vue plongeante sur le village de Soulme et sur la vallée de l'Hermeton.

SURICE.

Le long du chemin antique qui monte du moulin de Presle vers Gochenée se trouve un lieu-dit appelé SURICE, homonyme du village voisin de Soulme dont la forme ancienne serait SURITIUM ou SURICIUM que l'on retrouve dans un document de 1182. En 1195, on trouve aussi la forme CURRIS suivit de SURICHE (1196, 1213, 1240 et vers 1380), SURIZ (1196 et 1212), SURICE (1212 et vers 1380) et SURICH (1300, 1337, 1367).

Le nom du lieu-dit et du village de Surice pourrait donc être un dérivé

    • de l'adjectif SURSUM qui signifie en haut ou en montant avec l'idée de mouvement, mais aussi sur les hauteurs avec l'idée de repos;

    • du nom CURSUS qui désigne une marche rapide, un trajet à cheval ou en voiture, le chemin parcouru, ou mieux encore:

    • de CURRIS, la deuxième personne de l'indicatif présent du verbe CURRERE, courir, CURRIS signifiant donc tu cours, indiquant ainsi que le chemin qui traverse cet endroit est particulièrement aisé pour le voyageur. C'est effectivement le cas si on examine la topographie des deux endroits qui portent le nom de Surice et d'où l'on descendait en courant par un diverticule vers la vallée de l'Hermeton.

Pour en savoir plus sur le village de Surice: https://sites.google.com/site/valhermeton/les-villages/surice

LOTENNE.

Dans le fond de la vallée, sur le territoire de la commune de Gochenée, existe un autre lieu-dit appelé LOTENNE dont le nom est évidemment à rapprocher de celui du village de Lautène qui, jadis (notamment en 1683), s'orthographiait de la même façon. La forme primitive de ce nom devait être LATINA ou LATINAS, forme dérivée de LATINUS et prise adjectivement dans un sens géographique.

En ce qui concerne le village de Lautène, les textes anciens témoignent de l'évolution de ce nom dans le dialecte local: LOHETINES (1325), LOHETINNES (1360) , LATINNE (1555) , LATHENNE (1556) , LATENNE (1635) et enfin LOTENNE (1683). Les langues romane et wallonne ont donc bien allongé le A en O et changé la terminaison -INNE de forme latine en -ENNE. La forme féminine de LATINA s'explique par son rôle épithète: on sous-entendait le mot VILLA plutôt que celui de FUNDUS qui est masculin et l'expression signifiait donc que cette terre appartenait à une villa dont l'existence parait ainsi confirmée.

Par ailleurs, il faut signaler que la gens latinia - c'est à dire un groupe de personnes appartenant à un même clan - est également connue en Germanie où elle pénétra grâce au nom d'une femme appellée LATINIA dont l'inscription a été retrouvée à Altenberg en Prusse-Rhénane, région qui, très curieusement, possède également un village appelé Sulm.

Le fait de préciser qu'une terre située sur la rive droite de la vallée de l'Hermeton appartient à une exploitation rurale latine située sur l'autre rive peut laisser supposer qu'elle était enclavée dans des terres occupées et exploitées par un clan n'appartenant pas à cette gens latinia, l'Hermeton formant ainsi une sorte de frontière naturelle entre deux territoires.

Lautenne et Surice désignent des lieux-dits proches de Soulme, mais sont aussi les noms de villages voisins.

GOCHENEE.

Cette hypothèse pourrait trouver une confirmation dans l'étymologie du nom de Gochenée qui, au Xe siècle, était désigné par GOSINIACAS ou GONSINIACAS (937).

Ce nom est composé d'un radical anthroponymique désignant le propriétaire des lieux - un certain GOSINIUS - et d'un suffixe indiquant l'appartenance. Ce suffixe gaulois -ACON, ajouté à des noms de personnes, fut latinisé sous la forme -ACUM et servit à créer des appellations pour les grands domaines dans toute la Gaule jusqu'au Rhin. Il se rencontre principalement dans le Hainaut, en Picardie, dans les Ardennes et dans le nord et l'est de la France. Devenu -IACUS après l'invasion franque, il est resté vivant Jusqu'aux temps carolingiens et est resté soudé à quantité de noms francs. Par association, la forme féminine -IACAS peut être rapprochée des suffixes -ACAS et -AGAS dérivés de CASAS qui désigne des huttes, des cabanes, des chaumières.

L'occupation antique du site de Gochenée est donc ainsi prouvée et a d'ailleurs été confirmée par la découverte de quelques monnaies romaines ainsi que d'un cimetière mérovingien. Le nom de cette communauté rurale, dont on peut supposer que Gosinius était le chef, allait ensuite évoluer sous les formes de GOSINEIS (Xle siècle), GOCHEGNEIS (XIIe siècle), GOSIGNEIS (XIIIe siècle) et enfin GOSCHENEE en 1787.

Les noms de lieux constitués des suffixes -ACUS, -IACUS, -IACAS accolés à un nom propre attestent qu'une terre ou un domaine appartient à une personne. Au 1er siècle de notre ère où la base de l'impôt était nécessairement la terre, l'établissement du cadastre romain était le seul moyen pratique d'établir un impôt de quotité indispensable à l'estimation des fortunes foncières et au bon fonctionnement de la machine administrative.

Ce cadastre ne fut réellement achevé qu'au IIe siècle. Les propriétaires fonciers gaulois qui, à cette époque, avaient pris des noms latins, devaient déclarer la contenance des terres arables et des prairies ainsi que les bois et les pêcheries. La déclaration fiscale était alors portée sur les registres sous le nom romain du propriétaire qui devenait de ce fait une sorte de seigneur de village. Le gentilice ou cognomen romain fui ainsi suivi d'un suffixe celtique -ACUS déterminant l'appartenance. Le territoire ainsi dénommé officiellement restait alors pour le fisc une parcelle cadastrale entière dont les limites ne bougeaient pas lorsque le domaine devait être morcelé suite aux ventes, successions ou donations. Pour plus de commodité, l'administration financière considérait toutes les parties vendues, léguées ou données comme étant du ressort d'une même villa. Le nom du premier propriétaire foncier soumis à l'impôt resta ainsi attaché à la terre à travers les siècles.

Ces limites cadastrales et territoriales, appelées fines à l'époque romaines, subsistèrent au Moyen Age sous le nom de finage et il en résulte que la plupart de nos villages ont encore aujourd'hui les mêmes limites qu'au temps ou, pour la première fois, un propriétaire gaulois fit sa déclaration aux agents fiscaux romains.

Gochenée était une terre cultivée par un certain Gosinius.

Pour en savoir plus sur le village de Gochenée: https://sites.google.com/site/valhermeton/les-villages/gochenee

L'analyse des découvertes archéologiques du sud de l'Entre-Sambre-et-Meuse et l'étude topographique et toponymique des environs de Soulme et des villages voisins attestent donc de l'occupation très anciennes de ces sites ainsi qu'à la présence d'anciens chemins jalonnés de lieux-dits dont les noms portent encore les traces de la civilisation gallo-romaine. Partout dans la région, de nombreux lieux-dits et des expressions passées dans le patois local témoignent encore de l'occupation romaine et de la vie campagnarde de cette époque. Citons seulement trois exemples:

    • LE VIVIER – vivarium - désigne la retenue d'eau destinée à conserver en vie le poisson: il en existait un sur le ruisseau situé derrière VEMONT;

    • le ruisseau de LA JONCQUIERE, qui arrose Doische et Vaucelle, tire son nom de iuncaria et de juricus, le jonc;

    • le mot patois courtis ou courtil, qui désigne un jardin, vient du mot latin cohortis devenu cortis, curtis et qui désignait à l'origine une cour de ferme; ce mot a fini par s'étendre à l'ensemble du domaine et par désigner la villa, la ville tout entière par les mots court, cour, la cour qui se retrouvent dans certains noms de lieux composés tels que Cour-sur-Heure ou Court-Saint-Etienne.

S'il paraît tout à fait plausible qu'une exploitation agricole ait existé à Soulme dès l'époque romaine, la présence d'une agglomération à l'emplacement du village actuel n'a malheureusement jamais été démontrée par aucune preuve matérielle. Cependant, la situation du village, implanté sur le sommet d'une colline facilement fortifiable, le long d'une très ancienne voie de communication et à proximité d'une fontaine, ainsi que sa forme circulaire, témoignant d'un défrichement en clairière, nous incitent à penser que le site a constitué, dès la plus haute antiquité, un lieu d'habitat.

Le hameau de La Champelle à Soulme.

Les Strépys se situent dans le bas du hameau de La Champelle.

Les noms du hameau de LA CHAMPELLE et des STREPYS qui témoignent de la présence de très anciennes zones de culture peuvent nous faire penser que ces endroits particulièrement bien orientés ont servis à l'implantation d'une petite exploitation rurale fonctionnant sur le modèle latin et qui aurait peut-être pu dépendre de la grande villa d'Anthée. Les découvertes archéologiques réalisées à la fin du siècle dernier sont malheureusement trop pauvres pour nous apporter une preuve irréfutable à cette hypothèse. Les travaux réalisés à la route de Biesme à Givet, notamment en 1852, ont sans doute détruit à tout jamais les quelques témoignages qui auraient pu exister.

Outre la toponymie locale, différents indices laissent présager une présence très ancienne autour du village de Soulme:

    • la découverte de crayats en haut du chemin des Rochettes témoigne de la présence d'anciennes exploitations de fer, peut-être liées aux exploitations semblables de la région, notamment à Anthée, Morville et surtout Vodecée;

    • le vieux chemin d'Omezée a pu être à l'époque romaine une voie de transport du minerai de fer de Vodecée vers la vallée de la Meuse et les territoires germaniques;

    • la tradition des cloches englouties de Soulme pourrait provenir de la perte d'une cargaison de fer qui aurait versé dans l'Hermeton;

    • l'éperon rocheux de Louvain-Chestia aurait pu permettre la surveillance de cette voie

    • la tradition locale a gardé en mémoire la présence d'un camp romain dans les environs de Surice: celui-ci aurait pu constituer un relais à mi chemin entre les villas et sanctuaires de Matagne-la-Grande, Matagne-la-Petite et Anthée ainsi qu'entre les exploitations minières de Vodecée et la voie de transport de la Meuse;

Il y a lieu de noter d'autre part que la dénomination du hameau de Soulme, la présence d'une fontaine dont le rôle était jadis sans doute important et l'ancienne dédicace de l'église de Soulme à saint Remy nous amènent à penser que le village vit peut-être s'installer les premiers chrétiens de la région.