Fonts baptismaux

Le bassin de la Meuse et l'Entre-Sambre-et-Meuse sont riches en carrières et, au Moyen Age, possèdent donc de nombreux tailleurs de pierre et sculpteurs. Afin d'éviter le transport de poids inutiles, la pierre est souvent sculptée sur les lieux de son extraction ou à proximité immédiate. Un centre important d'extraction et de sculpture est donc localisé à l'époque autour de Florennes, située en pleine assise calcaire.

Le XIIème siècle est certainement l'âge d'or de la sculpture mosane. A cette époque, on taille de nombreux fonts baptismaux pour les paroisses villageoises et citadines.

Les fonts baptismaux romans de l'église Sainte-Colombe de Soulme sont la pièce maîtresse du mobilier de l'église. Ils étaient jadis encastrés dans la niche située à droite en entrant dans la nef et fermée par une porte. Ils sont aujourd'hui placés dans l'angle du collatéral et protégés par l'ancien banc de communion qui fermait jadis le choeur. Le couvercle rouillé qui les protège depuis de nombreuses années est peu digne d'une telle oeuvre d'art.

A noter qu'en 1998 ces fonts baptismaux ont fait l'objet d'une tentative de vol par une bande organisée de voleurs de bacs en pierre...

Constitués d'une lourde cuve ronde en pierre, monopédonculée, ornée de quatre masques de forme primitive, les fonts baptismaux ont été datés de la fin du XIIe siècle ou du début du XIIIe siècle. Cette cuve n'est en effet plus tout à fait dans le style classique de la fin du XIe siècle ou du début du XIIe siècle: plutôt que de ressembler à la cuve de la chapelle Saint-Hilaire à Ossogne, elle se rapproche beaucoup plus des fonts baptismaux de Daussois.

Les fonts baptismaux de Soulme sont particulièrement représentatifs d'un art roman influencé par des courants artistiques et symboliques orientaux. Les quatre têtes qui les décorent sont en effet des prototypes inspirés des arts d'Asie occidentale et d'Assyrie et les symboles hydrographiques de sa décoration témoignent d'une vision du monde qui relève d'une tradition antique typiquement mésopotamienne.

Les fonts baptismaux étaient jadis cachés et protégés dans un cagibi, dissimulés par une porte, à gauche de la sortie de l'église. Les photos prises en 1944 lors de l'inventaire de l'Institut Royal du Patrimoine Artistique en témoignent.

Photo © KIK-IRPA Bruxelles

Le piédestal.

Le piédestal qui supporte la cuve n'est pas sculpté dans la même pierre que la cuve. Il est possible qu'il s'agisse d'un pieds de colonne de la première nef construite à la fin du XIe siècle ou au début du XIIe siècle.

Ce fût, cylindrique et monolithe, est plutôt courtaud. Sa base, de plan carré, épaisse et robuste, est décorée de quatre larges feuilles d'eau aux angles étalés et sommairement schématisées.

La cuve.

La cuve a été taillée dans un calcaire carbonifère gris bleuté, caractéristique du sud-est de l'Entre-Sambre-et-Meuse et souvent utilisé dans la production de mobilier liturgique roman de la région.

La cuve des fonts baptismaux de Soulme est haute de 80 cm, lourde et cylindrique. Elle présente la silhouette d'un mortier un peu allongé, peu évasé, décoré de quatre têtes d'angle. Elle est ornée, sur son pourtour supérieur, d'un tore (grosse moulure ronde que l'on voit souvent à la base des fûts de colonnes)avec filet (ornement fin et délié) et cavet (moulure concave dont le profil est un quart de cercle) et, en sa partie inférieure, par une bande torsadée avec des godrons posés de biais (ornements saillants qui affectent la forme d'un oeuf très allongé), formant une sorte d'épais cordage.

Les têtes.

Les quatre têtes ou mascarons (masque sculpté de caractère fantastique ou grotesque) qui décorent la partie supérieure de la cuve sont la transposition des poignées d'une cuve en laiton ou d'un mortier. Elles inscrivent le cercle de la cuve dans un carré et représentent quatre visages masculins, sévères, hiératiques, figés et quelque peu naïfs.

Ces quatre figures barbues étirées, de forme triangulaires, aux pommettes saillantes, se distinguent l'une de l'autre par la forme de la barbe et des oreilles. Leur front inexistant, réduit pour ne pas cacher la face, et l'absence de creux facial permettent une vue de haut en raccourci.

Les yeux énormes, globuleux et expressifs, sont taillés en amendes et cernés de bourrelets. Les oreilles sont dessinées par une double volute élémentaire se détachant peu du volume. La bouche en forme de fente rétrécie est à peine esquissée. Le menton, presque inexistant, s'efface dans une barbe de mèches frisées, ondulées et bouclées à l'orientale. Le nez, droit et rectiligne, est sculpté dans le prolongement du front. Les cheveux sont contenus dans une toque aplatie constituée de deux bandeaux superposés et ligaturés verticalement par trois cabochons rectangulaires. Cette coiffure très simple, d'influence orientale, retient des mèches raides avec une raie médiane.

Ces quatre têtes ont d'abord une fonction utilitaire: elles servent à poser les flambeaux, le sel, l'huile et les divers ustensiles liturgiques utilisés pendant le baptême. Mais elles ont aussi une fonction symbolique en représentant à la fois:

  • 4 prophètes de l'ancien testament: Isaïe, Jérémie, Ezéchiel, Daniel

  • 4 évangélistes du nouveau testament: Matthieu, Marc, Luc, Jean

  • 4 fleuves du paradis terrestre, encore appelés les fleuves de la création, qui irriguent le jardin d'Eden et désaltérèrent Adam et Eve: le Gihôn (ou Géon, Gihon), le Pishôn, le Tigre (ou Hiddekel) et l'Euphrate.

  • 4 points cardinaux vers lesquels coulent ces fleuves à partir d'un monticule sur lequel se trouverait le Christ (cf. la cosmogonie de l'Egypte ancienne)

Dans la Génèse II 10-14, on peut en effet lire:

10. Un fleuve sortait d’Éden pour arroser le jardin, et de là il se divisait en quatre bras.

11. Le nom du premier est Pischon ; c’est celui qui entoure tout le pays de Havila, où se trouve l’or.

12. L’or de ce pays est pur ; on y trouve aussi le bdellium et la pierre d’onyx.

13. Le nom du second fleuve est Guihon ; c’est celui qui entoure tout le pays de Cusch.

14. Le nom du troisième est Hiddékel ; c’est celui qui coule à l’orient de l’Assyrie. Le quatrième fleuve, c’est l’Euphrate.

Parmi ces quatre fleuves, deux existent et deux sont inconnus, ce qui a donné naissance à diverses interprétations.

Le Pishôn (ou Pischon, Phison, Fison) a souvent été interprété comme étant parfois le Gange, le Danube, le Nil, ou le Tchorokhi moderne qui se jette dans la Mer Noire. Son nom signifierait "le jaillissant" et il serait le symbole de la prudence et du courage.

Le Gihôn (ou Géon, Gihon) est peut-être le Nil, le Nil Bleu, l'Araxe (en Turquie) ou l'Amou-Daria (en Asie Centrale). Son nom signifierait "le sourdant" et il serait le symbole de la tempérance.

Ces interprétations font souvent référence à l'Egypte et au Nil car la symbolique de l'eau et de la colline primitive est l'un des éléments communs à différentes cosmogonies et plus particulièrement à la cosmogonie égyptienne. C'est l'image, suggérée par la crue nilotique et le retrait de ses eaux, d'un océan primordial et informe (le chaos des origines) d'où émerge la colline primitive.

Tigre et Euphrate, seules rivières identifiables aujourd'hui, n'ont pas la même source aujourd'hui mais sont parallèles. Le Tigre était jadis appelé Hiddékel (ce qui signifie "rapide") ou Chiddeqel. Ces fleuves coulaient dans l'ancienne Mésopotamie, c'est-à-dire l'Irak actuel et les pays limitrophes. Traversant des zones sèches avec une importante évaporation mais connaissant parfois des crues importantes (d'où la légende de l'arche de Noé), ces fleuves font partie d'un réseau hydrographique qui a connu de multiples changements au cours des siècles et il n'est donc pas impossible qu'ils aient eu jadis une même et unique source.

Le Tigre serait le symbole de la force, de la rapidité, de la vélocité. L'Euphrate, quant à lui, symboliserait la justice.

Les quatre vertus cardinales associées aux fleuves de la création, la tempérance, la force, la justice et la prudence, se trouvaient déjà dans les écrits de Socrate, Platon et Cicéron. Elles étaient très fréquemment représentées dans l'iconographie moyenâgeuse en pays mosan.

Lors du baptême, le prêtre, dans un geste de bénédiction en forme de croix, répartissait l'eau entre les quatre parties du monde et les quatre points cardinaux en prononçant la formule rituelle suivante:

Je te bénis par ce Dieu qui te fit couler de la source du paradis et, te divisant en quatre fleuves, te commanda d'arroser toute la terre.

Dans les fonts baptismaux de Soulme, les quatre fleuves de la création sont symbolisés sur le bord supérieur de la cuve par les ondulations de la chevelure des quatre têtes. Cette symbolique était sans doute jadis encore renforcée par la présence d'un couvercle en cuivre, semi-sphérique, plus beau que le couvercle actuel, et qui, en protégeant l'eau du baptême, symbolisait la voûte céleste.

Soulme - Fonts baptismaux.pdf

Etude réalisée par Guy Duwez, gradué en Histoire de l'Art et Archéologie, collaborateur scientifique au Centre Marie-Victorin (Publication probalbe à la fin des années 1980).